samedi 30 juillet 2016




Batavia

28 octobre 1936


A sa maman
Si mes lettres te font plaisir, les tiennes m’en font tout autant, si pas plus. Merci de tout cœur pour la 145. J’ai eu plaisir d’apprendre que tu as aussi été voir le film de Chevalier.
Charrette, nous avons toujours le derrière au cinéma ces derniers temps. Cette semaine nous y avons déjà été trois fois et il est bien probable que nous y irons encore deux fois. Avant hier, nous avons vu le Petit Lord Fauntleroy, dont nous lisions le livre quand nous étions gosses.
Je suis si contente que tu peux de nouveau jouir de la forêt, et surtout la forêt de sapins que rien n’égale, pas même la forêt vierge. Cette dernière impressionne par son gigantesque, son mystère sauvage, sa végétation abondante, tandis qu’une forêt de sapins, ces beaux sapins qui montent tout droit vers le ciel et dont les branches forment des voûtes gothiques m’a toujours fait penser à une cathédrale de la nature, remplie de silence, de calme et de paix. J’y ai encore pensé hier soir en voyant un film en couleur des Rocky Mountains, des ruisseaux de montagnes, des lacs de glaciers entourés de sapins sombres et majestueux. C’était beau et cela m‘a reportée en Suisse dans notre cher Jura. Ah oui, elle est belle notre Suisse et je suis contente de penser que je reverrai sa nature un jour, Les belles promenades que nous ferons ! Tu sais, j’aime bien penser à ces choses-là, mais cela ne me donne pas le mal du pays. Non, je m’en étonne même combien  je reste calme et contente en des occasions pareilles. La vie ici m’offre aussi tant de beaux côtés.
C’est drôle, comme nous avons en nous cet immense amour de la forêt, de la nature. C’est moi qui avait encore été faire une dernière promenade avec la grand-mamali. Nous avions pris le funiculaire à Evilard et nous sommes descendues par la forêt, c’était au printemps avant d’aller à Sutz. Elle pensait bien que ce serait sa dernière promenade et je sentais comme elle en prenait congé de sa chère forêt.
Il y a quelques jours, j’ai rêvé d’elle, je ne me rappelle plus du rêve, je sais seulement que j’avais du plaisir à sa présence, elle venait pour m’aider, mais je ne sais plus en quoi.
Oui, tu as aussi eu une douloureuse chez ton Dr. il sait aussi saigner celui-là. Hier nous avons fini chez le dentiste. Nous en avons en tout et pour tout FL. 375.- en payant comptant. Oui, je fais bien attention à ma santé. Je me porte beaucoup mieux, je suis bien ma diète, ne mange pas de choses lourdes ni grasses, beaucoup de fruits et je me porte bien.
A la soirée de Nikkels je n’avais pas mis le beau médaillon en or mais un pendentif en brillants formant une rose au bout d’une tige très fine, et à la ceinture j’avais aussi un clip de brillants (faux) mais qui brillaient quand même très bien et faisaient grand effet. La ceinture était de suède noire sur cette robe bois de rose.
Annie Elout a accouché d’un fils, elle aurait tant voulu une fille ! C’est venu plus vite qu’on ne pensait. Le vendredi j’avais encore acheté un melon que je voulais lui porter le soir, car elle les aime, mais ce soir là Oscar est revenu très tard du dentiste, de sorte que nous avons décidé de remettre la visite au lendemain, mais cette même nuit à minuit Elout l’a conduite à l’hôpital. Il paraît que l’accouchement en lui-même a bien été, l’enfant est venu très vite mais c’est le placenta qui ne voulait pas sortir et ils ont dû avoir un spécialiste. Annie a été un peu endormie pour cela. Maintenant elle va bien il paraît. On craignait encore des complications, mais jusqu’à présent tout a bien été. Je n’ai pas encore été la voir mais nous avons immédiatement fait envoyer des fleurs. Je vais quelques fois chez elle à la maison voir si tout va bien avec Fransje (le petit garçon des Elout) qui est souvent seul, et le soir après l’accouchement nous sommes restés à souper avec Elout. Il était très fatigué, mais il aimait bien avoir un peu de compagnie. Il doit avoir été très bon pour Annie. Il a bien ses défauts, mais il a un cœur d’or aussi il est très bon et dévoué quand il s’y met. Au fond, il s’est conduit comme chaque mari doit le faire quand sa femme passe par un moment pareil, n’est-ce pas ? L’enfant se porte bien aussi.
Merci d’avoir acheté ces petites chemises pour Fransje. Non tu as eu raison d’en acheter que 3 pour commencer. Tu me diras ce que cela coûte.
Le cape, je ne l’ai pas donné à Annie après tout. Elle n’allait plus jouer au golf les derniers temps et ainsi elle n’avait pas directement besoin du cape, donc je l’ai gardé pour moi, il me rendra service aussi, une fois ou l’autre.
Quant à ton expérience avec Charlot, sois tranquille, je ne te trahis pas. Je sais me taire aussi, va. Si Charlot est nerveux, cela vient probablement de sa jeunesse. Ces heurts qu’il y a entre vous quelques fois proviennent du contraste entre les deux générations plutôt qu’entre vous personnellement. Surtout ne te fâche pas et continue d’avoir pleine confiance en tes garçons, même s’ils marient une des trois belles filles que tu crains. Chacun sa vie, Mamali, il faut que la destinée s’accomplisse.
Qu’Irma Hadorn soit devenue vilaine ce n’est pas à s’étonner, on prend toujours l’expression de son intérieur et cela ne doit pas être joli en dedans d’elle !
Quant à son opinion de faire soi-même de belles toilettes, je t’assure qu’elle n’a pas tort. On gâte les maris, je l’ai déjà pensé quelques fois, sans vouloir me plaindre en quoi que ce soit Buby n’a encore jamais trouvé que j’achète trop etc, et chaque fois que je dis que je désire avoir cela et ceci pour une nouvelle robe, il dit toujours : just buy it, dear ! Il me dit toujours d’acheter tout ce que je veux pour moi-même, mais le bon garçon n’a aucune idée de mes tours de force budgétaires pour nouer les deux bouts. C’est vite dit d’acheter, et si je l’écoutais toujours il serait bien étonné d’être sans argent vers le 15 du mois déjà. Cela ne lui est encore jamais arrivé grâce à mon savoir faire. Il m’accorde tout, mais il n’aucune idée ce que cela coûterait si je ne cousais pas moi-même. Heureusement encore que c’est moi qui m’occupe des finances ! La différence entre Irma et moi, c’est qu’ici on s’entend, tandis que là !!!
Hé, je crois bien que tu as du plaisir à ta nouvelle chambre à coucher. J’aime bien m’imaginer ma Rötteli dans un bel entourage. Dis-moi quelle couleur ont les petits bouquets de roses de la tapisserie, car je me promène avec l’idée de te faire des petits tapis pour les tables de nuit. Mais stpl. ne te réjouis pas d’avance, mais dis-moi toujours les couleurs.  Oui, je n’ai pas de peine à croire que votre logement est heimelig. C’est la même chose avec mon flat ici, tout le monde le trouve rudement heimelig et bien, et pourtant c’est tout simple, mais il a du cachet.

