mercredi 30 août 2017




Batavia
30 avril 1941
230


J’ai reçu cette semaine ta lettre 254 et je m’empresse d’y répondre, car on ne sait jamais combien de temps nous avons encore l’occasion et surtout la possibilité de correspondre, les évènements changeant de jour en jour. Mamali chérie, mes chers frangins, si jamais il arrive que nous ne puissions plus nous écrire pour une raison ou une autre, sachez garder confiance, confiance, confiance en l’avenir.
Il y a bientôt une année que tous ceux qui m’entourent sont sans nouvelles de leurs chers à eux dans la mère patrie. J’ai donc encore été privilégiée de pouvoir recevoir des lettres de vous de temps en temps et aussi de pouvoir vous écrire. Il va sans dire que je chercherai toujours tous les moyens possibles de vous envoyer de nos nouvelles, car je comprends bien ce que ce sera de nouveau pour toi d’en être privée, mais aye toujours confiance n’est-ce pas ? Si je vous écris ainsi, c’est par rapport à plusieurs nouvelles lues dans les journaux. On ne sait jamais à quoi s’en tenir, c’est pourquoi je tiens plutôt à vous prévenir.
Je vous envoie inclus la procuration, aussi signée par Oscar. Si sa signature est superflue, vous pourrez la tracer. Je vous laisse aussi le soin de remplir les détails du texte, et j’espère que vous recevrez ces formulaires sans trop de retard ni de difficultés.
Mes chers, nous allons baptiser Conrad-Louis dimanche prochain, donc le 4 mai. C’était notre ferme intention d’attendre pour cela que nous soyons en Suisse, mais le temps passe et je trouve mieux de ne plus attendre pour baptiser l’enfant, et je suis sûre que vous nous approuverez aussi. Ce qui est ennuyeux, c’est que vous ne puissiez pas être présents, mes frères, car nous vous destinions comme parrains. Il n’y a aussi pas moyen de vous donner le parrainage par procuration par exemple, l’église n’admet pas cela. Ce qu’elle admet ce sont des témoins au baptême, qui, la plupart du temps sont justement les parrains. Nous pensons maintenant prendre les Fraay, car Oscar tient bien à avoir un témoin, mais dans nos cœurs, nous vous considérons vous mes frères, comme les parrains de notre fils. A cause des circonstances actuelles, cela ne sera donc pas confirmé sur l’acte de baptême, mais c’est un désir et une décision fermement ancrés dans nos cœurs et je sais que vous en tiendrez compte au cas où vous seriez appelés à exercer vos droits. Papa W. a aussi demandé à être parrain et nous étions aussi disposés à acquiescer à sa demande Pour être francs, nous voulions donner à Conradli deux parrains, papa W. et l’un de vous, mais comme nous ne saurions lequel des deux demander, nous vous prenons en bloc. (Si jamais il suivra un Oscarli-Charles, la question se tranchera d’elle même, n’est-ce pas ?) Car il n’y a personne au monde à qui je voudrais plutôt confier le soin de mon enfant qu’à vous, Charlous, et Oscar aussi, vu que Coen est en quelque sorte sorti de notre société. (parapsychologie, hindouisme, anthroposophie etc)
Voilà tout ce que j’avais à vous dire à ce sujet. Je pense toujours beaucoup à notre Papali, et surtout aussi à toi, à l’épreuve par laquelle tu as dû passer. Quand je revis en pensée tout ce que vous avez dû souffrir, l’épreuve par laquelle vous passez, j’ai une immense envie presque irrésistible de te prendre dans mes bras, de te serrer bien fort et te protéger comme notre petit Conradli. Je le fais en pensées, et en prières.
Conradli devient tellement grand garçon, tout le monde s’en étonne. Il marche tellement fermement ! Et pourtant, je t’assure que je ne le force pas, n’aye pas peur. Jamais, jamais je lui apprends à faire quoi que ce soit, je le laisse vivre simplement, mais c’est lui qui se développe si vite. Tu devrais entendre comme il parle maintenant. Pourtant jamais je le fais répéter des mots, mais de lui-même quand il entend parler il répète les  ….
bas de la feuille coupé, suite au verso  
…..s’appellent, des fois ils se chamaillent, alors tu devrais entendre comme Conradli crie avec eux et leur fait d’immense tirades depuis son box. Tous les jours apportent du nouveau avec lui c’est comme si nous vivions dans un film qui tourne toujours. Pour sa fête, il a reçu beaucoup de cadeaux, surtout des bêtes de toutes sortes, entre autre aussi des chiens. Il y a environ un mois, il a vu un chien passer dans la rue, alors il a vite pris son petit chien dans le box et l’a montré au vrai chien !!! Maintenant il dit aussi wou-wou-wou quand il voit un chien passer dans la rue parce que moi j’appelle naturellement son chien wou-wou.


