mercredi 29 juin 2016





Keboemen

16 avril 1936

Mes bien chers
Merci mille fois pour ta lettre 131. A moi aussi il me semble qu’il y a des éternités que je ne vous ai pas écrit. Je n’y suis pas encore habituée, à ne pas vous écrire chaque semaine, c’est comme si je manquais quelque chose d’important ! Avec ce nouveau système, il me semble que les jours, les semaines passent encore plus vite. C’est fou !
Le 4 avril nous sommes donc partis pour Tjilatjap, Buby-Bubinette dans leur Pucette. Nous avons, comme d’habitude, été bien reçus par Wies, mais quand j’ai vu sa maman, une belle dame avec les cheveux blancs, coiffée comme toi, alors cela a été trop fort, je n’ai pas pu me retenir de pisser de l’œil pendant une seconde ou deux. On voit si peu de gens âgés ici ! Vous pouvez penser, je me suis tout de suite bien entendue avec cette mamma. Le papa est moins sympathique, et je ne sais pas si cela ira bien avec lui, ici, il va s’ennuyer, n’ayant aucun hobby pour se passer le temps agréablement. Les trois jours que nous avons passés là ont été agréables. Lundi, la fête de Does, j’ai aidé à Wies à préparer son petit dîner. Nous avons fait une tourte au mokka entre autre, et nous étions en train de la décorer avec la douille quand une visite est arrivée. Wies et moi sortons de l’office pour aller la saluer, en ne prenant pas la peine de fermer la porte. Un moment après, nous y sommes retournées. Wies, en pénétrant la première se met à pousser des hauts cris. Moi, qui arrivait derrière elle, je croyais vraiment qu’elle voyait le diable mais…. Ce n’était qu’une poule ayant volé sur la table qui picotait dans la tourte tout en étant plantée dans l’assiette contenant la crème au mokka. Outre la tourte il y avait un tas de vaisselle sur la table, aux cris de Wies cette poule s’est effarouchée et je vous laisse imaginer le drame ! Cela me donne le fou-rire quand j’y pense : plus Wies criait, plus la poule piétinait dans la crème, sur la tourte etc. A la fin on a réussi à la chasser et elle est allée, d’un air fier, promener ses pattes au mokka dans la cour. Wies s’était tellement énervée qu’elle ne voulait plus rien faire à cette tourte, mais moi je ne m’en faisais pas pour si peu. Mon premier soin a été de regarder si la poule avait lâché un caca dans la crème, heureusement ce n’était pas le cas. Alors tout tranquillement j’ai ramassé ce qui restait et je l’ai giclé sur la tourte qui a eu beaucoup de succès auprès de tous les invités !
Le mardi matin nous sommes rentrés, et une demi-heure avant Keboemen, la Puce a fait pif-paf, et nous voilà arrêtés sur la route déserte, en plein soleil de midi. Malgré tout la panne ne m’effrayait pas autant que la colère, l’énervement et les jurons de Buby, et ce soleil qui tapait ! Après une heure environ, Buby ayant trouvé la faute et l’ayant réparée, nous avons pu repartir.
Mardi soir j’ai déballé et mercredi j’ai refait nos valises.
Jeudi après dîner nous sommes repartis pour Semarang.


vue de Semarang

Semarang 

Semarang, la Banque !
Arrivés près de Premboen, la Puce a fait couac, couac,  et une fois de plus nous étions au bord de la route. Après plusieurs essais, elle a remarché, mais rendait son souffle environ tous les 200 m. Cahin-caha, nous arrivons chez les Wilson à Premboen. Après une nouvelle demi-heure de recherches, on constate que les deux centimètres de benzine se trouvant encore dans le réservoir, étaient insuffisants !
Depuis-là nous sommes arrivés sans encombres chez Frans et Anne. Nous avons eu bien du plaisir à nous revoir. Vendredi-Saint, ils attendaient le meilleur ami de Frans, qui devait venir depuis Buitenzorg (depuis 1945 Bogor) avec sa femme. L’ami s’amène avec sa femme, sa belle-mère, son beau-frère et sa belle sœur ! Anne et moi avions préparé le dîner pour 6 personnes, mais il a fallu vite ajouter un plat froid de saumon, mayonnaise etc. que j’ai préparé pendant que Anne s’occupait de son monde. Le dîner a été très gai. Ces gens ont vécu en Suisse pendant deux ans, au-dessus de Vevey et en gardaient le meilleur souvenir. Nous avons parlé français aussi.Le samedi nous avons été en ville faire des commissions. En rentrant voilà notre Puce qui crève de nouveau. Cette fois c’était la magnéto dont quelque chose a fondu à l’intérieur, parce qu’elle avait été mal montée. C’était samedi soir, tous les garages etc étaient déjà fermés et personne ne connaissait un bon mécanicien. Alors je me suis rappelé l’ami de John, qui dirige aussi un de ces ateliers d’auto pour jeunes gens sans travail. Nous avons été lui rendre visite et lui demander son aide. Sa femme est une Polonaise, née et élevée en Suisse, à Zurich, où elle a fait ses études de langues modernes. Il n’y a que deux moi qu’elle est arrivée ici aux Indes avec son petit garçon qui ne parle encore que Zuritütsch Ils sont pauvres et ne sont pas encore installés. Elle a un peu des allures d’artiste et trouve difficile de s’adapter au goût général d’ici. Elle a naturellement encore la tête pleine de belles idées et veut tâcher de les réaliser. Comme je ne pouvais plus parler Bärntütsch (Bernois) ! (si elle avait été bernoise, ce serait allé, mais son Zuritütsch (Zurichois) me faisait toujours retomber dans le hollandais) nous avons donc parlé français et nous sommes très bien entendues, pendant que les hommes parlaient auto. Elle n’a pas encore l’ennui, mais une terrible envie de journaux suisses !!! Tu penses bien Tatali, que je n’ai pas mis longtemps avant de lui promettre de lui envoyer les miens. Tu aurais dû voir ce plaisir ! surtout les Näbelspalter (équivalent du Canard Enchaîné en Suisse) qu’elle trouve si bon, et lui aussi. Ainsi tes journaux, après les avoir lus, iront toujours à Semarang, où ils seront encore une fois appréciés 100%.
Le jour de Pâques, nous avons été dans la montagne où les amis de Frans et Anne avaient loué un chalet. Nous avons joué au tennis et baigné, mais malheureusement vers 2 heures il a commencé de pleuvoir, ce qui nous a obligé à rester dedans. Nous avons fait une petite bombe en buvant du Chianti Ruffino et en chantant des chants d’étudiants etc. Ils nous avaient invités à coucher là-haut, mais moi je n’ai pas voulu. Cela aurait été très primitif et j’avais peur d’attraper des rhumatismes. Alors à 1 heures du matin nous sommes rentrés en taxi. Ces amis demeurent à Buitenzorg, il est aussi avocat au Secrétariat du Gouverneur Général. Ils nous ont chaudement invités quand nous serons une fois à Batavia. Ce qu’on fait de connaissances ici, c’est fou !
Le lundi de Pâques nous avons fait les paresseux, Buby a réparé la Puce avec ce monteur, le soir nous avons été au cinéma voir K. Hepburn dans Break of Hearts. Oh ! j’oubliais presque de vous dire que le samedi soir, cet ami, s’appelant Tim est redescendu des montagnes, tout seul pour voir Frans, et ainsi ces deux avec Buby sont sortis faire la noce. Ils nous ont demandé d’aller avec, mais nous avons eu le tact de refuser. Ils sont rentrés vers 5 heures du matin. Anne était furieuse. Moi en me réveillant je vois un Buby qui m’assurait tous les grands dieux qu’il n’était pas rond, avec cela il m’a raconté au moins 50 fois la même histoire, et une fois au lit, il s’écrie : Nelly, qu’est-ce qu’il y a, mon lit tourne ! Il a dû aller vomir 5-6 fois, à mon grand plaisir !