J’ai l’impression que j’ai aussi vieilli ces derniers temps, j’ai des pattes d’oie au coin des yeux. C’est le climat. Batavia est tout de même beaucoup plus chaud que Keboemen, hier par exemple nous avions à l’ombre, dans une chambre fraiche 32°C. Ce serait la saison des pluies et la pluie ne peut pas percer. Tout le monde se traîne, jure et soupire mais il n’y a rien à faire, c’est Batavia.
Merci pour les bigoudis, si tu me les envoie. Ils sont très bons, je les emploie de nouveau ces derniers temps et ils me font de belles boucles. Cela change un peu.
La Banque parle d’ériger une nouvelle fabrique à Makassar, sur l’île de Celebes. Si le projet se réalise, il y aura des chances que nous soyons placés là-bas, Buby aimerait bien, et à moi cela ne me ferait rien, autant Makassar que Keboemen, ou un autre trou, quand il faudra quitter Batavia.
Je m’aperçois que je viens de t’écrire deux feuillets. Il ne restera donc plus de papier pour la lettre générale et j’espère qu’ils ne m’en voudront pas. Ce sera pour une autre fois.
Dis à Papa que j’ai été voir où se trouvait ce Louka (fort probablement un client de Milex). C’est comme je pensais, il habite une petite maisonnette à l’apparence assez honnête pour que je puisse y aller si Oscar ne s’y oppose pas. Ce Louka est une sorte de rhabilleur (métier d’horlogerie, réparations), selon l’écriteau qu’il a devant sa porte. Ce n’est pas un Européen, sans quoi j’y aurais déjà été.
Pour le moment j’ai la rage de broder, j’ai pris tous mes Jardins des Modes et je copie les ouvrages là-dedans, il y en a qui sont ravissants. Au fond je dois cela à la madame Bos ci-dessous. Elle vient souvent me rendre visite le matin, car elle ne fout rien de rien, ne touche jamais une aiguille. Moi cela ne me va pas de perdre mon temps à babiller, surtout que ce ne sont jamais des choses bien intéressantes, alors quand elle vient j’ai toujours un ouvrage sous la main. Ainsi en parlant je ne perds pas mon temps. J’ai déjà fait de beaux petits napperons ainsi et je vais continuer. C’est ce qui s’appelle to make the best of a bad situation !
Après demain, samedi, on va chez les Hausermann. C‘est sa fête à elle et elle donne une party. Je me demande comment cela ira, Oscar, cela l’embête jusqu’à 100 et retour de devoir y aller, mais je m’en fous, on ne peut pas toujours se retirer. Elle aura 19 personnes et elle habite une toute petite maison ! Brrrr ! Je t’en dirai des nouvelles dans ma prochaine lettre.
Maintenant…..Toujours de tout cœur……



vendredi 29 juillet 2016




Batavia

9 octobre 1936

Il y a eu hier 3 ans que nous sommes arrivés ici, débarqués à Batavia, deux jeunes plein de courage et d’espoir, mais avec le cœur aux culottes un tout petit peu. Il me semble que ce n’est que hier, le temps a passé tellement vite. Quand je l’ai rappelé à Buby, il a absolument voulu fêter la chose, car enfin on a été heureux jusqu’ici sur la terre javanaise. Nous avons donc été au cinéma voir Maurice Chevalier dans « Beloved Vagabond », ensuite on a été boire une chope au Capitol, ce restaurant avec orchestre qui me rappelle tellement le Seefels. On y mange très bien et pas cher.
Sans cela la vie a passé assez tranquillement depuis ma dernière lettre. Ah, non, par exemple, j’oubliais presque de vous raconter qu’il n’en a fallu que d’un cheveu pour que Buby doive aller à Makassar (sud de l’île Sulawesi/Celebes) pour 3 semaines ou un mois.
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 Pendant leur dernier voyage, Elout avait amorcé un tas d’affaires, achat et vente de copra et il avait posté un homme là pour continuer les transactions. Mais ce dernier s’est laissé surpasser par les importeurs concurrents, surtout les juifs arméniens, qui sont forts comme tout. Comme cet homme ne pouvait agir que sur instructions d’Elout, cela perdait beaucoup de temps de toujours télégraphier et après plusieurs bonnes occasions perdues, et aussi beaucoup d’argent perdu, Elout a proposé que Buby aille là-bas, muni de pleins pouvoirs pour l’achat et la vente et je ne sais pas tout quoi. C’était une grosse responsabilité, et Buby en avait bien un peu la frousse, surtout parce que c’était la première fois qu’il devrait vraiment se lancer dans la mêlée avec sa propre peau, et que les chances de succès n’étaient pas grandes. Quand Elout a fait cette proposition, Bigot était absent, et nous pensions qu’il ne donnerait pas son consentement, car enfin cela pouvait porter un grand préjudice à Buby s’il ne pouvait pas faire un succès de cette affaire. Mais Bigot a jugé Buby assez fort pour lui laisser entreprendre la chose, et nous voilà donc à préparer ce départ. Bep m’avait déjà invitée à aller demeurer chez eux pendant l’absence de Buby. J’ai trouvé cela très gentil de sa part. Mais voilà justement la dévaluation est arrivée et ce projet n’a pas pu être suivi. Peut être plus tard quand la situation sera de nouveau un peu plus stable.
Il y a 15 jours Buby s’est cassé une dent de devant en suçant un caramel. Il a été chez le dentiste et j’ai profité d’y aller aussi, et j’ai eu une mauvaise surprise. Toutes mes dents que Winzu a plombées ne valent plus rien, parce que les plombages se sont rétrécis, ce qui a permis à la carie de ronger toujours plus loin et maintenant il n’y a presque plus moyen de remettre du plombage. Je pourrais le laisser aller mais alors il me faudrait faire arracher mes dents dans quelques années. Je ne veux pas cela non plus. Alors on va enlever tout ces plombages, me mettre des couronnes ou des plombages nouveaux où cela peut encore tenir. Ce charrette de Winzu aurait dû être à la hauteur et employer un alliage qui ne se rétrécisse pas pour ses plombages. Faites attention si vous allez encore chez lui, garçons ! Nous avons demandé un devis au dentiste et ma bouche me revient (ne tombez pas à la renverse) à Fl. 167.- donc Frs.suisses 334.- si le cours suisse reste de pair avec le hollandais. Buby doit avoir une nouvelle dent à Fl. 40.- pièce et d’autres travaux dont il n’a pas encore pu fixer le prix. Vous pensez peut être que ce dentiste est un voleur, cela se peut car ils le sont tous, mais nous avons pourtant pris bien soin de choisir un des meilleurs marché. Nous pourrions aller chez un Chinois, mais c’est tout de même une affaire de confiance avec laquelle on ne badine pas. Nous y voilà donc pour porter nos économies chez le dentiste, c’est fichant mais il n’y a rien à faire.
Ce mois, j’ai déjà eu Fl. 30.- de docteur. Ici les factures sont présentées tous les mois au fur et à mesure. Brrr !
Et notre chiotte (voiture) qui s’est mise à faire la bête aussi, ce qui nous a coûté Fl. 35.--, un nouvel accu et un starter. Enfin zut, faut pas s’en faire et jouir de la vie tout de même aussi longtemps qu’on est en santé.
Comment est la situation chez vous ? Est-ce que la vie a renchéri de beaucoup ? Ici cela va encore, le gouvernement y a mis le frein immédiatement. Cela fait bien mon affaire, mais pas celle de Buby. La Mexolie a fait de gros stocks et se réjouissait de spéculer avec, mais cela ne va pas comme ils l’entendent. Depuis la nouvelle de la dévaluation, ils travaillent tous les soirs jusqu’à passé 7 heures. Ce ne sont que des téléphones d’Amsterdam, des télégrammes, un va et vient fou. Tout le monde est énervé. Il paraît que Bigot n’est plus lui même presque, et Elout non plus, il a fini par s’engueuler avec un autre type de la Banque. Ils sont tous tendus comme des élastiques, et avec cela il fait une chaleur formidable ces derniers temps. Enfin, cela passera aussi comme le reste. Comment cela a-t-il été  chez vous, Faaather ? Est-ce que tu as pu faire quelque bon coup, ou est-ce que tu as perdu ?
Qu’est-ce que Chuggou (Louis) va de nouveau faire à Londres ? Voyager pour toi ? ou est-ce qu’il y va pour lui-même, pour son propre développement ? En tous cas, mon cher Chuggou, c’est all the best que je te souhaite, du succès sur toute la ligne, du contentement et des satisfactions et aussi un peu de bon temps, mon vieux.  Peut être que j’aurai une fois une petite lettre de Londres ? Qui sait ? 


