samedi 29 avril 2017




Kediri

26 juillet 1939


Vous ne saurez pas ce que vous verrez en recevant une nouvelle lettre de moi deux jours après la précédente. Mais voilà, il faut vite que je rectifie une erreur, une étourderie.
Je vous ai écrit que nous avions Frs. suisses 4-5000.- à disposition, ce n’est pas vrai. J’ai fait une faute en calculant les florins en francs. Je savais qu’un franc suisse valait 43 cents en monnaie d’ici, et dans ma lettre j’étais d’avis que c’était un florin qui valait 43 centimes suisses. Nous avons donc à notre disposition Fl. 1000.- ce qui fera environ Frs. Suisses 2500.-.
C’est une bien grande différence et je regrette l’erreur si vous vous êtes déjà fait des illusions quant aux « capitalistes » que nous sommes. C’est le soir, en le racontant à Boili, que je me suis aperçue de l’erreur, ou plutôt c’est lui qui m’y a rendue attentive. Il s’est bien moqué de moi et voilà.
Entre temps j’ai reçu la lettre 213 de Rötteli. Vraiment je me sens très gâtée d’en avoir reçu tant si vite les unes après les autres, mais je prends donc bien note qu’il n’y faudra pas compter pendant un certain temps, puisque Minna (aide de ménage de Rose)  part en vacances. Je comprends cela et ne me ferai aucun souci.
D’ailleurs moi non plus je ne vais plus écrire pendant un certain temps. Nous partons à Soerabaya demain pour 2-3 jours, ensuite ce sera la visite de Elout et peut être bien que la naissance du petit prince (enfant de la Reine Juliana, ce sera Beatrix) (espérons-le !) aura lieu ces jours-ci et alors ce seront de nouveau trois jours de fête nationale. Pourvu que cela n’arrive pas pendant que Elout est ici, il faudrait alors faire la noce et nous n’en avons pas du tout envie. Enfin, vous êtes maintenant avertis et vous ne vous ferez pas de soucis.
Nous nous portons bien tous les deux et ce tonique que je donne à Boili lui fait du bien. Nous sommes aussi pleins de courage et de bonne volonté ferme pour recevoir les différentes pluies et aussi louanges et faussetés d’une manière correcte, mais rien de plus.
Je suis contente que vous jouissiez ainsi de Sutz, même s’il ne fait pas toujours beau temps.
Naturellement, Rötteli mys, il ne faut pas écrire si petit si cela est pénible pour toi. Ecris donc comme cela te va le mieux, car il ne faut pas que je t’embête plus que nécessaire avec les lettres que tu m’écris.
écriture de Rose

 Quant à moi, ton écriture petite ne m’embête pas du tout, je m’en félicitais toujours car ainsi les lettres étaient bien remplies, ce qui est encore le principal pour moi, mais d’ailleurs la différence ne doit pas être si énorme, et si c’est plus commode pour toi d’écrire plus grand, alors fais-le.
Et bien oui, avec les Sossich (amis de Rome) cela ne va plus tout, pauvre elle, je la plains. Peut être qu’elle réussira quand même à refaire sa vie, j’ai l’impression que ce n’est pas la volonté qui lui manque. En bons catholiques ils ne vont naturellement pas divorcer, ces deux, mais je ne crois pas que Sossich arrivera encore une fois à se corriger. Enfin, à chacun sa vie, vous ne pouvez rien non plus pour les aider, vous en avez déjà tant fait.
Hier j’ai eu la visite de tante Engel avec Boy, et j’ai redit que tu n‘osais pas avoir de visites. Ils sont naturellement venus pour me demander de tes nouvelles. Je crois que cela leur joue un sale tour que Boy ne puisse pas venir car à ce que j’ai deviné, il comptait débarquer à Marseille, prendre le train, passer par la Suisse et rester environ une semaine encore avant de reprendre ses études en Hollande. Ils n’ont pas dit tout cela mais j’ai été assez adroite pour leur tirer les vers du nez et voilà ma conclusion. J’ai immédiatement conseillé à Boy de faire le tour par l’Espagne en bateau, de s’arrêter à Tanger etc, et j’ai chanté les louanges de cette ville comme si j’y avais passé ma jeunesse ! Ah, bien non, cette fois, cela ne leur réussira pas de plier les circonstances et les gens à leur intérêt. J’ai aussi conseillé à Boy d’aller passer une semaine à Paris, s’il débarquait à Marseille, mais il n’y tient pas, vu qu’il serait tout seul. Ah oui, c’est au Chalet chez la famille Marchand qu’il aurait encore fait beau passer une petite semaine et se laisser gâter. Seulement moi, il faut que je fasse attention de ne pas m’embrouiller dans mes blagues. Hier j’ai encore dit que les garçons n’amenaient même plus leurs amis à la maison. Là-dessus ils n’ont plus rien dit, et moi aussi j’ai sauté sur un autre sujet.
Je vais offrir à Boy un petit dîner d’adieu, samedi ou dimanche prochain. Il y a longtemps que je dois une revanche aux Engelhart qui n’ont encore jamais mangé ici depuis que nous y sommes. C’est donc une bonne occasion mais cela m’embête seulement que d’y penser !!! Enfin, il faut y mordre et ce sera fait.
En revenant de Batoe j’ai mis ma baboe à la porte. Elle était très bonne pour son travail mais elle avait un fichu caractère, elle ne s’entendait pas trop bien avec les autres domestiques, et puis je la soupçonnais d’être poitrinaire, car elle a un mari qui l’est au plus haut degré. Maintenant j’ai une petite baboe qui n’est pas aussi bonne encore, elle travaille et elle est de bonne volonté, alors que peut être je réussirai à en faire quelque chose, mais ce qui m‘a décidée à la prendre, c’est qu’elle s’appelle… Minah !!! Et vous ne vous représentez pas le plaisir que j’ai d’appeler « Minah », je le fais autant que je peux !!!
A propos, je souhaite de bonnes vacances à la bonne Minna, la vraie, qu’elle en profite !
Cette madame Lüdi que tu as eue en visite, est-ce la boulangère de la Rue Basse ? Si oui, tu lui diras une fois que je pense encore souvent à leur pain et que je promets bien d’en profiter quand je serai de retour en congé.
Je suis contente que Nögg (Loulou, son frère) ait eu du succès à ce rallye et suis encore plus fière de lui pour bien d’autres choses !!! As-tu ta moto, maintenant, mon vieux ?
J’ai bien peur que tu ne te fatigues beaucoup trop, quand Minna sera loin, car tu n‘as plus l’habitude de faire le ménage et tu en feras trop. Ne pourrais-tu pas demander à quelqu’un de venir t’aider un peu, si c’était seulement une gamine d’école pour courir de ci et de là. Hé, les hommes, vous surveillerez votre Rötteli de près pendant ce temps, hein, je compte sur vous puisque je ne suis pas là pour la gronder et lui aider moi-même.
Quant à moi, je crois bien que je suis devenue très paresseuse et il faudra sérieusement que je me mette à travailler quand je reviendrai. Ici, je travaille toujours, je suis toujours occupée mais pas aux choses du ménage.
La madame Mogendorff est de nouveau pas bien, elle est dans son 8ème mois maintenant et doit de nouveau un peu vomir, alors elle s’en fait et se croit malade à mourir. Je n’ai jamais vu quelqu’un de si peu raisonnable. Elle se laisse aller à cent et retour, elle n’essaye pas de se distraire, toujours elle pense à cela et fait des tititi (tirer les cartes), elle est même en correspondance avec une femme en Hollande pour cela et elle croit tout savoir. Moi, je la laisse me raconter toutes ces choses d’elles, mais jamais je la laisse m’approcher à ce sujet je suis réservée autant que possible. Tu n’as pas besoin d’avoir peur, jamais je ne laisse faire de tititi. C’est arrivé une fois, mais plus jamais. Je tiens à garder mes pensées propres et saines surtout, et d’ailleurs j’ai d’autres idées de la vie qu’elle. Par exemple, elle a de nouveau vu qu’ils ne resteraient pas longtemps ici à Kediri, alors maintenant elle s’en fait déjà et tout cela l’empêche de bien vivre dans le présent. Oh, c’est tellement malsain, des choses pareilles, et vraiment il faut que je fasse un effort pour elle, lui rendre visite. J’observe la politesse, mais autrement je me retire où je peux.
Et voilà mes chers, je suis au bout de ma feuille, et j’ai encore beaucoup à faire ce matin.
Boili est à Semarang et revient ce soir. Voilà 15 jours qu’il n’a été à la maison qu’un jour entier. J’ai un peu l’impression d’être une femme de marin !





