dimanche 31 janvier 2016





18 novembre 1934,

Käpumän

 (écrite avec le ruban rouge)
Rouge : la couleur de l’amour ! Ta lettre du 6 courant, no 60, reçue hier au soir, m’a fait un bien énorme. J’ai eu un sale jour, hier, rien ne marchait, tout allait mal. J’ai perdu mon temps, je me suis fâchée, je n’ai rien foutu, et voilà que ce petit billet bleu ma apporté la paix, le contentement, la gaîté, et surtout du courage.
Commençons vite par la chronique : ou plutôt continuons celle de la semaine passée. Nous sommes donc arrivés chez Margot, et à 10 heures du soir on nous sert un bijou de souper sur une table bien polie et des napperons à l’américaine. Malheureusement nous avions déjà mangé de la rijsttafel chez l’oncle de Jans. Moi, je n’avais plus du tout faim, et Buby non plus, mais il s’est exécuté de son mieux, tandis que moi j’ai tout laissé sur l’assiette, ce qui n‘était pas fait pour faire plaisir à Margot ! Enfin nous sommes restés à causer jusqu’à minuit, non sans que Margot m’ait proposé plusieurs fois plusieurs de ses robes du soir pour aller danser, mais vraiment nous n’en pouvions plus. Le lendemain, dimanche, nous étions mieux reposés, et après déjeuner nous avons été au Golf Club où Maurice avait à participer à un concours, ensuite nous avons fait une merveilleuse promenade par Tjandi, le Zurichberg de Semarang. 


Semarang 1904, Oscar bébé et ses parents
C'était merveilleux, des palais et des villas modernes, de vrais châteaux, et tout tellement soigné et dans cette nature si riche enfin c’était un rêve. Nous avons aussi vu la maison où Oscar est né…! J’ai passé des minutes inoubliables à imaginer le Sonny de la jeune maman Woldringh, avec le jeune papa si fier, s’amusant sous ces grands arbres, dans ces pelouses bien soignées, à l’ombre des bosquets en fleur. Enfin, je vous dis, nous en avons joui. Oscar a pris une photo de la maison que nous vous enverrons. Pendant ce dimanche matin, la glace s’est bien brisée, et le lunch a été très agréable. Margot nous a offert un tas de choses que nous n’avions pas à Keboemen, entre autre de la crème, de la crème digne d’un vacher suisse, et qu’elle peut ainsi acheter fraîche de Bandoeng. Nous l’avons mangée avec du jelly américain, elle m’a aussi donné deux paquets pour faire cette jelly. Fantastique ! Nous sommes repartis de là à 4 heures, ils sont venus nous accompagner à la gare, avec Johnny. C’est un enfant bien portant, et très très gai. Nous en avons aussi fait des photos. Après deux heures de train, nous sommes arrivés à Solo où Jans nous attendait pendant que John était en course avec un ami dont j’avais fait la connaissance à Paris, en 1932, quand j’étais en route pour la Hollande, cette fameuse fois où j’ai rapporté un crampon (Oscar) !!! Le soir quand John est revenu, et avant de souper, je l’ai entraîné ou plutôt je lui ai demandé de vite me conduire chez mon chinois du buste pour voir s’il avançait. Oscar était fatigué, il est resté à la maison pendant que John et moi filions dans la nuit à toute allure. Chez le chinois le buste était prêt, et n’attendait plus qu’à être recouvert de toile. Malheureusement il m’avait fait le cou trop petit, les épaules trop tombantes et le pire, le tour de poitrine trop grand, avec la bosse au beau milieu au lieu d’en faire deux sur les côtés. Alors John s’est mis à lui expliquer l’anatomie de la femme, et tout à coup, dans tout son sérieux et s’employant à bien le faire comprendre au chinois, John empoigne ma robe au dos, de sorte qu’elle était bien tenue devant, et continuait à expliquer au chinois les changements qu’il devait apporter au buste. Notez que tout cela se passait dans une boutique ouverte sur la rue, avec un tas d’enfants chinois et d’autres qui regardaient. Moi, un moment, je ne savais plus où me mettre mais j’ai ri tout de même et l’ai pris du bon côté. Notez bien que John était à mille lieues de se rendre compte que cela soit indécent ou n’importe quoi, il faisait simplement de son mieux pour expliquer au chinois, aussi moi je ne lui ai pas fait de reproches, je me suis tue sagement ! J’espère que maintenant mon buste réussira bien, car le chinois semble avoir compris quelles altérations étaient nécessaires. Je l’attends donc un de ces jours.

rue de Solo

 Le même soir, après souper John était invité à un choppe par son patron qui fêtait je ne sais quoi. C’était une partie pour les messieurs seulement, une beuverie un peu. Naturellement John voulait y emmener Oscar, mais à ma surprise Buby a refusé, disant qu’il ne pouvait pas boire, devant travailler dur le lendemain. J’ai trouvé cela très sage et cela m’a fait plaisir, surtout que moi, je lui avais encore dit de profiter de l’occasion. Ainsi Jans, Oscar et moi avons passé notre soirée au cinéma, un film de rien du tout dont nous avons bien ri. Le lendemain, lundi, nous sommes partis de Solo à 11 heures du matin, non sans que moi j’aie encore été en ville avant, acheter des souliers et faire mes dernières emplettes de ma liste. Nous sommes arrivés ici à 3 heures, avons vite dîné et Buby a couru au bureau pendant que moi je reprenais possession de mon domaine que j’avais abandonné pendant 5 jours. Cette sortie m’a fait beaucoup de bien, à Oscar aussi, elle nous a donné une nouvelle dose d’élasticité, car j’ai vu qu’i y avait un danger de ne pas sortir souvent on perd son vernis. Nous avons réintégré notre palais avec beaucoup de plaisir, there’s no place like home, et plein de nouvelles idées, de vues plus larges, et je vous dis, en un mot, plus élastiques. Il y a une ombre à toute l’affaire, nous avons employé énormément d’argent. Les sorties reviennent très cher ici, seulement en train nous avons dépensé plus de Frs. 40.--, c’est que les distances sont énormes ici. J’ai acheté un ravissant petit chapeau en paille noire avec une garniture (voir lettre précédente, photo) qui ira très bien avec ma robe de laine jaune.
A propos, j’ai bien reçu ma robe, n’ayant dû payer que 97 1/2 centimes de douane. Elle me va comme un gant, aucune retouche à y faire, sauf la rallonger de 3-4 centimètres. J’aime bien porter les robes assez longues, parce que je suis le plus souvent sans bas, et alors il faut que je cache mes poils aux jambes.
Tout le reste de la semaine je n’ai pas fait grand’chose. J’ai surtout marroné les domestiques du matin au soir, car pendant ces quelques jours d’absence ils se sont visiblement relâchés. Il a fallu les reprendre, et je crois même que je suis rentrée un peu plus difficile encore après avoir vu ce ménage soigné de Margot. Enfin, je m’en suis rendue compte et maintenant je ne me fâche plus avec eux. Mon djongos n’est pas encore loin, je désespère de jamais pouvoir le mettre à la porte, je n’en ai pas  le cœur, il est si pauvre. Diable, c’est difficile.
Vendredi Oscar a été en tournée avec M. Visser pour la première fois. Ils sont partis le matin à 6 heures et revenus le soir à 6 heures, une journée bien chargée. Chaque fois qu’un employé ou l’administrateur sortent ainsi tout un jour, la fabrique accorde Fl. 5.--. Avec cet argent ils doivent manger, et Oscar m’a rapporté une livre d’excellentes saucisses au foie faites par un boucher allemand, à Solo, car il a aussi été par Solo etc.
Oui, nous savions que Mr. Voskuil allait venir, mais sa venue n’est pas un heureux présage, il vient pour de nouvelles mesures d’assainissement ! Peut être subirons nous aussi une réduction de salaire ! Pour nous, cela ne me fait pas grand’chose, je saurai toujours tourner, pourvu qu’on ait du travail et que l’argent rentre régulièrement, si peu que ce soit. Enfin, qui vivra verra.
A Semarang, chez Andriesse, j’ai enfin acheté de l’étoffe pour couvrir notre couch. 
vieux Semarang