Et toi, Charlot ? les journaux d’ici ont aussi mentionné cette Alpenfahrt internationale (1910-1936 Rallye international des alpes).
Hier soir nous avons vu un film en couleur du lac de Come etc. C’était beau et si doux de revoir des sites aimés. J’ai beaucoup pensé à toi, Loulou et au temps que tu y as passé.
Depuis quelques jours, j’ai une nouvelle baboe et si elle reste comme elle est, ce sera un très bonne servante. Cette fois-ci j’ai été assez intelligente pour d’abord en chercher une bonne avant de liquider la vieille. Cela m’a fait du bien de pouvoir lui dire qu’elle n’avait plus à revenir, car elle croyait qu’elle était indispensable et elle faisait ce qu’elle voulait, paresseuse comme tout. Il m’est un peu difficile d’avoir des baboes parce que je suis très peu à la maison et ces gens ne peuvent pas travailler sans surveillance, ils se relâchent tout de suite. Zut, je ne m’en fais plus et je continue de profiter de mon temps à Batavia.
Il y a eu ici un grand concours d’élégance à l’Hôtel des Indes. Toutes les femmes qui soupaient là étaient soumises au jury et pouvaient gagner une Chevrolet two seater. C’était donc souper et bal, très chic mais nous avons renoncé, vu que cette soirée nous aurait coûté minimum Fl. 40.-, car à des soirées pareilles il ne se boit que du Champagne. Il y a de l’argent ici !!! Et si comme on le prévoit, les affaires reprennent un peu, Buby espère bien  arriver à un petit pécule. Enfin, on espère toujours, cela c’est au moins gratuit !
Merci beaucoup pour ta lettre 143 que j’ai reçue avec un plaisir immense comme toujours. Je t’accorde de tout mon cœur si tu peux aller à Rome et profiter de voir tant de beau. Est-ce que les dames Sossich sont venues maintenant ? Mais au moins ne te fatigue pas à les vouloir entretenir, pense à toi en premier et n’oublies pas ta santé.
Justement je viens de recevoir un paquet de journaux de ma chère Banely.
Ge… et son Buby



lundi 25 juillet 2016






Batavia

22 septembre 1936

A sa maman
Dans le monde entier il n’existe qu’une sale femme, la pire et celle que j’aime le plus : c’est ma Rötteli. Merci de tout mon cœur pour ta bonne longue lettre à laquelle je vais maintenant répondre librement, puisque je viens de finir celle pour tout le monde ! Maintenant c’est mon dessert, de t’écrire à toi toute seule, bien entre nous.
Tout de même d’abord il faut que je te gronde un peu, car sans y penser tu m’as joué un sale tour, en ne tenant pas compte de cette lettre dans laquelle je te disais à qui tu devais distribuer les cadeaux apportés par tante Engel.
C’est surtout au sujet de ce bracelet que tu as remis à Banely (Fanny) et qui était destiné à Flock. Mamali, je le lui ai déjà écrit depuis une année, et c’était le cadeau de noce que nous lui avions toujours promis et jamais donné. Je lui en ai parlé tant et tant de fois dans mes lettres, elle savait que tante Engel le lui apporterait et maintenant toi tu le donnes à Fanny.  J’avais encore bien pris soin de t’écrire à temps comment tu devais distribuer les choses, pensant qu’ainsi au moins il n’y aurait pas de malentendus. Qu’est-ce qu’il me faut faire maintenant ? Ne lui donne pas d’autre cadeau, à Flock, c’est inutile. Pourrais-tu le redemander à Fanny ?? Je ne pense pas que tu aies le cœur de lui faire cela, et moi non plus d’ailleurs, puisqu’elle en a eu tant de plaisir. D’un autre côté, il me faut tenir parole à Flock, puisque c’est un cadeau promis depuis trois ans, sans quoi il me semble que cela me porterait malheur de ne pas tenir parole. Elle sait que c’est un bracelet en argent qu’elle doit recevoir. Je t’avais écrit dans cette lettre du 29 avril 1936 : sauf les cadeaux pour Papa, Tata et Flock, tout le reste tu peux en faire ce que tu veux. Puisque Tatali n’est plus, je pense que tu garderas cette petite corbeille en écaille avec argent pour toi. Enfin tâche de retrouver cette lettre, et puis, dis-moi au plus vite ce qu’il faut faire. Si, comme je le crains, tu ne peux pas redemander ce bracelet à la Fanely, il me faudra en acheter un autre pour Flock, car il faut qu’elle l’aie. Cela m’embête un peu, parce que ce sera de nouveau une dépense de plus, vu que j’ai la note du docteur en perspective et ces injections qui ne seront pas bon marché, mais enfin tant pis.  Ah, espèce de charrette, toi !
Entre nous, je sens bien que tu n’as plus trop de sympathie pour Flock, je le comprends, va, et je ne t’en veux pas. Moi-même, je me suis beaucoup détachée d’elle, je n’arrive presque plus à lui écrire. Cela lui fait de la peine, et vraiment j’ai pitié d’elle, c’est pourquoi je fais mon possible pour être gentille et bonne pour elle. Il te faut penser, elle n’a pas de Buby comme moi pour remplir sa vie et encore une personne, une sale femme de la qualité de ma Rötteli ! Je dois de nouveau écrire à Flock, alors que vais lui dire la vérité, simplement que tu ne pouvais plus retrouver ma lettre et que tu t’étais trompée de cadeau, car il ne faut pas qu’elle puisse croire que tu ne lui accordais pas ce bracelet. Enfin, réponds moi aussi vite que possible là-dessus.
Entre temps tu auras eu sa visite et celle d’Itje. Quant à la visite des Engelhart, je crois deviner que tu n’en as pas eu le plaisir que tu en attendais. Je puis bien me représenter que cela vient de ce que tante E. ne t’a pas assez raconté de moi, et pourtant je lui ai souvent répété de raconter autant que possible. Je pense plutôt que la bonne tante E. a été timide de parler en allemand. Elle n’a pas le talent des langues ! et puis votre vivacité à vous tous l’aura aussi ébahie, de sorte qu’elle ne pouvait plus retrouver le filon. Tu sais, chez elle cela doit monter lentement comme le lait et vous ne lui en aurez pas laissé le temps. Je devine aussi, d’après l’attitude de tante E. qu’elle a eu de graves crève-cœur à cause de sa fille qui n’est pas du tout gentille avec elle. Enfin, je suis tout de même contente qu’en général toute cette visite soit bien passée Je crois bien que je te ressemble beaucoup, car souvent je suis surprise moi-même d’un geste ou d’une pensée, et je dois me dire : tiens, c’est comme Mamali. La dernière ressemblance c’est de boire de la bière, maintenant et après je rotte comme toi.
Enfin, tu peux rire !
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Est-ce que Loulou va à Londres pour y rester ? Qu’est-ce donc cette affaire qu’ils sont en train de monter ? Tu m’en as déjà souvent parlé sans jamais me dire de quoi il s’agit. J’en suis curieuse à la fin de compte.