Ma chère Banely, je suis contente qu’elle ait pu directement venir vers toi et te tenir compagnie pour quelques temps. J’espère aussi qu’elle aura du succès avec sa nouvelle place. Merci pour sa belle lettre. Oh, Conradli est maintenant à côté de moi et ne cesse de tripoter la machine qui l’intrigue, alors il vaut mieux que je m’arrête d’écrire jusqu’à ce qu’il ait baigné et qu’il soit au lit.
J’aimerais bien que tu m’envoie cette lettre qui t’est revenue en retour et dans laquelle Padre a encore écrit. Mon cher Padreli, je pense constamment à lui, comme aussi à vous trois. J’arrive presque à penser à Papa sans tristesse maintenant, seulement avec tendresse et je prie constamment aussi qu’il puisse en être de même pour vous.
Conradli a encore toujours que 5 dents, elles ne se pressent pas de venir, ces dents ! Mais je ne m’en fais pas. Ne te fais pas de souci que je force trop Conradli. Tout ce que je lui donne c’est strictement selon l’avis du docteur. Non vraiment, tu n’as pas besoin de te faire du souci, je ne tiens pas moi même à forcer la croissance de Conradli comme une petite plante à laquelle on donne trop d’engrais. Mais c’est un fait, Conradli est exceptionnellement grand et développé pour son âge. Qu’il soit grand, cela s’explique, n’est-ce pas ? (les Marchand étaient et sont tous très grands). Qu’il soit bien développé, ma foi, cela s’explique aussi quand on sait le plaisir avec lequel il a été attendu et aussi les bonnes conditions morales et physique de sa      bas de page coupé……
Hier c’était l’anniversaire de la Princesse Juliana, alors Oscar n’a pas été au bureau et nous sommes allés en ville. Quelques jours avant j’avais vu une belle étoffe et je voulais aller l’acheter, alors figurez-vous, Boili est venu avec moi, lui qui déteste tellement aller dans les magasins ! Une fois dans le magasin voilà que cette soie était toute vendue, il n’en restait qu’un petit coupon pas assez pour une robe. J’en avais beaucoup de regret, alors nous sommes allés dans d’autres magasins de soieries et à la fin nous avons trouvé la même soie, et comme j’admirais une autre belle étoffe, Boili m’a dit de l’acheter aussi ! Et voilà, moi qui suis toujours tellement avare pour moi-même, je me trouvais acheter deux belles robes à la fois. J’en ai un plaisir fou, je me sens vraiment gâtée. Naturellement il faut encore que je les fasse et cela me prendra bien un mois avant qu’elles soient finies, car avec Conradli je ne puis pas beaucoup travailler pendant la journée. L’une de ces étoffes est une toile de lin couleur tilleul et l’autre est un très joli crêpe  français rouge framboise, je ne sais pas si c’est précisément framboise, en tous cas c’est une couleur qui me va très  très bien.
Maintenant  que Conradli devient un peu plus grand, nous sortons quelque fois le soir, alors Kaidi garde la maison et il sait toujours où il peut nous téléphoner s’il y avait quelque chose, mais Conradli dort toute la nuit sans broncher. Avant d’aller me coucher, je vais lui changer ses langes et il ne se réveille même pas. Ce n’est pas un enfant difficile, il n’est pas gâté non plus, mais il est très bruyant et vif, jamais tranquille, aussi quand il est dans son box c’est le seul moment de tranquillité que j’aie et naturellement aussi quand il est au lit, car il dort encore le matin une heure et l’après midi 2 heures, des fois trois. Il y a bien quelque chose qui me donne un peu de difficultés, c’est de lui apprendre à être propre. Il sait maintenant ce que c’est que de faire pipi, alors il dit bah ! bah ! mais il le dit toujours quand il l’a fait ou quand il est en train de le faire. Il ne veut rien savoir du pot, il aime s’amuser avec, il y met ses jouets, il le tient en l’air comme un étendard, il le lance à toute volée par la chambre, il y enfonce même sa tête mais quand je veux l’asseoir dessus il se tient raide comme une perche et si je veux le forcer un peu, il crie comme un petit cochon. J’essaie environ tous les 15 jours, car il ne sert à rien de forcer et de faire des scènes. Il a bien aussi sa chaise d’enfant dans laquelle je puis mettre le pot et l’asseoir dessus, mais quand monsieur s’en aperçoit, qu’il a le pot sous lui, il pétouille et pétouille jusqu’à ce qu’il ait fait tomber le pot ou qu’il y ait enfoncé et engoncé ses deux pieds, alors on crie au secours pour que maman vienne lui aider à les sortir. Vraiment il y a du théâtre toute la journée maintenant chez nous. Heureusement que j’ai Conradli, sans quoi je penserais trop à vous et serais trop malheureuse, Conradli est un contre poids très effectif. Je suis reconnaissante de pouvoir l’avoir ici où il ne manque de rien alors qu’il y a tant de ces petits malheureux en Europe. Cela me brise le coeur quand j’y pense. Enfin, je ne vais pas écrire sur ce sujet-là, il ne vaut mieux pas.