Kediri

24 juillet 1939

A sa maman
Nous sommes donc le 24 aujourd’hui, il y a plus de deux mois que je n’ai plus eu le Schnyder !  (règles mensuelles). Alors qu’est-ce que cela veut dire ? Je me porte bien, je me sens mal quelques fois et voilà. Il me semble que maintenant il n’y a plus de doute, et toi, qu’en penses-tu ? En tout cas, je ne peux pas penser que cette absence de Schnyder, comme cela tout d’un coup soit due à une autre raison, et toi ? Peu à peu je commence par y croire fermement et à me réjouir de tout mon cœur. Et toi ? N’est-ce pas que tu te réjouis aussi si tu deviens grand’maman ? Tu pourras pouponner et garder, et moi j’en profiterai pour gondle (aller se balader) quand nous serons en congé en Suisse.
Le bonheur que cela me donne, tu ne peux pas te l’imaginer. Combien de fois je me désespérais déjà, en me voyant vieillir, de ne pas avoir le plaisir d’avoir des enfants à moi, car l’instinct de mère a de tout temps été très fort en moi. Oh, et tu devrais voir le Boili ? Monté, on ne le reconnaît plus, et les cadeaux qu’il me fait ! Non, il est vraiment déjà un peu fou de joie. A chaque tournée il revient avec quelque chose, et l’autre jour je regardais avec plaisir un collier de perles qu’un chinois venait offrir, alors quand je me suis absentée un moment il l’a vite acheté. C’est fou, je n’ose plus rien dire et laisser voir que quelque chose me plaît, ou je l’ai. Il m’a rapporté une « encyclopédie pour mamans » donnant des conseils sur la manière d’élever les enfants jusqu’à l’âge de la puberté. C’est un livre merveilleux, qui traite de tous les sujets imaginables concernant les enfants. Oh ! Je t’ai déjà souvent écrit comme On était bon pour moi et comme je me sentais heureuse, mais ce n’était encore rien à côté de ce que c’est maintenant. Oh, et toujours ce plaisir, cette espérance au fonds de ses yeux quand il me regarde ! Aussi je n’ai aucune difficulté à avoir de bonnes et belles pensées, car je suis comblée d’amour. J’ai presque peur de mettre tout cela sur le papier, aussi cette lettre n’est absolument que pour toi et après l’avoir lue, tu la déchireras.
J’ai aussi été si heureuse de recevoir tes deux lettres 211 et 212, merci mille fois. Je n’ai pas encore répondu parce que j’ai eu un « djait », c’est à dire un homme qui sait coudre, en journée. Je me fais faire quelques robes neuves, et déjà des robes à transformations !!! Ne te moque pas de moi, mais je me suis dit autant être prête à temps. Maintenant je me sens encore assez bien, mais j’ai, le soir, souvent une fatigue énorme, pas normale, alors je vais au lit à 8 heures. Je n’ai pas encore vomi mais j’ai bien souvent un dégoût des choses, de la viande par exemple, je n’en mange presque plus, seulement si elle n’est pas saignante. Nous n’avons pas encore eu l’occasion d’aller au docteur, car pour cela nous devons aller à Soerabaya et Boili n’a pas encore eu le temps. Nous irons chez le meilleur docteur  qu’il y ait à S. Oh, je vis dans un tel rêve qu’il m’est difficile de t’écrire une lettre convenable.
Le jeune Cochius a enfin été placé ici et il loge chez nous depuis environ 10 jours. Quand Elout viendra, il devra déménager à l’hôtel. Il venait déjà chez nous à Tjilatjap, c’est un gentil garçon et il joue merveilleusement du piano, alors Boili et lui vont louer un piano à queue que nous placerons dans notre salon. Ce sera joli et ainsi j’aurai toujours de la bonne musique, ce dont je me réjouis. J’en suis aussi contente pour Boili, car maintenant que nous ne sortirons plus tellement, nous chercherons plutôt notre plaisir à la maison et Boili pourra passer ses soirées à jouer seul et à quatre mains avec Cochius.
Avec cette soie rose de Banely, je me fais un merveilleux déshabillé, genre 1900, je t’en enverrai une photo quand il sera prêt. Cet homme en journée sait très bien coudre, alors je n’ai qu’à couper mes robes, lui expliquer un peu et voilà, c’est lui qui fait tout le reste et ainsi je n’ai pas à me fatiguer à coudre des journées entières. Il ne me coûte que 70 ct. par jour, ainsi ce n’est pas un luxe ! Je réussis maintenant à me couper de petites robes ravissantes, même madame Fraay ne trouve plus rien à critiquer, et pourtant elle n’était pas facile comme professeur.
Si tu reçois cette étoffe de la Leni, envoie-la moi ainsi. Je ne la trouve pas chère et si je ne l’emploie pas pour une robe, ce sera toujours pour autre chose ou alors je pourrai facilement la vendre. Tu peux même m’en envoyer pour deux robes. Quand Boili a vu la soie rose de Banely, il l’a trouvait tellement jolie qu’il a tout de suite dit : ce serait beau pour le berceau !! Je te dis, il ne pense qu’à cela. Est-ce que tu penses que Max se fendra un peu pour m’envoyer quelque chose de sa fabrique si je lui annonce la chose ? Naturellement je ne veux pas écrire avant d’avoir consulté le docteur, et de pouvoir être sûre, comme cela dans un mois environ. Qu’en penses-tu ? Ce serait drôle si cela donnait quelque chose avec Ida et lui. C’est sûr que quand je serai en Suisse, j’irai aussi lui rendre visite, si c’est seulement pour aller sur la tombe de Tatali.
