mercredi 29 novembre 2017




Mars 1942

La lettre datée du 25 janvier 1942, publiée le 27 novembre 2017, est la dernière lettre de Nelly à sa famille en Suisse.

Le 8 mars 1942 la Hollande capitule face au Japon à Java. Oscar se trouve avec l’armée à Tjilatjap (Cilacap) où il est fait prisonnier. Nelly est encore à Batavia, (maintenant Jakarta, le nom originel) où elle vit chez les De la Bastide pour ne pas être seule.

Mai / juin 1942
Sur le document ci-dessous figurent les noms, prénoms et adresse de Nelly à Bandoeng. A remarquer que les Japonais mentionnent Jakarta (en hollandais : Batavia).
La date d’émission de ce document est fort probablement fin mai début juin 1942, époque à laquelle Nelly avait été à Bandoeng pour y rejoindre les van der Stok et les Kinsbergen de Bienne, qui s’y étaient établis. L’adresse est celle des Kinsbergen. Nelly et Conrad ont ensuite été internés dans un camp près de Bandoeng.

Keterangan (Attestation)  No 38821

Nom                           Woldringh Marchand
Adresse                      Nylandweg No 142, Bandoeng
Origine                       1) Suisse, 2)Bienne   3) Jakarta


Attestation établie par l'armée japonaise



Nelly n’a plus eu d’occasion (ni le droit) d’écrire ou de communiquer avec sa famille en Suisse jusqu’au moment de son rapatriement, fin 1945/début 1946.
Elle n’a jamais parlé de cette période après son retour. Parfois un commentaire ici ou là, alors que l’un de nous se plaignait de quelque chose, par exemple la nourriture ou le confort.

Pendant son internement dans les divers camps, elle possédait un calepin dans lequel elle faisait des notes. Il contenait entre autre un edelweiss séché, une petite photo de Conrad et une autre de son mari, Oscar. Elle le cachait le mieux possible aux Japonais, les prisonniers ayant une interdiction totale de posséder du matériel pour écrire ou des photos.


 
Oscar, Edelweiss, Conrad


En collaboration avec le fils de Nelly, mon cousin, Conrad Woldringh

Un résumé de ces années sera publié sur ce Blog début 2018

Il s’agira des années passées dans les camps et aussi du retour en Europe et de la reconstruction de la vie de la famille Woldringh après ces expériences douloureuses.


Un autre chapitre sera celui de la décolonisation des Indes Néerlandaises, (1946-1949) époque tout aussi difficile et douloureuse que la 2ème guerre mondiale pour la Hollande.  
Un historien de l’Université de Berne, Dr. Rémy Limpach, a écrit sa thèse de doctorat au sujet de cette décolonisation. Le contenu de sa thèse a incité le gouvernement hollandais à faire des recherches ces prochaines années (environ 4 ans).
La Hollande doit maintenant reconnaître ses propres erreurs à l’égard de l’Indonésie et l’indépendance de celle-ci.

Par des livres et des témoignages personnels écrits par d’autres personnes (principalement en hollandais et en anglais), nous connaissons les conditions de détention et ce qui se passait dans ces camps. Voici deux titres qui illustrent bien cette situation :

The Blue Door, écrit par Lise Kristensen (Norvège). Elle avait entre 8 et 14 ans à cette époque et elle décrit les choses par les yeux, la compréhension et la « naïveté » d’une enfant.

Tjideng Reunion, par Boudewijn van Oort, est un autre témoignage personnel, très bien documenté. L’auteur avait 7 ans au moment de sa détention. Son témoignage personnel, celui d’un petit garçon, est accompagné de tout le contexte historique chronologique de la guerre en Asie du sud-est et dans le Pacifique.


La plupart des témoignages relatifs à ces années de guerre sont publiés en hollandais et rarement traduits.