A propos, Annie Elout aimerait bien avoir des petites chemises pour Fransje, son petit garçon de 4 ans. Ce sont des petites chemises de Hanro. Pour que tu ne puisses pas te tromper, je t’en envoie une vieille qu’Annie avait achetée en Autriche. Tu en achèteras deux pareilles, seulement un numéro plus grand, tu les laveras et tu me les enverras comme mes cosy. Annie va me les payer. On ne peut pas obtenir de choses suisses ici, à cause des contingents. Attends que tu aies le modèle avant d’aller les acheter. L’argent te sera remboursé aussi. Ach, cette Annie n’a pas la vie facile. Elle est terriblement grosse et la chaleur l’ennuie beaucoup, et elle a encore beaucoup à faire et celle a des soucis d’argent. La semaine passée, je lui ai ourlé 20 petits draps. Cela la décharge un peu. Tu sais je fais ce que je peux pour elle et en fin de compte je l’aime assez. Elle n’est pas toujours agréable mais elle a vraiment aussi des qualités.
Et maintenant j’arrive à la fin de ma feuille. Je me réjouis de recevoir de tes nouvelles, tu sais que tes lettres sont toujours ce que j’aime le mieux d’Europe. 
Maintenant je te quitte. N’oublie surtout pas de retrouver cette lettre concernant les cadeaux et écris-moi là dessus stpl.






dimanche 24 juillet 2016




Batavia

22 septembre 1936

Mes bien chers,
C’est demain la fête à Padreli, encore une fois je te souhaite tout ce qu’un cœur de Ge… qui te chérit tendrement, peut te souhaiter. J’espère que vous passerez tous une bonne journée.
Nous aussi nous avons passé une très bonne journée hier. Il y avait des manœuvres navales, tous les bureaux avaient congé pour cela, et nous avions une invitation pour y assister depuis un des bateaux K.P.M. Il fallait être à bord à 6 ½ heures du matin, mais à 5 heures quand je me suis réveillée, il pleuvait à verse, un temps horrible, alors nous nous sommes rendormis. J’avais peur d’attraper froid sur le bateau au cas où je ne pourrais pas bien me mettre à l’abri de la pluie. Vers 7 heures la pluie a cessé et le temps est devenu magnifique. Nous avons bien regretté de nous être laissés intimider par la pluie, mais zut, c’était trop tard. 
Bogor nov. 2013

Bogor, nénuphars
Alors pour tout de même profiter de ce jour de vacances, nous avons décidé d’aller à Buitenzorg (aujourd’hui Bogor), au Jardin des Plantes (ce jardin botanique est encore toujours célèbre). Buitenzorg n’est qu’à 60 km d’ici. Nous avons passé un beau matin dans ce jardin immense et merveilleux. La seule chose qui rappelait le jardin botanique, c’était que toutes les plantes étaient étiquetées. Tantôt il avait l’aspect d’une forêt vierge.

 Tantôt c’était un magnifique jardin soigné, aux pelouses bien dessinées, aux plates bandes de mille et une couleurs, aux bosquets fleuris et bien taillés, et des pièces d’eau où s’épanouissaient des nénuphars blancs et roses, bleus et violets d’une beauté fantastique. Nous avons aussi vu des plantes qui mangent les insectes et toutes les orchidées possibles et impossibles. Vers 1 heure nous sommes allés prendre un petit lunch et vers 3 ½ heures nous étions de nouveau à la maison, fatigués et satisfaits.

Bogor 

En ce moment je prends des fortifiants, une sorte de vin chinois qui s’appelle Optonicum. Pour le reste je me porte bien… si je fais attention à ma diète. Ils ont quand même trouvé des amibes dans les selles et maintenant j’ai eu 5 piqûres et je dois encore faire une cure de « diathrène » (je ne sais pas comment on écrit cela) pour les tuer complètement. Cela va me faire une grosse note chez le docteur, ce qui est embêtant, mais l’essentiel est tout de même que je me porte bien de nouveau. J’ai déjà bien meilleure mine, toujours bon appétit.
Depuis ma dernière lettre la noce a continué. Nous avons donc assisté au départ et à l’arrivée du nouveau Gouverneur Général. Nous étions aux premières loges pour assister à ce cortège. Les Lensink étaient venus pour voir aussi et Bigot, qui se trouvait là, nous a offert sa voiture pour s’asseoir. Bigot était là avec les van Mastwyk, son collègue, et Mr. Nikkels, le sous directeur de la Banque, qui ces derniers mois  habitait au Flatgebouw, avant son départ pour l’Europe.
Le soir de ce même jour (mercredi donc) Nikkels donnait une petite soirée d’adieu pour les gens de la Banque, ses collègues, et aussi les plus jeunes. Par exception nous avons aussi été invités, et je lui ai aidé à arranger un peu. Nous étions une trentaine de personnes. Il y avait une bowle exquise et un petit hors d’œuvre. C’était une petite réunion tout à fait inofficielle. Nous avons donc fait  connaissance avec tout ce monde de la Banque, qui tous nous connaissaient et nous regardaient un peu comme des bêtes spéciales parce que nous nous appelons Woldringh. En y arrivant j’avais cru être une des moindres, car enfin, la position de Buby n’est pas encore très haute, mais quelle ne fut pas ma surprise de me trouver (sans vouloir trop me vanter) une des mieux. J’avais mis ma robe à succès, cette bon marché, fait d’après un modèle de Hedy ! et quelques beaux bijoux. Je voulais bien avoir l’air modeste mais tout de même ne pas cacher que j’étais la belle-fille de papa Woldringh. Il ne faut jamais se prendre pour la queue de la poire, c’est une chose que j’ai bien fini par apprendre ici aux Indes. J’ai trouvé la plupart de ces femmes assez étroites d’idées, moches même. D’excellentes mères de famille, femmes de maison, mais rien de plus, malgré que les maris occupent des positions qui ne sont pas à dédaigner. L’animation laissait assez à désirer, on se parlait par petits groupes. Bigot a commencé un petit discours à l’adresse de Nikkels, celui-ci a répondu et plusieurs autres se sont levés pour en faire autant. Tout semblait redevenu calme quand tout à coup Bigot se lève et vient vers moi, me demandant de dire quelques paroles de la part des dames. Je l’aurais bien étranglé, mais il insistait et à la fin je ne pouvais plus me défendre si je ne voulais pas faire trop mauvaise figure et surtout aussi pour lui, je ne pouvais pas lui faire subir cet échec. A la fin, je lui ai dit que s’il me soufflait ce que je devais dire je voulais bien répéter ses paroles. Je me lève donc et me senti comme à des examens à l’école. Il était assis derrière moi et me soufflait des phrases grandiloquentes que j’ai tâché de tourner au comique pour me donner une contenance, puis à un moment donné il s’est tu et j’ai dû continuer toute seule. J’ai donc fini par quelques bons vœux à l’adresse de Mr. Nikkels et me suis rassise avec le cœur aux culottes. Mais Bigot semble avoir eu un plaisir fou du tour qu’il m’a ainsi joué. Maintenant je lui en suis assez reconnaissante, parce qu’ainsi il m’a lancée un peu et je crois qu’une autre fois je n’aurais plus trop la frousse de dire quelques mots si l’occasion se présente. Vous savez, je suis quand même contente d’être un peu welsche et de posséder cette petite dose de je-m’en-foutisme qui facilite la vie jusqu’à un certain point.
Merci, merci pour tes chères lettres, le No 142 est donc la dernière reçue. J’ai aussi reçu tes souliers qui me plaisent beaucoup comme souliers de marche, seulement dommage qu’ils me soient trop grands. Ils ne sont pas trop longs, mais trop grands, enfin avec une semelle cela ira. Je les ai inaugurés hier, pour aller au Jardin des Plantes.
Je ne sais pas si je vous ai déjà écrit avoir bien reçu la lettre de mon Charlot. Je suis contente que tu passes un temps intéressant à ce contrôle dans la montagne.
Et Loulou ? Ton service t’absorbe beaucoup et maintenant j’apprends que tu retournes à Londres. Mon vieux, je n’ose pas te reprocher ton silence, vu que moi non plus je ne t’écris jamais. J’en ai toujours l’intention et surtout un fort besoin, car je pense souvent à toi, mais jamais je n’arrive à mettre mon désir à exécution.
Je suis de nouveau occupée à la couture, ayant plusieurs robes qui ont lâché au lavage, il faut les remplacer. J’ai trouvé très bon marché une petite étoffe anglaise, une sorte de voile bleu marine à gros pois blancs. Je vais m’en faire une petite robe tout simple, mais rassig !(de la gueule).
Une fois de plus je vais vous quitter pour cette semaine. Ma lettre n’est pas trop longue cette fois-ci parce que je dois encore écrire à Papa Woldringh à qui Buby n’arrive plus à écrire la moindre ligne.
OOOOOO et bonne fête

