dimanche 29 mai 2016




Keboemen

12 janvier 1936


Mes bien chers et Mamali
Peux-tu t’imaginer le plaisir que j’ai eu en sortant cette petite merveille de photo de ta lettre ? Je n’en croyais pas mes yeux, et je vous fais cadeau de ce qui a suivi !!! Mais je n’ai pas pissé de l’œil, cela je l’avoue avec quelque fierté ! Buby l’a immédiatement mise dans un cadre doré duquel on a enlevé les petites amateurs d’il y a 2 ans. Et maintenant j’ai mynes Mamms, si jolie, si douce sur ma table à écrire, et tes beaux yeux qui réfléchissent une telle paix intérieure me suivent dans tout ce que je fais dans la chambre. Je ne peux pas assez te remercier de ce précieux cadeau. Buby aussi la trouve très, très bien. Tu es jolie comme tout, et ce rayon de lumière sur tes beaux cheveux blancs : cette photo est un petit chef d’œuvre. Tes beaux cheveux, qu’ils soient blancs, tout blancs, à cela il n’y a rien à y changer et je ne t’en aime pas moins pour cela. Au contraire, cela te donne un charme de plus. Je m’exerce à penser comme toi, je te reverrai les cheveux blancs et avec quelques années de plus. Il ne faut pas se faire d’illusions. Toi non plus, tu ne retrouveras pas une girlie de 25 ans, jeune fille svelte etc.  Non, je serai une « Matame » de 30 ans bien sonnés, un peu une plättere (femme grosse), déjà avec des petites rides autour des yeux, etc, d’ailleurs je crois que je n’aurai changé que physiquement, plus vieille et….. plus grosse. Oui, mes chers, j’ai augmenté de 3 kg, et cela se remarque au contour du trallalla et à la figure naturellement. Mais je me porte bien, je n’ai pas mauvaise mine et sauf les petits bobos habituels, nous n’avons pas à nous plaindre.
Pendant que j’y pense, tu n’oublieras pas de dire à Hedy que mon tour de hanches a augmenté de 3 cm sur les mesures qu’elle a. Le tour de hanches seulement, le reste est encore juste. Cela m’amène à vous parler des belles petites robes, Tata et Max. Vu que je ne vous envoie pas encore les échantillons, vous pourriez presque croire qu’elles me sont indifférentes ! Loin de là. La raison est que je les regarde presque tous les jours, et tous les jours j’ai une autre préférence Je me suis déjà vue habillée dans chacun des échantillons, j’en jouis et je m’amuse. Il y en a une pour laquelle je suis tout à fait décidée, et je vous remets l’échantillon dans cette lettre. Puisque Tata va à Bienne, tu y es peut être à l’arrivée de cette lettre, alors tu l’auras directement, et vous pourrez beinle (commérages), Maman et toi. De cet échantillon rose j’ai envie de faire faire une robe de cocktail, c’est à dire une petite robe d’occasion, pour aller en visite. Les visites officielles se font ici, et à Batavia surtout, vers 7 heures du soir, on rentre vers 9-10 heures pour aller souper, alors de 7-9 heures on est assis ensemble sous les péristyles, les voorgaleryen ici, souvent dans le jardin aussi, autour d’une grande lampe à pied etc. Alors il fait beau avoir une petite toilette simple, mais chic et assez habillée pour donner le cachet nécessaire à la réunion. Il ne faut au moins pas que ce soit une robe du soir, mais une robe de 5 à minuit comme dit le Jardin des Modes, pour les soirs d’été. Tâche de faire entrer cela dans la cabosse à Hedy, vu que ce sont de si belles étoffes, j’aimerais beaucoup que Hedy me les coupe. Si elle te demande trop cher, alors non, aie le courage de refuser tout simplement, car je ne veux pas que tu aies encore des dépenses pour moi, tu en as déjà assez. Si toutefois Hedy consent à les faire, du moins  les couper (elle n’a pas besoin de les coudre et d’y faire beaucoup, pourvu qu’elle marque les détails un peu, je pourrai bien m’en tirer pour la couture.) Voici ce que j’aimerais pour la seconde petite toilette. Je pense qu’elle sera blanche, alors je voudrais une petite robe simple mais chic. Une petite robe passe-partout, que je puisse mettre le matin pour aller en ville, l’après-midi aussi, enfin quoi, une petite robe. Du chic ! Oui, voilà, je suis tout à fait décidée maintenant. J’ai encore une fois demandé l’avis de Buby et il les trouve aussi très beaux ces deux petits échantillons. C’est donc un rose pour cette petite robe de visite de 5 à minuit, et le blanc pour une petite robe chic et simple. Max et Tata, encore une fois je vous remercie de tout mon cœur pour l’immense plaisir que vous me faites.

Mes bien chers, c’est dimanche soir, justement commence la diffusion du match (foot) international Hollande – France, qui se joue à Paris. On entend les gens au stade, c’est trop beau, d’entendre ces gueules parisiennes, je vais donc écouter. A tout à l’heure
Lundi matin.
Hier soir les Hollandais ont gagné par 6-1, vous auriez dû entendre leur enthousiasme ! Nous avons écouté jusqu’à minuit.
J’ai encore oublié de vous raconter hier que le matin à 10 heures, une locomotive a déraillé en pleine gare de Keboemen, par suite d’un faux aiguillage fait par un remplaçant. Elle a déraillé juste à l’endroit le plus important, celui qui relie la grande ligne directe aux lignes secondaires de la gare. Elle était environ 30-40 cm à côté des rails, avec son « tender » (anglais, petit wagon pour le charbon) et encore un wagon. 
tender derrière la loco

C’était beau à voir, et à midi les deux trains directs, les grands pullmann faisant Batavia – Soerabaya en un jour ont dû s’arrêter à Keboemen, on a transbordé les voyageurs puis chaque train a repris le chemin d’où il était venu. Vers 1 heures, les ingénieurs de Poerwokerto sont arrivés et ils se sont mis à travailler pour remettre le monstre sur rails, ce qui a réussi vers 7 heures du soir. Vous auriez dû voir cela. C’était joli comme tout, et de dire que ce sont tous des mécaniciens, des coolies, javanais, et les ingénieurs des Indos qui ont la plupart fait leurs études à Bandoeng. Je vous dis, en Suisse cela n’aurait pas pu se faire mieux ni plus vite. J’ai eu mon plaisir à voir travailler tous ces types bruns et jaunes. Buby et moi, on s’amusait à regarder comme des gosses. Naturellement tout Keboemen y était, c’était l’événement de la saison !
Ce matin Buby vient de recevoir un téléphone de van Tinteren. Il sait qu’il doit venir à Keboemen, car c’est lui-même qu l’a demandé à Elout. Il a été à Batavia exprès pour en discuter avec lui. C’est une occasion pour lui de se mettre au courant de l’administration pour devenir adm. par la suite. Wies aussi prend la chose du bon côté, car au mois de mars elle va recevoir ses parents qui viennent vivre ici, avec eux. C’est un peu la raison que v.T. a de venir vivre à Keboemen. Avec son ménage agrandi, il aura moins de dépenses ici à K. car ils n’auront pas de visites, et c’est toujours ce qui leur faisait un trou dans le budget. Ainsi ils pourront vivre gentiment pour eux ici, et Wies n’aura pas à craindre les femmes ici, puisqu’elle aura la compagnie de sa mère. Les parents de Wies avaient un magasin d’art et d’antiquités et naturellement pendant ces dernières années, ils ont tout perdu. La mère étant allemande, elle a encore quelque argent en Allemagne qu’elle a réussi à retirer en prenant des billets pour le voyage par bateau allemand. Je suis curieuse de voir comment cette expérience va réussir, car ce n’est pas rien de faire venir deux personnes de cet âge pour vivre ici. Il faut craindre le mal du pays, à moins que le plaisir d’être réunis avec leur fille unique et leur petite fille, les fassent se sentir tout à fait à la maison.
Tante Engel m’a rapporté de Soerabaya de jolies assiettes à pudding, les mêmes qu’elle a et que j’ai admirées chez elle, alors la bonne âme a pensé me faire plaisir en me donnant les mêmes.
Van Tinteren a téléphoné pour nous dire qu’ils nous avaient enfin envoyé les souliers que j’ai commandés à Tjilatjap, depuis plus de deux mois. Ils me les envoient par des amis que nous connaissons aussi. Ils passent par Keboemen et peut être qu’ils mangeront ici, je n’en sais rien et je ne prépare rien. On verra quand ils seront là, ce sera toujours le temps de tordre le cou à un poulet.

