dimanche 10 avril 2016




Keboemen

4 mai 1935


A sa maman
Nous avons donc bien reçu tes deux lettres no 83 et 84. La 84 nous venons de la recevoir ce soir, donc par le courrier par avion du samedi soir, normal. Oscar n’a pas reçu de lettre, car papa Woldringh est maintenant en voyage et nous a avertis qu’il n’aurait pas le loisir d’écrire pendant une ou deux semaines.
Nous avons eu beaucoup de plaisir à lire les manœuvres de Lölö (son frère Louis). Comme je puis bien me l’imaginer dans son tank...
J’ai reçu les photos maintenant, je les aime beaucoup et j’en ai eu un immense plaisir. De même qu’à la grande de vous trois, et ce que j’aime bien la regarder, il me semble alors que vous êtes tout près de moi avec vos gentilles expressions et vos bons sourires, vous êtes bien les trois.
Je t’écris à toi ce soir, et lundi, si j’y arrive, j’écrirai une lettre pour la compagnie. Demain dimanche nous aurons la visite des Erkelens et de Elout, qui viendront tous les trois de Tjilatjap. Ce n’est pas une visite qui m’enchante beaucoup, ni Oscar, mais enfin, on saura bien se tirer d’affaire.
Comment vas-tu maintenant et qu’a dit le médecin ? Oui, mamali, tu as raison de me dire tout, je l’apprécie beaucoup. Pourtant j’aimerais bien que tu me racontes encore un tas de choses de toi. Est-ce que tu as vraiment maigri ? Tu as eu raison de ne plus aller chez Rummel. Est-ce que ce Huber est sympathique ? C’est donc ton cœur qui te joue des tours ? N’est-ce pas que tu fera attention maintenant, et tu ne diras plus : schysse, wenn i Freud ha, wott i Freud ha, und cha mer der räschte id Schueh blose !  (dialecte bernois: merde, quand j’ai du plaisir, je veux du plaisir et pour le reste tant pis !) Vois-tu chacun doit s’imposer des restrictions dans la vie, aussi quand on est jeune. En tout cas, moi, je fais aussi déjà attention de manger et de me conduire sainement, pas d’excès en quoi que ce soit. Il te faut bien t’observer, bien te soigner. Maintenant que les garçons seront de nouveau loin, tu pourras te payer de vraies vacances cet été. Il n’y aura heureusement plus de Brero pour qui travailler. Tu as raison si tu te la couleras douce, mais attention, si la Gretula change et devient très gentille avec toi, cela sent du Sutz, des bains et des visites avec ses amies ! Comme il y a quelques années, te rappelles-tu ? Cette fois-ci tu seras ferme et tu ne te laisseras pas imposer des visites. Envoie-les au diable ou plus loin encore, mais pense à toi cette fois-ci.
Vois-tu il fait si beau être seule avec soi-même et toutes ses pensées et ses souvenirs. Moi, je ne m’ennuie jamais, jamais, et je sais que toi non plus tu ne t’ennuies jamais. Oui, on a bien de temps en temps envie de voir quelqu’un, de parler, d’échanger ses idées, mais après il fait beau tout de même de revenir à sa solitude. Au moins là on ne dit pas de mal et on peut laisser libre cours à ses pensées !