Le mardi nous sommes repartis pour Keboemen où nous sommes arrivés à une heure, sans encombres. A 5 heures Mme Peddemors  (épouse du nouveau médecin) est venue voir si j’étais bien rentrée. Elle doit se trouver très isolée ici, elle vient aussi souvent qu’elle peut. Hier soir nous avons été chez eux et avons passé une très gentille soirée. Nous jouons au tennis quand nous pouvons. Notre départ est remis vers fin mai maintenant. Il te faut donc continuer d’envoyer tes lettres ici à Keboemen jusqu’à ce que je te le dise. Maintenant que c’est connu que nous partons, il y a beaucoup de Javanais aussi bien au bureau qu’à la fabrique qui viennent demander à Oscar de les prendre avec, s’il n’y avait pas moyen de travailler pour lui à Batavia, parce qu’ils n’aimeraient plus le quitter ! C’est pourtant gentil et bon signe aussi !

Oh ! mes chers, ce que mes deux robes sont jolies, j’en suis folle de joie. La rose surtout est un rêve, et cette couleur qui vraiment tire dans le cyclamen, comme tu l’as dit Tatali, me va d’une façon exquise. Elle est arrivée juste avant que je parte et je vais la faire cette semaine. Vous en aurez des photos, mais patience encore un peu svp.
Mes bien chers tous, toujours mes meilleures pensées


Semarang 2013


Semarang Dutch old town



samedi 25 juin 2016





Keboemen

3 avril 1936

Mes bien chers,
C’est demain le grand jour chez vous. Comme je serai avec vous en pensées ! Encore une fois tous nos meilleurs vœux pour vous tous pour cet événement.
Je ne vais pas vous en écrire long cette fois, car il est déjà vendredi matin et à 9 heures ma lettre doit partir. Je ferai donc ce que je peux, il est 6 heures maintenant. C’est  surtout pour vous souhaiter de bonnes et joyeuses Pâques, que vous ayez le beau temps et que vous puissiez en profiter.
Merci pour ta bonne lettre 130 et la photo que je regarde constamment. Bien que pas trop bien réussie, elle me fait grand plaisir tout de même. Je suis contente d’une fois faire la connaissance de Muriel de qui j’entends si souvent parler.
Qu’est-ce que tu as aux poignets ? Est-ce que les manches de ta robe sont trop courtes, est-ce que tu as les poignets bandés ou sont-ce des revers clairs à la robe ?
Faaather devient encore toujours plus gros. Hé, hé ! mon vieux, il faudrait quand même t’arrêter une fois, quoique j’aime mieux te voir ainsi que maigrissant. C’est Loulou qui m’a le plus surpris sur cette photo. Tu as bien changé mon vieux, tu as bonne façon dans ton habit, anglais sûrement. Je vois que les voyages d’affaires n’ont pas été sans laisser de traces en toi. On peut lire un changement sur ta binette, vieux polisson, et dans toute ton attitude. Tu as mûri, (mais pas comme une poire !) Enfin, passons là-dessus, j’y reviendrai peut être.
Charlot, c’est dommage qu’on ne te voie que le bout du nez !
J’ai reçu ma belle robe blanche. Elle est en effet ravissante et me sera d’un immense service. Max et Tatali, merci encore mille fois. Je me réjouis de recevoir ces fleurs, qui complèteront la toilette. C’est seulement dommage que la Lenderli ne se rappelle plus si bien ma silhouette, elle m’a fait la taille un peu trop haute, et justement c’est le bord de l’étoffe, de sorte que je ne peux pas la rallonger moi-même. Enfin, cela va tout de même très bien, il ne manque que  1 ½ à 2 centimètres et avec une ceinture on n’y voit rien. La longueur est bonne, mais le cape, je le trouve un tout petit peu  trop long. J’aimerais savoir s’il doit être ainsi ou si je peux le raccourcir un peu. Il m’arrive plus bas que le coude et j’aimerais le faire arriver juste au-dessus. Je vais me mettre à la coudre sitôt que nous rentrerons de Tjilatjap. Nous partons demain après-midi et reviendrons mardi matin, car lundi c’est la fête à Does (van Tinteren), et comme il aura 30 ans, nous allons fêter cela. Mardi et mercredi Visser partira en tournée, et jeudi c’est nous qui repartirons pour Semarang chez Frans et Anne pour Pâques. 

Semarang 1936
Nous y resterons jusqu’au mardi après Pâques.  Nous nous réjouissons de passer quelques beaux jours en leur compagnie, ils ont une maison située dans les collines au-dessus de Semarang, dans un beau jardin, ainsi nous allons bien pouvoir nous reposer. J’en suis surtout contente pour Buby qui a vraiment eu un temps dur ce dernier mois, pendant que Visser, étant loin, en a profité pour ne pas s’occuper du tout du bureau.
Ils sont rentrés et j’ai vite été leur dire bonjour, ils ont été polis mais rien de plus. Ainsi je suis dispensée d’y remettre les pieds avant notre départ, ce qui me plaît fort.
Depuis quelque temps madame Perddemors vient jouer au tennis avec moi. Je m’entends très bien avec elle et elle encore mieux avec moi. Hier soir, comme Buby était au bureau, j’ai été chez eux et j’ai passé une bonne soirée.
L’autre jour le premier avril, le monde High life de Keboemen a organisé un bazar de charité en faveur de la Croix rouge. Cela avait lieu dans le jardin de l’immense maison du A.R. On m’a aussi demandé un lot, et comme mad. Perddemors y allait avec son fils, il a 3 ans, j’ai demandé à aller avec. Nous avons été ensemble avec mad. Vonk et leurs gosses, et je me suis vraiment bien amusée.  C’était comme à Bienne, il y avait la pêche, et des tentes où l’on pouvait boire du thé manger des « yscream », boire de la bowle au champagne. Le Regent (autorité javanaise) y était aussi avec sa Raden Ajoe (son épouse officielle). J’avais mis la robe jaune de Leni, qui a toujours un immense succès. Je portais aussi un médaillon ancien, javanais, et cette raden ajoe m’a presque mangée des yeux. En me saluant elle me tenait la main qu’elle ne lâchait plus. Un peu plus tard, comme nous passions devant la tente à thé, elle y était avec le Regent, alors ils nous ont fait signe qu’il y avait encore de la place et mad. Perddemors et moi avons pris le thé avec eux. On a bu de la bowle et vraiment on était une compagnie assez gaie, à dire des bêtises.