Comme je ne pouvais pas trouver le même tissu que nos fauteuils, j’ai, sur les conseils d’un monsieur d’un certain âge (dont je crois que j’ai fait la conquête ayant mon petit chapeau neuf sur la tête !) Hé, flûte, je radotte, car je crois que je vous ai déjà écrit cela dans ma lettre précédente, mais j’en ai un tel plaisir.

Merci mille fois pour la liseuse !  C’est sûr qu’elle sera jolie, j’en aime bien la laine, mais stpl. ne te fatigue pas, vois-tu rien ne presse, ne te dépêche pas. Les pluies sont maintenant assez régulières de sorte que la température aussi est plutôt stable. Je me porte très bien. Padreli, merci pour ta carte de Londres. Je ne l’ai pas encore reçue, mais cela me fait déjà plaisir de savoir que vous avez pensé à moi Je suis contente si tu as fait de bonnes affaires, mais sont-elles vraiment bonnes ? Oui, tu sais maintenant que vous êtes à Bienne de nouveau, tu pourras bien m’écrire de temps en temps, j’aime bien tes lettres quand tu t’y mets pour me donner des nouvelles !
Merci pour les conseils de la tourte, c’est en ordre. Hier j’ai voulu en faire une, alors il se trouvait que je ne pouvais pas ouvrir le couvercle de mon verre à sucre, il ne restait plus qu’un œuf, il a fallu en faire chercher et très peu de farine. Enfin, je vous ai écrit plus haut, que tout allait mal hier, j’étais de mauvaise humeur et finalement je n’ai pas fait de tourte, bien que la baboe a complètement raté le dîner, parce qu’étant de mauvaise humeur, j’ai pris mon parasol et suis allée marcher. C’est toujours mon remède. A midi je suis revenue avec madame Visser que j’avais rencontrée en auto et voilà que le dîner était brûlé. Il y a des jours je peux bien la laisser cuire toute seule, mais d’autres, nom d’une pipe, c’est comme si elle faisait exprès. Enfin, c’est passé et aujourd’hui le caneton était bon. Nous n’avons pas eu de riz, mais des choux rouges, assez rares ici. Ce soir on s’est payé des filets de poisson, pour 15 cents !
J’ai reçu l’annonce d’un nouvel échantillon sans valeur que je pourrai faire retirer demain. Il n’y a pas de douane à payer, je pense que ce sont les manches de la robe, alors au revoir correspondance, je vais me mettre à coudre à toute vitesse.
Eh, mes chers, dirait-on que Noël est de nouveau devant la porte ? c’est à peine croyable. Peut être que nous ne pourrons pas aller à Semarang, ne pouvant pas prendre plus de deux jours de congé, et cela c’est trop court. Nous le passerons donc bien tranquillement chez nous, pour nous deux, et nous penserons à vous. Nous voulons tâcher d’avoir le radio pour Noël, ce sera bien et à Sylvestre, nous écouterons les cloches de Big Ben à Westminster, tout comme vous mais chez nous ce sera déjà Nouvel-An matin entre 7-8 heures. 
C’est drôle, pas ? Quels sont vos projets de Noël, comme toutes les années ?
Lundi matin : j’ai presque oublié de te dire que j’ai lavé ma jupe grise, tu sais celle du costume coton acheté chez Hedy. Un beau matin j’ai eu une rage de laver tout ce que je trouvais sous la main comme toi, et tout a bien réussi, j’en suis très contente. Demain, quand le courrier sera liquidé, je vais m’attaquer à la jaquette, ainsi je pourrai épargner au moins Fl. 5.--, la jupe n’a pas du tout rétréci elle est restée bien en forme sans repassage.
Ouf, mes chers, il est bientôt midi. J’ai passé toute ma matinée à la cuisine à faire une tourte à l’ananas et un soufflé avec mes restes de canetons. Je prends de bonnes recettes dans le Jardin des Modes. Ma tourte est une recette de Mme Engelhart, je doute que je l’aie réussie, c’est la première fois  et j’ai toujours un peu de difficultés avec la cuisson au four, c’est pas nos fours des beaux potagers à gaz, diable, c’est avec cela que ce sera facile de cuire plus tard ! Avec mes charrettes de charbons qui nous mettent en nage au bout de 5 minutes. Enfin, zut, c’est la vie et je dois vite aller voir. Je viens de recevoir les manches et la ceinture en étoffe et quelques restes de ma robe jaune. Je trouve le tout ravissant et me réjouis de la terminer. Elle me va très bien.
Cochon, tous mes ananas se sont enfilés, enfoncés dans la pâte au lieu de rester dessus. J’aurais d’abord dû cuire la pâte toute seule et ensuite y placer les ananas, mais ce n’était pas sur la recette, alors j’ai cru essayer. Tant pis, Buby la bouffera quand même, pourvu que ce soit doux, chez lui, tout est bon. Je crois qu’il est pire que Charlot.
Demain Buby va à Semarang avec Mr. Visser, en tournée. S’il a le temps il s’informera pour un radio, d’abord il voulait en construire un lui-même, mais je crois que cela reviendrait aussi cher qu’un tout fait, mais pour son plaisir et se passer le temps le soir quand il revient du bureau, il en construira un petit à courtes vagues (ondes courtes) pour attraper les conversation et les s.o.s. Cela sera bien. Il a calculé qu’on peut et qu’on doit faire de meilleures économies ailleurs. Je me réjouis demain toute la journée je vais coudre, j’aurai un bon jour de libre sans personne qui me fait perdre mon temps à blaguer.
A la main :
Ma tourte est excellente, j’en ai eu presque une indigestion. Nous avons presque oublié d’écrire à papa Woldringh pour sa fête, c’est encore moi qui ai dû le faire… Buby est incorrigible. Ge…


samedi 30 janvier 2016






19341112


12 novembre 1934

Keboemen

Cette lettre partira par le Uiver, l’avion hollandais ayant fait la Race Londres Melbourne en trois jours. Les pilotes sont maintenant sur le chemin du retour et partiront demain de Batavia. Notez le timbre spécial de l’enveloppe, qui plus tard aura sûrement de la valeur. Ces timbres se sont vendus comme du sucre de sorte qu’il nous a été assez difficile de nous en procurer ici, loin d’un grand centre. Cette enveloppe est la seule que j’envoie, nous n’avons acheté que deux de ces timbres qui sont assez chers. Voilà, et maintenant…
Mes chers nous sommes rentrés de Djocja, Solo et Semarang cette après midi, et tombons de fatigue, c’est pourquoi vous vous contenterez d’une lettre très courte, n’est-ce pas ? Ne me demandez pas on plus de vous raconter tout ce que j’ai fait et ce qui s’est passé dans ces 5 jours que j’étais loin, vous recevrez tout bien en détail dans ma prochaine lettre, maintenant cela m’embête de me souvenir de tout et de vous en faire une description en ordre. Nous sommes rentrés sains et saufs, et la santé est bonne. Je n’ai pas eu ni attrapé froid, ni rhumatisme, sauf que je me suis terriblement fatiguée à courir des magasins, à aller au cinéma, enfin, quoi, à profiter de la vie civilisée… soit disant !