Bogor, monument en souvenir de Lady Raffles , par son mari




jeudi 21 juillet 2016





Batavia

8 septembre 1936

Mes bien chers,
Il faut enfin que je mette à répondre à toutes vos chères lettres, et vous remercier tous de tous vos bons vœux pour les 7, 8 et 10 août (son anniversaire et mariage). Je ne sais vraiment plus quand je vous ai écrit pour la dernière fois, et il se peut que je me répète un peu, mes frères diront que leur sœur radotte mais je les prie de ne le croire qu’à moitié !
A Tjitere (Citere, au sud de Bandung, lieu de vacances en altitude) nous en avons aussi fait des courses, nous les avons toutes faites, du moins toutes celles qui étaient indiquées dans le prospectus de l’hôtel, sans compter celles que nous avons découvertes nous-mêmes.
Comme notre jour de mariage tombait sur un week-end nous avons été le passer à Padalarang, (ouest de Bandung) chez les van der Lee, un ancien copain de Buby, qui dirige là une fabrique de papier, la seule ici à Java. Sa femmelette a 22 ans, et attend déjà son second gosse. Elle est très jeune et sans expérience, mais bien gentille et nous nous entendons bien les 4. D’ailleurs je vais vous en envoyer des photos. Le jour de ma fête nous avons été au cinéma et d’abord chez les Elout le soir. Je crois que je t’ai écrit dans mon billet depuis Tjitere qu’en rentrant du bureau, le 10, Buby m’a dit que Mr. Jobsis (encore un directeur de la Banque à Batavia…) me faisait demander si je voulais traduire un rapport pour lui. Il avait d’abord demandé à Elout s’il croyait que je le ferais. Bien sûr que je le fais volontiers, mais je n’ai pas montré mon plaisir, sauf à Buby avec qui je me suis réjouie. Cela va me donner beaucoup de travail, ce sera long mais intéressant et bien que je n’en retirerai aucun avantage, je le ferai avec plaisir tout de même. Une semaine après notre visite nous nous embarquions pour 15 jours de vacances à Tjitere, au-dessus de Bandoeng.
Tjitere (Citere)


Le voyage en chiotte s’est bien passé, sans panne malgré tous les bagages. Ah oui, il faut encore vous en raconter une bonne. Ne pouvant pas entasser tous les bagages sur l’auto nous avons envoyé en avance une malle avec tous nos habits. Comme Oscar avait l’intention d’aller quelques fois à Bandoeng, (Tjitere n’en était qu’à 45 km) le soir, j’avais aussi emballé mes robes habillées. La malle est  partie le vendredi matin et nous devions suivre le samedi matin, je ne pouvais pourtant pas me douter que le vendredi soir il nous faudrait aller chez les Jobsis pour souper ! Quand Oscar m’a apporté la nouvelle, j’ai presque fait aux culottes. Il a fallu rassembler tout ce qui restait comme robe et vieux souliers et tâcher de faire un ensemble. J’ai mis cette robe rose faite moi-même (modèle Grieder) dans laquelle j’ai toujours eu beaucoup de plaisir jusqu’à présent, et vraiment j’en ai de nouveau eu. Il y avait là chez les J. encore un jeune homme, fils à papa, qui venait inspecter les fabriques desquelles il serait directeur sous peu, bien qu’il n’ait que l’âge d’Oscar, et ce jeune homme connaît bien Ans, notre future belle-sœur, la fiancée d’Eddy. Nous étions donc les 5 et la soirée s’est assez agréablement passée, sauf pour Buby qui s’occupait spécialement de madame J. et qui n‘arrivait pas à la faire parler. Ce pauvre garçon a presque sué du sang. Madame J. ne semblait avoir intérêt  à rien du tout, mais c’était compréhensible, elle avait actuellement un enfant à l’hôpital qu’on venait de sauver de la mort par une transfusion de sang de la mère. Elle avait naturellement ses pensées vers l’enfant, malgré ses obligations mondaines. Après le souper, nous avons été passer la soirée au cinéma de 10 heures à minuit. En rentrant je me trouvais embarrassée par le problème suivant : si les J. nous avaient invités par rapport à cette traduction, est-ce moi qui aurait dû commencer par en parler ou était-ce à Mr. J. ? Moi je n’ai rien dit et… lui non plus. Maintenant j’incline à croire que c’était à lui de m’en parler s’il en avait l’intention. Vu qu’ils avaient encore un invité, je ne pouvais pas savoir si j’osais en parler devant lui, et j’admets que Mr. J. est bien assez important et sûr de lui pour ne pas attendre que je lui tende la perche s’il avait quelque chose à me dire. Oh, je vous dis, la Näggeli a bien encore du fil à retordre de temps en temps pour des choses pareilles.
Tjitere n’était pas un hôtel mais un ensemble de bungalows, qui se compose d’un bâtiment central comprenant la cuisine, une petite salle à manger rustique et un petit lobby. Tout autour, sur un terrain très accidenté, sont groupés de petits bungalows à une, deux ou plusieurs familles. Il y en a de toutes les sortes, des luxueux et des simples. Nous avions presque le plus simple et aussi le moins cher. Il se composait d’une seule chambre avec les lits dans une alcôve. Je ne l’aimais pas trop, mais nous avions un petit jardin pour nous et d’ailleurs nous n’étions jamais dedans. On se levait le matin à 7 heures, nous déjeunions dehors, allions faire une course, rentrions vers 1 heures, lunchions dehors, et allions ensuite nous étendre sur nos chaises longues jusqu’au thé, au jardin. Après le thé encore un bout de promenade, puis vers 6 heures nous faisions un brin de toilette, (nous laver entre autres ! le matin c’était trop froid !) allions au lobby prendre un apéro, jouer à la besique (cartes), souper et à 8 heures nous étions le plus souvent au lit.  Ainsi nous avons vraiment joui de nos vacances et nous nous sommes fait du bien, pourtant en ce qui me concerne, je n’avais pas l’impression d’être tout à fait bien, j’avais souvent mal au ventre et l’impression qu’il me fallait prendre de l’alcool de menthe parce que cela me pesait sur l’estomac. D’ailleurs déjà à Keboemen j’avais souvent des troubles et mal au ventre. Jamais beaucoup, pas assez pour m’alarmer. Je crois que je t’écrivais quand j’avais la diarrhée, enfin je ne m’en faisais aucun souci. En rentrant de Tjitere j’ai eu la même chose, mal au ventre et diarrhée.
Entre temps nous est parvenue la nouvelle des fiançailles de la princesse Juliana. Nous étions les premiers à apprendre la nouvelle par la grande sirène du bureau de presse, nous avons sauté dans l’auto et sommes allés la porter aux Bigot, et là il fut décidé qu’on irait fêter la chose. Buby et moi sommes vite retournés à la maison, j’ai repassé ma robe d’organdi et… vive la fête. Je vous la décrirai la prochaine fois, mais c’était une fête, une bombe monstre. Nous ne sommes rentrés que ce matin à 5 heures, et les deux derniers jours le matin à 2 heures. Voilà 3 nuits que nous n’avons pas dormi ! Je vous écrirai plus la prochaine fois, je n’ai plus le temps maintenant et cette lettre doit partir.
Un muntschi à chacun de votre Ge… qui s’est follement amusée et Buby aussi.