Boili va bien, il est toujours très occupé, l’atmosphère au bureau n’est pas toujours très agréable. Il y a toujours de la jalousie mais à part cela tout va bien, l’entente avec l’ami (van Mastwck) que vous connaissez est toujours bonne. Nous avons dîné chez eux hier, la rijsttafel, avec les Fraay et encore d’autres gens. Les E. (Elout) sont en vacances, alors on a profité d’inviter tous ceux qui s’entendent bien. J’espère que tu t’en sortiras de tout cela, car à cause de la censure je ne veux pas nommer de noms.
Il est aussi impossible de vous envoyer des photos prises dehors, c’est pourquoi je ne peux pas vous en envoyer de notre nouvelle maison. Elle nous plaît toujours, elle est gentille, toute petite et cachée derrière trois sapins. J’ai bien arrangé mon petit jardin maintenant, les fleurs poussent si vite ici qu’il est déjà tout fleuri.
J’ai eu beaucoup d’embêtements avec les domestiques cette semaine. Ma petite baboe Anna m’a quittée parce que j’habitais trop loin de chez elle, et la nouvelle baboe que j’ai, a été malade après qu’elle se soit chamaillée avec ma vieille koki, qui est une bonne pâte, mais par moment elle    
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Tu devrais voir comme elle (la vieille koki) ose me bouder, mais nom d’une pipe, je lui dis son affaire alors. A part cela, elle est fidèle comme un bon chien, si je ferme les yeux aux petits bénéfices qu’elle se fait sur l’argent du marché. Heureusement qu’avec tout cela j’ai toujours mon bon Kaidi. Conradli sait dire papa, il sait aussi appeler Kaidi, mais ne sait pas encore dire maman !
Go et Frank font aussi baptiser leur fils dimanche ensemble avec Conradli. Ils ont trouvé à louer une jolie maison, un peu comme celle que nous avions à Tjilatjap avec un beau jardin et ils ont toujours beaucoup de visites. La maison me plaît beaucoup, mais cela ne me dirait rien d’avoir tant de visites, c’était bon à Tjilatjap et aussi à Kediri, mais maintenant que nous avons Conradli, nous voulons en profiter autant que possible.
Voilà mes chers, toutes les nouvelles que je puis vous donner. Vous voyez que pour nous la vie continue comme par le passé, notre santé est bonne à tous les trois. Moi j’ai de temps en temps des crises de foie, mais quand elles ont passé je me porte bien. Le médecin dit que c’est chronique, il n’y a rien à faire, il faut me tenir à mon régime. Voilà près de deux mois que je me porte comme un coq en pâte de nouveau et j’engraisse ce qui ne me fait pas de souci, car quand survient une nouvelle crise, je maigris assez vite et je n’y tiens pas.
Voilà Boili qui a fini de travailler et veut aller au cinéma, alors j’arrête car je dois encore aller m’habiller. Mes bien chers Rötteli et Charlou, bonsoir.
Le lendemain matin. Nous nous sommes réveillés très tard et Oscar a dû se dépêcher d’aller au dentiste. Il a dû se faire arracher toutes ses dents derrière (molaires) et en aura des fausses à la place, car elles étaient mauvaises et ont causé une inflammation. Les dents de devant ont pu être sauvées, ce n’est pas qu’elles soient belles mais c’est encore mieux que des fausses. La semaine prochaine ce sera mon tour. Merci d’avoir encore pensé à moi et d’avoir été chez Burri (dentiste à Bienne), Charlot. Vous n’avez donc pas besoin de vous faire du souci, les choses seront bien faites, par un dentiste à la hauteur, puisqu’il revient d’Amérique où il a passé plusieurs examens l’année passée encore.
Merci de toutes les nouvelles que tu me donnes de nos connaissances, Mamms. Tu donneras aussi mes amitiés à Mottet.
Je suis contente si tu reçois quelque chose de l’assurance de Papali, pourvu que cela vous aide assez. Ma procuration ne peut partir avec cette lettre-ci, elle viendra par prochain courrier.