plage près de Cilacap

Nous sommes donc resté à Tjilatjap jusqu’à mercredi matin. Le mardi, après que les lettres aient été mises à la poste, nous sommes tous partis à la plage. Mr v.T. avait fait un petit bateau pour sa fille et nous voulions aller l’essayer. Buby n’a pas baigné, j’avais oublié son costume et nous n’avons pas pu en emprunter un, de plus il était de mauvaise humeur parce que nous l’avions fait venir avec nous. Donc moi, je baignais avec mr. et mrs. V.T. A un moment donné nous voulions essayer le bateau qui chavirait toujours. La petite en était effrayée et ne voulait pas y entrer. A la fin, c’est moi qui l’ai essayé et nous avons bien ri, car je ne pouvais jamais tenir l’équilibre. Après moi, c’est le gros v.T. qui y est entré. Je tenais le bateau jusqu’à ce qu’il soit assis dedans, ensuite je voulais le pousser pour lui donner de l’élan. Les premiers 3 mètres tout allait bien, quand tout à coup, plumps, le bateau se retourne comme un gant et v.T. disparaît sous l’eau comme un sac de pommes de terre. Moi je n’en pouvais plus de rire, il faut te dire que nous étions à la plage fermée, donc pas dans la mer ouverte. Une fois qu’il était hors de l‘eau de nouveau, il m’a offert d’y entrer de nouveau dans ce charrette de bateau, et tu sais que moi, j’aime bien m’amuser. Donc j’y entre et je me mets à ramer et à faire le guignol. Ensuite j’ai voulu en sortir pour y laisser entrer une petite fille. C’était difficile de sortir de cette coquille, j’avais une jambe dehors, et voulais justement sortir l’autre quand une vague fait bouger le bateau et le lance de toutes forces entre les jambes écartées. Tu peux te penser le mal que cela m’a fait. J’ai vu toutes les étoiles !!! Sitôt que j’ai pu, je suis sortie de l’eau et suis allée m’habiller. Je saignais un peu mais ne savais pas d’où... Ce n’était pas beaucoup, mais cela m’a fait peur tout de même. Outre cela, j’étais éraflée et j’ai encore maintenant un gros bleu, mais cela ne fait plus mal. Les deux premiers jours, j’avais bien de la peine à m’asseoir, oh, c’était drôle à voir, on peut bien dire que j’avais le c… enflé, haha.
Dimanche.
Il est déjà midi et nos visites ne sont pas encore arrivées. Heureusement que je n’ai que la rijsttafel, je n’ai pas à me fâcher à cause d’un dîner mal réussi, c’est seulement la baboe qui aura eu un travail fou pour rien. Tant pis, elle se consolera en recevant tous ces restes s’ils ne viennent pas. Et maintenant revenons à nos moutons.
Irma Hadorn. Je lui ai envoyé un joli petit abat jour en peau de waterbuffalo, finement découpé et pein. Un travail spécial de Djocja. Il m’a coûté Fl. 1.75, ce n’est pas trop cher, mais l’abat jour vaut mieux que son prix, seulement ce type qui le vendait avait besoin d’argent, et comme il pleuvait et faisait justement un terrible orage quand il était ici, je lui ai permis d’attendre ici que la pluie cesse un peu, c’est aussi pourquoi il me l’a donné en fin de compte pour ce prix si bas. Tu ne le diras pas à Irma, sans quoi elle ne l’appréciera pas.
Quant aux chapeaux de la petite Descoeudres, attends encore un peu. Je peux me procurer une forme ici, je sais ce qu’elle entend, mais je veux encore un peu étudier la chose et m’orienter à Soerabaya. D’abord je veux mettre en ordre l’affaire du buste. Qu’est-ce que Hedy en dit ? Je sais maintenant qu’il coûte Frs.Fr. 195.--, en longueur spéciale. Tu sais, on peut l’adapter exactement à son corps, ce qui est extrêmement pratique. Est-ce que Hedy trouve aussi que ce serait quelque chose pour moi ?