Quant à mon agenda, je n’ai pas exactement fait une sorte de journal, j’ai seulement inscrit les dates qui avaient de l’importance pour nous, telles que les visites d’Elout etc, sans détails, sans rien. Mon vrai journal, ce sont mes lettres à vous tous, dont j’ai fait des copies que je garde soigneusement, car c’est toute ma vie que je vous raconte et plus tard je saurai y retrouver bien des détails, dans mes vieilles copies de lettres.
(Ces copies, retrouvées en 2011, sont la base de ce blog)

Eh bien, mes chers, de plus en plus nous pensons à Batavia. Van Tinteren nous a aussi annoncé que nous y allions, et puisque lui vient à la place de Buby, c’est bien certain que nous quitterons ici. Il me restera encore beaucoup à faire jusqu’au printemps. Et les derniers mois Wies viendra ici et nous serons encore beaucoup ensemble j’imagine, alors il faut que tout soit prêt avant leur venue, mes habits, différentes choses de ménage etc. Ce qui me fait le plus de plaisir pour Batavia, ce sera une meilleure cuisine et peut être le gaz, si ce n’est pas trop cher. Ce qu’il fera beau de pouvoir cuire un peu  soi-même. J’aimerais mieux me passer d’autre chose et me payer une cuisine au gaz avec un bon four. Il me faudra aussi une très bonne cuisinière, car je j’ai pas envie de me fâcher chaque fois que j’aurai des visites, ainsi qu’un djongos bien stylé. Pour le reste je m’en fiche. On a décidé de chercher une maison très simple, mais il faut qu’elle soit dans un bon quartier, très européen. Oh, nous avons encore décidé bien des choses, on s’amuse à faire des plans et des plans, c’est tordant. Mais je prévois que là, à Batavia, il me faudra encore plus compter qu’ici pour nouer les deux bouts, car les tentations seront nombreuses. Enfin qui vivra verra.

Mes chers, je vous quitte pour cette fois, je dois encore écrire à…..

vendredi 27 mai 2016





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Keboemen

5 janvier 1936

Mes biens chers
Il y a 4 ans aujourd’hui que nous avions un heureux petit souper intime parmi beaucoup de belles fleurs (fiançailles). Vous y pensez sûrement aussi autant que moi, en vous réjouissant, tout comme moi, que cet événement ait été le point de départ d’un bonheur continu jusqu’à présent. Mon Faaatherli, tu étais si….., non je ne trouve pas de mot juste, pas de mot assez beau pour exprimer l’opinion que j’ai gardée de toi ce soir-là. C’est vraiment un des moments de ma vie, peut être le seul, où j’aie senti si fortement le sacré des liens de famille, et l’affection profonde et généreuse dont j’ai été entourée. Je vous suis si reconnaissante de ce souvenir…
Comme pour fêter ce jour, j’ai reçu votre lettre 119 du 22 décembre. C’est la première depuis Noël, car les avions ont subi des retards à cause du mauvais temps.

Nous avons donc repris notre vie journalière de 1936, elle ressemble beaucoup à celle de 1935, et pourtant elle est différente. Ecoutez donc : le soir de Sylvestre, plutôt vers la fin de l’après midi, Visser reçoit un téléphone de Batavia, d’Elout, qui lui annonce les nouvelles d’Amsterdam. Entre autre que les salaires restent comme ils sont, pas d’augmentation comme on l’espérait, et… et… qu’en principe la direction d’Amsterdam était d’accord à ce que Woldringh soit placé à Batavia comme bras droit d’Elout. Le déplacement aurait lieu au mois de juin. Visser en était paff, Oscar l’a deviné parce qu’il n’a presque rien dit, une preuve que Visser n’est pas enchanté de la nouvelle. (Je crois bien, car il ne trouvera probablement plus de type qui fasse ainsi tout le travail de sorte que Visser puisse rester à la maison des jours entiers). D’après la surprise de Visser, nous avons conclu que Elout ne lui en avait rien soufflé lors de sa dernière visite, époque à laquelle il nous avait touché un mot sur le changement. Notre déplacement à Batavia n’est donc pas encore réglé, mais il y a 98 chances sur 100 que nous puissions y aller. Il faut toutefois encore attendre la lettre officielle de Batavia. Une seconde nouvelle, c’est que probablement van Tinteren viendra ici à notre place. Cela ne vous touche pas beaucoup, mais moi cela m’a donné un coup, car les connaissant, je ne sais pas s’ils y tiendront ici. Wies n’est pas diplomatique pour un sou, elle déteste les Indes et toutes mes histoires avec ces femmes d’ici, ne sont pas faites pour lui inspirer de la sympathie. De plus elle ne sait pas vivre seule, il lui faut des gens, des amis, du monde pour blaguer, des magasins, enfin quoi tout ce qui manque ici. Last but not least, à Tjilatjap elle avait un salaire de Fl. 275.- plus l’argent de coprah, de même que Röhwer ici, et maintenant ils n’auront que Fl. 200.-  plus le coprah, notre salaire de comptable, enfin. Pour lui, van Tinteren, c’est un avancement en ce sens que Batavia veut faire de lui un all round man, de sorte qu’il doit aussi apprendre l’administration pour devenir administrateur un jour. De même que Buby a aussi passé une année parmi les machines.
La nouvelle est arrivée pendant que Anne et Frans était ici, ils trouvent cela aussi une chic chance pour nous de pouvoir partir à Batavia, mais naturellement ils regrettent bien de nous perdre, maintenant qu’ils sont à Semarang. 
distances depuis Batavia/Jakarta (chemins de fer indonésiens)
cliquer sur la carte pour agrandir