Merci mille fois pour ta bonne lettre et je vais répondre à toutes tes questions. C’est justement quelque chose qui me va, je n’ai pas besoin de penser pour cela. Tu n’as pas besoin d’avoir peur pour mes refroidissements. Je prends toutes les précautions, quoique cela soit terriblement embêtant. Nous sommes maintenant environ au dernier stage de l’acclimatation, ces ennuis passeront aussi. Naturellement que je ne sors plus sans avoir un fichu ou n’importe quoi avec moi, pour me couvrir en cas de coup de vent etc. Hé, ma mamali, qui veut par force maigrir, il y a anguille sous roche, heureusement que le Bänggu est là pour ta vertu ! Après tout tu as bien raison de vouloir maigrir, mais stpl. n’exagère pas. Ne fais pas de bêtises, n’est-ce pas, et prends soin de toi, surtout n’en fais pas trop.
Merci pour les renseignements du thé de céleri, je vais les écrire à madame E. demain, elle a été ici pendant notre absence, et nous a apporté des petites plantes et de merveilleux citrons pour faire du sirop.
Oui, ne t’en fais pas pour les bouillons gras, je n’en mange pas trop. C’est pas comme les femmes ici qui ne cuisent que cela. Ma lettre de la semaine passée d’ailleurs, te renseignera une fois de plus sur notre manière de nous nourrir.
Non, je n’emploie pas du tout du lait condensé, est-ce que je ne vous ai jamais écrit là-dessus ? Mon fournisseur de lait est un paysan javanais qui fait de l’industrie laitière principalement. Il fournit aussi le lait à l’hôpital ici et comme organisation sa laiterie vaut autant que certaines d’entre elles en Suisse. Nous recevons le lait à l’américaine, ou plutôt à la hollandaise, dans des bouteilles d’un litre, fermées. Le lait n’est toutefois pas stérilisé, de sorte que nous ne pouvons pas le boire cru. On pourrait bien, mais il vaut mieux pas. Depuis un mois, j’ai aussi du lait de Poervoredjo qui est situé plus près des montagnes, de sorte que le lait est plus gras. Il ne vaut pas le lait de Sutz, mais il est excellent tout de même. Malgré cela, j’ai toujours une à deux boîtes de lait condensé à la maison en cas de visite. Ce n’est pas du lait condensé, mais du lait stérilisé en boîte, de sorte qu’on peut le boire cru tel qu’il est. C’est la marque Bear Brand, de l’Emmenthal (n’existe plus). C’est aussi ce lait qu’on donne aux petits poupons ici pendant un certain temps, comme transition du lait maternel au lait d’ici.
Des ails, je ne vais pas en bouffer exprès, j’en emploie assez dans la rijsttafel, et sans cela j’en fais souvent de la soupe.
Du pain, nous avons le même pain qu’en Hollande, blanc, tendre, sans grosse croûte. Il est assez bon, mais on en fatigue. Nous le mangeons souvent en toast, surtout à déjeuner. D’ailleurs c’est du vrai pain pour cela. Il est fait par un chinois très riche, j’ai vu la boulangerie, le four et tout. C’est excessivement propre et hygiénique. Tous les samedi soirs, il me livre un pain Graham (farine complète), que nous mangeons avec du beurre et la viande de midi ou des sardines, ou n’importe quoi, comme chez vous le samedi soir. Il n’y a que pour la viande que nous ne sommes pas servis comme en Europe. Ce ne sont pas des vaches de l’Emmenthal qu’on bouchoie ici. La race d’ici a la viande plus coriace. Elle serait peut être bonne si elle pouvait être rassie. Cela se fait dans les grandes villes naturellement, mais ici, les bouchers sont des chinois qui ne sont pas si bien installés, de sorte qu’on reçoit toujours de la viande fraiche Je prends presque toujours le meilleur morceau de la bête, le plus cher aussi, et avec cela je fais des biftek, des escalopes, du rôti haché etc. C’est toujours de la viande de veau qu’on mange ici, mais pas du veau comme chez nous, tu sais, cette belle viande blanche. Quand on demande du veau, du bœuf ou de la vache, c’est toujours la même chose, ici. Dans les villes il y a des bouchers européens qui s’y connaissent, ici les chinois n’ont du talent que pour leur viande de porc. La viande toutefois est soumise à un contrôle sévère, tu n’as pas besoin d’avoir peur qu’elle soit malsaine, seulement il n’y en a qu’une sorte. Nous ne mangeons pas souvent du porc, peut être une fois dans les trois mois, pas même.

Quant à ma garde-robe, ne te fais pas de soucis. J’aurai maintenant un buste fait à ma mesure par un vieux petit chinois à Solo qui me reviendra à Fl. 6.50,  j’ai été le voir hier soir encore avec John. Il y avait seulement quelques petites retouches à faire, juste aux seins. Vous rirez quand je vous raconterai cela ! Oh, merci, merci mille fois pour le nouveau capeli, la laine en est ravissante, et je me réjouis. Tu m’enverras un échantillon de ton manteau. 
le Hüteli

Je me suis acheté un Hüteli, (bibi, petit chapeau) un hüteli, ! fou, vous en recevrez une photo.
Quant à une nouvelle robe de Hedy, je veux d’abord attendre de recevoir la première, en suite je te dirai si oui ou non, et quel genre elle doit me couper. Il se peut que je t’en demande encore une avant Noël, car nous le passerons probablement à Semarang chez les Warren en compagnie très chic. L’oncle Maurice est consul pour l’Angleterre là, et il doit beaucoup « entertain » (recevoir) ! Nous avons eu un week-end High life, qui nous a fait du bien… la suite en détail au prochain numéro.