Zut, ma lettre est arrivée trop tard pour le courrier de mercredi. J’en profite pour ajouter quelques mots. Donc notre belle fête, vous en savez déjà quelque chose. Nous avons été souper au club, c’était excellent et il y avait une musique militaire, commandée en hâte pour la circonstance. A un moment donné, la musique partait et comme nous voyions quelques couples qui la suivaient, nous  nous sommes immédiatement levés de table pour en faire autant. Nous marchions en bande, bras dessus et bras dessous, en chantant tous les chants nationaux hollandais jusqu’au Palais du Gouverneur, ici à la Konigsplein. Là, nous sommes entrés dans les jardins, jusque devant la maison et avons porté des ovations auxquelles il a gentiment répondu. Après avoir chanté le Wilhelmus, nous avons fait une immense polonaise sur la pelouse, et toujours avec la musique en tête nous sommes retournés à la Societeit Harmonie.
Societeit Harmonie Batavia

 Là, il y a encore eu un tattooe (tattoo, musique militaire) avec la marine. Oh, c’était beau, c’était unique, ces soldats, ces matelots et leurs officiers ! Nous étions donc avec les Bigots et un autre couple de leurs amis, et vraiment j’étais ravie comme Bep Bigot (Mme Bigot) fêtait avec comme un gosse, et lui aussi. Plus tard dans la soirée nous avons de nouveau pris la musique en tête et avons marché à l’hôtel des Indes où il y avait aussi une soirée pour l’occasion. Avec un culot formidable nous sommes montés le grand escalier de l’hôtel, jusqu’à la salle de bal, avec la musique en tête toujours, jouant tout ce qu’elle pouvait et supprimant complètement l’orchestre tzigane. Là, cela a donné un stampede formidable et je dois dire que Bigot et moi étions de ceux qi ont le plus chanté, crié, ri, dansé et sauté. C’était endiablé et vous me connaissez, je ne m’arrête pas si vite. Vers 3 heures du matin, Bigot par contre n’en pouvait plus, il n’avait plus un fil sec à son habit, on a décidé de rentrer. Mais une fois dans la rue, devant l’hôtel, voilà que l’orchestre se met à jouer Adieu, mein kleiner Garde Offizier, tu sais que cela me rappelle une belle soirée des officiers au Fantasio, alors on s’est mis à danser dans la rue et comme par enchantement on s’est de nouveau trouvé en haut dans la salle de bal où nous avons continué la fête. On entraînait tout le monde, on chantait, on dansait en sautant en rond, c’était fou.
Societeit Harmonie, jardin