A la soirée d’adieu pour les Engelhart aussi, je m’étais bien amusée et Buby aussi. Voilà justement 15 jours qu’ils sont partis de Keboemen. Ils doivent être au Japon maintenant, mais naturellement nous n’avons pas de nouvelles.
Cette semaine j’ai travaillé à ma robe de crêpe marine et au petit manteau dont j’ai envoyé l’échantillon à Tatali. J’étais en train de surfiler les coutures, et pour cela il fallait les couper, les régulariser, alors par mégarde j’ai coupé dans ma robe juste devant sur le cœur !!! Il faut que j’y mette un pletz, car je n’ai plus d’étoffe pour refaire à neuf cette partie de la robe.
Merci de m’envoyer des souliers, mynes Mamms chérie, je me réjouis de les recevoir.
Aujourd’hui j’ai une femme qui vient faire mes matelas à neuf. Je tiens à ce que tout soit laissé en bon ordre quand je partirai. Nous ne savons toujours pas la date exacte de notre départ, mais je vais me tenir prête à toute éventualité. Zut, voilà mes gens pour les matelas il faut vite que j’aille voir et les mettre en train.
Encore une fois je vous répète, ne vous en faites pas si vous ne recevez plus de nouvelles pour quelques temps. Nous nous portons bien, tout va bien, mais nous entrons dans un gstürm (stress). Nous avons eu très chaud ces derniers temps et je m’en suis ressentie, aussi parce que j’allais faire mes promenades le matin et du tennis dans la soirée. C’était trop et maintenant j’ai lâché mes promenades pour quelques temps, et je prends chaque matin un œuf dans du vin rouge. C’est aussi le printemps que j’ai ressenti un peu, mais toutefois pas autant que l’année passée à cette date. Maintenant, que j’étais avertie, j’y ai porté remède tout de suite, et cela va mieux. Tout le monde surtout les femmes, ont un peu à combattre l’anémie ici, mais ce n’est pas grave.
Mamali, si jamais tu as l’occasion, demande à Hedy si elle a peut être encore des restes de cette robe jaune de Leni. J’aimerais tant la faire plus longue parce que la Lenderli me l’avait décidément coupée trop courte Je peux la faire plus longue par la taille environ 10 cm. Si j’avais un bout d’étoffe, ou plusieurs pletz. Il ne faut pas que cela te cause des désagréments, demande seulement si tu en as une bonne occasion.
Est-ce que je vous ai raconté dans ma dernière lettre qu’en passant par Semarang, en revenant de Batavia avec John, j’ai fait la connaissance d’une Polonaise ayant été élevée à Zurich. Elle a un petit garçon qui ne parle que le Zuritütsch. Eh bien, quand j’ai voulu parler je n‘ai plus su, c’est à dire cela sortait toujours en hollandais !
Voilà, votre Ge…


jeudi 23 juin 2016

Avec mes excuses, cette lettre a filé entre les gouttes chronologiques.....


Keboemen

9 février 1936

Mes bien chers
Il y a des éternités que je vous ai plus écrit, environ une semaine et demie. J’espère que tu ne te seras pas fait de soucis, Mamali, car si c’était le cas, rassure-toi, tout va très bien Si je n‘ai pas écrit c’est qu’il y avait de nouveau des circonstances qui m’en ont empêchée.
D’ailleurs depuis ta lettre 123 je n’ai plus eu de tes nouvelles. Nous attendons du courrier demain, il a été retardé parce que l’avion a eu une panne de moteur à Jodhpur (Indes britanniques), je crois, ce qui a sensiblement retardé son arrivée ici. Je vous écris déjà ce soir une partie au moins parce qu’on ne sait jamais ce que demain apportera qui pourrait de nouveau m’empêcher de vous écrire.
Lundi passé nous avons été à Poerworedjo voir un variété javanais. C’est M. Engelhart qui avait mis en train la chose et nous étions tout une bande de Keboemen, plus Premboen, plus Poerworedjo. Le spectacle  se donnait dans la salle de cinéma de Poerworedjo. C’était tordant. Des artistes javanais, indo et autres mélanges donnaient un programme de variété selon les spectacles européens. Des girls demi nues, attifées tant bien que mal, des boys, des danseurs acrobatiques, imitant Maurice Chevalier avec un vieux chapeau de paille et un blazer rayé rouge et bleu, une grosse négresse à tempérament qui faisait trembloter son lard en lançant des yeux doux aux messieurs de la salle, tout cela dansait jouait chantait des songs anglais tels que le Ukulele, la Valencia, le Yes, we have no bananas, et tant d’autres succès vieux comme le monde. C’était tordant, et pour des gens qui ne voient souvent rien pendant longtemps, c’était un spectacle réjouissant. Moi, en tous cas, je me suis bien amusée, car c’était la première fois que j’assistais à un Stamboul, comme on appelle ces spectacles. Ils sont bien sur la scène, les javanais, vous savez leur corps, malgré qu’ils soient bronzés, sont beaux, bien proportionnés et élégants, leurs cheveux de jais, leurs dents magnifiques et leurs grands yeux brillants sont toujours attirants. L’orchestre aussi aurait sûrement beaucoup de succès au Fantasio (dancing de Bienne), tous ces types exotiques feraient tourner la tête à bien des pimbêches. Moi je me suis bien amusée, malgré que j’étais assise à côté de ma chère et tendre, la Rick, qui elle, ne comprenait rien à mon plaisir, et crevait de jalousie parce que la grosse négresse faisait les yeux doux à son vieux. Cela c’était encore le plus tordant ! Tante Engel n’est pas venue avec nous, parce que son Spotty (son chien) était malade et en effet il est mort dans le courant de la soirée. Sa Typie aussi est morte, en l’espace de trois semaines elle a perdu trois chiens auxquels elle tenait beaucoup. Imaginez-vous son chagrin !
Nous sommes rentrés de Poerworedjo à 2 heures du matin, dans l’auto avec les Röhwer. Il avait été décidé que nous partagerions les frais. Alors un matin que la Rickshaw venait me demander un bout de soie à coudre, j’avais justement un chien malade, ce qui m‘excusait de ne pas aller vers elle, je lui demande combien je lui dois pour cette sortie. Alors elle me dit qu’elle n’en savait rien et qu’il fallait laisser les hommes liquider cette affaire, que mon mari pouvait une fois donner un bon de benzine au sien. Je lui ai dit : combien de litres, car ayant le livret de bons ici, je peux tout de suite l’écrire et ainsi l’affaire est liquidée.  – Ach non, laisse donc les hommes faire cela ! Je n’ai pas insisté, mais quand j’ai raconté la chose à Buby il en a été bien fâché, car le trajet de Keboemen à Poerworedjo, retour, demande 6 litres de benzine. Il nous faut donc payer la moitié, soit trois litres, et l’on ne peut pas faire un bon de benzine de moins de 5 litres ! Je vous dis, elle peut être pire que la Rackere. Oscar ne veut pas que je lui donne un bon, mais que je paye mon dû, toutefois je vais lui donner un bon, car il vaut mieux donner un os à un mauvais chien et je ne serai pas ruinée pour ces deux litres de benzine, mais avouez qu’elle a du toupet, cette vache ! Aussi, nous n’allons plus renouveler l’expérience.
Mardi c’était l’anniversaire de M. Engelhart et je l’ai oublié. Mercredi matin, je reçois un billet de tante Engel, me demandant de venir passer la journée avec elle. J’ai reçu le billet à 7 heures et à 8 heures j’allais à Premboen. Tante Engel était encore toute triste pour son Spotty, mais elle voulait tout de même faire une petite fête pour M. E. Elle a donc été inviter les Hartong et les Wilson, les employés de Premboen, et à 5 heures Buby est venu avec l‘auto de la fabrique que Visser lui avait offerte. Nous avons passé une soirée agréable avec un tas de bonnes choses à manger, et de la bowle que nous avions faite le matin tante Engel et moi. On a bien ri, car on essayait toujours si elle avait bon goût ! Nous avons aussi fait des petits fours qui n’ont pas réussi. Dans le courant de la soirée nous recevons un téléphone de Visser annonçant à Buby que c’est lui qui devait faire la tournée d’huile le lendemain matin, vu que Niecke (fille de Visser) était malade et que lui, Visser ne voulait pas quitter la maison. J’ai immédiatement décidé de partir avec Buby, à minuit, en revenant de Premboen, j’ai encore vite fait ma valise et le lendemain, donc jeudi matin, à 7 heures, nous quittions la maison. Nous avons été à Semarang d’abord où j’ai tout de suite été. Vous auriez dû voir sa surprise ! Oscar a d’abord été à ses affaires, puis il nous a rejoints, un peu après que Frans soit rentré. Nous avons tous été luncher à l’hôtel Bellevue où ils sont en pension. Justement le soir avant, les Gerbens avaient reçu la nouvelle que Frans avait eu sa requête accordée. Il est donc libéré de faire ses trois semaines au clou, et ne doit payer aucune amende non plus. Leur joie était très grande et il fallait la fêter. A midi nous avons trinqué avec du Rheinwein, puis les hommes ont été au jardin, causer, et Anne et moi avons été dormir. Vers le soir, après avoir pris notre thé, baigné, nous avons commandé Joesoef (Jousouf, chauffeur) et sommes allés faire un tour par la ville par un clair de lune fantastique. A 8 heures nous allions souper au « Chien qui fume », un petit restaurant français tenu par un ancien garçon de Paris. J’ai naturellement parlé français avec lui, et toute de suite il m’a fait le compliment que je parlais bien le français pour une Hollandaise !!! on a bien ri, et bien bu. Le manger était bon aussi. Un petit bouillon froid, du kakap (poisson d’ici) au vin blanc à la française, et un morceau de tourte comme dessert, le tout pour 90 cents, par personne. A 10 heures nous avons été au cinéma, voir Broadway Melody, 1935, avec Eleanor Powell, qui est fantastique comme tapdancer. A minuit nous sommes rentrés. Nous logions dans une petite pension tout près de celle des Gerbens qui était pleine.
Le vendredi matin à 7 heures nous étions de nouveau en route pour Solo et Djocja. Nous n’avons passé qu’une heure chez John et Jans qui a eu beaucoup de plaisir à nous voir. Ils viennent le 23 de ce mois  nous amener notre Puce.
Tante Engel est tellement impatience que j’aie ma Puce, parce qu’alors j’irai encore plus souvent à Premboen, surtout le soir avec Buby.
Peut être qu’ils partent en Europe déjà au mois d’avril, et pendant leur séjour en Europe, il passeront aussi une fois par la Suisse pour vous dire bonjour. Ils vont soit par l’Amérique, soit par le Cap de Bonne Espérance, car ils veulent faire le tour du monde.
Ce soir dimanche, ce matin plutôt, nous avons eu la visite volante de van Tinteren qui s’en allait à Djocja avec un ami, dans sa belle voiture. Wies n’était pas avec, ayant une invitation à Tjilatjap.
Lundi 10 février 1936
J’ai attendu une lettre avion ce matin, mais il n’est rien arrivé de sorte que cette lettre-ci partira ainsi, sans que je puisse répondre à cette 124 comme je l’espérais.
Il fait très chaud aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire quoi que ce soit, et pourtant j’ai tellement à faire. J’ai été faire une longue promenade ce matin, il a fait beau, mais je crois que je me suis fatiguée un peu.
Buby a reçu ton beau porte-monnaie, il en a eu grand plaisir et l’a inauguré pour aller à Semarang. Il est très joli, ce porte-monnaie et pratique aussi. Il me semble qu’ils deviennent toujours plus beaux et plus perfectionnés. Et le Einerli (1 centime rouge), j’espère bien qu’il nous portera bonheur ! Oui, oui, vous le gâtez, Buby !
Pendant que j’y pense, Tatali, j’ai lavé la belle cravate que tu lui as envoyée. Tu m’avais pourtant écrit qu’on pouvait la laver, et d’ailleurs cela pouvait se deviner d’après la confection de la cravate, qu’elle était lavable. Eh bien, comme Buby ne porte que celle-là depuis qu’il l’a reçue, elle était sale, et j’ai fait une petite eau de savon, avec du Lux et de l’eau froide. J’y ai trempé la cravate et immédiatement l’eau est devenue rouge, rouge-violet, la couleur des petits pois. Moi, je ne savais pas ce qui m’arrivait, j’ai même eu peur de la remettre dans l’eau de savon, je l’ai immédiatement sortie et rincée dans le grand évier. Grâce à cette précaution la cravate est restée sans taches, seulement une teinte rosée sur le gris, de sorte que Buby peut encore très bien la porter, il y tient tant. Je t’écris cela Tatali, parce qu’il ne me semble pas juste qu’on te vende des cravates lavables quand elles ne le sont pas et l’acheteur ne peut pas se rendre compte dans le magasin si on l’attrape ou pas.
Hurra ! je viens d’apprendre par une carte d’Ir, que Kitty a un fils, né le 7 février. Elle désirait tant un fils. Tout est bien allé, je suis si contente pour elle. Je vais encore vite lui écrire.
Voilà mes chers, je crois que j’arrive au bas de ma lettre pour cette semaine…