Mardi matin.
Voilà mes chers, je suis bien reposée et je pourrais vous en écrire long sur notre week-end, mais maintenant le temps me manque. J’ai acheté un beau tulle marquisette pour des rideaux au salon, et j’ai trouvé dans un magasin de meuble un vieux monsieur dont apparemment j’ai fait la conquête, parce qu’il m’a donné des idées lumineuses pour ma couch. Il est architecte de meubles et assez moderne. Je vous décrirai ma couch quand elle sera prête. Maintenant que nous avons de nouveau été dans le monde en société nous sommes revenus tout ravigotés et bien décidés une fois de plus, de ne pas adopter les mauvaises habitudes d’ici.  Dorénavant nous allons faire encore une fois de plus attention de ne pas devenir provinciaux. Nous continuerons à vivre en gens bien élevés, bien pour nous et avec ce que nous économisons en n’ayant pas de ces bêtes de visites qui ne viennent que pour boire et parler des autres gens ou dire des bêtises. Jeudi matin, donc, j’ai quitté ici à 6 heures avec M. Visser, madame et la Ricshaw. Vu que St Nicolas est devant la porte, il nous a permis de faire le voyage avec lui jusqu’à Djocja pour faire nos emplettes. Je suis donc restée à Djocja avec ces dames, et chacune nous avons fait les magasins. Il avait été convenu que chacune irait pour elle pour ne pas perdre de temps, mais cette règle ne valait que pour madame Woldringh, que les deux autres femmes ne voulaient pas avoir avec elles. Quand je les rencontrais, elles étaient toujours ensemble, et même que des fois cela les embêtaient de me rencontrer dans le même magasin et elles faisaient semblant de ne pas me voir, mais la Näggeli ne l’entendait pas de cette oreille-là, elle est modeste mais ne se laisse pas marcher sur les pieds. J’ai déjà eu la plus mauvaise place dans l’auto vu que je suis la moindre ici, et vous auriez dû voir la Ricshaw se faire large dans son coin, pendant que moi j’étais engoncée dans ces deux avalanches de lard. Visser le voyait bien et se retournait toujours pour me dire des bêtises ou parler en Bärntütsch, ce qui ne leur allait pas du tout, aux deux dames. Enfin flûte, moi j’ai bien profité de ma journée, j’ai fais mes commissions bien pour moi, contente de pouvoir acheter ce que je voulais, sans leurs avis et conseils qui ne valent rien. A trois heures Visser est revenu de sa tournée et a repris les deux femmes à Keboemen, tandis que moi je restais encore un bon moment à Djocja en attendant que John vienne de Solo. Il est venu me chercher à 5 heures, nous avons encore été chez des gens à Djocja, il a toujours un bataillon d’amis à visiter. A 9 heures nous arrivions à Solo, où Jans nous attendait. Nous avons parlé jusque très tard, et le lendemain matin, Jans et moi devions prendre le bus ou le train pour Semarang, à 7 ½ heures. Moi j’étais prête, mais pas Jans, alors nous avons manqué le bus, malgré que John nous ait conduit en auto à la suite du bus pour tâcher de le rattraper en route. Nous l’avons bien rattrapé, grâce à une course folle, mais il était complet, la charogne. Nous nous en sommes retournés, et avons manqué le train aussi. Donc nous sommes restées à Solo, et j’ai profité d’aller avec Jans à la recherche du vieux chinois sculpteur. Après une longue  marche parmi tous ces tokos chinois, nous l’avons trouvé dans une affreuse maison. Lui, c’est un petit vieux bien sympathique, bien propre, il m’a pris les mesures et après avoir marchandé nous sommes tombés d’accord pour le prix de Fl. 6.50. Je n’avais pourtant guère confiance dans toute l‘affaire et ne me suis pas réjouie. Je me suis simplement dit autant essayer. Le reste de la journée nous l’avons passée à la maison, car j’étais terriblement fatiguée de Djocja encore. Cela vous semblera drôle peut être, mais vous ne pouvez pas vous représenter les distances ici, elles sont énormes Enfin, le samedi matin Jans et moi avons été à Semarang, non sans encore avoir eu une chasse folle à la gare où nous sommes arrivées juste à temps, grâce à John qui a roulé comme un diable. A Semarang j’ai fait des emplettes, m’achetant un chapeau d’abord, ensuite en faisant les magasins pour voir ce qu’il y avait. Je suis enchantée de Semarang, de ses magasins tout à fait européens et très chic. C’est une ville où l’on fait beaucoup de toilette, où la vie de société est très développée. J’ai aussi été chez le meilleur coiffeur de la place, un Italien, Margharita, qui a travaillé à Paris pendant 5 ans et a le même diplôme que Marcel. Un salon excessivement chic, mais cher aussi ! Tant pis, je m’en fiche, moi je dois être bien. A une heure nous avons été luncher chez un oncle de Jans, ou plutôt un cousin éloigné, un vieux monsieur qui vit dans une immense maison de 200 ans, style pur local, avec ses 3 sœurs, des vieilles dames de 65, et 70 ans. Lui il est le plus jeune et approche des 60. Vous devriez voir comme elles sont bien conservées, ces petites vieilles qui s’habillent en blanc et ont la permanente dans leur cheveux coupés Nous avons eu une rijsttafel énorme, puis nous avons été dormir. A 4 heures, chacun était de nouveau réveillé, et après avoir bu du thé, pris notre bain, mis une robe fraiche nous avons été faire une promenade en auto avec l’oncle, passablement fier de se laisser voir avec deux jeunes femmes. J’avis mis mon petit chapeau, et ma robe crème, tu sais celle de fiançailles, celle qui me fait si mince. Voilà, la suite au prochain no.
votre Ge…..

Flûte, il me reste encore quelques moments avant la dernière limite pour aller au train, je vais continuer mon récit. Nous attendions donc Oscar à 5 heures environ avec John, mais voilà que Buby n’a pas pu quitter Keboemen le matin, de sorte qu’il est arrivé à Djocja seulement à 6 heures du soir. John l’y attendait, et l’a de suite emmené à Semarang, malgré un violent orage et des pluies torrentielles. Ils sont arrivés à Semarang après 8 heures. Entre temps moi j’avais dû téléphoner à Margot qui nous attendait depuis 6 heures. Nous y sommes arrivés à 9 heures, ayant d’abord soupé chez les Mac Invry, donc l’oncle et les tantes, soi-disant, de Jans. Margot nous a reçus en robe du soir, elle voulait nous emmener à un cabaret et une soirée dansante, parce que oncle Maurice était occupé dans un comité anglais concernant l’armistice etc. Enfin, nous nous serions tous retrouvés au club. Malheureusement moi j’étais à bout, j’avais tant marché et couru les magasins, ensuite cette attente sur Buby m’avait bien énervée, et finalement nous arrivions là, fatigués, et assez sales. Nous ne nous étions pas du tout représenté Maurice et Margot ainsi. Ils vivent très richement, une vie mondaine, toujours beaucoup de société, surtout le centre de la société anglaise vu que Maurice est consul pour l’Angleterre. La maison est magnifique, et dirigée par un génie de djongos qu’on ne voit ni n’entend jamais, mais qui est partout, à tout surveiller et à vous servir.
Voilà mes chers, au revoir, c’est le moment.


mercredi 27 janvier 2016








5 novembre 1934

Käpumän (Keboemen…)