 Ensuite nous avons encore été au restaurant de nuit, le Perroquet, où beaucoup nous ont suivi. Mais là c’était trop élégant, trop blasé, trop conventionnel pour notre état d’esprit.  Nous n’y sommes pas restés longtemps et à 4 heures nous avons fini à l’Harmonie de nouveau. Nous étions assis sur la terrasse, sous un beau ciel étoilé, à cuver nos cuites et manger du hareng salé sur glace avec du toast. Vers 5 heures, nous rentrions pour dormir encore un peu. Le lendemain les bureaux avaient congé depuis 11 heures, alors Bep et moi, avec une auto pleine de gosses, nous avons fait un tour par la ville chacun avec un immense fanion aux couleurs nationales, des serpentins etc. faisant un chambard du diable. Bep voulait que les enfants aient aussi du plaisir de cette journée, et je leur ai payé des glaces. Enfin on a eu du succès et nous les grands nous nous sommes autant amusés que les gosses.
Demain, jour de fiançailles officiel, Buby a congé tout le jour. Il y aura un grand cortège qui passera devant chez nous. Les Bigots viendront voir et je leur offrirai un petit souper aux sandwiches. Il faut bien que je me revanche un peu pour tout ce qu’ils nous ont payé à cette fête. Tu comprends, nous ne pourrions jamais avoir autant de plaisir s’il fallait que nous payions tout cela de notre poche. D’ailleurs Buby n’étant pas membre de l’Harmonie, nous ne pouvons pas aller là, si nous ne sommes pas introduits  par quelqu’un.
Oh, ta Ge s’est amusée, c’était fou. Buby aussi s’amusait bien avec Bep, seulement vers minuit elle est rentrée seule, ce qu’elle fait toujours par prudence pour sa santé. Ma robe a de nouveau eu beaucoup de succès seulement dommage qu’elle était trempée de transpiration et mes volants que j’avais pris tant de peine à repasser, ils étaient devenus aussi mous qu’une patte à relaver, mais zut ! J’ai au moins eu du plaisir. 
Maintenant pour en revenir à du sérieux. Je vous parlais donc d’une diarrhée que j’avais déjà eue quelques fois. Cette fois-ci, Buby m’a obligée à aller chez le docteur car il fallait craindre que j’aie de la dysentrie, vu que c’est un mal très répandu ici aux alentours de Batavia. Le docteur a fait 2 analyses du hmhm. Une fois, j’ai même dû aller faire là directement, mais il n’a pas trouvé de bactéries !  Par contre il m’a dit que j’avais de la dyspepsie, c’est un manque d’un certain suc dans l’intestin, qui pour cette raison ne digère pas bien la nourriture, surtout la graisse. Par cela il se formait des gaz empoisonnés dans mon intestin, et le sang ne recevait pas toute la nourriture qu’il devait avoir. Ce manque de suc digestif entraînait aussi la constipation, et si j’avais encore laissé traîner cela pendant quelques années, j’aurais pu avoir des troubles d’intestin sérieux, même la paroi de l’intestin attaquée. Maintenant je dois suivre un régime assez sévère, pas de porc, saucisses, chaux, sardines, chocolat etc. Pas de graisse, très peu de beurre et de lait, pas de fromage, beaucoup de fruits et de légumes, etc. Je suis ce régime depuis une semaine et c’est vrai, je me porte déjà beaucoup mieux. Il faudra vraisemblablement faire attention un peu à ce que je mange pendant tout le temps que je reste ici dans ce climat chaud. Ce n’est donc pas une maladie proprement dite, c’est seulement un manque, auquel il fait remédier par un régime pour acquérir le bon fonctionnement de l’organisme. Le docteur  croit que j’ai cela depuis longtemps, et entre nous, moi je le crois aussi. Elout a la même chose,  seulement lui ne fait pas attention et bouffe de tout, de sorte qu’il ne se porte pas bien.
Oh, tu vas dire si je te dis que nous avons découvert de la bonne bière brune et que nous en sommes fous. Ta Ge… qui n’en n’a jamais bu jusqu’ici, chercher chaque occasion pour ouvrir une bouteille, tout comme toi dans le temps. Juste à présent on vient d’en boire un verre, Buby et moi, et quand j’ai eu fini de boire, je me suis surprise à roter, comme toi tu le faisais. Tu te rappelles que je me fâchais toujours.
Il y a ici dans le flatgebouw aussi une Suisse française mariée à un juif. Je n’ai pas encore fait sa connaissance. C’est une jeune femmelette de 22 ans environ.
J’ai oublié de vous raconter que la semaine passée j’ai eu les Bigot à souper un soir. C’était la première fois qu’ils venaient chez nous au flat. J’ai donné du bouillon froid, des asperges puis simplement du pain, du beurre et quelques sortes de charcuteries et pour finir de la crème fouettée dans laquelle j’avais versé beaucoup de cognac et des jaunes d’œufs. Bigot a presque léché le plat, j’avais du plaisir.
Voilà, maintenant mes chers, je vous embrasse tous de tout mon cœur et spécialement mon Macaroni…….. toute la ratatouille, all the best from your Ge…..