lundi 27 novembre 2017





(Batavia) 25.1.42
A la main



My dearest Rötteli and dear Boys,


I’m writing in English to give the censure every facility and perhaps this letter will reach you more easily than one written in French. I am also writing by hand, it seems to me nicer for you to get more personal letters than a typed written one should be.
I am glad to be able to tell you that everything is all right with the three of us. Oscar came home yesterday and we had a few happy hours together. He has grown thinner, but for the rest, he looks well, healthy and strong. He’s well looked after, has good, healthy food and nothing to complain about. And so it is with Conrad and me. Last week I’ve had some high fever during a few days, it is a sort of influenza one gets from a mosquito. It lasts exactly 5 days, then everything is over again. It left me a bit weak on my legs, but now I am getting stronger every day. I’ve a good appetite always and I’m well looked after. I’ve got a woman doctor now who has studied in Switzerland and she speaks the Swiss language much better than I do, we laughed about it. She said I had to be careful with my nerves, because she could hardly believe I’ve had this meningitis when I was a young girl and that now I should feel and look as well as I do. She said that I must be very, very thankful.
Little Conrad is growing into a big, long boy. Everybody who sees him thinks he is 3 years, and he has yet to become 2 still (3.3.1940). While I was ill these 5 days, I had a nurse for him so that I need not worry. Everybody has been very very nice to me. On some days I have had eleven visitors, almost too much ! Even our friend v.M. (van Mastwijck) came the other day and was charming and of course his wife too, she came every other day.
A few days before Xmas I’ve had a photo made from Conrad with me. It’s not very good but not too bad either, thinking that it has been taken in the first days of the war when everybody was nervous and in more worries than even now. One gets used to a lot of things very quickly. In the first weeks, I found these long evenings alone very terrible, but now I’m so used to them that I even enjoy myself . My dearest little Mother, do not worry for us. Even if you worry yourself to death, you can’t help us in the least, whereas God will see to it that we have the strength, the courage, the calm and the intelligence to go through what He thinks best to send us. We can’t do anything by ourselves, Rötteli dear. I know it and Oscar knows it too, I know you pray for us, well that’s a lot, you can’t do more. If you knew how effectively I get strength and calmness, you would be so happy I feel I must write it in every letter because it’s so wonderful.
Further life goes on here as it was, only that Oscar is not at home in the evenings, as to the rest everything is the same. I seldom go out because I don’t like to leave Conrad by himself, but we go walking everyday, and pay visits to friends. I’m leading a quiet, healthy life, and thankful for every quiet day we are still allowed.
Well my dearest dears, I do hope this letter will reach you in not too long a time and bring you all the love, the affection and also the confidence of which my heart is full. I’ll be with you in thoughts on Feb. 19th especially (death anniversary of her father), Motherlie. You know I’m thinking of you every day. Do not worry for us but pray as we do for you. God bless you my dears ! A fond kiss to everyone
Nelly and little Conrad





jeudi 16 novembre 2017





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(Batavia) 13.1.1942
à la main