Merci pour ta bonne lettre du 23 octobre, no 58. Donc Papa et Chüggu sont à Londres ou peut être déjà de retour, ou peut être Loulou est effectivement resté collé ! J’ai bien ri en lisant ses quelques lignes ! Et bien, bonne chance !
C’est la semaine prochaine que vraisemblablement je n’écrirai pas, puisque je pars jeudi matin pour Djocja, là je ferai quelques commissions et à midi je file à Solo. Vendredi matin, Jans et moi irons à Semarang pour toute la journée. Samedi vers le soir nous refilerons à Djocja pour chercher Buby. Dimanche John nous conduira de Solo à Semarang de nouveau, où nous rendrons visite aux Warren. Mais je crois que je vous ai déjà raconté tout cela une fois.
Flûte, mon ancien kebon vient de l’hôpital, il avait encore son vélo ici. Il y a quelques temps je lui avais fait dire que je ne le voulais plus et en allant le voir près de la cuisine, je m’attendais à le voir triste, ou que sais-je, mais non, il m’a gentiment saluée, m’a dit qu’il allait mieux maintenant, et avec un sourire il m’a demandée si je ne le voulais vraiment plus. J’ai répondu que non, et avec un nouveau sourire il a répondu : très bien, Njonja (madame). J’ai quand même été prise de pitié et je lui ai donné Fl. 1.50 desquels il doit rembourser 50 cents au kebon des Röhwer chez qui il avait cette dette. En Europe un jeune homme ainsi tournerait communiste ou essaierait de supplier son patron de le reprendre, mais ici, bah ! pour quoi s’en faire pour des détails pareils dans la vie ? Je suis sûre que maintenant dans mon dos, il se fout encore de moi, d’avoir été si bonne et si bête de me défaire de mon argent encore. Mais que voulez-vous, East and West shall never meet. A mon retour de Solo, ce sera au tour du djongos de filer, cette fois-ci j’en ai mare avec ce bodoh (idiot). J’en ai déjà un autre en vue, un qui a aussi été chez la Röhwertje mais qui ne s’entendait pas avec sa koki (cuisinière), à ce qu’elle raconte, on ne sait jamais. Enfin, essayons. Le dernier tour qu’il m’a joué, c’est quand je lui ai dit de frotter le tapis du salon, il a été prendre la patte à relaver, alors qu’il en a plein une caisse, des autres pattes. Maintenant que je sais un peu plus de malais, j’ai plus vite fait de les dresser. Nom d’une pipe, je veux que ma maison marche, il faut que cela gaze, car leur travail est maintenant organisé jusque dans les plus petits détails. Par moment je me sentirais bien une vocation d’hôtelière. Ne riez pas !!
N’oublie au moins pas de me donner la recette de ce thé de céleri pour les Engelhart. Ils y tiennent.
La petite Nicky Visser est de nouveau malade, un nouveau coup de froid, duquel elle a toujours de la peine à se remettre. Moi je lui ai rendu visite hier soir, vite, mais cela me fait pitié pour cette gosse, on l’élève tellement bêtement. Premièrement elle ne mange que du riz avec du bouillon. Diable, ce n’est pas ce qu’on donne à une enfant de 6 ans. De temps en temps, c’est très sain, je le veux bien, mais pourtant pas tous les jours comme nourriture habituelle. Pas de légumes, peu de fruits, mais par contre un tas de remèdes et de fortifiants, ou alors des friandises comme du pâté de foie gras, des conserves, des conserves et encore une fois des boîtes. C’est fou. Mais moi je ne dis plus rien, j’ai essayé au commencement, mais on me prend pour une folle avec mes théories de légumes et d’oignons. Quand à des oignons, voilà bien un conseil superflu de ta part. Tu peux  me conseiller sur tout, mais pas sur cela, ni pour les légumes. 
Minestra

L’autre jour, n’ayant plus une bonne quantité d’un seul légume, car ma petite baboe n’est pas encore à la hauteur des quantités souvent, en faisant le pasar (marché, bazar), j’ai décidé de faire une minestra dont je voudrais bien que tu profites de la recette pour un jour d’hiver froid et pluvieux :
des os à moëlle avec des restes de viandes,
haricots soya = mungo
soya = pois
pousses de soya
de l’eau, 3 gros poireaux, une poignée de petits pois mange-tout, 4 oignons, 2 gousses d’ail, 2 pommes de  terre, une bonne poignée de riz, dito de vermicelles, 5 petites têtes de salade, 3-4 tomates, un bon bouquet de céleri, les feuilles, un reste de petits pois verts, légumes du jour avant, des taogué (pousses de soya), que tu peux remplacer par des lentilles ou des pois secs, à la fin encore une poignée de persil haché, et du fromage. Le tout sur le feu environ 2 heures de temps, un feu pas trop grand.


Exquis, je vous dis, on en a chacun eu une assiettée pleine jusqu’au bord. Ensuite on a eu un petit château-briand avec des pommes allumettes, et puis plus rien. On n’en pouvait plus. Il te faut compter une gousse d’ail par personne, cela donne juste la bonne saveur !

Mes chers, encore une nouvelle du ménage Woldringh. Pendant que j’étais malade, M. Visser a souvent fait aller son radio très fort, pour que je l’entende aussi, de sorte que j’avais toujours de beaux concerts. Depuis, nous avons une immense envie de musique et de nouvelles, de contact avec le large monde pour autant que cela soit possible ici. Enfin, vous aurez déjà deviné, la Näggeli et l’Oscarli ont décidé de se payer un radio. En ce moment, Buby est en train de l’écrire à son père aussi. Nous avons donc décidé d’en prendre un très bon, aussi bon que celui des Visser, qui coûtera environ Fl. 225.--, nous le prenons contre payements par accomptes qui dureront aussi peu que possible, mais environ une année, si nous ne voulons rien changer à notre système d’économies, et seulement un peu économiser plus sur la vie journalière. Après, si ce n’est pas une poussette, ce sera une auto. Nous ne pourrons pas entendre la Suisse, c’est dommage, mais par contre les stations anglaises et françaises très bien, parce que celles-ci sont enregistrées aux Indes Britanniques et en Indochine, qui les émettent à nouveau pour leurs citoyens qui n’ont qu’un petit appareil ainsi. La Hollande aussi naturellement, et finalement les stations d‘ici qui ne sont pas mal du tout, et au nombre de 6 je crois. Nous aurons aussi très bien Moscou, Singapore, Calcutta, l’Australie et le Japon ainsi que l’Amérique, mais pour cela il faut rester debout la nuit. Enfin, qu’est-ce que vous en dites ? Nous nous réjouissons follement, surtout maintenant pendant les pluies, quelles belles soirées nous aurons. Jusqu’à présent nous pouvions toujours nous fâcher, quand Visser avait un beau morceau, ou quelque chose d’intéressant, il n’était pas fichu de la garder, toujours il vagabondait d’une station à l’autre. Il est comme mon macaroni en cela.
Je me suis fini mon pyjama vert, je l’ai mis hier pour la première fois, Buby a poussé un cri de surprise quand il l‘a vu, je crois qu’il est assez bien, à part quelques détails techniques pas encore trop réussis et qui dénotent le home made. Maintenant je suis en train de me faire une jupe culotte, aussi d’après un patron de Chic et Pratique. Elle me va très bien. Elle est en reps mercerisé brun chocolat. Je la porterai avec ma petite chemise polo jaune citron, et mon jumper jaune, tu sais, celui que tu m’as donné pour ma fête une fois. Cela fera un très bon ensemble pour aller en vélo avec Buby. A Solo et Semarang je vais chercher un buste, si je ne trouve pas, je t’écrirai et tu pourras m’en envoyer un. Mais ne le fais pas avant que je te l’écrive formellement.
Hier soir nous avons été chez les V. écouter le match Suisse – Hollande (football) qui se disputait à Berne. Les Suisses ont perdu. A l’entendre ce n’était pas un match bien amical vers la fin, et surtout le public a été odieux. Par radio, les Hollandais ont exprimé leur étonnement du public suisse si peu sportif qu’il sifflait sa propre équipe parce qu’elle n’était pas victorieuse. Cela m’a été désagréable d’entendre cela, par contre j’ai bien ri quelques fois en entendant allez, allez, hue hue hop. Von Känel a bien joué, vive Bienne. Si jamais il y a encore une manifestation de ce genre en Suisse et que l’un des garçons y assiste, il faudra rechercher le microphone hollandais et crier aussi fort que possible Hallo Nelly, et je l’entendrai. Hier soir j’ai bien écouté si jamais Charlot avait assisté au match et que cela lui soit venu à l’idée…
Non, je n’ai pas parlé en bon allemand avec Mme Meyeringh, pour la simple raison que je ne le sais presque plus, il me sort toujours des mots hollandais. Ce n’est pourtant qu’un manque d’habitude car je lis régulièrement de l’allemand, comme dans toutes les autres langues du reste, pour rester à la hauteur.
Et maintenant voyons vite ma chronique de la semaine. Mercredi, jeudi rien de spécial, les jours filent comme des voleurs. Ce matin j’ai été à la cuisine, j’ai cousu un peu à ma jupe. Presque pendant toute la semaine, il a plu. Samedi matin je voulais donner de l’huile de foie de morue à Tipsie (ne riez pas mais les chiens, il faut les soigner ici mieux qu’en Europe) et je m’approche de la table à desservir en dehors de la salle à manger. Devant moi se trouvait le kebon avec un seau d’eau qui s’approchait également de la table pour laver les vases de fleurs, son travail du samedi. Nous étions les deux arrivés près de la table quand tout à coup il pousse une exclamation, moi je lève la tête et je vois un long serpent ornant le bord de la table, juste à la place où j’allais prendre l’écuelle de Tipsie. Quand il nous a vu il s’est mis en état de défense, ne bougeant pas, mais attendant l’ennemi. J’ai vite envoyé le kebon chercher un bambou pendant que je surveillais la bête, ensuite nous l’avons assommé et je l’ai envoyé à l’hôpital pour savoir le nom et s’il était venimeux.  Il avait juste un mètre de long et il est venimeux. Dimanche il a plu toute la journée, et fait froid. Un bon dimanche pendant lequel il faisait beau se sentir chez soi. Oscar a travaillé matin et après midi, et à 5 heures j’ai été le chercher et nous avons pris le thé. Aujourd’hui j’ai écrit toute la journée.
Cette fois c’est pas de ma faute si je vous écrit peu, mais ce soir Oscar rapporte du bureau mon paquet de journaux.
Ach, je dois encore te dire que cette semaine pour la première fois j’ai bien réussi des rognons sautés, avec un peu de madère etc. Avant je donnais toujours des explications à ma baboe, qui ne les suivait pas je pense, car on recevait des morceaux de cuir à manger, et sans sauce presque. Cette fois-ci je les ai faits entièrement toute seule et c’était excellent. Les rognons sont une des pièces de viande les meilleurs marché. Aujourd’hui j’ai du foie, ce serait quelque chose pour papa. Le dr. m’a dit de beaucoup en manger, car je pense qu’ici j’aurai toujours un peu à combattre l’anémie, comme souvent à la maison aussi d’ailleurs.
Et maintenant mes chers, au bout de mon savoir, au bout de mon papier.