jeudi 14 juillet 2016







Batavia

4 août 1936

A sa maman
Voilà déjà une semaine que j’ai reçu ta chère longue lettre no 138. J’étais bien contente d’avoir de vos nouvelles, surtout que Buby était loin. Il est revenu samedi soir et je te garantis qu’il y a eu immense fête au village. Nous étions les deux si contents de nous revoir. Moi, je me plaisais bien en vacances, c’est à dire seule à la maison. Pendant ces 15 jours j’ai exactement fait ce que je voulais et me suis cuit un tas de bonnes choses que Buby n’aimait pas, comme des rognons par exemple. Tous les jours j’ai mangé une tête de salade, et une grosse. Avec les feuilles vertes du dehors je me faisais de la soupe, de la bonne soupe bien verte avec beaucoup d’oignons. Ce que j’en ai bouffé, des oignons ! Malgré tout je connais une girlie qui n’a pas marché vers la gare, mais qui a volé une demi heure à l’avance. Je ne tenais plus en place, c’était si chic d’aller attendre mon Buby. J’avais mis ma belle robe rose de Max, et un hüteli neuf dans lequel j’ai eu du succès.
Pendant que j’y pense, tu m’as écrit que tu allais acheter un chnöpfli-sieb pour tante Engel. Ne fais pas cela, c’est jeter l’argent par la fenêtre, car je suis sûre qu’elle ne les appréciera pas. Ils mangent déjà tant de riz et un tas de ces choses javanaises qu’ils ne voudront sûrement pas de chnöpfli. Les manger en Suisse, à titre de curiosité, oui, cela ils l’apprécieront mais les faire ici aux Indes, non, jamais, comme je les connais. C’est bon pour moi, à qui les chnöpfli rappellent la Suisse, la maison, mais des étrangers n’y verront rien de spécial. Non, ne lui achète rien, vraiment. Si elle trouve quelque chose d’intéressant, elle l’achètera bien elle-même, mais toi, sois une fois raisonnable et ne bourre et ne gâte pas les gens, et surtout pas déjà d’avance et en pensées. Il se peut très bien que, quand tu la verras, tu demanderas comment est-ce possible que ta girlie ait pu aimer cette femme ainsi. Pour comprendre cela, il faut connaître la vie ici etc. où tante Engel est vraiment à sa place et la remplit d’une façon extraordinaire. Mais je ne me fais pas d’illusions sur l’impression qu’elle fera en Suisse. Enfin, passons là-dessus. Je ne leur ai plus écrit depuis le mois d’avril, c’est honteux….
Buby est assez content de son voyage, quoique il ait eu quelques différends avec Elout Ces deux natures sont si différentes, Elout qui est du vif-argent et Buby qui est réfléchi et calme. Il y a surtout eu que Elout a fait arranger par ses amis une petite fête à Soerabaya. Oscar avait compris qu’il y aurait aussi les Sayers, des gens de la fabrique de Kediri, et il s’est dit que ce serait bien gai et agréable, mais quand ils sont revenus à Soerabaya, l’ami d’Elout leur a raconté qu’ils allaient faire une bombe formidable avec des poules, l’une s’appelant la Marie à fesses et l’autre la Bertha à nichons, etc, etc. Quand Buby a découvert qu’ils étaient de toutes façons plus d’hommes que de femmes, il a cherché une excuse pour se retirer. L’excuse, il l’avait assez bonne, car à Makassar (île de Sulawesi sud) on lui a volé son porte-monnaie avec Fl.25.- dedans. Justement le beau portemonnaie que tu lui avais fait de cadeau. Cela lui a bien fiché les bleus. Enfin, quand au dernier moment Buby s’est retiré de la fête, Elout et surtout son ami se sont bien fâchés. Je ne peux pas blâmer Buby de ne pas avoir voulu aller faire une bombe pareille, cocktail parties et tout ce qui s’en suit, mais maintenant il a un peu perdu de la sympathie d’Elout, et cela c’est embêtant. Enfin, on verra comment les choses s’arrangeront.
Pendant leur absence j’ai souvent vu Annie Elout, et je te dis, je n’ai fais qu’écouter ses misères et ses chagrins. Ce qu’elle en a vidé de la bile chez moi ! Surtout qu’elle n’a pas le sou, elle ne peut même pas acheter les langes nécessaires pour son poupon qui va venir, elle ne peut pas se payer d’habits, rien, rien, elle est terriblement amère et elle crie sur la Banque parce qu’ils ne donnent pas assez de salaire. Oui, diable, et de son côté Elout fait la noce quand il peut, et paye des bonnes bouteilles de gauche à droite. Buby a naturellement aussi dû faire avec un peu, ce qui fait qu’il a dépensé plus qu’il n’ose déclarer comme frais. Elout aussi, bien sûr. Enfin, il va falloir user de diplomatie et tâcher de raccommoder cela. Tous les débuts sont difficiles. Buby a beaucoup appris par ce voyage, et ces expériences ne sont pas perdues non plus. Qui vivra verra. L’essentiel c’est que Buby et moi, on s’aime et se comprend bien, on est en santé et on n’a pas de dettes.
Pour en revenir à Charlot, si tu m’avais écrit tout de suite de quoi il s’agissait, je ne me serais pas tant fait de soucis, mais tu m’avais seulement écrit qu’il avait un peu sur les poumons, alors, tu comprends, on peut se penser beaucoup de choses. Je suis bien, bien contente qu’il aille mieux.
Merci pour les cosy (sous vêtements) du Lama. Tu m’avais déjà une fois envoyé une combinaison pareille, la coupe était très bonne et j’en suis très contente. Il y a quand même une très grande différence de prix avec les articles d’ici. Et sais-tu surtout ce qu’il y a ? les combinaisons qu’on peut acheter ici, sont le plus souvent en soie artificielle, en milanaise. C’est très joli, mais quand tu transpire, c’est froid et mouillé, tandis que le simple coton comme ceux que tu m’as envoyé jusqu’ici, cela prend bien la transpiration sans rester mouillé, parce que l’air passe bien. D’ailleurs on ne peut pas trouver les articles suisses, personne ne les importe parce que cela donne trop d’histoires avec les contingents.
Avant hier dimanche, nous avons ri comme des fous. J’avais oublié de préparer la nappe propre et les serviettes etc. Alors Soer (djongos et chauffeur) a cherché lui-même dans le buffet, et misère, à midi je me suis aperçue que nous mangions sur un drap de lit ! Si tu allais raconter cela à quelqu’un en Suisse, ils se demanderaient quelle sorte de ménage je dois avoir, qu’on doit être de beaux cochons etc ! Mais vois-tu, un Javanais ne fait pas de différence, pour lui du blanc c’est du blanc ! Mais nous avons bien ri les deux.
Mes bien chers, merci pour tous vos bons vœux de bonne fête. Comme d’habitude, tu as été la première à me féliciter, Mamali, et cela m’a fait plaisir. Nous allons fêter samedi soir en allant manger chez le Chinois. Personne ne le sait ici, et nous en sommes bien contents, ainsi on n’a pas besoin de recevoir et nous pouvons nous payer du plaisir par nous-mêmes.
J’ai bien reçu les beaux gants de Tata, son béret etc. et j’en suis bien contente. J’avais raconté à Annie Elout que tu allais m’envoyer ce cape de Tata, parce qu’enfin, il faut bien que je lui parle de quelque chose aussi (quand elle m’en laisse l’occasion !) alors figure-toi  que deux trois jours après elle me téléphone pour me demander quand je le recevrai, et si peut être je pourrais le lui prêter pour le temps qu’elle est encore enceinte. Ainsi, elle ne serait pas obligée d’acheter un manteau et de faire de nouvelles dettes. Heureusement qu’elle n’a pas vu ma figure au téléphone. Tu me dis que ce cape était plein de trous de gerces, est-ce que je pourrai tout de même le porter le soir à l’hôtel dans les montagnes ? Je vais doubler à neuf mon manteau noir et blanc pour la troisième fois. Il est impayable vraiment et je crois que tu vas encore me voir revenir avec, tu verras. Nous ne savons pas encore quand nous irons en vacances. Cela va se décider un de ces jours, sitôt qu’Elout sera de nouveau d’humeur normale et que Buby pourra causer avec lui.
Ce matin, en me promenant avec la madame Bos d’ici en bas nous avons passé devant l’église catholique et nous y sommes entrées. Cela m’a fait une heureuse impression et vite en cachette j’ai prié pour tous mes chers. J’irai encore quelques fois et je préfère cela aux sermons des pasteurs réformés qui sont si rigides et si étroits d’idées souvent ici.
Demande à mon Padre ce que c’est que les montres en acier « staybrite » ? Quelle sorte d’alliage est-ce que c’est ? J’en ai vu des réclames d’Omega dans l’Illustré. J’aimerais bien être à Sutz pour bouffer des groseilles autant que toi, Padre. Merci pour ton petit billet et tes vœux de bonne fête. Je penserai à vous, comme vous aussi penserez certainement à moi et aux jours de 1933. Mon Faaatherli qui m’a menée à l’église, mon cher, cher vieux macaroni, tu sais que je t’aime bien.
J’ai maintenant commencé de porter ta belle petite blouse avec ma jupe en lin faite pendant l’absence de Buby. Tu devrais voir comme elle me va bien. Je la porte avec une large ceinture en daim marron. C’est High-life.
Et tes bigoudis aussi je les emploie tous les jours maintenant, ayant les cheveux assez longs pour les rouler en boucles. Je porte toujours le diadème que Faaather m’avait envoyé, devant les cheveux plats, tirés en arrière et retenus par ce diadème, et le derrière de la tête plein de petites boucles. Cela me va bien et me donne un air de gamine d’école. Mamms, je n’oublie pas les photos !
J’ai décidé de ne t’écrire qu’une demi page, me réservant l’autre pour un mot à Chuggou si j’y arrive. C’est que je dois aussi écrire à papa Woldringh, Oscar n’en ayant pas envie, vu qu’il a beaucoup de travail en retard au bureau.
Does v.Tinteren est donc reparti – oh zut, je vous ai déjà écrit cela, qu’il voulait par force m’emmener à Keboemen, où Wies aurait tant aimé m’avoir pour quelques jours. Mais ds Näggeli a tenu bon ! pas de retour.
Je dois encore te raconter quelque chose de terrible qui m’est arrivé. Tu sais que j’ai une petite table de toilette, c’est plutôt une glace au mur avec un tablard devant et de petits tiroirs pour nos objets de toilette. J’avais donné une place d’honneur à ton miroir à main, tu me l’avais donné pour ma fête il y a environ 10 ans. J’étais en train de me coiffer quand on m’appelle au téléphone et je ne sais pas bien comment c’est arrivé, mais brrr ! voilà le miroir par terre, brisé. J’en ai été malheureuse toute la journée.
Le soir, 11 heures. Maintenant je n’ai plus le temps d’écrire à Loulou. En lisant le journal ce soir en prenant le thé, on a vu une annonce d’un beau film, et hop ! on y est allé. Ici il y a toujours deux représentations par soirée, la première commence à 7 heures jusqu’à 9 heures et l’autre de 10 heures à minuit. Nous avons été à la première et comme il faisait un beau clair de lune en sortant, nous avons marché à la maison. J’en ai joui, je te dis, de la circulation, des réclames, du va-et-vient, du pittoresque du quartier chinois que nous traversions, avec tous ces petits restaurants, ces tavernes, des fumeries d’opium, etc. Il suffit de tourner le coin d’une rue pour se trouver dans un quartier High life de nouveau, avec ses belles villas, ses parcs et tout Je te dis, Batavia est diablement intéressant, et c’est une ville que j’aime déjà de tout mon cœur.
Je ne t’ai pas encore demandé comment va ta santé et pourtant je pense beaucoup à toi et ton genou. Pourvu que tu saches te soigner et qu’il n’y ait pas de complications.
Maintenant je dois vous quitter, Ge……