Mes bien chers,
Je viens d’apprendre qu’on peut de nouveau envoyer des lettres et je m’empresse de vous donner de mes nouvelles. Je joins cette lettre à une lettre écrite le 24 novembre et qui n’est pas partie parce que je voulais toujours ajouter quelque chose, je suis contente de pouvoir le faire maintenant.
C’est donc ce lundi où je devais avoir l’ami à souper que la guerre a été déclarée ici (7.12.1941 Pearl Harbor). Oscar a dû partir immédiatement après que nous avons entendu la nouvelle par la radio, je te supplie, maman de ne pas te faire de soucis pour nous. Quoi qu’il nous arrive, j’ai remis nos vies à Dieu. Oscar aussi lit sa bible anglaise et y puise sa force. Il vient à la maison une fois par semaine environ, pour quelques heures et chaque fois nous nous quittons réconfortés
.
J’ai été seule pendant Noël et Nouvel An, je n’ai pas versé une larme.
J’ai fait un arbre pour Conrad, mais cela ne lui a fait aucune impression. J’avais invité plusieurs femmes seules comme moi et j’avais ici 6 enfants, tous environ de l‘âge de Conrad. J’ai été invitée à dîner chez l’ami avec d’autres femmes seules des employés du bureau. C’était très gentil. Tout le monde est très très gentil pour moi je suis beaucoup entourée et j’ai beaucoup d’invitations pour aller vivre ensemble avec l’un ou l’autre, ce qui se fait beaucoup ici, vu qu’il y a tant de femmes qui n‘aiment pas rester seules à la maison. Moi pas, je ne quitte pas ma maison si je n’y suis pas obligée par force majeure. Je remercie Dieu de m’avoir donné Conrad. Depuis Noël environ, il répète tout ce qu’on lui dit et il commence joliment à parler. C’est trop beau, il est une joie de tous les instants pour moi, malgré que parfois je ne sais plus où me mettre pour avoir un peu de tranquillité !!! Il a un petit ami ici avec qui il s’amuse très bien et des fois je dois aller me cacher pour rire, rire, tellement ils sont drôles ! Vois-tu, c’est ainsi que je n’ai pas l’occasion de laisser pendre la tête, et quand j’ai un moment bleu, je me réfugie dans ma chambre et je vais puiser de nouvelles forces.
Maman, mes frères, j’ai peut-être encore beaucoup de chagrin qui m’attend (Nelly est bien consciente de la situation politique en Asie, mais refuse d’en parler explicitement dans ses lettres à sa maman), à quoi bon ne pas regarder les choses en face, mais j’aimerais vous convaincre qu’il ne faut pas vous faire de soucis pour nous. Croyez-moi, mes chers, ne pensez pas que je vous écris ainsi pour vous tranquilliser ou quoi que ce soit ; non, je vous ai toujours écrit la vérité selon ma promesse à toi maman, avant mon départ, et ce n’est pas maintenant que je vais vous mentir. Jusqu’à présent nous n’avons encore rien eu ici, mais cela peut venir. Nous sommes organisés comme à Londres. J’ai dépensé sans compter pour me procurer un maximum de sécurité. Je reste ici à Batavia, à moins que nous ne soyons évacués par l’ordre du gouvernement, mais je ne pense pas que cela se fera. Oscar est bien exposé, je ne vous le cache pas, et non plus que cela est ma grande anxiété, mais mes chers, c’est justement en ça que je me sens tellement supportée que cela tient du miracle. Si vous en voulez une preuve, eh bien, c’est tout le monde qui vient chez moi chercher de la force, consolation ou apaisement. Il ne se passe pas un jour que je n’aie pas de visites et des fois des femmes que je connais à peine. Si donc je n’étais pas moi-même calme et sereine, sûrement les gens ne viendraient pas ainsi. Maman, ne laisse pas l’anxiété gagner ton cœur, garde confiance.
Ne sachant pas si mes lettres vous parviendront, je vais vous télégraphier tous les deux mois si cela est possible. Dans mon dernier télégramme pour ta fête, Mamali, je n’ai pas mis, bons vœux, mais j’espère que tu auras tout de même senti qu’ils y étaient. Merci de votre télégramme reçu 2 jours après Noël et qui m’a fait un immense plaisir.
J’ai tricoté et je tricote encore un nombre incalculable de bonnes chaussettes de laine ( !)  pour Oscar. J’ai aussi toujours de ses amis qui viennent me rendre visite ! Et je les gâte comme toi tu le fais aussi.

Je suis si reconnaissante que nous ayons encore eu ce séjour à la montagne. Nous nous portons bien, et après la première semaine de guerre pendant laquelle j’ai souvent eu mal au ventre et senti mon foie, je n’ai plus eu mal et me porte très bien heureusement. Du reste, notre vie continue normalement, chacun étant calme et résolu.
Je sais que les Kinsbergen sont arrivés (*voir commentaire au bas de la page), mais je n’ai pas encore eu l’occasion d’avoir contact avec eux, cela viendra car naturellement je tiens à avoir le paquet que tu leur as remis pour Conradli.
Mon fidèle Kaidi ne me quitte pas, il est devenu un ami plutôt qu’un serviteur, j’en suis très heureuse.
Et voilà mes bien chers, je vous quitte pour aujourd’hui, nous sommes unis et confiants dans le Seigneur. Toutes mes prières, mes pensées et mes bons vœux. Aussi all the best de Boili et un baiser de Conrad.


*
Famille Kinsbergen, de Biel/Bienne
Charlotte « Lotti » Schmid, née 1906, était une amie de Nelly à Bienne. Elle a épousé en 1934 Salomon « Pam » Kinsbergen, commerçant en horlogerie. Ils ont eu deux enfants, Manus et Franca, tous deux plus âgés que Conrad. Vers fin 1941, Pam étant d’origine juive, ils ont émigré à Java, alors encore colonie néerlandaise. Pam a été recruté dans l’armée. Début 1942 Lotti et ses enfants ont été internés dans un camp de concentration japonais. Ce furent les pires années de leur vie, mentionne-t-elle.
(source : Lotti Kinsbergen – 101 Jahre erfülltes Leben, Mémoire régionale, Bienne, www.memreg.ch, traduction sommaire par C. Marchand)