dimanche 24 janvier 2016







29 octobre 1934

Keboemen

Tiens, il y a longtemps que je n’ai causé avec vous tous, et je crains bien que cette fois encore ce sera très court. J’ai dû finir une lettre d’Oscar aux Dunlop, notre réponse à leur lettre du 5 mars. Est-ce que ce n’est pas affreux ? Eux qui ont été si gentils et ont tant fait pour nous.
Mes chers, merci mille fois pour votre courrier du 16 courant, soit la lettre 57. Ce qui me surprend toujours, c’est que maman puisse si bien continuer ses numéros de lettre. Au commencement qu’elle le faisait, je me suis dit : mince, cela va aller longtemps ! et vraiment je dois dire que je suis agréablement surprise chaque fois que cela joue encore !!! Je pense qu’il y a du vieux macaroni là-dessous, ou est-ce que je me tromperais ? Merci quand même pour toutes les nouvelles et tout ce que tu m’écris, je ne vois rien de spécial à y répondre et je vais donc vite attaquer ma chronique de la semaine, car il est déjà tard et demain matin je veux aller faire ma promenade, donc pas le temps de continuer.
Jans est donc arrivée le lundi et non le dimanche comme c’était décidé. Elle est arrivée à trois heures avec la peau d’un petit crocodile, butin de leur chasse bien maigre ! Comme il faisait chaud, nous nous sommes mises sur notre lit, et avons blagué jusqu’à ce qu’à la fin nous nous sommes endormies. Vers le soir, pendant qu’Oscar jouait au tennis nous avons fait une petite promenade et avons rencontré les dames Visser et Röhwer, en promenade également. Des saluts profonds, des sourires mielleux et des regards critiques de chaque côté. En rentrant nous avons trouvé tous les messieurs chez nous, et un peu après la Ricshaw s’amène aussi toute souriante et débordant de gentillesse. C’est à ce moment que j’ai admiré ma grosse Jans. Vous pouvez penser que je lui ai bien raconté toutes les histoires et qu’elle était bien au courant de mes sympathies. Voilà ma chère Jans qui s’est mise à déverser des sourires exquis, à promener des regards d’une douceur ineffable tout en soutenant une gentille conversation, très enjouée sur mille et une banalités. Pendant ce temps je me payais le luxe de ne rien dire et de jouir de la comédie. Je vous garantis que j’ai plus appris en cette heure que n’importe quand. Quand ils furent partis, Jans m’a prise par le bras et nous avons été rire tout notre saoul au cabinet. 


