Keboemen
22 avril 1935
Quelle
surprise, quelle joie, quel plaisir inouï, les si gentils sourires, les
expression si aimantes de mes trois « Guege » (puisque Guege il y
a !) m’ont fait ( guege = nana, Rose
et ses sœurs). Buby m’a remis la photo dans le carton, me disant que la
lettre de la maison y était incluse. Je pensais que c’était une nouvelle paire
de bas que tu m’envoyais ainsi. J’ai ouvert le carton avec plaisir, mais loin
de me douter ce qui m’attendais. En vous voyant les trois, si près de moi, me
souriant si réellement, je ne savais plus si je rêvais ou si je vivais
réellement, ni où j’étais. Le passé était si proche. Vraiment j’ai été saisie
et naturellement j’ai un peu p… de l’œil de plaisir, cela c’est compréhensible. Ce que vous êtes bien et ce que
je vous suis reconnaissante de m’avoir fait ce cadeau, cet immense
plaisir ! En vous voyant je suis redevenue la möntschli, la
gerölltgerällt, la Cici (ital..),
Cicilein (tous ces petits noms qu’elles
se donnaient), c’était fou pendant un moment. Mes chères trois, merci merci
de tout cœur. Aussi Buby vous trouve très très bien et a eu du plaisir à vous
voir et aussi à voir mon plaisir.
Merci
aussi pour ta si longue lettre, merci, merci, beaucoup pour tout. Je ne vais pas
vous répondre longuement cette fois-ci, et me réserverai de le faire la semaine
prochaine en détail si j’y arrive. Vite de mes nouvelles pour que vous
compreniez la raison de mon silence.
Mardi
passé est arrivé le nouveau Vertegenwordiger
(représentant, responsable) de la Mexolie. (Frank Elout). Un jeune homme de 31 ans, une tête à la Stern de Yokohama
(horloger client de son père), des
manières et des mœurs à la René (
Marchand, l’oncle de Londres, frère de son père) d’y il a quelques années
(avant la crise). Comme les Visser sont encore loin, je l’ai eu quelquefois à
manger, car l’hôtel est si loin de
la fabrique pour le repas de midi. Il est aussi venu déjeuner, un sans gêne formidable, mais qui me va
bien. Très simple, pas de chiqué, une grande gueule, toujours en mouvement,
beaucoup de vie, d’entrain, un noceur, mais quand il s’agit de travail, une
tête claire, intelligente, rouée jusqu’à la gauche, plein d’initiative et
d’action. Enfin, s’il reste ainsi, on pourra se féliciter du changement,
quoique en privé il soit moins sympathique, mais zut, nous trouvons bien le fil
avec lui, quoique il faudra être excessivement prudents. Mais de cela une autre
fois. En deux mots, il nous a pris avec lui à Tjilatjap Vendredi Saint dans l’après midi, pour un peu nous faire
avoir du plaisir hors de notre patelin de Keboemen. Nous avons logé chez les
v.Tinteren et fait la bombe d’abord au restaurant chinois puis au SOOS (acronyme pour Société en hollandais, équivalent à « country club »)
jusqu’à 3 heures du matin.
Soos de Tjilatjap, 1908 |
Il nous
a payé le champagne et n’a pas voulu
que Buby paye quoi que ce soit. Samedi matin Buby est retourné à Keboemen, moi
je suis restée chez les v.T. Nous avons été baigner toute la flotte, puis j’ai
été faire des commissions. Après dîner nous avons été dormir, et en se
réveillant, madame v.T. avait 38.8 et mal au coeur. Elle avait invité toute la
flotte pour souper, il a fallu remettre. Buby est revenu à 9 heures, nous avons
soupé tranquillement et été nous coucher tôt. Dimanche matin, l’angine s’est
déclarée chez madame v.T. que je tutoye maintenant. Elle s’appelle Wies, diminutif de Wilhelmine, je crois. Buby a été faire
un tour d’auto, moi je suis restée avec Wies, nous avons peint des œufs pour la
petite. Dans l’après midi la flotte est venue nous demander d’aller baigner à 5
heures. Pendant la matinée, Oscar a commencé à avoir mal au ventre, des crampes formidables. A 5 heures il
ne quittait pas le trône, moi j’ai été seule avec v.T. à la plage, tandis que
Buby restait avec Wies. En rentrant, il y avait justement le médecin pour Wies,
il a trouvé que Buby avait de la température. A partir de ce moment nous
n’avons eu qu’un désir, celui de rentrer au plus tôt. Après des pourparlers
avec la flotte qui allait continuer à faire la bombe et nous voulait aussi de
la partie, nous avons tout de même réussi à avoir l’auto et sommes rentrés.