dimanche 19 juin 2016




Keboemen


19 mars 1936

A sa maman
Merci pour tes deux lettres 128 et 129. Je ne suis pas arrivée à répondre à la 128 parce que je suis partie et c’est Buby qui vous a écrit à ma place. L’histoire de mon voyage je l’ai écrite à Tata qui t’enverra sûrement la lettre. Je ne vais donc pas répéter mon itinéraire et la description de toutes les beautés que j’ai vues. Une fois de plus j’ai été surprise et ravie de la beauté du pays et mon désir devient toujours plus fort que toi aussi tu puisses un jour jouir de tout cela.
Je viens de recevoir un petit mot des van Tinteren, qui allaient chercher leurs parents au bateau, ont profité de faire un petit tour par Bandoeng aussi pour leur faire voir un peu du pays. Wies m’écrit que ses parents ne peuvent pas en croire leurs yeux de tout le beau qu’ils voient. Je me réjouis de faire leur connaissance. A Batavia j’ai dîné chez les Elout. Ils ont été très gentils pour moi, m’ont aidé à chercher les flats etc. Mais… mais… ! Merci de tous les conseils que tu me donne à ce sujet, Mamali. Tu es très sage et je serai bien contente de suivre la ligne de conduite que tu m’as tracée, et dis-moi encore tout ce que tu peux, car j’en aurai besoin. Tu sais, Anne est bien gentille, mais depuis cet accident qu’elle a eu, c’est une femme sans équilibre. Pendant que j’étais là, à table, elle était fâchée parce que la viande n’était pas bien cuite, c’était vexant justement quand elle avait des visites, je le comprends, mais comme il fallait que sa colère sorte, je pense, elle a attaqué Elout, lui a lancé des fions et l’a abaissé, d’une façon que j’ai trouvée affreuse. Je me gênais pour elle, et pour lui j’avais de la pitié parce que cela se passait devant moi, la femme de son collègue. Oh, il m’en faudra de la diplomatie ! Leur maison est jolie, de jolis meubles de style, du vieux. Cela leur fait un intérieur avec beaucoup de cachet, mais alors le reste ! Nous avons dîné à une table mise sans soin, sur une nappe sale et surtout une nappe chiffonnée comme un vieux mouchoir, c’est surtout cela qui m’a choquée. Qu’une nappe soit sale, passe encore, ils ont un enfant et il faut économiser, mais qu’elle soit chiffonnée, non, cela n’est pas d’une bonne femme d’intérieur. Le dîner était affreux, des haricots, des pommes de terre à l’eau et du foie mal cuit, le tout foutu sur la table et c’est tout. Nous aussi on mange ainsi, simplement, mais je ne sais pas, cela présente plus chez moi. C’est pas pour me vanter que je dis cela, tu sais ! Je comprends maintenant pourquoi elle n’arrive pas avec son salaire, elle croit que c’est seulement avec de l’argent qu’on peut rendre son home joli. Evidemment, avec de l’argent on peut beaucoup, presque tout, et tout de même il y a de petites choses pour rendre la vie agréable, qui ne peuvent pas se payer avec de l’argent, qui ne peuvent pas s’acheter.
Chez John et Jans j’ai assisté à une terrible querelle entre les deux. John a découvert que Jans a fait des dettes. La pauvre, c’est sûr qu’elle n’arrive pas avec son grand ménage et toujours des visites, et peu à peu elle est tombée dans les dettes. Elle n’osait pas l’avouer à John et voulait tâcher de s’en sortir elle-même  mais elle n’y arrivait pas et elle s’est laissée aller à emprunter à droite et à gauche. John était furieux et terrible. Il avait absolument perdu la maîtrise de lui-même, il st sans pardon pour Jans. Je te dis il était comme un taureau furieux et je ne voudrais pas te répéter toutes les vilaines choses qu’il a dites à Jans, telles qu’à un moment je lui ai dit que je tenais à avoir pour ami un homme et pas un animal. J’ai pris mon chapeau et j’ai fait semblant de partir. Alors cela l’a calmé un peu, mais j’en ai été dégoûtée. Si je suis restée, ce n’était que pour cette pauvre Jans qui doit en voir du pays. Tu sais John est un enfant de deux races, lui en a hérité les défauts plus que les qualités. Enfin je te dis, j’en ai fait une expérience, alors vendredi matin, sitôt que je pouvais, je suis partie dans la Fiat avec un vieux mécanicien que John m’avait recommandé, et nous sommes arrivés sains et sauf à Keboemen, où j’ai été plus que heureuse de me réfugier dans les bras de mon Buby et de regarder dans ses bons yeux doux, après avoir vu de si vilaines expressions dans ceux de John. Je ne le dis qu’à toi, mais j’ai été témoin d’une des plus vilaines scènes qui puisse exister dans la vie, je ne peux de toute façon pas supporter qu’on se chicane. Tu peux bien t’imaginer comme je jouis d’être dans mon home de nouveau, avec mon Buby. Je suis si riche sous ce rapport, et grâce à toi, je l’ai toujours été dans ma jeunesse aussi.
Les Engelhart partent demain, j’ai encore été leur aider jusqu’au dernier jour. J’ai un peu pleuré quand je lui ai dit adieu, elle aussi mais on s’aimait beaucoup et j’en ai passé des beaux moments, là à Premboen.
Merci pour le petit corset en tricot. Je viens de le laver et vais l’essayer ce soir. Merci aussi pour le deuxième envoi de bougies. C’est un paquet qui est arrivé sans timbres !!!
Je t’ai envoyé cette semaine, plutôt, c’est Buby qui l’a envoyé, une boîte de kroepoek que j’ai acheté à Bandoeng. Ce n’est pas le même que celui de Soerabaya, mais il est bon aussi, seulement un peu autrement. Peut être que tu ne remarqueras même pas la différence. Je voulais que ce soit une surprise pour toi, mais j’ai peur que tu doives de nouveau payer beaucoup de douane, c’est pourquoi je t’avertis. Le paquet contient environ pour Frs.s. 1.60 de kroepoek, alors il ne faut pas payer trop de douane, refuse le paquet simplement.
Je me réjouis tellement pour mes robes. Merci de tout cœur, et aussi pour m’avoir acheté ces bouquets de fleurs. Justement je venais d’écrire à Tata que tu ferais bien de me l’envoyer parce qu’ici on n’a pas tant de choix. J’ai eu un plaisir fou à ta lettre. Non, non cela ne fait rien du tout que tu m’écrives seulement tous les 15 jour Vois-tu maintenant la vie est autrement pour moi. Premièrement j’ai énormément à faire, à tout mettre en ordre, à raccommoder, à coudre, puis à emballer, ensuite Wies viendra et j’ai encore toujours mes leçons avec les sœurs. J’ai une vie très mouvementée maintenant de sorte que je ne suis plus obligée de compter sur tes lettres comme ma principale distraction de la semaine. Tu comprends, tes lettres me restent toujours la plus chère distraction.