Et la distance entre Semarang et Batavia est d’environ 500 km, on ne fait pas cela d’un jour avec notre puce. Cela prouve bien qu’ici il ne faut pas s’attacher à qui ou quoi que ce soit. Il faut vivre comme les gens de la marine : on se fait des amitiés spontanément, on en jouit tout ce qu’on peut, puis c’est adieu, loin des yeux loin du cœur et si la vie permet qu’on se retrouve, eh bien, on se retrouve en vieux amis. Mais le cœur, il faut le garder pour soi.
Vu que nous n’étions pas seuls, nous avons pris la nouvelle tout à fait calmement, Buby et moi, ce n’est que maintenant que nous nous faisons à l’idée de ce prochain départ et que nous nous en réjouissons, surtout Oscar qui en a vraiment marre d’être ici, surtout que le travail ne l’intéresse plus guère et que Visser en prend un peu trop à son aise. Quant à moi, je ne sais pas ce qu’il faut préférer maintenant, Batavia ou Keboemen. Anne était si enchantée de ma maison, vraiment ils me l’enviaient un peu parce qu’elle est si grande. Il paraît qu’à Batavia je ne pourrai jamais m’en payer une aussi spacieuse. Batavia est excessivement chère, de sorte qu’avec Fl. 400.- nous n’arriverons pas plus loin qu’ici, vu que nous aurons la maison, eau, gaz, électricité, et docteur à notre charge. Enfin, on verra, je trouverai bien un moyen à m’arranger. Un danger, c’est que là nous aurons beaucoup d’occasions de sortir, d’aller au ciné au club, faire et recevoir des visites. Enfin, il ne faut jamais s’en faire à l’avance, une chose après l’autre. Une chose qu’il y a de certain, c’est que je vais avoir un travail fou ces prochains mois, à coudre, coudre et coudre, car il me faut au moins une dizaine de nouveaux vêtements, robes, tailleurs, manteaux, etc. Je suis si contente de pouvoir compter sur les deux jolies robes de Max et Tata. Vous ne savez pas le plaisir que vous nous faites Oscar aussi se réjouit de me voir dans de si jolies étoffes. J’en ai déjà choisi une rose définitivement, mais j’hésite encore entre une blanche ou une bleue. Enfin, je vous écrirai sous peu.
Le 30 décembre nous avons eu une courte visite de John avec deux amis dont un avocat de Batavia, un type très bien qui a tout de suite sympathisé avec Frans. Ils sont venus avant midi mais ne voulaient pas manger ici, alors ils ont bu de la bière, de la bière, et je leur ai fait de petits sandwiches avec de la saucisse fumée que Anne m’avait apportée de Batavia. J’en ai fait deux plats immenses qui ont disparu très vite (j’avais posé les rondelles de saucisses sur chacune une bouchée de pain) sauf 2 ou 3 bouchées qui restaient sur le plat pour la politesse, malgré que je les encourageais de se servir. Après un moment, avant de partir, ils ont tous été se laver les mains ( !) et en passant par la chambre à manger, ils ont vu encore des restes de saucisse, plus une entière et des mandarines. Ils m’ont tout volé et bouffaient cela en riant comme des fous pour ensuite venir me rejoindre à la voorgalery avec des mines les plus saintes du monde. Ces filous ! mais j’ai bien ri quand même.
Nous nous sommes de nouveau amusés à tirer cet après midi. Oscar a visé une libellule accrochée aux fils de téléphone (comme les hirondelles chez nous) et la première fois qu’il a tiré elle est tombée. C’était un coup de chance qui ne s’est plus répété, mais le nouveau sport c’est de tirer à vide dans le derrière des chiens !!! aussi les crapauds qui sont par dizaines dans notre voorgalery le soir, vous devriez voir les sauts qu’ils font. C’est à se tordre de rire. Maintenant il vise les lézards aux murs !!! On s’amuse comme on peut.
Notre Nouvel An s’est passé très agréablement. Le matin Anne et moi avons fait toutes sortes de préparatifs pour le petit dîner du soir, les hors d’œuvre, le pudding, le cocktail aux fruits etc. 
olie bollen

Pour fêter la soirée à la manière hollandaise, j’ai fait du vin chaud, que nous avons bu froid, avec des olie-bollen, une sorte de  boule de Berlin, spécialité hollandaise, et surtout de la nuit de Sylvestre. Oscar a dû travailler jusqu’à 9 heures du soir, nous avons été le chercher à la fabrique et en même temps voir les femmes du kampong qui cuisaient la nourriture du slamatan (banquet) pour le lendemain. Vers 10 heures nous nous sommes mis à table. Une table avec ma nappe de soie jaune, bien décorée avec mes glaces de Paris sur lesquelles étaient disposées les petites fleurs roses dont j’avais envoyé les graines. L’effet était ravissant, les Gerbens n’en revenaient pas. Voici le menu : cocktail aux fruits et porto, hors d’œuvre, canetons aux châtaignes, jelly pudding au sherry. Une fois au salon, nous avons allumé l’arbre et attendu minuit, heureux et contents, chacun suivant un peu ses propres pensées, et écoutant le radio. A minuit moins 3 Buby a versé le vin et sur les douze coups nous avons bu à la santé, nous nous sommes souhaité bonne année d’abord, chacun embrassant sa chacune. A table nous avions déjà bu une bouteille de Liebfraumilch à la santé des absents et de tout ceux que nous aimions. Le vin était exquis, après, pour s’aérer un peu nous avons fait deux pas dehors, sous les belles étoiles dans la nuit sereine. J’ai beaucoup pensé à Loulou et aux champs de ski. Bon sang, ce que cela doit être formidable de passer une nuit pareille dans les champs de neige ! Vers une heure nous avons été nous coucher car les Gerbens devaient partir le lendemain tôt. Ce qui était drôle encore, c’était d’entendre toutes les stations de T.S.F. fêter l’entrée de la nouvelle année à des heures différentes, Soerabaia, Medan (Sumatra), Singapore.
Le soir de Sylvestre nous avons reçu un immense morceau de cochon rôti à la chinoise, et du Poe Jong Hai  (Pu Jung hai, ou Fu jung hai, ou Egg Foo Young ) une omelette chinoise délicieuse faite avec des écrevisses, d’un chinois client. 
Pu jung hai (Pinterest)

autre version (Pinterest)
Un moment après arrivent deux belles tourtes et des bricelets d’un autre chinois, avec leurs félicitations pour la nouvelle année. Dans la soirée, voilà le djongos de madame Visser qui nous apporte un grand plateau avec du cochon rôti et deux quarts de gâteau chinois !!! Frans et Anne n’en revenaient pas ! C’est sûr qu’elle veut refaire la gentille maintenant que son mari lui aura probablement raconté la nouvelle. Mais est-ce qu’elle ne se gêne pas ? Après la manière dont elle m’a traitée, vouloir faire la gentille tout à coup, et encore avec des choses qui ne lui coûtent rien, car naturellement elle ne pouvait pas deviner que nous avions reçu justement les mêmes cadeaux. Beaucoup de chinois aiment mieux Oscar que Visser.


Le matin de Nouvel An, après le départ de Frans et Anne, nous avons été faire notre visite de bonne année. Les Röhwer y étaient aussi do sorte que j’ai très bien pu me faufiler entre les gouttes, c’est  à dire causer beaucoup sans parler avec madame Visser. Visser a joué de l’accordéon et en fin de compte la visite s’est bien passée. En rentrant avec les Röhwer, ceux-ci nous ont demandé de venir chez eux encore un peu, et nous avons accepté et sommes restés un moment. Après quoi nous avons mangé du riz avec ce poe jong hai, et deux oranges comme dessert et nous avons été dormir. Voilà notre Nouvel An.
Aujourd’hui le jeune Liang, So Ping Liang qu’il s’appelle, est parti pour Batavia où il a trouvé une très bonne place, surtout beaucoup mieux payée qu’ici. Il avait cette offre déjà depuis quelques temps mais il ne pouvait pas quitter ici, plutôt il ne le voulait pas à cause d’Oscar, à la fin, Buby lui a dit que nous ne resterions pas toujours à Keboemen non plus. Enfin, il s’est décidé tout le même mais il avait les larmes aux yeux en prenant congé, déjà avant il avait pleuré, tellement il était attaché à Buby. Maintenant Buby aura encore plus à faire que jamais, car cela va prendre un certain temps jusqu’à ce que ce nouveau commis soit en train et Oscar devra faire beaucoup de correspondance lui-même. Il a même l’intention de prendre notre cheibli (petit diable = machine à écrire) au bureau pour son usage personnel, pendant un certain temps. Nous voulions aussi aller à Tjilatjap un de ces weekends, mais rien ne va plus. On va se tenir encore bien tranquille et bien travailler. Il faut que ce nouveau commis soit bien au courant avant que v.Tinteren vienne pour être mis au courant aussi, et au mois de mars, Visser a déclaré qu’il reprendrait un mois de vacances !!! Ce sont des vacances qu’il ne prend pas officiellement, vu qu’il fera les tournées depuis Kopeng, cela pour garder l’auto et le chauffeur à sa disposition ! Mais il ne mettra pas les pieds au bureau et tout retombera sur Buby. J’en suis un peu fâchée et de temps en temps j’aurais bien envie de me révolter mais en y réfléchissant, je me dis que c’est ces circonstances qui donnent à Buby une bonne réputation de grand travailleur et sur lequel on peut bien compter.
Et voilà mes chers, j’espère bien que vous aussi avez passé un bon Nouvel An. Avez-vous été en ski garçons ? Cela va-t-il encore Charlai ? Et toi, Chuggou, je comprends bien que tu en jouisses tellement.
Une chose qui m’embête bien, c’est que vous ayez dû payer tant de douane sur ce paquet que je vous ai envoyé. Vraiment, cela n’en valait pas la peine, et je ne vais plus faire de caisse pareille. Sitôt que je puis de nouveau me procurer des kroepoek de ce chinois, je t’en enverrai. Ils sont vraiment réputés mais on ne peut pas se les procurer partout.  J’ai maintenant aussi la recette pour les faire moi-même, mais c’est un travail fou. Maman, si cela ne revient pas trop cher, j’aimerais bien que tu m’envoies quelques tablettes de ce Caotonic qui doit être très bon. Je n’en ai pas encore vu ici, mais peut être qu’à Batavia il y en aura. En tout cas, j’aimerais bien en avoir quelques tablettes pour faire du cacao à Buby, c’est de nouveau un beau changement, vu qu’il n’a pas d’appétit du tout ces derniers temps. Je ne sais souvent plus quoi inventer pour le faire manger, alors je tâche de lui donner de la nourriture aussi nourrissante que possible. Si tu m’en fais envoyer un peu, il faut le faire dans une boîte à cigarettes en fer blanc, en échantillon sans valeur, et je te dirai si cela arrive bien.