A mes frères tant de mes pensées vont à eux.

vendredi 25 août 2017




Batavia
13 avril 1941
229


En ce matin de Pâques il faut que je m’entretienne un peu avec vous. Je viens de lire dans le journal que nos lettres ne peuvent être envoyées que par l’Amérique maintenant, je ne sais donc pas quand je pourrai la mettre à la poste, mais cela ne fait rien, il faut que je vous dise aujourd’hui spécialement combien je pense à vous et à notre Papali.
Mamali, Charlot, j’ai reçu votre lettre 253. Merci de m’avoir écrit si longuement, la chose que j’ai redoutée depuis le commencement est donc arrivée, Papali t’a quittée au moment où tu étais seule, et malade encore. Oh je réalise enfin le choc, la douleur que tu as dû subir ! J’avais tant espéré qu’un des frères aurait été à la maison à ce moment-là, mais non, tu as dû avoir cette douleur ainsi, complète. Je ne puis cesser de prier pour toi, le jour, la nuit, à tout moment, car mes pensées sont plus souvent avec vous qu’ici depuis que j’ai reçu vos lettres. Et maintenant en ces jours de Pâques la présence de Padre doit vous manquer encore plus, je le réalise si bien depuis que j’ai vos lettres. Dans mes lettres précédentes je vous avais écrit que j’ai encore reçu une lettre de lui et cela me faisait l’effet qu’il vivait encore, mais en même temps qu’il m’écrivait depuis le ciel. J’en étais arrivée ainsi à tout mêler, et la réalité, et mes souvenirs, et mon chagrin et mes désirs quant au futur. C’est une chose que vous ne pouvez peut être pas bien vous représenter, il faut y passer pour le comprendre. Vos lettres ont remis les choses en place maintenant, je n’ai plus l’illusion de revoir Papali quand je reviendrai, car je sais comment il vous a quitté. Oh Mamali, tu dois être courageuse, je le sais et tu l’écris aussi toi-même.
Ce qui me chicane, c’est ta santé, j’espère tellement que cette grippe soit passée et que tes forces reviennent vite. Et moi qui ne puis pas être à tes côtés pour t’aider, mais je prie pour toi, et Boili aussi.
Charlot, merci, merci de ta longue lettre aussi. Tu m’as exactement écrit tous les détails que je désirais tant savoir. Par ta lettre j’ai de nouveau senti profondément combien proche nous restons l’un de l’autre, malgré toutes ces années de séparation. Oui, je comprends ce que c’est pour toi de ne pas pu avoir procurer ce plaisir à Papali avec la réussite de ton affaire. Pourtant dans sa dernière lettre il ne montre que de l’impatience, pas de doute et il finit par son optimisme habituel. Il était en effet tourmenté à cause des affaires de la Milex Elem, rendues si difficiles par la situation actuelle.
16 avril
Oui, cette lettre est restée en plan. Les jours ont passé sans que je trouve un moment tranquille pour écrire et maintenant le départ du courrier est annoncé pour demain et il faut de nouveau me dépêcher de la finir.