A toi non plus je ne vais plus écrire toutes les semaines ces prochains temps, mais je répondrai toujours par prochain courrier à tes lettres, tous les 15 jours. J’ai tant à coudre et à faire maintenant.
C’est dommage que les Moser partent du Chalet (locataires temporaires), mais je crois que vous l’aurez vite reloué, seulement faites un peu attention qui vous prenez. Que cette première expérience qui a été bonne ne fasse pas se relâcher votre prudence dans le choix de nouveaux locataires. Fais attention de ne pas recevoir du Saupack (mauvaises gens) et que papa ne se laisse pas éblouir par des dehors brillants. Je crois aussi d’ailleurs que les demandes de locations ne manqueront pas. Surtout n’abaissez pas votre prix, au contraire.
Je relis encore tes conseils quant à Anne Elout, c’est sûr, il me faudra cacher tout ce que je pourrai sans en avoir l’air pourtant, ce sera excessivement difficile je ne me fais pas d’illusions là-dessus. Heureusement que nous habiterons si loin l’une de l’autre, j’en suis plus que contente. Mais elle a un enfant ravissant, beau et intelligent, c’est surprenant.
Quant à Tata, c’est pourtant triste. Je crois bien qu’elle est plus malade qu’on ne le pense. Je reçois toujours ses journaux, mais depuis Noël je n’ai plus eu de lettre ou quoi que ce soit.
Est-ce que tu te fais donner encore une troisième robe ? Vraiment tu me gâtes trop, ce n’est pas permis. Tu m’as déjà donné cette belle robe beige dont je vais faire une photo un de ces jours, alors il ne faut pas de nouveau dépenser tant d’argent pour moi. L’idée de Hedy est excellente  avec cette jupe longue et une courte, mais laisse moi payer cette robe-là. Dis-moi ce qu’elle coûte, car je vais te dire, il y a déjà longtemps que j’avais une combine pareille dans l’idée. Je voulais me faire un tailleur de minuit et voulais demander à Hedy de me le couper, parce que je n’arrive pas encore à couper avec tant de chic. Je crois qu’un de ces tailleurs du soir me rendrait grand service. Enfin, l’idée de Hedy est bonne et je crois qu’il faut la laisser faire, mais à condition que ce soit moi qui paie cela. A Batavia il y a un immense hôtel, first class, quelque chose comme le Savoy à Londres ou le Ritz à Paris, et une fois par semaine il donne un souper dansant auquel les hommes doivent paraître en smoking, et de mettre le smoking ici aux Indes, cela veut dire quelque chose, vu que les habits de laine sont tellement chauds pour ces pauvres hommes. Enfin les occasions de sortir ne nous manquerons pas.
Si ces bigoudis de Muriel ne sont pas trop chers, j’aimerais bien en avoir quelques uns pour aussi faire des boucles. Je sais bien que c’est la mode et cette coiffure m’irait bien aussi, mais je n’ai pas les moyens maintenant de me faire faire des permanentes, alors si je peux y arriver avec des bigoudis, j’en serais très contente. A Batavia j’ai profité d’aller me faire couper les cheveux chez mon coiffeur, tu sais le Tschingg (Italien) de Semarang. Lui et sa femme m’ont tout de suite reconnue. J’ai encore toujours quelques ondulations dans mes cheveux, alors je lui ai dit que c’était des restes de la permanente qu’il m’avait faite il y a une année. Il m’a répondu, non madame, ce n’est plus la permanente, c’est naturel, vous avez des cheveux très souples. J’ai été très contente d’apprendre cela, car cela vient de ce que je brosse mes cheveux chaque matin avec la brosse en fer de Mina et voici encore un petit remède pour avoir de beaux cheveux souples. Quand tu les laves, il faut bien les rincer, alors dans la deuxième eau tu presses le jus d’un demi citron et tu rinces les cheveux dedans, puis tu changes encore une fois l’eau, car il faut que pour la dernière rincée, l’eau soit pure. Cela donne un magnifique brillant aux cheveux.
Tante Engel part par le même train que cette lettre, je n’aurai plus le temps de remplir la page.
Nous avons pris leur chauffeur, je ne sais pas si je l’ai déjà écrit. Monsieur E. continue à le payer en partie et nous lui payerons le reste. Ainsi nous aurons un chauffeur tout ce qu’il y a de consciencieux pour 6 mois au moins. Comme il n’aurait pas assez à faire à notre Puce, je vais lui apprendre à être djongos en même temps. Ce sera bien un peu une dépense, mais cela nous épargnera de mener la voiture dans un garage chaque fois qu’il lui manquera quelque chose, car Soer (le chauffeur) répare tout tout seul. Il est chez les E depuis des années et il est très fidèle. Ainsi j’aurai toujours quelqu’un quand j’irai en voiture sans Oscar, et quoi qu’il arrive je ne serai jamais sans aide. C’est aussi lui qui pourra conduire Buby au travail et aller le chercher, de cette manière Buby pourra venir dîner à la maison. Autrement s’il devait prendre le tram, il n’aurait pas le temps et devrait luncher au bureau. Nous devons payer notre flat meublé Fl. 80.- par mois. Je trouve que c’est énorme, mais nous allons essayer pour les premiers mois du moins, ensuite on verra. Je pourrai toujours prendre une maison. Le manger que nous recevrons de l’hôtel va nous coûter Fl. 50.- par mois, mais je n’ai pas envie de le prendre au complet, car c’est beaucoup trop et comme j’aurai une toute petite cuisine environ de la grandeur de l’antichambre du Schyssy (toilettes) à Sutz, je me propose de cuisiner un peu moi-même aussi.
Il y aura tant de bons légumes et de salades au marché à Batavia, on va s’en payer. Nous aurons donc le flat au premier étage, et sous nous viendra demeurer un collègue de Buby. Et comme ces flats appartiennent à la Banque, nous aurons bien des petits avantages. Ces flats sont dans un complexe de 8 maisons, tu peux te penser comme nous serons dans les gens. Je m’en réjouis car nous avons eu assez de solitude pendant longtemps.
En revenant de Batavia, j’ai vite été vers la Ric pour je ne sais plus quoi, alors la première chose qu’elle m’a demandée, c’est : tu as naturellement été chez les Elout ? cela la pique que nous soyons bien avec les Elout. Et elle s’imagine je ne sais quoi !!!
A propos, quand nous allions ensemble à la Banque, Elout et moi, nous parlions de nos salaires etc, et Elout me dit : Enfin si tu ne peux pas arriver avec ton salaire, tu n’auras qu’à le dire, car je crois que vous pouvez demander beaucoup à Amsterdam, ils sont disposés à faire beaucoup pour vous ! Il m’a dit cela sans méchanceté, mais je n’en ai pas moins pensé. C’est naturellement Mr. Dunlop qui est bien disposé envers nous.
Je dois te quitter….ta Ge….