jeudi 26 mai 2016




Keboemen

29 décembre 1935

Mes biens chers
Je vous écris à la main pour ne pas réveiller Buby qui dort encore. Il est 6 heures j’ai dû me réveiller pour faire sortir les chiens et laisser entrer le djongos. Je profite de vous écrire un mot à présent car je ne sais pas si j’y arriverai encore avant le courrier de mardi. Les Gerbens sont arrivés hier après midi, nous avons passé une très gentille soirée et avons eu beaucoup de plaisir à nous retrouver ensemble. Ils restent jusqu’au 2 janvier (Bon sang il n’y a pas moyen d’écrire, les petits chiens sont de vrais tigres qu’il faut essayer de garder tranquilles !) Frans commencera alors son travail à Semarang et nous nous promettons de nous voir souvent. Frans n’a pas encore bonne mine, mais je crois qu’il se retrouve lentement. Oh ! ils sont gentils et si sympathiques ! On est si content de les avoir  et de finir l’année avec eux. Aujourd’hui ou demain, j’attends encore John avec ses 4 zigues de Delft. On sera toute une compagnie, mais John ne restera pas très longtemps, car ils vont tous fêter à Bandoeng.
Comment avez-vous passé Noël, mes chers ? Nous, nous avons eu un Noël charmant. Oscar a travaillé le matin, mais l’après midi  nous l’avons passé ensemble à faire notre arbre et faire les fous. On a ri, on s’est chamaillé etc, enfin il a fait beau. Vers le soir nous avons été baigner et tout à coup Buby me demande s’il doit se mettre en smoking. Aussitôt dit aussitôt fait, moi j’ai sorti ma robe de noce de la malle  et nous voilà en train de nous habiller comme si nous nous préparions pour une grande fête. Une fois prêts, nous avons pris l’apéritif en buvant à la santé de tous nos chers, puis nous avons été souper dans notre salle à manger très bien décorée par le djongos qui trouvait cela à son goût, de faire du chiqué. Je n’ai pas fait grand chose, une tasse de bouillon, puis un caneton farci aux châtaignes avec de la compote aux pêches. Comme dessert la tourte au chocolat qui était le gâteau de Noël. Puis nous avons été allumer l’arbre que nous avons regardé assis l’un à côté de l’autre sur notre banc. J’étais heureuse, mes chers, j’ai beaucoup pensé à vous mais sans une petite larme. Tout mon Noël s’est passé ainsi. Nous avions de la belle musique au radio, j’en jouissais et Buby aussi, en fumant sa pipe. C’était heimelig. Le clou de la fête, vers 10 heures, était « The holy city » chantée par un chanteur anglais, les 3 versets exactement comme tu me les a écrits. J’ai pris le papier et j’ai bien suivi les paroles. C’était si beau. Cela a rendu mon Noël parfait !
Deux jours avant Noël, avec le courrier avion nous recevions 2 longues lettres de Eddy et Ans, sa petite fiancée qui a 23 ans et vient de faire son diplôme de sœur d’hôpital. J’avais écrit à Eddy pour sa fête. Il nous écrit qu’il est tellement heureux qu’il désire nous faire part de sa joie et qu’il m’envoyait quelques fleurs. En lisant cela on a ri et on s’est dit que c’était bien et surtout bon marché de me faire un cadeau pareil sur du papier. Buby a pensé que c’était une manière de parler comme on dit : say it with flowers. Et voilà, on y pensait plus, quand le jour après en me réveillant de ma sieste vers 4 heures, je vois un coolie apportant un immense panier de fleurs. Je me demandais justement qui pouvait bien recevoir des fleurs ainsi quand le coolie se dirige vers notre portail et vraiment cet immense panier nous était adressé. Une fois que le djongos l’avait déficelé, je l’ouvre et trouve 10 merveilleux, immenses chrysanthèmes blancs avec un cœur jaune, couchés dans la verdure et au milieu une petite carte avec ce seul mot : Eddy. Vous ne pouvez pas vous imaginer le plaisir que j’ai eu. C’était si riche et surtout si inattendu. J’ai vite fait venir Buby du bureau pour venir en jouir avec moi, puis je les ai arrangés dans un grand pot en cuivre dans lequel les Javanais cuisent le riz et que j’ai au salon comme vase. Cela donnait un tel aspect de fête à notre chambre !
Et maintenant nous avons passé de beaux jours avec Anne et Frans. En  ce moment, les deux hommes sont assis (les pieds sur la table) à la véranda, chacun fumant sa pipe et ils discutent, tandis qu’Anne et moi avons composé le menu et le programme de demain soir, et maintenant nous écrivons chacune pour le courrier de demain. Vous ne m’en voudrez pas si cette lettre est un peu courte. Les prochaines seront de nouveau plus longues. J’ai reçu votre dernière lettre juste au jour de Noël. C’était si beau ! merci à tous pour vos gentilles lettres, j’en ai un tel plaisir et Buby aussi.
Mes chers encore une fois tous nos meilleurs vœux pour la nouvelle année...
God bless you all
Ge….