J’ai de nouveau relu ta lettre, Charlot, mais je n’y reviendrai pas, bien que j’aurais à vous écrire longuement au sujet de notre Padreli. J’en suis presque arrivée à être contente pour lui et je suis certainement reconnaissante qu’il ait pu nous quitter ainsi, sans souffrir. C’est comme tu dis si bien, Charlot, Padreli nous a quitté ou plutôt Vous a quitté comme quelqu’un dont la tâche ici-bas était terminée. J‘accepte le fait, mes chers, vous n’avez donc pas à vous faire du souci pour moi.C’est dur encore, mais je sais me résigner. Je me fais bien du souci pour maman, je ne vous le cache pas, mais j’espère aussi que mes prières pour elle et pour vous garçons vous aideront. Ah si je pouvais dire à Mamali maintenant de venir ici pour qu’elle sente moins l’absence de son compagnon ! Si au moins mes lettres vous parvenaient toutes ! Mais j’en doute. Bien 20 fois par jour je me demande ce que fait Mamali, comment elle supporte de vivre seule à la maison où tout, à tout moment, lui rappelle Papali. S’il y a moyen de la faire partir, garçons, vous le ferez, n’est-ce pas ? Un changement de milieu jusqu’à ce que sa santé soit remise et que ses nerfs ébranlés par la douleur se remettent aussi. Je t’admire tant, même dans ta grande douleur, tu sais être réconfortante alors que c’est toi qui mérite tant d’être réconfortée.
Quelques jours avant sa mort, j’ai encore acheté un petit tableau tissé représentant un pêcheur chinois et je voulais essayer de l’envoyer à Padre. Pendant tout le mois de février j’ai toujours eu Padre à l’esprit, tellement que je m’étais même demandée pourquoi je devais tant penser à lui, à lui spécialement. Est-ce que je lui ai souvent fait de la peine avec mes lettres écrites crûment ? Quand vous pourrez, vous m’écrirez encore tout ce que vous savez de lui, et Loulou aussi tu m’écriras car tu as beaucoup le style de Papali en m’écrivant.
Je vous ai écrit le 4 avril une lettre à la main et contenant beaucoup de photos de Conradli. Lettre no 228.
Maintenant les fêtes de Pâques ont passé. J’ai été à l’église le soir de Pâques, Oscar avait de nouveau un de ces rhumes, et n’a pas pu m’accompagner. Le Vendredi Saint nous sommes partis de bon matin faire un déjeuner pic-nic dont j’inclus des photos dans cette lettre. Nous étions avec les van der Stok et nous sommes arrêtés sur un plateau, alors en sortant de voiture où il avait dormi depuis le départ de la maison, Conrad-Louis a fait quelques pas seul et s’est mis à haranguer la grande étendue qu’il voyait devant lui. C’était si beau, ce petit bout d’homme dans cette vaste nature. Une vraie image de Pâques, d’espérance ! Il devient tellement grand garçon ! Du reste, vous pouvez vous en rendre compte par les photos. La vie pour nous trois pour le moment est simple et heureuse. La santé est bonne, Conradli croît et se développe bien. Oscar est toujours très occupé et moi aussi. Conradli croît tellement vite qu’il faut toujours faire de nouveaux petits vêtements de sorte que je ne finis jamais de coudre. Le soir nous allons quelques fois au cinéma, et avons aussi du monde de temps en temps, ou nous rendons visite à nos connaissances. Depuis le mois de mars je suis un cours de cuisine, deux heures de leçons tous les lundis matins et pendant la semaine ce pauvre Boilli doit goûter à tout ce que j’ai appris à faire.
18 avril
Il ne me reste que le temps de vous souhaiter à tous et chacun all the best et surtout une bonne santé mes bien chers... Dans vos prochaines lettres dites-moi où repose Papali. A Sutz ? J’ai toujours sa photo près de mon lit et j’ai tant de peine à me représenter qu’il n’existe plus ainsi, souriant et bon…
 Tous les vœux de Boili et un bon baiser de notre Conrad-Louis.