J’ai rêvé d’elle l’autre nuit, mais je ne me rappelle plus bien le rêve. La nuit passée j’ai rêvé du Dr Rummel, je ne pense pas que je le reverrai, je ne sais pas pourquoi j’ai cette idée.
grande gentiane jaune(médicinale)
Ces tiques que les Tip & Top (chiens de Rose) ont sur le dos et entre les pattes, il faut les enlever avec une pincette et les noyer dans du pétrole. Moi je fais cela tous les jours à nos chiens, car ici ils en ont beaucoup.
Tu m’écris dans ta 212 que tu as dû boire 3 gentianes (eau de vie locale et médicinale, 50% d'alcool)
et 2 kirsch. Voyons, qu’est-ce que tu fais d’avoir des indigestions pareilles ? Je crois que tu ne sais pas encore ce que c’est de suivre un régime. Eh bien, attends seulement, je pourrai te l’apprendre.
Merci mille fois pour les beaux souliers. Ils me vont bien, seulement ce n’est pas le talon que je porte habituellement. Celui-ci est beaucoup plus haut qu’aux autres souliers, ce qui fait que je ne pourrai pas les porter pour aller en ville, car je ne peux pas marcher longtemps avec un talon si haut. Je les porte haut de 5 cm habituellement, et c’est aussi la hauteur de ceux des souliers que tu m’as envoyés jusqu’ici. Seulement cette dernière paire est autrement.
Je suis contente que les Charlou puissent profiter de jouer au tennis, nous aussi quand on viendra, gare !
Cette photo du Sukiyaki a été prise derrière la maison et la robe que j’ai mise est en effet une copie de celle que je portais dans le temps. Elle m’avait toujours plu et comme j’avais des lacets et que je ne savais pas qu’en faire, je les ai cousus sur un col. C’est une robe en lin gris clair avec des lacets bleus et rouges.
Ne m’envoie plus de souliers pour la Oma (Mme van Gelder à Batoe), elle en a assez. J’ai quand même augmenté de 1 kg à Batoe et au mois d’août nous y retournerons. Au mois de septembre ce seront les Mogendorff qui prendront des vacances, car elle attend son bébé vers le 17 septembre environ.
J’ai suivi ton conseil et je mange beaucoup de schlymsüppeli (soupe à l’avoine). Je suis contente que tu feras en sorte de ne pas avoir de visites quand nous serons en Europe, j’avais déjà peur que je devrai trop partager mon temps précieux avec des gens qui ne m’intéressent pas beaucoup, sûrement pas autant que toi. Seulement j’avais peur que tu penserais que nous sommes devenus comme Max et Tata dans le temps, qui ne voulaient jamais voir personne. Ce n’est pas le cas avec nous, seulement notre temps sera tellement mesuré, que nous préférerons le passer strictement en famille afin de profiter autant que possible les uns des autres. Mais ne te fais pas d’illusions, les gens seront assez curieux et chacun essayera de toutes ses forces de venir au Chalet et d’entendre raconter des histoires de Java, de sorte qu’il faudra presque nous cacher pour être seuls un peu, à moins que tu ne prennes tes précautions déjà à l’avance.
J’ai suivi ton conseil et je donne maintenant à Boili du Tonikum Roche, de la maison Hoffmann La Roche de Bâle. Cela semble lui faire du bien.
Je suis contente que le jardin du Chalet ait gardé son cachet comme avant et j’espère que nous aurons la chance d’en profiter quand nous viendrons, mais si nous venons en automne alors tant pis, on restera à Bienne.
Pauvre Mottet, j’ai bien pitié de lui avec sa femme. Je pense souvent à lui en voyant Mogendorff qui lui ressemble. Mogendorff a aussi une grande amitié pour moi et sa pflunze (péjoratif, sa femme) en est jalouse, en tous cas elle téléphone souvent quand il est ici, de sorte que je ne lui dis plus de venir. Oh, c’est une « lismete », c’est fantastique. De dire que j’en suis au même point qu’elle, quand elle est venue ici à Kediri et qu’elle se laissait tellement aller seulement parce qu’elle pensait qu’elle allait avoir un gosse. Chez moi, personne ne soupçonne rien, sauf madame Fraay à qui je l’ai dit, car j’aime bien avoir une femme avec qui causer un peu. Quand je suis mal et que j’ai envie de vomir, alors je cherche à me distraire et cela passe, tandis que la lismete, il fallait que tout danse autour d’elle. Naturellement cela n’ira pas toujours ainsi avec moi, je ne me fais pas d’illusions, mais en attendant on peut beaucoup soi-même en ne se laissant pas aller. Je fais bien attention de ne pas trop me fatiguer etc, mais sans cela je vis comme avant.
Oscar n’est pas encore revenu de Soerabaya, il paraît que cela ne marche pas comme il l’espérait, pauvre Boili. Il reviendra ce soir. A midi à table, Cochius m’a dit à un moment donné que nous deux, Boili et moi, nous étions une grande exception dans le mariage. Il a peut être bien raison !
Mamms, je ne peux plus écrire longuement, il faut que la lettre parte à la poste. Il est déjà 3 heures et il faut que j’aille faire ma sieste, sans quoi je serai trop fatiguée ce soir et je fais toujours en sorte d’être bien pour recevoir Boili quand il rentre. J’ai environ répondu à tout dans tes dernières lettres, mais j’aurais encore beaucoup à te dire, j’ai tant de choses dans la tête. Une autre fois je te parlerai de tous mes plans, oh, tu sais j’y ai déjà bien pensé et tout est prêt dans ma tête comme j’arrangerai les choses quand… !