mardi 24 mai 2016




Keboemen

22 décembre 1935

Mes bien chers
Il me vient justement à l’idée que dans deux jours c’est Noël. Je n’ai encore rien du tout préparé, rien commandé, pas fait de menu, rien. Mince, il faut que je me dépêche, et ne vous attendez pas à une longue lettre.
D’abord merci de tout cœur pour toutes vos bonnes lettres qui nous ont fait tant de plaisir, on les lit et les relit. Il a fait beau recevoir un bon courrier.
Vous me gâtez tellement. Merci mille fois de tout cœur pour la jolie robe. Elle est ravissante et elle me va fantastiquement bien. La couleur est plus que distinguée et elle ne me fait pas du tout pâle comme je le craignais un peu après avoir reçu l’échantillon. C’est une couleur tout ce qu’il y a de fin, et très raffinée, car elle me fait un beau teint, je t’assure. La façon aussi est charmante, les manches sont bien et elles me vont parfaitement. Il n’y a qu’autour du trallalla (derrière) que cela tend un peu, un signe que je suis devenue plus forte. Je vais ouvrir un pli et le faire un peu moins large de sorte que cela me donnera un peu plus d’ampleur, autour des hanches. Il n’y a pas tant à coudre, mais je ne crois pas que je réussirai à la terminer pour Noël, justement à cause de ce pli, mais cela sera pour après quand j’aurai mes visites, je serai contente d’être bien. J’ai reçu aujourd’hui l’avis d’un recommandé, je pense que ce sera la ceinture.
Nous avons également reçu la cravate de Tata pour Buby, qui est ravissante, Oscar en a un plaisir fou. Entre parenthèse, ce pauvre diable a travaillé aujourd’hui toute la journée, il est bientôt 7 heures du soir et il y est encore. Avec cela il veut écrire à Max et Tata !
J’ai également reçu cette lettre avion de madame Danz. Heureusement que je lui ai envoyé une carte postale pour leur souhaiter de bons jours de fêtes. Mais zut, je ne peux pas leur écrire par avion, je vais bien lui répondre, mais par bateau. Si je commençais ce système, je me ruinerais en timbres avion. La photo !!! Mes chers, j’ai fait les hauts cris. La bouche peinte de la Ditteli, c’est comme une couronne de cervelas (saucisses suisses très populaires) posés délicatement sur sa binette. Elle a au moins fait en sorte de prendre la plus grande place sur la photo, il y aurait le danger qu’on ne la remarque pas ! autrement ! Mais bon sang, cette binette. Elle a de beaux pieds, cela il faut le lui laisser, mais le reste, misère ! Qui sait, peut être serait-elle proclamée reine de beauté en Abyssinie grâce à ses lèvres, mais le reste c’est du cheval. Après elle, vient la petite Carrera qui a l’air gentil mais bête. La petite Thiébaud ressemble à sa mère, elle a une expression vulgaire. La jeune Straub et Vio sont les mieux. La Brodbeck est insignifiante. Mais n’allez pas raconter tout cela à madame Danz, cela gâterait l’effet de la lettre que je vais être obligée de lui écrire !
A propos de la Rickshaw j’en ai de nouveau une bonne qui prouve que mon nouveau système porte déjà des fruits.  Vendredi matin, je me préparais à aller en ville quand je vois la Rickshaw passer en auto, aussi allant en ville. J’allais encore vite déjeuner quand les Hartong sont venus. Ils voulaient passer chez la Rick, mais ne la trouvant pas, ils sont venus s’asseoir chez nous. Madame devait aussi aller en ville, alors j’ai été avec eux en auto. Nous avons naturellement rencontré la Rick dans un magasin. En me voyant avec mad. Hartong elle m’a lancé un de ses gentils regards, si, pour ne pas être doux était au moins sincère, puisqu’il me dévoilait clairement tout l’amour qu’elle a pour moi. Quand j’ai vu cela, je me suis cambrée, j’ai relevé la tête et l’ai regardée froidement. Cela n’a duré qu’une seconde, elle a immédiatement changé d’attitude et m’a poliment saluée. J’ai répondu très poliment à son salut, et parlé quelques mots avec les deux dames avant de prendre congé pour aller mon chemin. Alors la Rick m’a offert sa voiture pour aller faire mes commissions. J’ai refusé gentiment, mais j’ai dit que je les retrouverais dans tel magasin où elles devaient aussi aller. J’avais besoin de la Rick pour acheter des sarongs pour les domestiques, comme cadeau de Nouvel An. La Rick s’y connaît bien tandis que moi je ne vois pas encore la différence entre la valeur des dessins. Nous avons encore été ensemble dans 2-3 autres tokos (échoppes), moi je laissais ces deux femmes choisir leur butin pendant que je m’occupais du mien de mon côté, alors à tout moment la Ric s’approchait de moi avec une gentillesse quelconque. Moi, je la laissais faire et lui laissais voir en même temps qu’elle ne m’impressionnait pas avec ses avances. A la fin, elle m’a dit qu’ils iraient à Djocja ce weekend-ci, si j’avais des commissions. J’ai répondu que je verrais, et que si j’en avais je le lui dirais à temps. Mais je n’ai rien dit, je ne veux plus de ses services, j’ai appris à m’en passer. Ah, oui, c’est moi qui ai la flûte maintenant, et c’est elle qui danse. J’ai toutefois bien soin de ne pas trop tirer la ficelle du pantin. Je les tire, je les lâche pour mieux les retirer, les « cifelles ». C’est une bonne occasion pour m’exercer au jeu, pour plus tard, car je pense bien que j’en rencontrerai encore beaucoup sur mon chemin, des Rickshaw.
Papa, Garçons, je vous écrirai à chacun l’année prochaine, je ne pense plus y arriver cette dernière semaine. Oscar, qui m’a dit pendant toute l’année qu’il voulait écrire à Mr. Dunlop (voir lettre du 14.11.1932 Comment tout a débuté), me déclare maintenant qu’il avait compté que moi je le ferais. Tableau, me voilà encore à pondre une lettre de plus, et une qui n’est pas trop facile. Enfin, allons-y, mais c’est vous qui en pâtissez. Vous ne m’en voudrez pas mais vous comprendrez bien, hein ?
Merci pour tous vos bons vœux de Noël et pour la nouvelle année. Vous savez combien nous aussi nous penserons à vous tous, et comme je m’imaginerai l’arbre à la véranda, vous tous autour, ensuite le souper dans la chambre qui sent bon le sapin, et toutes les histoires de la Dame de Noël.
Mes chers, encore une fois un JOYEUX NOEL et UNE BONNE ET HEUREUSE. Un bon muntschi à chacun avec toute mon affection et mes tendres pensées. Nous serons les uns chez les autres en pensée, aussi à Sylvestre et Nouvel An.
Tiens, cette lettre n’arrivera que pour Nouvel An, Noël aura déjà passé.
Le jour après Noël j’aurai les v.Tinteren pour 2-3 jours, puis John avec ses amis de Delft pour une nuit, puis Frans et Anne pour quelques jours. Pas le temps de s’ennuyer ! Pour le soir de St Sylvestre je vais faire une Soirée Tzigane avec de la musique tzigane et du vrai bon goulash hongrois, dont j’ai reçu la recette de Flock. Oh, mes chers, je vous embrasse de tout mon cœur. Ge….
A la main
Ce matin Buby s’est réveillé pour aller faire pipi, il faisait si beau dehors qu’il m’a réveillée. Nous nous sommes vite habillés et avons été promener. Il était 6 heures, c’était exquis et j’ai eu tant de plaisir. Buby a recommencé à fumer la pipe. J’en suis contente, car je crois que cela lui fera moins de tort que les cigarettes.


lundi 23 mai 2016




Keboemen

16 décembre 1935

Mes bien chers
Me voilà avec un Buby de 31 ans. Une fois de plus nous l’avons bien fêté ce premier pas dans la trentaine. John et Jans sont venus, samedi après midi déjà, et comme de juste nous nous sommes tous couchés avec une chique. Nous avons ri quelques bons coups, puis vers la fin les deux hommes ont eu, non une chique pleureuse, mais une chique philosophique, alors Jans et moi nous avons filé doucement car nous avions sommeil.
John avait amené deux de ses mécaniciens pour réviser notre Puce qui mijote depuis quelques temps. Les 4 hommes ont travaillé à la magnéto tout l’après midi et le soir vers 7 heures, ces deux mécaniciens ont décidé de retourner à Solo, car John veut avoir la Puce sous la main là bas où il a tout ce qu’il faut pour une bonne et complète révision. Si cette magnéto nous joue encore des tours, il y mettra un Delco ( ???). J’écris cela pour les garçons, car moi-même je ne comprends pas trop bien ce que l’on entend par là.
J’ai de nouveau beaucoup joui d’avoir Jans qui est toujours la même, gentille et si cordiale. Ils ont été les deux terriblement malade, John a eu la malaria tropica (la plus mauvaise) et Jans la malaria terziana la plus bénigne, qu’ils ont rapporté de Pengandaran, le lieu de chasse où nous devions les accompagner. 
auj. réserve naturelle
Pengandaran, nov. 2013

Pengandaran beach
Nous sommes bien contents d’avoir été prudents, Buby et moi, Oscar a bien grondé John d’être si bête et d’y amener Jans encore, et il a promis de ne plus y aller, malgré les bonnes chasses.