J’ai dû découper ainsi les photos à cause de la censure qui, j’espère, les laissera passer ainsi. J’en mets 10 dans cette lettre, qui porte le no 229. Vous m’en accuserez réception, pas ?






mardi 22 août 2017




Batavia

18 mars 1941
227


Ma Rötteli et mes bien chers Charlous,
Il y a aujourd’hui ou demain un mois déjà que Papali vous a quitté. Mes chers, combien je pense à vous. Au vide que Papa a laissé, à votre chagrin et aux regrets qui nous assaillent. Je mesure votre chagrin au mien et sais aussi tous les moments par lesquels vous passez, car il en est de même avec moi. Des fois, je ne peux pas me figurer que Papa n’est plus, même en ce moment, il me semble que j’écris cette lettre aussi pour lui. Puis il vient des moments qui sont terribles, pleins de regrets, de mal du pays et surtout d’ennui après vous tous, de peur et d’appréhension au sujet de votre bien être et cela fait si mal de ne plus avoir la perspective de revoir papa, mon cher macaroni, mon Padre. Il me semble que je ne l’ai pas assez aimé, du moins que je ne lui ai pas assez fait sentir combien je l’aimais, de ne pas lui avoir fait assez de plaisir, de ne pas lui avoir assez écrit depuis que je suis loin, oh, et tant de ces regrets. Et cette impuissance d’aller vous rejoindre, de vous serrez dans mes bras, de m’unir à vous dans notre douleur.
Heureusement que dans ces moments-là Boili est près de moi avec sa grande bonté, et m’entoure et me console. Lui aussi souffre de ne plus revoir Papali. Quelques jours avant de recevoir le télégramme, il a encore raconté à quelqu’un combien il se réjouissait d’aller d’une pinte à l’autre avec son beau-père et come ils iront pêcher en faisant le tour du lac en auto !!!
Mes chers, je le sais, les regrets ne nous mènent à rien, aussi je sais me reprendre, je sais être courageuse et avoir confiance. Si je vous ai raconté mon chagrin, c’est parce que je vous raconte tout, selon ma promesse. Ce chagrin me prend seulement par moments, et je vous avouerai aussi que ces moments s’espacent de plus en plus.
Je vous ai déjà écrit que le premier mars nous avons déménagé. J’ai eu beaucoup à faire et cela m’a fait du bien, je ne pouvais pas m’abandonner à mon chagrin.
Tout le monde a été très bon pour moi et m’a entourée, j’ai vraiment senti que j’avais des amis ici. Go et Frank van der Stok nous ont fait faire la connaissance d’un monsieur qui est d’Oxford depuis bien longtemps, et nous avons assisté à une house party donnée pour nous.
Je t’accuse réception de ta lettre 252 et aussi 251, commencée par toi puis finie par Padreli. Sa dernière lettre. Cela m’a fait du bien de la recevoir, 8 jours après la nouvelle du télégramme. J’ai l’impression qu’il m’a écrit depuis le ciel, mon cher papali.
Depuis que j’ai reçu cette lettre, j’ai souvent l’impression que ce n’est pas vrai, que papali ne nous a pas quittés, et que tout est comme avant à Bienne et à Sutz. Souvent je ne puis pas réaliser que je ne le reverrai plus. Il y a une chose dont je suis bien contente en tout cas, c’est que papali ait été appelé ainsi subitement, sans maladie. Vous comprenez bien combien j’attends la lettre qui m’expliquera tout.
Merci aussi de votre deuxième télégramme pour la fête de Conradli. Merci pour toutes les explications et comme je suis contente que l’affaire de Charlot soit sur pied et combien je prie qu’il ait du succès ou du moins qu’elle soit pour son bien. Mes chers Charlous, je pense tant et tant à vous, que Dieu vous guide et vous donne la force et la sagesse pour accomplir la tâche et résoudre les problèmes qui se présentent. Mes Charlous, bien 20 fois par jour je suis avec vous en pensées.
J’ai aussi bien reçu les lettres que tu m’as transmises des Koningsberger, de Ans, les lettres de papa W. et de Boy que tu as copiées. Merci aussi des photos du Chalet, de toi et aussi encore une photo de Padre. Il y a quelques temps j’ai aussi reçu les lettres de Kitty et des van der Mark que j’ai transmises à leurs destinataires. Je te répète ceci au cas où ma lettre précédente ne te serait pas encore parvenue.
Je regrette tellement que tu n’aies plus eu de nos nouvelles depuis le mois d’octobre. Je ne comprends pas pourquoi mes lettres ne sont pas arrivées. Il est vrai que dans les temps où nous vivons, il ne faut pas trop chercher à comprendre, mais sache, que nous écrivons régulièrement au moins une fois par mois. Le plus souvent, j’écris tous les 15 jours, ou j’envoie des photos si je n‘ai pas le temps d’écrire, mais d’une manière ou d’une autre, je fais toujours en sorte que vous ayez un signe de nous. Et si jamais moi j’étais empêchée d’écrire, Oscar le ferait pour moi, car nous savons trop l’importance d’envoyer régulièrement de nos nouvelles en ces temps-ci. Si donc tu es de nouveau longtemps sans nouvelles, tu sauras que la raison est à chercher dans les difficultés de correspondre.
Dans une lettre précédente je vous ai tout expliqué concernant mes dents. J’attends avec impatience votre réponse si vous avez d’autres propositions à me faire que celle que je vous ai écrite, car je veux aller au dentiste, il m’en coûte de me montrer avec des dents pareilles. Veuillez bien lire ma lettre et me répondre en conséquence, svpl. 
Hier soir j’ai entendu la Suisse à la radio. C’était très heimelig Notre radio à nous, celui que nous avions reçu de papa W. ne va plus maintenant, mais nous allons en acheter un autre et alors j’écouterai l’émission suisse régulièrement 2 fois par semaine. Il y a aussi des gens qui parlent à leurs parents qui sont ici, mais je pense que ce serait trop d’émotion de faire une chose pareille C’est dommage que nous ne pouvions pas vous parler d’ici, car je mettrais Conradli au microphone.
Me voici arrivée au sujet : Conradli. Il grandit, c’est fou. Il a 5 dents maintenant que je brosse tous les soirs avec une brosse miniature ! Il marche comme Charlie Chaplin. Il grimpe sur les chaises et il est déjà tombé sur sa tête, mais il ne pleure pas. Oh, il n’en a pas le temps, il a tant à faire à tirer toutes les nappes des tables, à déchirer tous les livres qu’il peut attraper et à fourrer ses doigts partout où il ne devrait pas.
le djongos Kaidi et Conradli