La chère Ricshaw a été tellement conquise, que le soir tard encore, madame Visser a accompagné son mari qui venait nous donner une nouvelle de la course London – Melbourne McRobertson race (voir plus loin détails)  
aussi pour faire la connaissance de Jans. C’était exquis ! Jans est restée jusqu’à jeudi. Nous n’avons fait que bavarder, nous promener un peu et nous avons beaucoup cousu, elle une robe et moi un pyjama. Cette visite m’a fait un bien énorme sous tous les rapports et j’ai beaucoup appris. Jeudi à 2 heures, donc 14 h, John arrivait de Bandoeng, ayant fait 400 km, en 7 heures de temps, écrasé 7 poules et une chèvre sans se retourner ni s’arrêter. D’ici à Solo il lui restait encore 4 ½ h à conduire. Avec cela, il n’avait été se coucher que le matin à 3 heures, ayant fait la noce à Bandoeng. Un gaillard, je vous dis. Nous avons mangé la rijsttafel, ensuite il a été dormir pendant deux heures, et ils sont tous repartis après le thé, soit environ à 5 ½ h. Il y a deux routes nationales de Bandoeng à Solo, et John ayant maintenant calculé que la route du sud n’était pas plus longue que par le nord, comme il l’avait toujours cru, il va la prendre plus souvent, avec comme pied à terre Keboemen, hôtel Woldringh. Cela va sans dire qu’il a toujours quelqu’un avec lui, soit sa mère, soit l’un ou l’autre de ses nombreux amis. Je vais faire faire quelques klamboe (moustiquaires) de rechange, toujours avoir des boîtes de conserve dans l’armoire, et flûte, qu’il vienne, cela donne toujours du changement et cela fait du bien à Buby aussi. Nous avons décidé d’aller à Solo vers le 10 novembre pour un weekend. Moi je partirais déjà le jeudi, et de Solo j’irai à Semarang pour des achats et le coiffeur. Oscar viendra le samedi soir et le dimanche nous irons de nouveau à Semarang rendre visite aux Warren (parenté de la mère de Oscar). Je viens de recevoir une lettre de Margot Warren, qui nous invite à passer Noël chez eux, avec l’oncle Charlie qui y viendra aussi. Donc un Noël de famille sur lequel nous nous réjouissons beaucoup, quoique nous ne les connaissions pas encore. Mes chers, il me reste encore tellement à faire jusque là. D’abord ma garde-robe. Oh, comme je suis contente de la robe que tu m’as fait envoyer ! Une à une toutes mes robes filent, je n’ai absolument plus rien du tout à fait entier. Je me suis fait ce pyjama en  crêpe de chine vert clair avec des petits volants en crêpe georgette rose, des restes d’une ancienne robe de bal. Il est très joli, mais diable j’y ai travaillé plus d’une semaine, c’est vrai que Jans était là, mais tout de même, le meilleur temps de la matinée je dois le passer à la cuisine, ainsi je n’avance pas. Maintenant tout à coup il fait chaud de nouveau, les vents sont tombés, c’est des robes plutôt légères qu’il me faut, jusqu’à ce que les pluies arrivent définitivement, alors ce sera le tour aux robes plus chaudes un peu. Cette semaine je dois encore me faire et terminer absolument une robe en shantung dont j’avais acheté l’étoffe à Batavia.
Mes chers frangins, vos lettres resteront encore quelques temps sans réponse. Vous ne m’en voulez pas, dites ?
Merci beaucoup pour la carte de Praz (lac de Morat, Vuilly), elle est très jolie. Cela fait tout drôle de revoir ce paysage pourtant connu, mais je suis tellement habituée aux palmiers déjà, et à la nature d’ici. J’ai quand même un bon bout de cœur en Suisse, va. Mais n’allez pas vous imaginer que cela m’a donné l’ennui, mais non pas du tout et c’est justement ce que je ne comprends pas en moi. Je crois que j’ai énormément changé sous ce rapport, ce que j’aimais mon Seeland (région des 3 lacs) pourtant, et comme j’en jouissais, et maintenant je m’aperçois que je jouis tout aussi intensément de la nature d’ici sans ressentir aucun vide laissé par ma contrée à moi. Au contraire, je jouis des deux à la fois avec un égal plaisir. Ya pas, mais j’étais faite pour partir ! Et ce sont les continents qui seront ma patrie. On devient très détaché ici et nous faisons aussi attention de ne pas contracter des habitudes trop fortes, pour moi, par exemple de trop aimer maison, mon jardin ici. Chaque fois que je plante une fleur, un arbre ou n’importe quoi, je me dis que je le quitterai un jour et je ne perds pas une parcelle de mon cœur, ni à mes meubles non plus, il faudra quand même m’en défaire un beau jour. Je ne désire qu’une chose quand je serai plus âgée, c’est d’avoir assez d’argent pour voyager entre les Indes et la Suisse ou l’Europe du moins, surtout pour jouir de ces deux genres de vie si différents. Charlot, Charlot, travaille à terminer tes études le plus vite possible, ne gâche pas ton temps en mille et une occupations secondaires, apprends, apprends, deviens quelqu’un, surmonte les faiblesses que tu te connais dans le caractère et après viens jouir du monde. La terre est ronde, ne l’oublie pas, on finit toujours par retrouver son petit coin préféré. Et toi aussi, Chüggu, (Louis) travaille, mais aussi à toi-même, améliore-toi, par ton intelligence, enrichis ton ciboulot, lis beaucoup, corrige tes défauts ou tes faiblesses, surmonte-toi, maîtrise-toi, exercez-vous à tout et à tous. Ha, c’est si bon le monde, et c’est encore quand on est dans les pires difficultés qu’en en jouit le plus, c’est alors qu’on mesure ses forces et qu’on peut se rendre compte de ce qu’on vaut. Tenez, moi, cela ne me ferait rien de me retrouver dans le pétrin d’il y a une année, quand je me débrouillais par gestes et grimaces et que j’étais souvent à me demander ce que m’apporteraient les prochaines 5 minutes.
Tu m’écris que cette séparation me rend indépendante, oh oui, je t’en garantis, et comment. C’est maintenant que j’aimerais être dans les affaires, mais d’un côté, pas sans Buby. Je sais très bien que c’est à lui aussi que je dois beaucoup, mon sale gosse. C’est fou ce qu’il est bon penseur.
L’autre soir nous avons eu le Dr. Samvel, ce chimiste, ici pour une partie d’échecs, et ensuite il est venu nous dire adieu. C’est en le faisant parler un peu que nous avons réalisé une fois de plus tous les sentiments de jalousie que notre arrivée ici a dû soulever, et surtout encore maintenant que les gens doivent se rendre compte qu’Oscar n’est pas un petit fils à papa gâté et bébête, mais un type qui peut et veut les surpasser tous. Quelle cabosse il a, mes frères, j’en suis encore à m’en étonner à l’heure qu’il est.


avion participant à la course

Est-ce que vous vous êtes intéressés à cette course Londres – Melbourne ? (pour le centenaire de Melbourne, course de plusieurs avions, voir Wikipedia MacRobertson Air Race) Nous en avons été fous tous les 3 jours, chaque demi-heure on annonçait par radio le progrès etc. Avez-vous suivi les incidents d’Albury (tempête, New South Wales, Australie) ce qu’on est fier de Parmentier (pilote hollandais du DC-2 Uiver) ici ! Papa, tu aurais dû m’envoyer une lettre avec cet avion,  y avait des timbres spéciaux. Je vais voir si cela existe aussi pour le retour.
Mes chers maintenant je n’en peux plus de sommeil une fois que 10 heures est là, je m’endors debout.