Hier matin, à son réveil, Buby a ouvert un gentil petit paquet et avec un cri de joie en a sorti le merveilleux couteau de poche. Ce cadeau désiré depuis que nous sommes ici, lui fait un plaisir fou. C’était d’ailleurs le seul signe de vie et de bonne fête qu’il ait reçu jusqu’à présent. Je ne sais pas ce qu’il y a eu avec l’avion, mais toute la semaine nous avons été sans aucune lettre, ni de Suisse, ni de Hollande. Pas un mot, je vous dis. Quand Karim, le clerc de bureau javanais, revenait sans lettre, un jour après l’autre, nous avons presque fini par l’insulter. Cette fois-ci Buby aussi était bien impatient et aux heures de courrier nous nous tenions les deux au portail pour tacher d’attraper les lettres plus vite, les lettres qui ne venaient pas. Il a été annoncé par radio que l’avion arrivait ce matin à Batavia-Tjililitan, de sorte que nous les aurons demain à midi.
Il est retourné au travail ce matin, Buby, mais il n’est pas encore comme il devrait. Pendant son absence, Visser n’a fait que le strict nécessaire, et a mis de côté le plus possible sur le pupitre d’Oscar. Il a beaucoup à liquider, et j’ai déjà été avertie qu’à Noël il travaillera probablement tout le jour. Belle perspective ! Enfin, faut pas s’en faire, il y en a beaucoup qui aimeraient pouvoir travailler. Je m’efforce maintenant de ne pas penser à Noël comme à une fête, mais simplement comme à une soirée où la chambre sera éclairée par un arbre avec des bougies, au lieu de la lampe habituelle. Je penserai à vous mais pas trop, vous comprenez ! Malgré tout je ne suis pas malheureuse, bah, on apprend tant à se faire à tout, ici, dans ces choses-là surtout. Heureusement qu’on a la nature qui nous aide, car en ce moment nous sommes en plein printemps, de sorte que l’ambiance de Noël  ne se trouve que dans les souvenirs. Bah, cela reviendra aussi. Grâce à toi, je suis élastique, et cela m’étonne moi-même très souvent, comme je puis me faire à tout, facilement.
Voilà, je viens de vous quitter pour me couper une robe, ce qui m’a pris deux heures. C’est une petite robe écossaise rouge noir et blanc, dont je dois vous avoir envoyé un échantillon. Demain matin je la couds, après demain je la finis et la porterai le soir pour aller à ma leçon. Il faut toujours que j’aie une occasion spéciale pour inaugurer une robe. Jans s’en est fait de très jolies, vraiment elle était bien habillée, ces deux dernières fois. Elle est aussi moins grosse, elle a maigri de 10 kg, on voit tout de même la différence quoiqu’elle soit encore grosse. Elle pèse maintenant 95 kg. Le 28 ou le 30 décembre John viendra nous ramener la Fiat, avec trois amis de Delft. Probablement toute la bande couchera ici, une nuit. Le 31 j’attends donc Ann et Frans pour passer Nouvel-An avec nous. Ils déménagent à Semarang déjà le 20 courant. Gare, en janvier nous y irons avec la Puce.
Hurra ! Hurra ! Hurra ! Le mail vient d’arriver, plus vite que nous ne l’attendions. Nous avons donc reçu ta lettre Tatali, avec vos bons voeux pour la fête d’Oscar. Il a lu la lettre avec plaisir et me charge de vous remercier de tout cœur, vu qu’il ‘arrive pas encore à le faire lui-même. Cela viendra et ne lui en voulez pas de ce qu’il n’écrive jamais. Il n’écrit à personne, même à ses meilleurs amis, c’est moi qui écrit pour lui.
Merci aussi pour ta lettre 116. Dans deux jours nous recevrons déjà la 117, l’avion était hier à Singapore. Tous les jours à midi, la radio annonce les étapes des avions en chemin pour les Indes et pour la Hollande. A cette saison ils ont fréquemment à lutter contre de mauvaises conditions atmosphériques et depuis tous les accidents, il a été strictement défendu aux pilotes de prendre le moindre petit risque, c’est pourquoi ils aiment mieux subir des retards maintenant. Hé, il a fait beau les lires, toutes ces lettres, il y en avait aussi une de Dan, le meilleur ami à Buby, la première que nous recevions depuis que nous sommes ici ! Cis nous a aussi écrit une gentille lettre avec des photos de ses garçons. Coen et Eddy (frères de Oscar) n’ont encore donné aucun signe de vie, depuis des mois et des mois.
Oui, j’ai toujours oublié de te remercier pour l’agenda que j’ai bien reçu et qui m’a de nouveau fait plaisir. Est-ce que cela te ferait plaisir si je t’envoyais celui de ma première année ? Il te faudrait naturellement bien le garder et me e renvoyer à l’occasion, ou le garder jusqu’à mon retour. 
Je viens d’apprendre un bout de ma leçon de javanais. C’est cela qui est intéressant, Faaather ! une fois que je saurai bien cette première langue orientale, je pourrai facilement apprendre les autres. Il se pourrait bien que je me mette une fois au japonais. C’est des char… mais ils ont du bon quand même.
Est-ce que Mottet va m’écrire ? S’il le fait, qu’il n’oublie pas de me renseigner sur ce que je lui ai demandé.
Donc mon Faaather a été à Milan. Mon vieux, fais bien attention avec tes combines. Rappelle-toi ! Je serais bien contente si je recevais un gribouillage de toi de nouveau, car tu sais, il faut le reconnaître, tes lettres sont et restent toujours épatantes de présence et de réalité. Je ne veux pas te faire des compliments, mais il ne faut pas cacher la vérité non plus, hein ? Comment vont tes rhumatismes ? J’espère que la collection de petits pots vous parviendra bien. Dis, raconte-nous donc comment tu as trouvé l’Italie, et les conditions là-bas. On dit que Musso/lini n’en a plus pour longtemps à jouer le Duce. Je n’écoute plus jamais les nouvelles au radio et quand je demande des renseignements à Buby il me raconte ce qu’il veut, le polisson. Il est déjà allé se coucher, cette première journée au bureau l’a éreinté, mais aussi depuis 2-3 jours il fait chaud, bon sang, je n’ai encore jamais ressenti une pareille chaleur ici. Vers midi on a le sentiment d’être un sac de plomb, il faut une immense volonté pour se lever de sa chasé et si on y arrive c’est pour immédiatement se laisser tomber dans une autre. Qu’est- ce que je ferais si je ne pouvais pas aller dormir ! Oscar, lui, souffre moins de la chaleur, c’est à dire, moi, je n’en souffre pas, je la ressens seulement plus que lui. Il l’a supporte assez bien tout de même.
Les Engelhart sont donc partis en vacances hier. Lui pour Soerabaia et elle chez une amie, ensuite ils se retrouvent pour aller à Sarangan, là où nous avons été et ils finiront par Bandoeng. Ils resteront loin trois semaines. La semaine passée, mercredi dernier donc, tante Engel est venue jouer au mah-jong avec Oscar qui était encore couché. Le soir le docteur est encore venu et nous avons tous pris le thé ensemble. Tante Engel voulait aller au cimetière ce jour-là, mais elle n’en a plus eu le temps, alors le lendemain j’ai été pour elle, et j’ai bien arrangé la tombe de sa mère avec les fleurs qu’elle m’avait laissées. Elle en a été si contente, qu’elle m’a envoyé son livre de cuisine, celui qu’elle s’est fait elle-même en copiant toutes les recettes qu’elle a trouvées bonnes. Tu sais Mamms, tu as aussi un livre pareil. Eh bien, tante Engel le garde comme la prunelle de ses yeux , ce livre, car elle y tient beaucoup, et maintenant elle me l’a envoyé sans que je le lui demande, pour le garder et en copier ce que je veux. Je trouve cela gentil d’elle.
La semaine passée j’avais été avec elle au village et j’ai acheté un sarong pour ma bi-ba-boe, car c’est bientôt leur nouvel an, alors ils doivent tous s’habiller de neuf. C’est la coutume qu’on leur fasse cadeau de ce qu’ils ont besoin. J’ai donc choisi un sarong et un slendang qui nous plaisait bien, à tante Engel et à moi. En rentrant, j’ai laissé le paquet ouvert dans ma chambre à coucher pour que la baboe le voie, car je voulais voir qu’elle g… elle pousserait. Elle a fait semblant de ne pas le voir. Un peu plus tard, pour attirer son attention, je lui demande s’il fallait que les slendang aient le même batik que les sarong. Elle me répond que oui, que c’était mieux, plus fin, mais pas un de ses muscles n’a bougé, rien, un visage entièrement sans expression. Je me dis : mince alors, elle ne semble pas en avoir beaucoup de plaisir à ce futur cadeau. 
kain sarong

ex. batik sarong (privé)
Des sarong (tissus), des kain (tissu porté en jupe) et des slendang (châle) sont des choses que je ne sais pas encore acheter je ne vois pas encore la différence entre la beauté et la  qualité des dessins Mais tout de même je commençais à la trouver difficile, blasée et gâtée, ma baboe, de ne montrer aucun plaisir, ne donner aucun signe de contentement, enfin zut, la vache, que je me suis dit, et je n’y ai plus pensé. 