Notre maison ici est un peu plus petite que celle de la Palmenlaan, mais tellement plus gentille et agréable. J’ai un gentil jardinet que je m’occupe à remplir de fleurs en ce moment. Dans toutes les maisons alentour il y a des enfants, dans trois d’entre elles, les enfants me semblent avoir l’âge de Conradli. Le matin quand tous ces babies sont dans leur box, ils s’appellent et se parlent, c’est trop joli à écouter. Conradli, lui domine toute la rue avec sa voix, c’est fou ce qu’elle est forte. Vous devriez l’entendre parler, c’est tellement drôle que les gens s’arrêtent des fois. Il faudra bien qu’avec le temps je fasse connaissance avec toutes ces mamans qui sont mes voisines, vu que les enfants pourront jouer ensemble. Oscar est aussi tellement content que nous ayons déménagé, et puis last but not least, c’est le prix du loyer qui forme une économie qui n‘est pas à dédaigner. La meilleure preuve que notre maison à la Palmenlaan était trop chère pour ce qu’elle était, c’est qu’elle n’est pas encore louée à l’heure qu’il est, voilà deux mois qu’elle est vide, et la demande de logements devient encore toujours plus grande. Tout le monde qui vient ici me dit comme j’ai bien fait de déménager, aussi madame van Mastwyck qui d’abord ne semblait pas m’approuver.
Tu me demandes de nouveau si j’ai bien reçu les baisers que tu m’as envoyés ! Mais bien sûr Mamms, j’en ai reçu deux et j’en  ai rendu deux !
Pour en revenir à Conradli, il a été très gâté pour sa fête. De Go il a reçu une cuillère en argent avec laquelle il essaie de manger seul, et tu devrais voir comme il s’y prend déjà bien, et il ne faut pas que la maman s’en mêle, sans quoi gare les cris ! Il est vraiment très adroit de ses mains. Depuis quelques jours il développe une joie de vivre formidable. Il a des moments qu’il ne sait pas où fourrer et comme exprimer toute la vie qu’il a en lui Je le laisse seul dans son box des matinées entières, mais je vais guigner de temps en temps sans qu’il me voie, alors par moment il fait le fou dans son box, que moi je me tords de rire. Quand il voit un chien dans la rue, il se baisse vite pour prendre son chien en feutre et le montre au vrai chien. Il a de si beaux gestes des fois. Dans mon jardin j’ai trois jeunes sapins, une sorte de cyprès comme celui près de la grotte au Chalet, alors je mets le box là-dessous et Conradli devient brun comme un petit nègre. Il y a une chose que je ne réussis pas encore avec lui, c’est de le mettre sur le pot. Cela il le déteste, il aime s’amuser avec le pot il l’emploie comme tasse ( !) il y fourre ses pattes, il le met sur sa tête, mais il ne veut pas s’asseoir dessus. Chaque fois qu’il a fait dans ses culottes, il crie bäbä, et il est très fier, mais il ne faut pas essayer de le faire asseoir sur son pot Je ne force pas, j’attends de nouveau quelques semaines et puis je recommencerai l’histoire. Conradli mange de tout maintenant. Je veux tâcher de le photographier une fois qu’il reçoit un nouveau met à goûter. C’est tordant la bouche qu’il fait. C’est dommage qu’on ne puisse pas toujours tout photographier mais si souvent j’arrive trop tard.
Et maintenant, mes chers, je vais vous quitter de nouveau. Il est déjà tard et la lettre doit partir demain matin très tôt. Boili est allé chez monsieur Fraay pour discuter dune affaire. Nous avons été chez eux dimanche matin, ils ont toujours un tel plaisir à Conradli ! Pour sa fête madame v.M. lui a fait cadeau d’un joli lièvre, elle aussi vient de temps en temps le prendre dans ses bras ! Ils sont toujours très gentils pour nous, et maintenant nous habitons très près de chez eux. Quand il a appris la nouvelle de Papali, il est immédiatement venu chez nous, malgré qu’il avait un tas d’autres engagements.
Ne vous faites aucun souci pour moi. Tout va bien ici, seulement je ne peux pas donner de détails. Le coût de la vie a augmenté, mais c’est cela le seul signe des temps actuels, vous voyez donc que nous ne sommes pas à plaindre.
Si tu écris à papa W.  veuille lui dire que nous sommes en correspondance avec Coen et que nous lui envoyons ce dont il a besoin. Nous attendons également un signe de papa W. pour lui écrire, car nous ne savons pas s’il aime recevoir des lettres de nous ou pas. Nous attendons donc qu’il nous écrive d’abord.
Nous vous embrassons de tout cœur tous les trois.