Keboemen

3 mars 1936

Ma bien chère
Ce ne sera qu’une courte lettre cette fois-ci, car c’est déjà mardi matin et dans deux heures cette lettre doit partir.
J’ai été empêchée de vous écrire cette semaine, pourquoi je ne sais pas au juste. Je me suis fait une robe et j’ai tenu à la finir complètement sans quoi elle restait de nouveau trainer des semaines et des semaines avant que j’aie envie de m’y remettre. Puis tante Engel est venue souvent cette semaine pour essayer toutes les robes qu’elle se faire faire ici par une petite couturière chinoise. Ils partent le 20 courant. Maintenant que je suis sur le point de partir aussi, je peux bien m’exercer à tous ces préparatifs, tels que l’emballage, la conservation du linge, des livres et de bien d’autres choses.
Et voici la grande nouvelle !!! Il y a quelques jours Buby reçoit un téléphone d’Elout, l’informant que nous étions attendus à Batavia pour le commencement de mai. Il nous faut donc compter devoir partir d’ici vers la fin avril. Moi aussi bien que Buby jubilons, car il n’y a plus rien qui nous retienne ici, maintenant que les E. sont loin. Nous l’avons encore pensé hier soir, car nous avons été au Stamboul de Miss Riboet qui donnait quelques représentations ici à Keboemen. Nous étions aussi avec les Röhwer, les Koesnoen et encore d’autres gens. Une fois de plus j’ai senti l’impossibilité d’avoir du contact avec ces gens, même avec Koesnoen cela ne « clique » pas en dehors des leçons. East is East and West is West. Nous l’avons tellement ressenti hier soir.
Les Visser sont partis samedi passé pour Kopeng où ils resteront un mois. Ils sont partis sans adieu, excepté Visser qui a dit au revoir d’une façon aussi brève que possible à Buby au bureau, après quoi nous ne nous sommes pas dérangés pour aller leur souhaiter bon voyage.  Les Visser ont bien été dire au revoir aux Röhwer de sorte qu’ils auraient aussi pu venir chez nous s’ils voulaient être corrects. Nous avons le téléphone ici dans la maison pour ce mois. C’est dommage que je ne puisse pas vite demander le 4629 ou le 4601 !!! notre no. ici est le 17.
Maintenant ta lettre 127. Merci beaucoup. Je suis contente de savoir que tout va passablement bien à la maison. Ce qui m’a touché, c’est ce que tu écris de Tata. Je comprends que tu ais la frousse, et selon moi c’est assez sérieux. Je ne puis m’empêcher de penser à Tata qui a tant pleuré à ma noce et à mon départ. J’en avais été assez surprise et je m’en étais demandé la cause. Au fond je la plains, car elle doit se sentir plus malheureuse que nous le pensons, dans sa solitude. Enfin tu me donneras toujours de ses nouvelles, hein ? Une de mes prochaines lettres sera pour elle,  puisque c’est bientôt sa fête. Je vais lui écrire un peu plus souvent, elle me fait pitié. Et cela tu le comprends bien, mynes Mamms ?
Je me réjouis de recevoir les deux robes de l’étoffe de Tata, est-ce que le blanc ne vous plaît pas ? Vous n’en parlez pas.
Carnaval a-t-il bien passé ?
Tu me demandes pourquoi nous laissons nos meubles ici quand probablement nous ne retournerons plus à Keboemen. C’est parce qu’ici je ne paye rien pour les laisser dans la maison. Si je les remisais à quelque part à Batavia, il faudrait payer beaucoup de location, et pourquoi les transporter à Batavia si peut être nous allons à Kediri qui est du côté de Soerabaya ? C’est comme si toi, pour aller à Sutz, tu déménageais les choses via Paris.
A la fin de la semaine j’attends John et Jans, et peut être que j’irai aussi vite avec eux à Batavia. Enfin, je t’ai déjà dit tu peux penser à moi d’une façon agréable, car je n’aurai pas de quoi m’ennuyer ces prochaines semaines.
Buby vient d’aller au bureau pour un téléphone de Batavia. Je me demande ce qu’on va lui dire de nouveau. En tout cas je dois vite finir la lettre à son père, …..
A chacun de vous, toujours votre Ge….