vendredi 22 janvier 2016





15 octobre 1934

Keboemen


Devinez depuis où je vous écris ? Depuis mon lit ! Oui, une fois de plus j’ai été imprudente. Vous rappelez-vous, dans ma dernière lettre je vous ai écrit que dimanche passé j’ai été faire un tour avec Tipsie, je ne sais pas si je vous ai aussi écrit qu’il y avait un vent énorme. En rentrant j’ai encore dit à Oscar : il a fait un sale vent, cela ne m’étonnerait pas si j’avais attrapé froid, de nouveau. Nous avons espéré que pour une fois, j’aurai plus de chance que de raison, non. Le lundi tout a bien été, le mardi j’ai commencé à devenir un peu grinche, et le mercredi matin je me suis réveillée avec un mal de gorge et de la température. Je suis restée au lit par prudence, car je sentais mes douleurs recommencer à courir sur la peau. Le jeudi matin, je me sentais mieux et je me suis levée pour me reposer sur la chaise longue. J’avais encore 37, mais je pensais que cela passerait dans la journée. Alors madame Visser est venue, et nous avons causé, causé, plutôt elle.  Pendant tout ce temps je me sentais aller moins bien, et elle avec ses idées biscornues, semblait vouloir me rendre encore plus malade Enfin, cette visite m’a bien fatiguée et à midi je me suis remise au lit avec ma névralgie. Zut, quelle tuile ! Le soir, Oscar faisait venir le médecin. Il a constaté que c’était bien le même genre de coup de froid que la dernière fois, et m’a une fois de plus recommandé d’être prudente. Je lui ai parlé de cet hôtel et de ces bains de boue (Garoet), mais il n’y tient pas, quoiqu’il affirme qu’ils sont très bons, mais il ne veut pas encore en entendre parler pour moi. Il dit que je suis encore trop jeune pour une cure pareille. Il me dit qu’il faut apprendre à connaître les changements de température et surtout apprendre à m’y assimiler en m’habillant en conséquence. Cela demande maints changements d’habits, mais à la fin je m’y habituerai aussi. Au fond il me dit la même chose que les dr. de Bienne, porter de la lingerie en tricot, surtout pas de toile. Ensuite il m’a conseillé d’avoir une garde-robe bien assortie pour tous les petits changements de température (cela c’est plus vite dit que fait !). Nous avons aussi fait la connaissance avec le second dr. maintenant. C’est lui qui est venu les deux dernières fois me rendre visite, et m’a aussi dit que le corps étant soumis à une transpiration constante, qu’il ne pouvait pas s’accoutumer si vite aux brusques changements de température, c’est pourquoi tant de gens avaient des rhumatismes. Les deux dr. ici en souffrent aussi. Enfin, il faut faire attention, mais n’aie pas peur, je n’avale pas tant de ces remèdes. Depuis que je suis ici je n’ai pris que ces pilules du dr. pour me fortifier, et pendant 15 jours du sel Kruschen (see google…), outre cela je fais bien attention de ne rien avaler, j’ai aussi horreur des remèdes, et ne suis pas comme les deux femmes d’ici qui s’enfilent les pilules de toutes les annonces qu’elles lisent. Une fois c’est une pilule pour maigrir, une fois pour bien digérer, une fois pour le foie, une fois pour purger, une fois pour le teint, une fois pour avoir des gosses, une autre fois pour ne pas en avoir etc, etc. Enfin c’est fantastique, et cela aussi bien de madame Visser que de la Ricshaw. D’ailleurs elles s’entendent comme deux gouttes d’eau sur ce sujet là. Elles sont venues me rendre visite et m’ont apporté et envoyé de bonnes choses à manger. Mme V. des poires cuites dans du vin, (je ne sais pas d’où elle a pris l’idée, mais enfin c’était bon) et une fricadelle de volaille, excellente. La Ric m’a envoyé du gros bouillon bien gras avec de la moelle, du céleri, des carottes et de gros macaronis qui flottaient par dedans comme des anguilles. Ce matin j’ai reçu un beau bouquet de géraniums rouges, joli. A propos de céleri, dis-moi comment tu faisais le thé que papa ou toi ou grand-maman buvaient. J’en ai parlé à madame Engelhart, lui disant que c’était bon pour les rhumatismes, alors elle voudrait savoir comment on le boit, si c’est des racines ou des tiges ou encore de feuilles, et comment on fait ce thé. Ecris-moi bien tout en long à propos de cela. Il y a déjà longtemps que j’aurais dû te le demander et j’ai toujours oublié, alors quand madame E. est venue me demander si je n’avais pas encore reçu de réponse, j’ai dit que non, que c’était vous qui aviez oublié de m’écrire à ce sujet !!! Les absents ont bon dos et j’espère bien que vous ne m’en voudrez pas.
Et maintenant encore une chose. Charlot ou Loulou, est-ce que vous connaissez un hôtel Fedir à Andermatt ? (Hotel Fedier, note à la main dans la marge, (n’existe plus) ) C’est là que Dr Vonk échoue, finalement. Et dites-moi encore si Andermatt est bien abrité des vents froids, car il a peur que ce soit trop froid pour ses enfants. Est-ce qu’il y a beaucoup d’hôtels à Andermatt ? Ce n’est pas du tout un lieu pour étrangers, ou bien ? Il ne veut pas rester trop longtemps en Suisse et surtout pas aller dans un lieu mondain, parce qu’il vient de perdre son frère ici dans un accident de voiture. Il laisse une veuve et 4 enfants petits encore. Il ne passera pas par Bienne, c’est dommage, mais tant pis. Autrement il est très très sympathique et si simple, si simple.
Jeudi j’aurai John et Jans qui passeront la nuit ici en se rendant à Batavia. Peut être que Jans restera ici, je ne sais pas. En tous cas moi je dois encore rester au lit trois jours sans température, et je ne me lève pas pour eux. Je serais contente si Jans pouvait rester un peu. Autrement je me porte de nouveau très bien, mais je dois encore transpirer tous les jours. Cela c’est embêtant car il faut toujours changer tout le lit. Je vous garantis que ma petite baboe doit bien turbiner, laver tout cela, faire mon service de chambre et cuire encore. Je ne veux pas dire que ses dîners soient des gourmandises, mais c’est mangeable et pour le reste je m’enf… Oscar ne dit jamais rien et bouffe tout. Quant à moi, elle me soigne bien, elle est très obligeante et très attentive, j’en suis très contente, mais c’est encore une gosse malgré qu’elle soit mariée déjà.
J’ai 36.7 ce matin cela va donc bien. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que mon Buby a été bon et gentil, et comme il m’a gâtée ces jours-ci.
Mes chers, j’ai mauvaise conscience envers vous, mais j’ai perdu tout mon temps hier à lire un beau livre. Vous savez comme cela va, on ne peut pas le lâcher et le temps passe et la lettre ne s’écrit pas. Ce que j’ai été contente de ton cape, c’est incroyable, les services qu’il m’a rendus. Oh ! tu sais, je ne le ménage pas, je le porte au lit maintenant aussi, il me donne bon chaud et il est si joli, tu comprends !
Merci beaucoup pour ta bonne longue lettre, lettre 55. Est-ce qu’il faut aussi te remercier pour les photos ? Je n’en suis pas trop sûre, car elles sont presque toutes « usées » je ne sais pas d’où cela peut venir !!! 


Tu es tout simplement un petit diable avec ton petit chapeau ! C’est fou ce que tu me plais. Ton petit ensemble est très très bien. Oh ! j’ai encore eu le plus de plaisir c’est de te voir dans ta robe chaudron avec ce nœud si coquettement noué. Et dire que tu fais cela sans moi. Mais une chose qui me fâche bien, c’est que maintenant que je suis loin, tu peux bien mettre tes chapeaux de côté un peu sur l’œil et laissant voir de côté tes beaux cheveux argentés, mais j’en suis heureuse. Tous ces jours-ci, au lit, j’ai eu vos photos étalées en une ligne comme des soldats que je passais en revue à tout bout de champ. Et mon Faderli aussi me plaît, tu es redevenu l’ancien, bien gras. Eh, ce que je suis contente de vous voir, de bien pouvoir vous regarder pour une fois. Merci, merci de tout cœur pour ces photos… et pour celles qui vont suivre ! J’éprouve fortement le besoin de d’écrire, mais c’est la question si j’y arrive, car à peine levée, il faut me mettre à la couture, cette fois c’est la priorité. Vous ne m’en voudrez pas si je vous délaisse un peu, je ne le fais pas en pensées, diable non, mais seulement en lettre, et vous m’aimez assez pour me pardonner cela, pas ?

Pour vous dédommager de ma lettre courte, je vous envoie inclus un agrandissement d’une des petites photos faites pendant notre course. 
admirez!
Je suis en train de regarder un vieux Javanais couper ses feuilles de tabac qu’il sèche et livre ensuite aux fabriques d’ici. Je vous prierai d’admirer la coupe de mes pantalons svpl. ! Oh, il a fait si beau à cette course ! Et elle nous revient seulement à Fl. 26.--, pour les deux, tout, tout y compris, hôtel, chevaux, coolies, boire et manger. Mr. Engelhart a été parfait comme organisateur. Toute la série de photos va suivre sous peu, par bateau.
Maintenant je dois vous quitter. La semaine prochaine, un peu plus j’espère…