Mais voilà ces derniers jours elle a toujours mis le même sarong, et je commençais à m’en étonner, vu que les domestiques aussi changent chaque jour de vêtements. Je regardais ce sarong sans penser à rien, mais un moment après en voyant le mien, le neuf dans mon armoire, je m’aperçois que c’est le même que la baboe porte depuis deux-trois jours ! Voilà donc le secret de sa mine impénétrable. Si je n’avais rien vu, elle aurait accepté ce sarong sans un mot. Elle l’aurait mis pour venir me remercier et après il aurait filé au mont de piété, jusqu’à plus voir.
Pour la fête à Oscar j’ai fait du cognac aux œufs, et pour servir le blanc des œufs, j’ai encore fait des langues de chats. Ces deux choses ont bien réussi, mais j’ai encore fait une tourte à laquelle j’ai travaillé pendant deux matinées, et nom d’une pipe, elle était pire que du vieux pain. Pourtant j’ai tourné pendant 40 minutes j’ai bien tout mesuré et fait exactement d’après le livre de cuisine. Je crois que cela tient au four ou du moins ce que j’ai comme four, je ne peux pas bien régler la chaleur. Enfin, le lendemain je l’ai sortie pour la fourrer de crème, la tourte était pleine de trous comme un bon Emmenthaler et dure et sèche comme du chäfersfüddle (sec comme un pet de coucou). Je me suis dit qu’il fallait sauver l’apparence en faisant une bonne crème au rhum. Cette charrette de crème, il fallait la cuire, je l’ai ratée deux fois de suite En la faisant la troisième fois, j’ai attrapé le « tout de suite » de peur de la rater encore une fois. Comme je devais courir au cabinet et que je ne voulais pas la quitter des yeux, je l’ai prise avec. Enfin j’ai rempli la tourte, replacé le couvercle (de la tourte !) et j’ai fait le glaçage auquel il a aussi fallu travailler pendant une demi-heure. A la fin je l’ai étendu sur la tourte et j’ai fini de la garnir avec des petites cerises rouges, et des feuilles vertes que j’ai découpées dans de la succade (c’est le mot hollandais) (glaçage). Elle aurait été vraiment jolie cette tourte, mais pour comble de malheur, j’ai placé les cerises et les feuilles trop vite, et elles se sont noyées dans le glaçage qui n’était pas encore sec. Oh, je vous dis, pour une ratée, c’en était une, et ne me demandez pas ce qu’elle a coûté !!! J’aurais presque pu m’en faire envoyer une de chez Pierre pour ce prix ! Enfin, on apprend par expérience.
Ce mois-ci on arrivera à notre ancien salaire, moins trois florins. Ce sera la première fois cette année ! Heureusement , car j’ai de la peine à tourner ce mois-ci. Oscar m’a donné les Fl. 50.- qu’il a reçu de son père pour son anniversaire, cela remet à flot aussi, un peu, du moins. Mais flûte, au moins je n’ai pas un centime de dettes. Oscar a retiré Fl. 237.- de ses actions de la N.I.H.B. (Banque néerlandaises des Indes), non, c’est des obligations qu’il a, son père nous a fait envoyer la somme ici, mais nous ne voulons pas l’employer ou une très petite partie seulement et le reste s’en ira sur le carnet d’économies.
Maintenant, mes bien chers, je tombe de sommeil. Il est 11 heures, la radio dit justement bonsoir et je vous en souhaite de même.
Mardi matin.
Merci encore une fois pour la recette des sandwiches. La première fois tu ne me l’avais pas donnée aussi complète. Maintenant je vais essayer à nouveau.
Mes chers, cette lettre vous arrivera juste pour Noël. Vous serez tous ensemble et vous penserez à nous. Est-il  nécessaire de dire que nous en ferons autant ? Au moins le soir de Noël ? Je pourrai faire un bel arbre cette année, tante Engel m’ayant prêté toutes ses choses de Noël, vu qu’elle ne les emploie pas. Nous vous souhaitons donc de bons jours de fête, paisibles et heureux.
Il reste mes chers garçons auxquels je ne suis pas arrivée à écrire séparément non plus. Garçons, profitez de votre Noël à la maison, vous amassez pour plus tard des souvenirs d’une valeur inestimable, croyez-en mon expérience.
Et maintenant, bien chers tous, encore une fois nos vœux les meilleurs……(j’ai déjà une bouteille de Graves dans la glacière pour cette occasion) A chacun de vous bons muntschis….
De vos Buby et Bubinette
P.S. Quand j’ai fait les langues de chat, Oscar m’a aidée à tourner la pâte, car c’était justement son premier jour hors du lit de nouveau. Puis c’est lui qui les a dressées sur la plaque. On s’est bien amusé, et au beau milieu c’est Visser qui arrive lui faire une visite !!! Il a dû rire…    Ge…