jeudi 16 juin 2016




Keboemen

23 février 1936

Mes bien chers
Nous voilà de nouveau une semaine de plus, le temps file comme le diable. J’ai reçu hier ta lettre 126, et t’en remercie beaucoup. La lettre des Charlous aussi m’a fait grand plaisir. J’ai honte de ne pas encore vous avoir répondu aux précédentes, mais Charlot, laisse moi vite te dire ici que tu es le plus parfait piniouf (idiot) du monde si tu crois que mon silence provient de ce que tu as pu m’écrire dans ta dernière lettre, une lettre qui m’a fait si plaisir, justement parce que mon frère y remettait un peu sa sœur. Allons donc, vieux, on se comprend encore pourtant ! Si je ne vous écris pas souvent c’est que je ne veux pas vous écrire des lettres qui répètent tout ce que je vous dis déjà dans celles de la maison. Enfin, il viendra bientôt une épître, aussi pour Nöggi naturellement. 
Dans ma dernière, je vous promettais de vous décrire la réception du régent de Keboemen. Eh bien, la voici : nous avons reçu des cartes d’invitation imprimées, une pour assister à la cérémonie et une pour assister au lunch qui serait servi après. Avant il faut vous dire que le gouvernement hollandais est représenté ici aux Indes par le Gouverneur Général qui a les fonctions de vice-roi, sous lui sont placés trois Gouverneurs, chacun pour le rayon de West, Midden et Oost Java. Viennent ensuite les Résidents de cantons, ensuite les Assistant Resident pour les districts. A côté du gouvernement hollandais, subsiste le gouvernement javanais composé du sultan et des princes régents. C’est donc un de ces princes régent qui a été installé ici par le Gouverneur. Nous devions être présents à 9.45 précises. Oscar avait demandé l’auto de la fabrique pour nous y conduire. Oscar était en jaquette avec pantalon rayé comme à la noce (avec la seule différence que le pantalon était trop étroit de 10 cm au moins !) et moi j’avais mis ma robe d’organdi, et le grand chapeau. L’escalier au bas duquel l’auto s’arrêtait était couvert de tapis. Il n’est que de quelques marches généralement. En haut j’ai été reçue par une dame de réception parlant très bien le hollandais qui m’a conduite vers la Raden Ajoe, femme du régent, (femme officielle !)  que j’ai saluée et ensuite j’ai été me joindre aux autres dames qui se trouvaient à sa gauche. La Raden Ajoe était plantée au fond du grand hall, qu’on appelle pendoppo, au milieu des corbeilles de fleurs reçues et à côté du portrait de la reine. Toutes les femmes invitées, Européennes, Chinoises, Javanaises et Japonaises étaient donc groupées là, à sa gauche, tandis que les messieurs étaient groupés à droite. Il y avait plusieurs princes régent, beaucoup de fonctionnaires hollandais en grand uniforme chamarré d’or, comme les diplomates chez nous pour Nouvel-An à Berne. Il y avait un orchestre chinois aussi dans un coin. A 10 heures précises il a entonné le Wilhelmus (hymne national hollandais), aux sons duquel le Gouverneur est arrivé, flanqué du Resident et du Assistent Resident. Je ne me rappelle plus si leurs dames les suivaient ou les précédaient, car c’était assez impressionnant de voir ces beaux uniformes avançant lentement pour venir saluer cérémonieusement la Raden Ajoe. Une fois que le Gouverneur avait pris place, deux dignitaires javanais ont été chercher le Regent pour l’amener au milieu du pendoppo faisant face au Gouverneur. Le Regent avait mis des pantalons de soie cramoisie magnifiquement brodés de fleurs et d’oiseaux par dessus lesquels était drapé un merveilleux sarong. Il avait mis une veste noire brodée de fleurs d’or et portait le kris (couteau javanais) au dos, enfoncé dans la ceinture. Sur la tête une espèce de toque noire aussi brodée de fleurs d’or. Il m’est malheureusement impossible de vous décrire la magnificence des couleurs et des dessins. Ont suivi tous les discours auxquels je n‘ai pas compris grand chose, étant plutôt occupée à regarder, critiquer et rigoler un peu avec tante Engel et toute la clique. Ma robe a été excessivement admirée et pendant une heure au moins la Rickshaw n’a pas quitté sa place derrière mon dos pour m’enfoncer ses quinquets et voir comment étaient faits mes volants. Vers la fin des discours nous avons chacun reçu un verre de champagne pour aller à la queue leu leu, trinquer avec le Regent et sa Raden Ajoe et faire les salutations d’usage, dire un mot ici et un mot là. Une fois que le brouhaha s’est un peu apaisé, la musique a donné un petit signal imposant le silence, au milieu duquel le Gouverneur a pris congé officiellement du Regent et ensuite du fond du pendoppo il s’avançait lentement, flanqué de ses fonctionnaire, jusqu’à l’escalier de sortie, toujours au son du Wilhelmus. Là ils sont restés immobiles pendant que la garde d’honneur présentait les armes. Il est parti en auto et les dames ont suivi. C’était le signe que la cérémonie officielle était terminée, et peu à peu tous les messieurs sont partis, pour changer d’habits. Il y en avait qui transpiraient à faire pitiés dans ces habits noirs. Buby aussi est allé se changer avec Mr. Engelhart et Wilson, chez nous pendant que nous les dames sont restées là, dans une chambre à notre disposition. Plusieurs dames ont été se changer aussi, histoire de montrer leurs toilettes ! Pourtant ce n’est pas tout à fait vrai, car plusieurs d’entre elles avaient mis de vraies robes de cérémonie qu’elles ont été se changer pour des robes plus légères, moins sévères. Nous avons passé le temps à parler de ci de là et quand les messieurs sont revenus nous nous sommes assis par groupes à de petites tables et bientôt on a servi le lunch, sur le pouce, se composant de : consommé aux champignons, rissoles, lontong (entremet javanais) roastbeef garni, tourte royale et café. Le tout arrosé de vin blanc ou rouge, plus les limonades, eaux minérales etc. Le fait de ne pas être assis à table à tout de suite rompu la glace. De sorte qu’on s’est bien amusé. La musique était bonne et on a beaucoup dansé, moi aussi !!! La première danse je l’ai faite avec Mr. Engelhart tandis que Oscar a fait la polonaise avec tante Engel, vu que le vieux Röhwer avait invité madame Visser. Ah, ces Visser ! Ils sont arrivés pour le lunch seulement. Nous étions là tout un groupe mais ils ne se sont présentés à personne. Buby et moi nous nous sommes levés et les avons salué, comme on salue ses patrons, puis  j’ai repris ma place au milieu de tout le groupe où j’étais assise et ne me suis plus occupée de madame Visser, laissant ce soin à la Rickshaw qui a pu aller s’asseoir à part avec la Visser et qui, par conséquent ne s’est pas amusée du tout. Personne ne leur parlait.  Visser s’est assis à côté de Buby, le seul avec qui il s’est entretenu. Buby, cela l’embêtait plutôt, mais il a dû faire les frais naturellement. Il a joué le tour au vieux Röhwer en lui disant que c’est lui qui devait le premier demander madame Visser, c’est pourquoi il l’a invité pour la longue polonaise, alors que Buby l’a invitée pour une courte danse après. Vous auriez dû voir la Rickshaw danser avec Oscar, elle avait l’air de tourner le blanc. Je ne me rappelle plus avec qui je dansais à ce moment là, mais je me tordais les côtes et Buby qui m’envoyait de ces yeux !!! derrière ses lunettes sales ! Les Visser ne sont pas restés longtemps et sont repartis comme ils sont venus, ne faisant pas trop bonne figure. Pendant le lunch, par contre, il s’est mis à chanter avec l’orchestre, attirant ainsi toute l’attention sur lui, qui ne voulait se mêler avec personne. Cela a donné une situation équivoque, plus que bête. En rentrant avec les Engelhart nous avons encore été faire des commissions pour tante Engel et là au toko japonais, les hommes ont longtemps parlé avec le Mr. Okayama, vu que M. E. passera aussi par le Japon en revenant d’Amérique. Voilà la journée du mardi.
Il y a naturellement beaucoup de petits détails que je ne peux pas vous décrire, ce serait trop long tels par exemple, la jalousie de la Rickshaw qui, avec son museau jaune, était accoutrée d’une robe de satin marron foncée avec des boutons vert jade. (elle a 26 ans !). Une robe fermée jusqu’au cou, avec un petit col montant, une robe qui aurait été très bien pour toi. Mardi et mercredi j’ai travaillé pour ma leçon de javanais. Et jeudi matin j’ai été à Premboen, aider tante Engel pour son dîner du soir.  Elle donnait ce dîner pour les Hartong qui quittent Premboen. Elle avait invité entre autre Dr. Vonk et sa femme, Koesnoen et sa femme, les Hartong, les Wilson et une Raden Ajoe de Koetoardjo. Une dame de l’âge de tante Engel, 44 ans environ. Son mari était régent, mais maintenant elle est veuve et ne vit que pour ses enfants. C’est une javanaise, mais d’une sorte exceptionnelle. Elle est broad-minded, elle semble comprendre la jeunesse et surtout bien s’entendre avec sa fille qui doit avoir 17 ans. Enfin, nous avons tout de suite sympathisé et une fois que j’irai à Djocja j’irai lui rendre visite. Elle m’a invitée. Nous sommes rentrés en auto avec Dr. Vonk. Il s’est en quelque sorte excusé de ne pas t’avoir vue à Bâle, mais il a dit qu’ils n’avaient pas pu rester en Suisse parce qu’ils seraient morts de froid, là à Andermatt, et à Bâle il avait laissé un message pour toi à l’hôtel, vu qu’il n’avait pas ton adresse. C’est drôle mais les gens commencent vraiment à nous rechercher maintenant, alors qu’on s’en balance puisqu’on est sur le point de partir. C’est toujours ainsi, mais c’est étonnant comme les gens se laissent imposer par le fait que nous sommes les enfants de papa Woldringh. Il y en a qui pensent encore que nous sommes fin riches etc, toujours la vieille histoire, quoi. Heureusement que nous avons fait nos expériences ici à Keboemen, cela facilitera notre commencement à Batavia, quoique je ne me fasse pas d’illusions, nous aurons aussi nos expériences à faire là-bas. Mais chaque chose en son temps après tout.
Comme j’ai écrit à Max, je vais prendre des leçons de japonais avec Koesnoen le mois prochain. Je vous en parlerai plus au long quand cela aura lieu vraiment. Là chez tante Engel, c’est moi qui ai fait la sauce aux câpres pour la langue ! J’ai aussi mis la mayonnaise au point, j’ai arrangé les fruits dans les corbeilles, et décoré la table, ensuite il fallait que j’aille à la cuisine voir si tout était bien. Je devais rire, tante Engel ne faisait plus rien sans moi, sans mon avis du moins. C’était tellement comme à la maison !!! Elle me prend aussi toujours avec chez la couturière et à la fin c’est moi qui décide de la façon de ses robes !!!
Mardi soir, nous irons ici au Stamboul. Dans le temps, Keboemen avait un grand club avec théâtre etc, et salle de société. Maintenant le nouveau régent a tout fait remettre à neuf et de temps en temps il fera venir des sociétés, des troupes d’acteurs. C’est ainsi que mardi soir nous aurons ce variété javanais, la meilleure troupe de l’archipel. Ce sera juste pour fêter ta fête, Max !
J’ai de nouveau une de ces périodes actives où je fais beaucoup de travail. Par exemple vendredi matin vers 10 heures j’ai commencé à couper une petite robe d’après un patron du Jardin des Modes, j’en ai eu jusqu’à midi et j’ai continué à y travailler le soir, ainsi que samedi matin après ma promenade et samedi soir à 9 heures elle était prête. C’est mon dernier record, et pourtant c’est une petite robe à manches ! Naturellement je l’ai inaugurée aujourd’hui. C’est une petite robe rayée bleue et blanc, bon marché mais tout à fait gentille. Cette semaine je commence mon tailleur en lin naturel.
John et Jans que nous attendions, ne sont pas venus, ils viendront le 7 mars, que John a écrit. Il nous faut donc encore patienter pour cette puce, mais d’un côté ce n’est pas s9 grave, car ce mois la aye sera de nouveau très petite, la fabrique ‘a pas moulu, et les impôts sont tellement hauts ici. Pour cette année il me faut payer Fl. 25.- par mois, sur une paye de Fl. 230.- en moyenne, c’est un peu fort.
Alors Bienne va se dégonfler le 4 avril ? (anniversaire des jumeaux). Ce n’est pas par rapport à mes frangins, mais au fameux départ ! Oooo mes petits frères ! un muntschi spécial pour vous,