Fabrique de Bienne

Nous avons fait faire une belle boîte à cigarettes en argent pour Padre, mais je ne sais pas encore comment je vais l’envoyer. Je n’ose pas le faire par petit paquet parce que cela a trop de valeur. J’ai bien trouvé que c’était un peu cher, mais Boili a tenu à donner quelque chose de bien au Padre pour les 50 ans de l’ELEM, alors !!! Heureusement que c’est moi qui administre un peu nos sous, sans quoi on n’aurait pas encore un seul centime de côté, je crois. Boili ne sait pas économiser, mais il aime bien que je le fasse.
Maintenant Rötteli, c’est le dernier moment pour la poste.



mercredi 26 avril 2017






Kediri

23 juillet 1939


Je crois que je ne vous ai plus écrit depuis Batoe, et voilà 15 jours aujourd’hui que je suis revenue. Oscar était venu me chercher un peu plus tôt parce que la visite de Elout (son supérieur de Batavia) était annoncée et je tenais à être à la maison. Il n’est pas resté longtemps, seulement 2 jours, pendant lesquels il a été tout ce qu’il  a de plus gentil, presque mielleux, et il nous a abreuvé de compliments sur les capacités de Boili et sur les beaux résultats obtenus ici à Kediri depuis que nous y sommes. Nous deux, on se tenait coi sous cette pluie d’éloges, se demandant ce qui était vrai et cherchant à démêler les motifs. Un peu plus tard, il m’a demandé d’une manière très affectueuse et insistante que j’étais pourtant bien souvent malade et que ce serait notre désir d’aller en congé d’Europe au plus vite, qu’il était disposé à faire l’impossible pour nous en demandant un congé d’urgence pour cause de santé. Vraiment c’était charmant, mais heureusement j’ai senti le fromage à temps. Elout a promis à Sayers, (collègue de Oscar, un intrigant) bien que ce ne soit pas absolument en son pouvoir, de le placer à Kediri à son retour. Vous comprenez, Kediri est la meilleure fabrique, ici on gagne plus que sur les autres car les affaires marchent mieux ici, alors monsieur Sayers veut bien revenir ici et Elout, son ami, lui a fait cent milles promesses je pense, comptant bien que Boili ne pourrait en faire un succès puisqu’il trouverait des bâtons dans les roues tout partout. Mais une fois de plus, on peut dire : l’homme propose et Dieu dispose. Il a fallu que cela arrive avec Hoekman et que nous ayons la chance d’avoir ici Mogendorff. Ce dernier déteste Sayers et à côté de sa sympathie et sa bonne entente avec Oscar, il fera encore son possible pour empêcher que Sayers ne revienne ici à Kediri et qu’il doive travailler sous lui. Enfin, tout n’a pas marché comme Elout et Sayers le prévoyaient. Sayers a cherché à nuire à Oscar à Amsterdam et Elout mettait les bâtons dans les roues depuis Batavia, mais heureusement que Boili, avec l’aide de Mogendorff, a réussi à les déjouer, chaque fois qu’il sentait un piège. Cela a réussi, mais au prix de quels efforts ? Cela personne ne s’en rendra compte jamais. Oscar est à bout, je vous l’ai déjà écrit quelques fois, et Mogendorff aussi, car bien souvent il a eu la malaria et a tout de même été travailler. Elout, n’ayant pas d’excuses telles que la mauvaise marche des affaires pour faire revenir Sayers ici, l’unique chouchou, essaye d’y arriver par un autre moyen : soi disant notre mauvaise santé. Nous pourrions ainsi partir d’ici au mois d’octobre-novembre ! Pardi ! Sayers revient à fin septembre !
Je vous avouerai que c’est bien tentant, mais à aucun prix nous n’acceptons un congé d’urgence. Premièrement ce n’est pas nécessaire et cela reposerait sur un mensonge qu’une fois ou l’autre on pourrait servir comme arme contre nous et puis, nous voulons bien notre congé, mais pas dans des conditions pareilles. Moi, j’ai été et je serai peut être encore souvent malade, Oscar est à bout, mais cela ne provient pas de son état de santé mais bien des soucis et de l’effort fourni, et cet état de santé peut facilement s’améliorer par un séjour dans les montagnes ici et du repos.
Elout ne semble pas encore se rendre compte que nous le voyons ainsi et que nous voyons à travers ses plans et ses intentions. Il s’agit maintenant de jouer à malin, malin et demi. Il va revenir dans une semaine environ et restera 2-3 semaines. J’en ai déjà marre maintenant, mais voilà, il faudra bien y mordre, seulement on est bien décidés de ne plus nous laisser faire comme s’il était le bon Dieu.
Quant à nous, nous aimerions bien rester ici encore quelques temps, la fabrique marche bien et je trouve Kediri bien sympathique, près de Soerabaya etc. Enfin, qui vivra verra.

maison de Kediri

Ce matin à 10 heures Oscar est subitement parti à Soerabaya. Il s’agit d’un embarquement de boengkil (des gâteaux de fourrage pour le bétail fais de déchets de coprah pressé) qui ne correspond pas aux prescriptions et qui peut coûter Fl. 1000.- à la fabrique. Oscar n’en a pas pu dormir cette nuit. C’est plutôt une faute de Mogendorff, mais c’est pourtant Buby qui tient la responsabilité. J’ai tant pensé à mon Padre, quand j’entendais Oscar remuer, se tourner et se retourner dans le lit, en cherchant une solution à cet embêtement !!! Je lui ai conseillé d’aller, malgré que c’est dimanche, et de courir de Ponce à Pilate pour tâcher de sauver la chose, car dans des situation pareilles on a meilleur temps de ne compter que sur soi-même. Il est parti avec Mogendorff et ils ne reviendront que demain dans la journée, en attendant je me tiens le pouce pour lui comme je le faisais dans le temps pour mon Macaca… !
J’ai reçu cette semaine des journaux de Banely, de la Landi (l’Exposition Nationale). Elle doit vraiment être très intéressantes et je regrette de ne pas pouvoir la voir, enfin j’étudie les journaux en conséquence et je réussis ainsi à me former une idée de l’ambiance de l’Expo.



Que pensez-vous de la Seva (lotterie créée en 1935 par l’Etat) en Suisse ? Est-ce une bonne lotterie ? Y jouez-vous quelques fois ? Si vous la trouvez sérieuse, alors Loulou pourrait une fois prendre un billet, ou plutôt une série de dix billets pour nous. Oscar a encore tant d’illusions qu’il prend ici un billet de loterie chaque mois. Cela revient à Fl. 10.- et jamais nous ne gagnons quoi que ce soit, alors autant une fois essayer à la Seva. Je vous enverrai de l’argent à cet effet au commencement du mois prochain. Il faut aussi que je te paie les beaux souliers, Rötteli, et l’égouttoir, etc.