samedi 21 mai 2016




Keboemen

1er décembre 1935

A sa maman
Nous voilà déjà au dernier mois de l’année. Comme le temps passe vite ! Ce sera déjà notre troisième Noël ici. Encore deux et vraisemblablement le prochain troisième sera à la maison avec vous tous. Mais chut, n’y pensons pas encore et ne nous réjouissons pas trop, dans ces choses il faut toujours être très prudent.
Merci de tout cœur de ta lettre 114 qui a été attendue avec impatience et lue avec plaisir. J’aime aussi bien votre dimanche de pluie, passé comme tant de dimanches précédents quand j’étais encore à la maison et qu’on buvait le thé avec les garçons. J’y pense encore souvent et quand il pleut ici je fais la même chose pour Buby. Seulement ces derniers temps je n’ai plus aucun plaisir à faire des cakes etc. parce que ma baboe les gâte toujours quand elle les cuits. Avec ces tonnerre de charbons c’est difficile d’avoir la bonne chaleur, juste celle qu’il faut et elle ne fait pas assez attention de sorte qu’une fois ils sont brûlés et une autre fois ils ne montent pas. Cela m’a découragée pour un moment, mais je vais recommencer, car il faut bien que je fasse quelque chose pour le fürzelistag (anniversaire) de Buby.
Pour le moment il a la grippe, ce gnocchi. Mr. Visser l’a eue dans le courant de cette semaine, un peu d’influenza, et hier soir cela a pris Buby. Au lieu de travailler jusqu’à minuit, comme d’habitude, il est déjà revenu à 8 heures. J’en étais étonnée et quand j’ai regardé il avait de la température. Ce matin toutefois il était sans fièvre et je l’ai laissé aller au bureau de nouveau, car c’est la fin du mois. Il en est toutefois revenu à 11 heures avec 38.0 et ce soir à 5 heures il a eu 38.4 malgré que je l’ai fait transpirer. Je vais lui donner une bonne purge maintenant et le garder au chaud, ainsi cela passera bien, sinon je ferai venir le dr. Maintenant que nous sommes habitués l’un à l’autre et aux symptômes de refroidissement d’ici, je ne m’en fais plus, tout en restant naturellement vigilante.
Lundi matin.
Buby est encore au lit. Il a eu de la fièvre toute la nuit, c’est seulement vers le matin que la température a un peu baissé. Maintenant il a 37.5. La purge a bien agi, et je pense que la température baissera complètement dans le courant de la journée. Il n’est pas malade autrement, sauf qu’il a mal à la tête. Mr. Visser est venu lui rendre une courte visite ce matin et lui a prêté un livre à lire. Ce sera donc de nouveau à moi d’écrire à papa Woldringh et à Eddy pour sa fête.
A propos d’Eddy, nous avons entendu par papa W. qu’il vivait une idylle qui finira bien par des fiançailles. Une petite garde-malade, 23 ans, dont le père était ministre des colonies, ici aux Indes, il y a quelques années. Nous n’avons encore rien entendu d’Eddy lui-même, de sorte que nous n’en faisons pas encore allusion.
Voilà 15 jours que nous n’avons plus roulé. Nous disons que c’est à cause de la benzine, mais la vérité c’est que quelque chose ne va pas, empêche la machine de se mettre en marche. Buby a déjà démonté tout le diable, et cela ne va pas mieux ! Ma foi, il doit faire ses expériences avec cette chiotte, et il aime bien y fignoler lui-même. Moi, cela m’est égal, pourvu qu’il y trouve son plaisir après tout. Mais j’espère que John et Jans viendront sous peu et nous aideront à la remettre en bon état. Nous ne le disons à personne, car les gens auraient seulement du plaisir, et nous ne le leur accordons pas. Tu trouves que tante Engel a confiance en moi parce qu’elle vient déjà avec moi en auto ? Eh bien, et toi, aurais-tu peur avec ta girly ? Je crois que non. De plus tante Engel conduit elle-même depuis 15 ans.
Ainsi, tu veux vendre ton rouet. Comment es-tu venue sur cette idée ? Est-ce que c’est parce que tu as bien besoin de sous ? Dis-moi un peu comment cela va à la maison avec l’argent. Je suis sûre que cette affaire de Berne vous donne du souci, parce qu’enfin, à toi, il ne doit plus rien rester. Si jamais tu étais à court, prends de moi sans crainte, pourvu qu’il reste environ Frs. 2000.- pour un voyage, en cas, comme nous l’avions décidé. As-tu maintenant réussi à le vendre pour Frs. 35.-, ce rouet ? Il me semble que ce ne serait pas trop cher, vu que c’est un article de connaisseur on peut demander un prix de fantaisie, et il faut en profiter. Si elle est déjà venue trois fois, c’est preuve qu’elle y tient et qu’elle reviendra.
Et maintenant un chapitre Visser-Rickshaw. Mardi passé, le soir, Buby vient me dire que l’auto de la fabrique était à la disposition des dames de la Mexolie pour une sortie à Djocdja le lendemain. Bon, moi je ne voulais pas laisser passer cette occasion de sortir gratis, malgré la gentille compagnie. Il faut te dire que le mardi soir, après sa leçon de javanais, tante Engel est venue dormir ici parce que le lendemain tôt elle devait être à l’hôpital pour son pied. Le mercredi matin, donc, à 6 heures exactes (pour une fois elles ont pu l’être !) l’auto avec ces dames était devant ma maison. Heureusement j’étais prête. Ces dames m’avaient généreusement laissé la place à côté du chauffeur, justement celle que je désirais. Elles étaient assises là comme deux königliche späckfüdle (lit. gros culs), les deux en blanc (parce que dernièrement je porte beaucoup de blanc !) et ont eu de la peine de me saluer, car j’avais mis une petite robe à fleurs que je venais de terminer d’après le patron du Jardin des Modes. Moi j’ai gentiment dit bonjour, encore envoyé un bec à Buby qui me regardait partir, je me suis installée à ma place, bien décidée à ne pas me laisser faire cette fois-ci. Après quelques 100 m madame Visser demande : Où nous retrouverons-nous à Djocdja, pour rentrer ? Bon, je me suis dit, cela au commencement du trajet signifie que l’on ne veut rien de plus de moi. Avec la plus gentille mine du monde je lui ai dit qu’où elle voudrait, je serais à l’heure qu’elle m’indiquerait. Elle s’est encore pris la peine de jouer la comédie et d’aussi demander la Ric où elle la retrouverait. J’ai souri à ces paroles. On est tombées d’accord de se retrouver à 3 heures au club. Je lui ai encore dit que je trouvais chic d’aller à Djocdja, ce à quoi elle n’a pas jugé bon de répondre, tandis que la Ric jubilait intérieurement d’être si bien avec la Visser, mais d’un autre côté elle était tourmentée par sa jalousie à cause de ma robe. Enfin la Näggeli leur a encore lancé un gentil regard accompagné d’un sourire gentil également (mais pas modeste !), elle s’est retournée et n’a plus regardé en arrière jusqu’à Djocdja, soit pendant 2 ½  heures. J’apprenais mon javanais pendant qu’elles blaguaient leurs éternelles histoires. A la fin elles étaient pourtant perplexes et cherchaient bien à me faire entrer dans la conversation, mais la Näggeli sait qu’on lui avait signifié son congé une fois et qu’on ne le ferait pas deux fois. A Djocdja la Visser ne savait pas comment elle voulait faire ni ce qu’elle voulait dire de peur que je reste collée avec elle, mais moi une fois hors de l’auto je leur ai tiré ma révérence, en leur disant gaiement : Alors à 3 heures mesdames !
Je n’ai pour ainsi dire rien acheté pour moi-même, sauf des bougies pour notre arbre, et un peu de neige. J’ai fait quelques commissions pour tante Engel et en plus j’ai regardé les magasins qui étaient très jolis, mais je n’ai absolument rien acheté qu’une petite passoire et un entonnoir pour la cuisine et des cigares pour mon Buby à la maison. Ce mois la fabrique n‘a pas tourné, de sorte que nous n’avons reçu que Fl. 200.- moins fl. 8.- d’impôt sur le salaire. C’est dire que je n’arrive pas loin ! Pour rentrer, les dames sont venues ensemble me chercher au club, je suis montée dans l’auto, leur ai demandé si elles avaient bien réussi dans leurs emplettes, ce à quoi seulement la Ric a répondu. Elle cherchait visiblement à se rapprocher de moi, ne se sentant pas à son aise dans la manière dont madame Visser me traitait, car il ne faut pas oublier, je m’appelle Woldringh ! Elle m’a même offert des tablettes ! J’en ai pris une pour ne pas lui donner une occasion de dire que je la boudais, mais ensuite je me suis retournée dans l’auto et ai fait comme si elles n’existaient pas. Ce qui les a rendues perplexes. Demain c’est la fête à la petite Visser. J’irai féliciter et apporter une poupée et c’est tout. Je ne resterai que 5 minutes. Oh, vois-tu, elles verront bien encore du pays avec moi. Papa W. est tout à fait d’accord avec notre manière d’agir, les genres Visser il les connaît aussi très bien.

Nous avons reçu cette semaine une longue lettre d’Anne. Le procès a eu lieu et tout le monde était pour Franz, sauf un zigue qui ne pouvait pas le souffrir, alors ce type a tellement crié sur Franz, et tellement sali son caractère, et demandé avec tellement d’énergie qu’on le punisse, qu’il a reçu trois semaines de prison, c’est à dire qu’il doit aller travailler à la prison comme un détenu, mais après les heures de travail le soir, il peut rentrer. Anne a écrit que le soir après la sentence elle avait eu de la peine à retenir Franz qui voulait toujours aller rosser ce type, mais maintenant il est plus calme.  Ils ont demandé et obtenu leur déplacement à Semarang pour le mois de janvier. Je crois qu’ils l’ont fait par rapport à nous, nous serons plus près les uns des autres, il fera chic, ainsi j’aurai une occasion d’aller à Semarang pour mes emplettes. C’est seulement dommage que maintenant nous partirons bientôt. Nous ne savons encore rien de définitif, sauf que papa W. nous a écrit qu’il savait aussi les plans de la société avec Buby. C’est donc que Elout ne nous a pas dit des blagues. Enfin, Semarang n’est pas très loin de Batavia, env. la même distance que Keboemen. Franz et Anne ne peuvent pas venir pour Noël, car Franz doit commencer sa prison le 7 décembre. Cette date est bonne pour lui car pendant les jours de Noël il n’aura pas besoin d’y aller, et ils sont quand même comptés, cela lui fera toujours cela de moins. On les verra en janvier, probablement. Et maintenant, je te quitte