dimanche 12 juin 2016




Keboemen

16 février 1936

Mynes Mamms
Vite quelques lignes pour répondre en détail à tes deux lettres.
Je ne peux pas te dire combien je suis contente que tu aies Muriel (au pair, pour apprendre le français) pour quelques temps chez toi. C’est bien la meilleure chose que je puisse te souhaiter. Car j’ai souvent pensé que c’était dommage pour tous les samedis après midi que tu devais passer seule sans avoir le plaisir de faire un tour de ville, comme nous aimions le faire. Maintenant il te faut en profiter, surtout si tu oses de nouveau marcher. Je vous souhaite de beaux moments ensemble. Et tu sais, il ne te faudrait pas croire que je pourrais être un peu jalouse si vous aimez beaucoup cette fi-fille.
Chez qui est-ce que Muriel prend des leçons de français, chez la Henrietta ?
Tu remercieras J. Mottet de sa lettre. Ce pauvre, il me semble que je t’entends aller vers lui au  bureau, disant Hé, monsieur Mottet, j’ai encore de la place dans ma lettre pour Nelly, et je n’ai plus le temps de remplir la deuxième feuille, écrivez-vous, voir, quelques mots !
Lundi soir. Je n’ai pas pu finir ma lettre hier soir, dimanche, et me proposais de le faire ce soir, mais je suis si fatiguée que tu ne m’en voudras pas si je n’écris plus grand chose. Toute la journée nous avons été à cette réception. Il fallait rester debout pendant tous les discours, plus que deux heures de temps, nous les femmes, nous n’en pouvions lus. Dans ma prochaine lettre je vous décrirai tout. Maintenant je veux seulement te dire que tout a bien été, Ma robe était très jolie, en somme j’ai eu un grand succès, les femmes m’ont presque bouffée. Nous avons été la plupart du temps avec les Engelhart, mais je me suis amusée un peu avec tout le monde. Il y avait une bonne musique et nous avons dansé pendant le lunch. La cérémonie a été très, très High life, du grand cérémoniel, quoi,  une chose que l’on ne verrait jamais en Suisse.
J’ai reçu hier une longue lettre de Annie Elout, une lettre dans laquelle elle se laisse beaucoup aller, c’est à dire où elle m’écrit par trois fois comme elle se réjouit de me voir à Batavia qu’elle espère que nous serons beaucoup ensemble etc. Elle a son enfant souvent malade, et cela la déprime, j’ai l’impression qu’elle s’accroche déjà à moi. Cela ne me fait rien, je saurai bien m’en tirer, et d’ailleurs c’est un peu ce que je désirais, car ainsi c’est un bon moyen de rester en contact avec Elout. Je crois que j’ai  complètement gagné sa sympathie. Maintenant que Tante Engel sera loin, cela ne me fait absolument rien de quitter Keboemen, je n’ai plus rien qui m’y retienne, sauf mes leçons de javanais auxquelles j’ai vraiment du plaisir. Tante Engel m’a taquinée hier soir, disant qu’elle croyait que j’avais plutôt du plaisir à Koesnoen !!! On a bien rit. Au fonds c’est vrai, j’ai du plaisir, mais pas à Koesnoen, seulement à ce que je peux apprendre de lui. L’intérêt des leçons m’aide à tout surmonter.
Je te quitte pour cette fois.