Lundi matin.
Nos visites sont arrivées hier vers 1 heure, et nous avons mangé à 3 heures ! Passé une belle après midi, joué au tennis, fait aller le gramophone, dansé, enfin quoi, nous nous sommes assez bien amusés. Le soir après souper, les Erkelens sont retournés à Tjilatjap. Alors que mr. Elout a demandé s’il ne pouvait pas dormir ici, vu que l’hôtel était si loin. Nous comprenons cela très bien et j’ai vite fait mettre en ordre ma chambre de visites. Je ne sais pas combien de jours il restera ici. Il est si simple et je ne fais pas du tout de chiqué, mais tu comprends cela donne à faire tout de même, il faut surveiller mes zigues car je veux que tout soit bien fait. Je suis si contente de toutes les visites que nous avons eues à la maison, tu ne peux guère te rendre compte, mamali chérie, combien cela me facilite les choses d’être habituée aux visites.
Maintenant vite encore le plus important.
Merci pour les bas que tu m’enverras, donc ces 4 paires. J’en serai très contente, car je n’en ai plus une paire d’entiers, sauf les deux que je viens de recevoir. Merci aussi pour les souliers je me demande s’ils m’iront ?
J’aimerais bien que tu me racontes ce que Hedy va me faire, que tu sois un peu plus exacte, car je ne peux souvent pas bien imaginer ce que tu veux dire. J’essaie naturellement de deviner, mais c’est quelque fois difficile, il te faut penser que je suis loin de tout et plus trop au courant de ce qui se porte. Par exemple je ne sais pas ce que tu vas me faire faire, si c’est une robe, une jupe de satin et une casaque, se composant avec ce cape, ou si ce cape fait partie d’une autre toilette. Tu mêles tout, ce que Hedy fait à Tata, ce qu’elle pense me faire, ce que je désire, ce que tu penses, bref c’est un peu une salade, et le temps presse de sorte que nous ne pouvons pas passer notre temps à écrire pour nous entendre. Voici donc ce que je comprends d’après ta lettre 84 et tes descriptions :
Tu as l’intention de me commander chez Hedy une petite robe se composant d’une jupe ne satin, avec casaque. Probablement cet ensemble sera en deux couleurs, noir et blanc, etc. Si c’est en deux couleurs, j’aimerais bien noir et blanc.  Si c’est en une couleur, je préfère ficelle clair, une couleur avec laquelle je puis porter un chapeau noir en paille luisante.
Ce qui me rend le plus service, c’est une robe ou un ensemble que je puis porter l’après midi à Soerabaya, donc en ville, aller au restaurant, il faut que ce soit chic, mais assez simple pour que je puisse le porter sans jamais être déplacée n’importe où que j’aille. Tu comprends ?
Dans cette idée là, j’aimerais donc aussi une petite robe en tissu lavable, soit de Bötschi, soit de Hedy, ou de n’importe qui. Une petite toilette gentille, me seyant bien pour être jolie quand je sors avec Buby qui sera très bien en uniforme blanc.
Toi et Hedy, je sais que vous m’aimez bien, et que les deux, vous me voulez bien habillée, mais il ne faut pas vous laisser tenter par un joli modèle excentrique. Cela revient trop cher et aussi ne me rendrait pas autant service que ce que je décris plus haut.
Maintenant en choisissant les tissus, pensez bien qu’il ne faut pas de tissus trop difficiles, vu qu’ils souffrent beaucoup ici par le soleil, la transpiration. Si c’est possible, toujours du lavable soit à la benzine, soit à l’eau froide.
Je vous rappellerai aux deux que j’ai horreur des manches kimono ne permettant pas de lever les bras librement. N’oubliez pas qu’ici il fait toujours beau temps, chaud aussi et qu’on ne peut pas supporter de ces façons qui ne permettent pas l’aisance des mouvements.
J’aimerais bien que tu donnes ce bout de lettre à lire à Hedy, ou que tu lui en fasse la lecture elle saura bien me comprendre. Je ne vous demande que d’observer ces quelques points, pour tout le reste je vous laisse libres me fiant à votre bon goût. Mes mesures n’ont pas changées, sauf pour les hanches, il faut compter 102 cm. Donc là où le füdi (derrière) ressort le plus. Ces 102 cm sont bien comptés mais tu sais que je n’aime pas qu’on voie trop les fesses.
Sitôt que m. Elout sera loin, je vais prendre un homme pour coudre, car depuis 15 jours je n’ai qu’un pyjama qui soit encore un peu présentable, tout le reste est en morceaux, déchiré, en mille haillons, c’est honteux.
Il est lundi soir.
Vite encore quelques mots.
Cette après midi il est de nouveau venu un Javanais avec de l‘argenterie se faisant à Djocja. J’ai acheté quelques petits bijoux pour Floc, Tata et Fanny et la Giggerli, et naturellement aussi pour mon Faaather. Enfin, j’en ai profité puisque madame Voskuil se charge de vous les apporter. J’en ai acheté pour une trentaine de francs, c’est encore Buby qui m’a encouragée pour en acheter autant, et c’est lui qui paye la moitié de son privé. Cela c’est pour vous tous. Oh, je vous dis, il est gentil mon bandit. Moi, si j’avais été seule j’avoue que je n’en aurais pas acheté autant, tu sais bien que je ne puis pas dépenser, moi ! Enfin,  je suis très contente, ainsi au moins vous aurez enfin quelque chose de moi. Dans ma prochaine lettre je te dirai ce qui est pour toi et à qui tu dois donner le reste. Maintenant je n’ai pas le temps.
Buby et Elout se tordent de rire en lisant des blagues d’étudiants. Quand je m’approche, ils tournent les pages et se taisent, et comme j’ai été à bonne école pour cela, je me retire. J’aime autant car cela me permet de vous écrire et puis j’ai bien appris de toi, il faut laisser les homes seuls souvent. En ce moment ils sont assis là à la voorgalery, les têtes ensemble comme des gamins d’école et ils rient tant que j’en ris aussi. Je suis si contente pour Buby qu’il ait quelqu’un qui le change du vieux Röhwer. Elout a dit que nous ne resterons plus trop longtemps à Keboemen, en tout cas pas plus d’une année, ensuite il faudra qu’on sorte qu’on puisse se mêler à des jeunes, vivre un peu quoi. Moi je laisse faire je suis encore bien heureuse ici avec mon Buby, seule, seulement on ne peut pas rester ainsi, de peur de devenir asocial.





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