Pendant que nous parlons argent, je voulais encore vous dire ceci : nous avons de nouveau un peu d’argent de côté, que j’ai épargné sou par sou sur nos payes et en parlant avec Boili j’ai une fois suggéré l’idée de placer de l’argent dans du terrain par exemple. Et voici : si jamais vous avez une bonne occasion d’acheter du terrain adjacent à celui du Chalet, soit un pré chez Margot, soit du Strandboden, soit de la Hohle (terrains à Sutz), il ne faudrait pas rater une bonne occasion par manque d’argent. Sachez que vous pourriez compter sur nous pour Frs.s. 4-5000.- (quatre à cinq milles francs suisses). Naturellement qu’il ne s’agit que d’acheter du terrain capable d’augmenter la valeur du Chalet. Je ne sais pas les prix de terrain en Suisse mais je m‘en rapporte à votre bon sens. En vous faisant cette proposition, c’est que de plus en plus j’ai l’impression qu’une fois de retour en Europe, plus tard quand nous serons vieux, Boili aimerait bien se fixer au Chalet, et alors pourquoi pas déjà maintenant y mettre de l’argent. Sachez bien que c’est d’un placement qu’il s’agit et il faut que la question soit foncièrement bien étudiée avant de s’y lancer. Une fois que nous reviendrons en congé, nous pourrons toujours nous entendre en détail.
Maman écrit dans sa dernière lettre que vous allez repeindre le Chalet cet automne ou l’année prochaine. Je ne peux pas bien vous offrir de l’argent pour ce but, cela j’espère bien que vous le comprenez, s’en m’en vouloir. Si l’un de vous a le temps, qu’il m’écrive une fois à ce sujet.
Il y a deux ans, quand j’avais épargné une certaine somme, nous avons acheté un papier d’ici qui est très bon et qui rapporte jusqu’à 8 % par année, mais les choses sont si terriblement instables ! J’ai peur de faire un nouvel achat pareil.
Enfin, vous le savez maintenant, si jamais il se présente une bonne occasion ne la laissez pas passer sous prétexte que vous manquez d’argent. A la rigueur nous pouvons disposer de plus que la somme indiquée, mais pour le moment seulement : à la rigueur ! Vous savez, je suis heureuse de pouvoir vous écrire cela, car cela prouve que malgré mon mariage je n’ai pas à me détacher du Chalet, notre beau patrimoine, hein mon Macacacaroni et mys Rötteli ? Et je crois bien qu’entre les garçons et moi il y a assez de bonnes raisons pour que nous réussissions à nous entendre.
Et maintenant je vous dis à une prochaine fois. Mamali m’a informée de tes nouveaux projets Charlot, et je te souhaite toute la réussite possible, comme je souhaite aussi tout le succès possible à Loulou dans les affaires de l’ELEM, hein, mon vieux ? Quant à Padre, j’ai un peu l’idée qu’il se plaît dans la contemplation de ses efforts se continuant en ses fils !!! et ma foi, bien un peu aussi dans sa Ge… qui vous embrasse chacun de tout son cœur.




samedi 22 avril 2017




Batoe

6 juillet 1939

A sa maman
Je rentre lundi déjà, car Oma reçoit d’autres visites 3 jours plus tôt qu’elle ne les attendait, alors il faut que je fasse de la place. Mais j’y reviendrai ici, peut être au mois d’août ou septembre. En rentrant j’aurai de nouveau beaucoup à faire pendant quelques jours, voir du monde etc. et je crains que je n’arriverai pas à écrire et alors tu devras attendre trop longtemps. 
Nelly été 1939

Car j’imagine que tu es bien impatiente de savoir la suite de ma lettre précédente ? Eh bien, le schnyder (règles mensuelles) n’est pas encore venu, voilà donc au minimum 12 jours de retard. Cela ne veut encore rien dire, c’est vrai, et pourtant je crois bien que cela veut dire quelque chose car je n’ai encore jamais eu un retard pareil, au contraire il est toujours arrivé plus tôt que plus tard.
Est-ce que tu peux t’imaginer mon plaisir. Peut être que oui, mais sûrement tu ne peux pas te représenter le plaisir de Buby, c’est fou ! Et tu devrais voir l’ange qu’il est devenu, il était gentil avant, mais maintenant c’est un modèle ! Il y a 8 jours aujourd’hui que je lui ai dit que j’étais en retard avec le schnyder et que peut être… ! Alors quand il est revenu pour le weekend samedi passé, il m’a apporté un cadeau ! Devine quoi ? Ce gros fou m’a apporté un livre : Het dagboek van ons Kind ! (Le journal de notre enfant). Un livre merveilleux où il y a de tout concernant les enfants, leur croissance, leur arbre généalogique etc. Un vrai grand journal dans lequel la maman écrit tout ce qui concerne l’enfant, depuis le premier sourire etc. Il y a aussi des pages pour coller des photos ! Cela va jusqu’à la 6ème année. C’est donc le premier cadeau que j’ai reçu et je suis contente qu’il soit de mon Boili, mais est-ce que tu ne trouves pas qu’il était un peu fou d’acheter cela déjà maintenant ?

Weisch, me luegt mi scho a wi wenn i vo glas wär u jede chlynscht wunsch list me mer vo de ouge ab, wenn das gang so blybt de chani ds’fride s ! Du weisch, dass i 2 sehr gueti buecher ha über alles was das geit vo zweene dokter geschribe. I wott die buecher nid läse, wenns de einisch so wyt isch de gseh ni jo de scho wie’s geit, aber är het alles gläse vo a – z sodas er mer gang guète rat cha gä. Findsch das nid schön ?
Gchozet ha ni no nid, aber es isch mer nängisch schlecht u i wo gang so guet het chönne asse, i muess mi jetze forciere à Tisch z’go, es ecklet mi grad alles. D’Oma hie seit, dass es emänt scho das chönnti sy, aber sy wott mer no kei hoffnig mache si seit süsch sygi de d’entuschig z’gross, aber i gloube, dass sy jetze doch o dra gloubt.
Der Bueb het scho langer als zwöi johr sym Atti numme gschribe, un dam mändig wo me wieder furt isch, het me mer am Atti’s letschte brief gforgt, me welli schrybe wenn me zyt heigi ! I ha gseit, aber de muesch no nüt sage vo mir, aber grad äbewott me wäge däm schrybe. I sage der me isch meh as f….sturm. Un dam abe nimmt me mi id d’arme wie nes schys chind u de bout me zukunfts plan u goumet mi bis i yschlofe. Muetti, wenn’s nid so schön wäre, i muessti de gwüss albe einisch lache. Am letschte  Sunntig wo mer sy scheli go spaziere, het me mer alli blüemli woni am wäg lang schön gfunde ha, zämegläse ! U süsch isch me gwüss ful gnue !
Du sötisch gseh wie ni wieder gue uusgseh !  so schöni rosigi backe und Anders brun wie nes negerli. Es geit mer guet, num d bumeli tue mer weh. I dänke dass mer di nächschti wuche zumene dokter gö nach Soerabaya, u wenns de noche isch gangen i de ou nach Soerabaya id Kliniek. Mer hei nid gnue vertroue i dä dokter vo Kediri, u so für ne erschtes mol muess me vorsichtig sy, findsch nid ou ?
Aber gäll Muetti, fo no nid avo lisme, das het no zyt, u i sage der de scho was nötig isch. Eh i cha no nid dänke dass es söttigs glück mer beschiden isch. Du woni der brief vom Vater bercho ha woner schrybt dass d’Ans ider hofnig sygi, do han i no em Bueb gseit : i wett jo gärn dass es mi wär wo ider hofnig isch, aber i ha jetze glehrt z’fride d’sy mit mym los und uf e lieb Gott vertroue, wenn mer de ne chindli dörfe ha, de schickt Er’s de scho, u so lang warten i halt u bi z’fride. U grad 8 Tag druf han i scho e chlyni hofnig dörfe ha, wo gang grösser wird. I cha nid warte bis i dy brief berchume. Du hättisch doch ou freud, oder nid ?