Nous étions à Keboemen à 10 heures du soir, après une course de 3 heures, vu
que nous avons dû faire un détour, ne voulant pas passer par le radeau. Arrivés
ici nous n’avons fait que d’aller au trône tout à tour, car les crampes
commençaient vers moi aussi, mais pas aussi fortes qu’à Buby. Cela a été une
schiesserei (chiasse…) pendant toute
la nuit, Ce matin Buby avait 38.8. J’ai fait venir le médecin, qui lui a encore
une fois donné une purge pour pouvoir faire une analyse du caca. Il vient de
m’envoyer des remèdes, maintenant, mais il ne vient pas lui-même, donc c’est
signe que ce n’est rien de grave. Nous devons avoir mangé quelque chose, mais
quoi, je n’en sais rien. Chez moi, cela va, j’ai mangé un peu de chocolat et la
diarrhée a tout de suite cessé. Buby n’a encore rien mangé, seulement ce soir
il recevra de la soupe à l’avoine qui a cuit trois heures de temps. Il est 5
heures maintenant, il a encore 38.8, le docteur croit qu’il s’agit d’un
catarrhe d’intestins, ou alors d’avoir mangé quelque chose. Buby a mangé
beaucoup de crevettes chez les v.T.
moi très peu seulement. C’est probablement cela, quoiqu’il n’y ait pas du tout
de symptômes d’empoisonnement. Enfin tout ira bien, ne vous en faites pas. Ce
qui m’embête encore, c’est que ce matin ma baboe a eu des douleurs dans le
ventre, qu’elle ne pouvait plus marcher. Je lui ai administré deux cuillères d’huile de ricin et maintenant elle est
à la maison, et moi je suis seule avec les deux zigues pour faire tout le
barnum. Je n’ai donc pas beaucoup de temps pour vous écrire, vu que je dois
encore écrire un mot à papa Woldringh, qui nous a aussi enfin envoyé sa photo,
que je lui demandais depuis longtemps. Il nous en a envoyé une grande pour nous
deux et une petite pour moi où il a écrit : with love from Fatherli, ce
qui me fait plaisir. La Rickshaw est venue ce matin, mais elle n’a manifesté
aucun intérêt ni sympathie quand je lui ai raconté l’état des choses ici.
Pensez-vous, elle crève de jalousie parce que nous avons été à Tjilatjap avec
Elout. Alors on la laisse « crövä ».
Il a fait
beau, fantastique à Tjilatjap, je vous raconterai en détail la prochaine fois.
J’ai dansé avec mon Buby, c’était chic. J’ai fait de nouvelles sympathies,
tordant.
Buby n’en
pleut plus de toujours aller sur le vase, pauvre gosse. Et hier, jour de
Pâques, il y a un tailleur qui est venu me faire ses offres pour des costumes.
C’est intéressant !!! Si ce n’était pas arrivé avec Buby je serais restée
chez Wies pour m’occuper de la petite un peu, car elle doit rester au lit
pendant quelques jours, une angine il faut soigner cela. Oh, mais diable, il a
fait chic, épatant, tout de même. J’ai fait la folle ! à deux heures du
matin, j’ai parié avec Mr. Hoekmann,
le nouvel administrateur de Tjilatjap que je pouvais courir aussi fort que lui,
car il avait quelques verres sur la conscience. Bon, il ne s’est pas laissé
dire cela deux fois, et moi en robe de voile, celle de Hedy, son cadeau de
noce, Oscar, le docteur de Tjilatjap, Hoekmann et moi avons couru les 100 m.
devant le Soos Naturellement que
j’ai perdu, mais j’avais un tel fou rire que je ne pouvais pas avancer, sans
compter le demi verre de champagne qui m’a simplement coupé les jambes. On a
ri, je vous dis ! En revenant au Soos j’avais perdu mon peigne, mon
collier s’est cassé etc, etc et on m’a dit enfin que Hoekmann était un athlète
connu qui avait battu des records dans le temps en Hollande !!!
Cette
semaine, juste pendant qu’Elout était là, Oscar a eu un manco dans sa caisse de
Fl. 25.--. Charrette, on était enm…dés, mais il n’y a rien eu à faire, l’argent
ne s’est plus montré, car il a dû les donner de trop à un chinois qui ne les a
pas rendus. Pourtant l’argent est toujours compté par trois personnes
différentes avant d’aller au destinataire, Buby a demandé aux quelques grands
fournisseurs qu’il a payé ce jour-là, mais il ne paraît pas que ce soit à eux
que l’argent s’en est allé, mais à un des innombrables petits, qui,
naturellement se tiennent coi sur l’affaire. Il ne nous est rien resté d’autre
que de les rembourser. Malgré tout Elout a une bonne opinion de Buby, et de moi
aussi je crois, et cela c’est précieux.
8 heures
du soir, Buby va beaucoup mieux. Il mange justement des morceaux de pain dans
du lait qu’il vient de me demander. C’est bon signe ! La fièvre est tombée
à 38.
Ma baboe
aussi va mieux. J’ai envoyé les djongos prendre des nouvelles. C’était
naturellement seulement de la constipation, je ne pense pas qu’elle viendra
demain, mais après demain, je ne vais donc pas prendre de remplaçante.
votre Ge….
avec son Oscarli
A la main : Buby
va mieux, plus de fièvre
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