Traduction
"On" = Oscar
Tu sais, « on » me regarde comme si j’étais en crystal et on lit chaque souhait de mes yeux, si cela reste ainsi, je peux être contente. Tu sais que j’ai 2 excellents livres concernant tout ce que cela concerne, de deux médecins. Je ne veux pas lire ces livres, je verrai bien comment c’est, mais il a déjà tout lu de a à z de façon à ce qu’on me donne toujours de bons conseils. Tu ne trouves pas cela gentil ?
Je n’ai pas encore vomi, mais j’ai de temps en temps la nausée et moi qui pouvait toujours manger, je dois me forcer maintenant d’aller à table, tout me dégoûte. Oma ici dit qu’à la fin cela peut bien être cela, mais elle ne veut pas me donner de faux espoirs sinon la déception serait trop grande, mais je crois que maintenant elle en est persuadée aussi.
Le Bueb n’a plus écrit à son père depuis deux ans, et ce lundi avant de partir, On m’a demandé la dernière lettre du père, qu’On voulait lui écrire quand on aura le temps ! J’ai dit, mais ne dis encore rien à mon sujet, mais c’est justement pour cela qu’On veut lui écrire. Je te dis, On est plus que fou. Et le soir On me prend dans ses bras comme un petit enfant et On fait des plans d’avenir et On me surveille jusqu’à ce que je dorme. Muetti, si ce n’était pas si beau, je devrais bien en rire parfois. Dimanche passé pendant que nous nous promenions, On m’a cueilli toutes les fleurs que je trouvais jolies ! Alors que d’habitude On est bien paresseux.
Tu devrais voir comme j’ai à nouveau bonne mine ! de belles joues roses et bronzée. Je vais bien, seulement les seins me font mal. Je pense que la semaine prochaine nous irons chez le médecin à Soerabaya et lorsque le moment sera venu, j’irai aussi à Soerabaya à la clinique. Nous ne faisons pas assez confiance au médecin de Kediri, et pour une première fois il faut faire attention, ne trouves-tu pas aussi ?
Mais n’est-ce pas, Muetti, ne commence pas déjà à tricoter, nous avons le temps et je te dirai de quoi j’ai besoin. Oh, je n’arrive pas à croire à mon bonheur. Lorsque j’ai reçu la lettre du père que Ans était enceinte, j’ai dit au Bueb : je voudrais bien que ce soit moi qui est enceinte, mais j’ai appris à être contente de mon sort et à faire confiance au Bon Dieu, si nous devons avoir un enfant, Il l’enverra bien et j’attends ce qu’il faut et je suis contente. Et juste 8 jours plus tard j’ai déjà un petit espoir, qui devient toujours plus grand. Je ne peux pas attendre de recevoir ta lettre. Tu aurais aussi bien du plaisir, non ?


Il faut encore que je te remercie mille fois pour la belle soie et pour le « si fa ma non si dice… ! » que je vais beaucoup employer de retour à Kediri. Mamms, tu me gâtes toujours terriblement.
Je trouve la soie vraiment belle et je vais m’en faire un très beau déshabillé, maintenant que nous resterons un peu plus à la maison. Ce sera joli pour passer les soirées avec Boili. Si la soie bleue est encore comme cela, et si tu n’en as pas l’emploi, tu pourrais me l’envoyer aussi. Oscar, quand je l’ai déballée a tout de suite dit : voor de wieg ! (pour le berceau). Mais je trouve que ce serait trop luxueux et cela ne peut pas se laver si c’était peut être nécessaire, et puis, j’aime aussi être une belle Ge…, surtout que j’en aurai bien besoin pendant ce temps là. Qu’en penses-tu ?
Ce Hoekman, je ne sais plus si je vous l’ai déjà écrit, a  donc été congédié de la Mexolie, et il a immédiatement pris un bateau pour rentrer en Hollande. Voilà 8 jours qu’il est loin. Nous en sommes bien contents.
Hier soir Oscar est encore vite venu ici. Penses-te, il ne peut pas rester une semaine sans voir et demander comment vont les choses ici !!! Il va revenir demain pour le weekend et lundi matin nous repartirons les deux pour Kediri. Je pense que je reviendrai ici au mois d’août, car Oscar tient à ce que je reste en bonne santé, surtout si….
Nous ne disons encore rien à personne de tout cela, seulement la Oma ici le sait maintenant, mais sans cela ce doit rester un secret jusqu’à Noël, si c’est possible, enfin, jusqu’à ce que cela se voie.
Hier j’ai reçu une lettre de tante Engel. La sœur de monsieur était mourante à Bandoeng, alors ils ont dû y aller en pleine nuit. Maintenant elle se remet de nouveau et tante Engel est rentrée. Boy va rentrer en Europe au mois d’août. Elle m’a écrit qu’il avait l’intention de venir vous voir, et si j’avais un paquet à lui donner pour vous. J’ai immédiatement répondu que je ne donnais pas de paquets, car qu’il était préférable que Boy ne vienne pas vous rendre visite. Que selon les dernières nouvelles que j’avais de toi, tu devais avoir un repos absolu, que tu n’osais recevoir personne, et qu’on devait t’éviter jusqu’à la plus petite émotion. Que pour ces raisons je ne donnais même pas un paquet à Mily (l’ex épouse du consul suisse) pour vous, car je craindrais qu’elle ne vienne l’apporter elle-même au lieu de vous l’envoyer, et cela ne serait pas bon pour toi. J’ai écrit très gentiment, sans qu’ils puissent être froissés, mais aussi très catégoriquement. Ce Boy, maintenant que sa pflunz de sœur est en sûreté ici, il voudrait bien venir chez vous, eh bien, qu’il aille se faire f… D’ailleurs tu n’aurais pas grand intérêt à le voir, car il ne dit pas grand’chose et il ne sait pas beaucoup de moi. Nous avons passé Noël ensemble, et cela je vous l’ai écrit en détails. J’ai aussi dit que Charlot avait commencé une affaire à lui et qu’il était presque toujours loin, et Loulou naturellement de même, de sorte que Boy n’aurait aucune compagnie de son âge. Je pense que c’est le vieux qui insiste pour qu’il vienne vous voir et soigner les bonnes relations, car je crois bien qu’il se fait de l’espoir pour la Mies !!! (leur fille à marier). Avis aux amateurs ! C’est le moment, c’est l’instant… de ne pas laisser passer une chance pareille pour les garçons !!!
Je vous écris cela pour que vous soyez au courant si jamais il vous prenait la fantaisie de leur écrire, ce que je juge peu probable. Il n’y en a aussi aucune nécessité.
Et voilà, je suis au bout de la page et aussi de mes nouvelles pour aujourd’hui. Je pense que tu attends mes lettres avec autant d’impatience maintenant, que moi les tiennes. Soigne toi toujours bien, aie soin de toi, ne gambade pas trop et cela ne fait rien si tu ne m’écris pas, ta santé et ton bien être avant tout.
Toujours all the very best pour vous…. Moi aussi je suis heureuse avec mon Boili, je lui ai encore confié hier soir que des fois j’avais presque peur de mon bonheur. Il a ri et m’a dit de l’accepter tout simplement, et c’est ce que je vais faire.





dimanche 16 avril 2017

Batoe, 27 juin 1939
Partie 2

Mamms, Rötteli, depuis que j’ai commencé d’écrire cette lettre j’hésite de te confier quelque chose et pourtant je me dis que c’est toi la première qui doit partager cela avec moi.  Rötteli, mon schnyder (règles mensuelles)  est déjà 3 jours en retard. Qu’est-ce que tu en penses ? Je n’ose pas y croire, mais malgré moi tout chante en dedans de moi à la pensée que…. ! Ce sera peut être une déception pour toi, car alors cela retarde notre venue en Suisse, mais d’un autre côté, je ne sais pourtant pas quand nous pourrons venir, et peut être qu’il faudrait tout de même attendre encore 1-2 années, qu’est-ce qu’on sait. Enfin, ne faisons pas de plans ni de projets, mais acceptons les choses comme Dieu nous les envoie. Oh ! si cela était ! Je me défends bien de me faire des illusions, mais je ne peux pas m’empêcher de faire de beaux rêves ! Pense donc, si cela était, comme cela, simplement, normalement. Boili n’en sait encore rien, tu es donc la toute première à tout partager avec moi tu es la première après Dieu avec qui je parle de cela. Oh ! Seulement fais-moi le plaisir de garder le secret, de ne rien dire et surtout de ne pas le chanter à Padre encore, car Oscar ne le sait pas encore non plus et d’ailleurs moi non plus, n’est-ce pas ?
La Vola, (madame Mogendorff, d’Lismete) m’avait bien dit une fois en me faisant le tititi (prédire l’avenir) que j’aurai ce bonheur, mais naturellement je n’y croyais pas, car Bernhard m’avait pourtant dit qu’il faudrait probablement faire faire cette petite opération. je ne sais pas si j’ai bien fait de te l’écrire, car après tu auras aussi une déception si dans ma prochaine lettre je dois t’écrire que cela a été une fausse alerte, mais d’un autre côté je me dis que tu as le droit de vivre cela avec moi depuis le commencement. Seulement Mamali, il ne faut pas te faire du souci pour ta Ge, et surtout ne jamais me plaindre si vraiment la chose arrive comme je l’espère.
So, maintenant je te l’ai confié mon secret. Depuis trois jours je vis dans les nuages et ici je ne veux rien dire. Demain Boili viendra ici, car c’est un jour de congé, la fête du prince Bernhard, alors je vais le lui dire. Oh, le plaisir qu’il aura mon Boili, seulement on n’ose pas encore se faire trop d’illusions. Oh Mamms, mais sache encore te taire stpl. C’est un secret et une espérance entre toi et moi seulement, n’y mêle pas encore d’autres personnes stpl. Attends encore un mois ou deux, que ce soit plus certain stpl. Accorde-moi ce désir.
Vois-tu, maintenant que je t’ai confié ce secret, à toi, mynes Mamali unique au monde, je ne peux presque plus penser à autre chose, toujours cette pensée revient en moi et chante dans mon cœur.
Cela ne peut pourtant pas avoir une autre cause que le Schnyder ne vienne pas ? Je veux bien que les premiers  jours que j’étais ici j’ai beaucoup marché avec Hoekman, mais cela n’est pourtant pas une cause que le schnyder ne vienne pas, au contraire pourtant, n’est-ce pas ? J’ai bien toujours un peu mal au ventre comme s’il allait venir mais je n’ai pas encore eu de nausées ou eu mal aux dents ou quoi que ce soit. Maintenant je reste toute la journée dehors sur la terrasse à écrire ou à broder et je me porte bien, donc je ne sais pas encore ce qu’il faut penser.
Mamms, si je t’ai dit que peut être une fois je t’enverrais des boucles d’oreilles ou des bijoux chinois tels que ceux donnés à Hedy, ce ne sera pas pour les vendre mais pour en faire cadeau. Penses-tu, ce n’est pas moi qui t’enverrais quelque chose à vendre, je connais ma Rötteli et je ne veux pas lui causer un ennui pareil.
Ce Brero continue donc à faire des victimes avec ses affaires merveilleuses qui doivent toujours s’agrandir mais qui ne rapportent jamais rien. Je suis sûre que Padre s’est encore occupé à lui trouver du crédit, ainsi Padre se fera des ennemis pour ce type. Brero est intelligent pour entamer des affaires mais pas pour les faire rapporter. Il en a déjà dupé des gens, ce type, et je suis bien contente que Charlot ne soit pas avec lui, mais qu’il ait trouvé une autre affaire. Je n’ai rien voulu dire quand tu me l’as écrit mais maintenant que Charlot semble trouver un autre débouché, je suis bien contente.
Et maintenant réponse à ta 210 pour laquelle aussi je te remercie. Je suis contente que tu aies enfin découvert ce joli coin du Chalet entre les grands sapins sur le sentier d’en haut! Moi aussi je l’avais découvert et j’allais souvent lire là-haut, te rappelles-tu ? Seulement dommage que tu sois souvent dérangée par la femme Racine, cette vieille chipie. J’ai bien peur que de faire des pic-nics pareils ne soit pas bon pour ta pression de sang. Je ne crois pas que tu arrives à être sage, d’un côté tu fais bien attention, tu tiens ton régime, puis à une occasion pareille losch alles fahre und füfi lo grad sy, alors à quoi cela sert-il. Sache donc qu’un pic-nic pareil avec jambon et beaucoup de bière, cela te détruit au moins un mois de régime sévère. Enfin, tu dois le savoir toi-même, mais je n’ai pas trop grande confiance en ta sagesse.
Je suis si contente de tous les figaros que tu m’as faits et de toutes les belles petites blouses. Je les mets journellement ici et je suis ainsi toujours bien habillée. Oui, j’avais bien reçu ce figaröttli jaune, je le mets le soir au lit. 
Merci pour les souliers bruns que tu m’as acheté, je me réjouis de les recevoir. Tu donneras aussi mes salutations à Mottet, en attendant que je lui écrive.
En lisant toutes les bonnes choses que tu promets d’offrir à Boili quand il sera en Suisse, je crains que tu ne seras déçue, car il ne tient pas tant à ces choses grasses, et puis on ne vient pas que pour manger ! Je sais que je peux bouffer aussi, car j’ai toujours bon appétit et j’aime aussi bien les bonnes choses, mais il me semble que tu ne comptes que sur cela. C’est peut être que j’ai changé, je n’en sais rien, mais je ne voudrais pas que vous soyez déçus et que vous pensiez que Boili n’apprécie pas la manière dont vous entendez le gâter.
Tu me demandes si les Mogendorff habitent près de chez nous ? Oui, très près mais dans une autre rue. Ils doivent toujours passer devant chez nous quand ils ont à la fabrique ou au bureau.
Je suis contente que Charlot ait fait cette excursion à l’Axenstein, mais quand est-ce qu’il fera son examen ? Ou est-ce qu’il n’a pas l’intention de le passer ? Il serait fou alors ! et bête aussi, après toutes ces années d’études. Qu’il pense à Oscar, lui regrette encore à l’heure qu’il est de ne pas avoir fini ses études à Delft.
Pas moyen d’écrire cette lettre tranquillement, la Oma ou le Opa trouvent toujours une excuse pour venir me raconter une histoire. La Oma est assise près de la fenêtre dans la chambre et raccommode des bas, tandis que moi je suis assise sur la belle terrasse. Voilà déjà la deuxième matinée que je passe à t’écrire !
Flock m’a écrit qu’elle passerait l’été à Hauterive. Je sais bien qu’elle t’énerve, mais tu pourrais quand même lui écrire une fois pour répondre à sa lettre, car elle t’aime bien. Et peut être que tu pourrais une fois aller à Hauterive, ainsi tu n’auras pas sa visite au Chalet.
Je suis contente que madame Huber ait eu du plaisir à ce petit plat mais dis-lui donc que je lui ai donné pour la remercier de votre voyage en Allemagne, elle voudrait naturellement que je lui écrive moi-même, mais je n’en ai pas le temps, c’est devenu très difficile pour moi d’écrire une lettre en allemand correctement, cela ressemble trop au hollandais.
J’aimerais bien savoir comment est devenu le Chalet. Est-ce que le jardin a encore un peu gardé son cachet distingué après tous les stages Brero et Moser, etc ? Comment est l’étang, encore si pittoresque et romantique, ou est-ce que Padre en a fait une marre aux canards ? Fais aussi une photo du Chalet maintenant que le grand tilleul est loin, j’aimerais voir l’air que cela a. Car tu sais notre Chalet est très beau, surtout le jardin a été tracé d’une manière très artistique que j’apprécie de plus en plus. Tu te rappelles bien comme je la défendais dans le temps, contre toutes les pétouilleries du Padre.
Maintenant que je suis ici chez Opa et Oma, qui ont à peu près votre âge, à papa et toi, je remarque de nouveau un tas de choses et d’habitudes telles que vous aussi devez les avoir prises. Raconter 20 fois la même chose et danser en rond sur le même sujet pendant des heures de temps !!! Et dire que moi aussi une fois je ferai exactement la même chose, oh oui, c’est la vie, pourtant si je sens que ma destinée de femme s’accomplit je n’ai pas peur de vieillir.
Oh, j’ai beau me donner de la peine de ne pas y penser, cela chante toujours en moi !!!
Je suis si contente pour Nögg qu’il se paye une moto, c’est comme (interruption de la Oma, et maintenant je ne sais plus ce que je voulais dire !) Ah oui, je voulais dire que Nögg (Louis) était un vrai jeune homme. Avoir une moto, faire du sport, bien travailler, cela me plaît beaucoup et je trouve sa manière de vivre extrêmement sympathique. Beaucoup plus sympathique que Charlot, mais tu ne diras rien, mais je trouve que Charlot est un peu trop salonfähig, un peu féminin. Est-ce que mon impression est juste ? J’admire et j’apprécie Nöggu de plus plus en plus.
Chic, que tu reçoives ces Frs. 1000.- du grand père, ce serait de nouveau le moment d’aller au « si fa ma non si dice ! ». Tu as raison, payes-toi du plaisir avec, tu as eu assez de chagrins dans le temps. Mais stpl ne te fatigues pas trop. Je lis toujours tous les articles sur l’Exposition (l’exposition nationale Landi, Zurich 1939) dans le Journal du Jura, ainsi je suis assez bien à la hauteur de tout ce que tu vois.
Est-ce que Banely a déjà une place maintenant ? Ou est-ce qu’elle est encore toujours chez la Giggerli ? Est-ce que tu as envoyé ce peigne à la Banely ? Est-ce qu’elle en a eu du plaisir ? ou est-ce que tu l’as peut être oublié ? Je n’aimerais pas que tu le donnes à quelqu’un d’autre, car je l’ai destiné à la Bänggu. Quand je serai de retour à Kediri, j’en enverrai aussi un pour la Giggerli puisque maintenant la Bänggu loge chez elle. Est-ce que tu en voudrais un aussi ?
Ah, ce que l’air est bon, tu n’en as aucune idée comme je jouis d’être ici, si seulement mon Boili pouvait en jouir aussi. L’harmonie est si belle entre nous maintenant. Mamms, n’est-ce pas que tu es heureuse avec moi, malgré notre séparation ? Tu es heureuse de me savoir heureuse avec mon Boili ? Tu m’écriras vite, hein, un tas de choses et de bons conseils, si tu ne reçois pas de nouvelles contraires( !) à ce que j’espère ! Oh, tu vois je reviens toujours à stämpere là-dessus cette pensée ne me quitte plus et je suis sûre que Boili en aura aussi tellement de plaisir ! Il regrettera peut être que le congé soit remis d’un peu plus longtemps qu’il n’espérait, mais tant pis. Il fera aussi beau revenir à … non je n’ose pas encore écrire ce que je pense !!!!
C’est rigolo, Oma a ici un petit chien qui s’appelle Schnuggsi, alors elle le gâte terriblement. Je peux si bien m’imaginer comment tu es avec les tiens de petits chiens. Nous en avons ici aussi un grand, un chien loup qui m’aime beaucoup, alors ces deux chiens sont toujours sous ma chaise quand j’écris.
J’ai un peu mauvaise conscience que je n’écrive pas plus à mon Macacacaca mais j’espère qu’il ne m’en veuille pas. Tu lui diras que je me porte bien ! Je pense qu’il jouit aussi du Chalet de nouveau, Padre moi. Je lui ai commandé un beau cadeau pour le cinquantenaire de l’ELEM, (la fabrique familiale) mais il n’est pas encore prêt. Je vous l’enverrai peut être au mois d’août seulement, mais il ne faut rien en dire et lui laisser la surprise.
Je me demande si nous resterons à Kediri ou s’ils nous feront déménager je pense que nous le saurons à fin août.
Je suis contente que tout le monde soit si gentil avec toi, te porte les filets (filets pour les achats) etc, mais pourquoi le font-ils ainsi ? Est-ce que tu as si mauvaise mine ? Il faut bien me comprendre, je suis très contente qu’ils soient avenants les gens, et si c’est par simple politesse alors cela me fait vraiment plaisir.
Et maintenant je ne sais vraiment plus que stämpere, ma chère. Tu es de nouveau bien au courant de ma vie et de mes faits et gestes … and how ! … alors je vais te dire addio, jusqu’ à la prochaine fois.
Profitez tous du beau Chalet, de l’été, du beau temps, de l’Expo, enfin de tout.
Tu m’écriras vite ce que tu en penses, hein ? Car je n’en parle encore à personne qu’à toi, toi seule mon unique Rötteli !