jeudi 17 août 2017




Batavia,
Djocjaweg 24,

4 mars 1941

226
Mes chers chéris
J’ai reçu votre télégramme de fête ce matin et je vous en remercie de tout mon coeur. Vous êtes tellement bon pour moi, mes chers, et j’espère bien pouvoir vous le rendre un jour.
Je n’ai pas le temps de vous écrire beaucoup, car à la dernière minute de nouveau je viens d’apprendre qu’un avion part demain prenant avec lui de la poste pour la Suisse. Je serai donc brève, car j’ai beaucoup à vous dire et le temps me manque un peu. Je ne toucherai donc pas au sujet qui me tient le plus à cœur ; notre cher Papali. Oh, monté, non, je ne peux pas m’empêcher de parler de lui, car il est toujours dans mes pensées. Cela fait si mal de ne plus le revoir, mais lu, il est bien où il est et je suis même heureuse pour lui, mais je comptais tant pouvoir l’embrasser et lui offrir son « Griot » (Conrad)! Non, je m’arrête sans quoi je ne peux pas vous écrire tout ce que j’ai à vous dire. Notre Papali, nous le faisons vivre dans nos cœurs, n’est-ce pas ?
J’ai reçu il y a 3 jours ta lettre 251, contenant une copie de lettre de Boy Engelhart et de papa W. Merci de tout cœur de te donner tant de peine pour nous et nos amis. Je viens d’avoir une lettre de tante Engel, qui a été assez malade des reins. Elle m’écrit depuis la clinique, elle va mieux et se remet chaque jour d’avantage. Elle vous envoie mille remerciements de toute ta bonté, cela lui a fait tant de bien de recevoir des nouvelles de Boy. Au mois de juin, Mr. Engelhart sera pensionné et ils viendront habiter Bandoeng où ils vont se construire une maison. Tu pourrais écrire cela à Boy, si ce n’est pas trop demander de toi en ce moment.
Si tu écris de nouveau à papa W. n’oublie pas de lui dire que nous attendons sa lettre avant de lui écrire, car nous ne savons pas si, vu la situation, une lettre de nous serait la bienvenue.
Dans ta lettre 251, tu me dis que vous n’avez plus eu de nos nouvelles depuis le mois d’octobre. J’en suis navrée, car je vous écris régulièrement au moins une fois par mois et ces derniers temps je le fais toujours quand j’apprends qu’il y a un avion poste qui part. Je ne comprends pas pourquoi vous ne recevez pas mes lettres alors que moi je reçois les vôtres assez régulièrement. Tu dois te faire du souci pour nous et je le regrette beaucoup.
Tes prières nous entourent comme une forteresse. Nous nous portons bien tous les trois. Oscar travaille beaucoup, car il doit se partager entre le bureau et son service, ce qui n’est pas facile. Enfin, les garçons doivent bien le savoir aussi, sauf qu’eux ont l’avantage du bon climat. Moi j’ai de temps en temps un accès de dysenterie, alors je vais chez le docteur pour me faire donner quelques injections et cela re-va ! J’ai bien aussi le climat qui m’embête un peu de temps en temps quand il fait spécialement chaud. Je commence à le sentir plus que les premières années, mais à part cela je me porte très bien. Je vieillis beaucoup, mais tant pis, un séjour en Suisse fera l’affaire.
Quant au Griot (Conrad), mes chers, il marche, il grimpe, il tire toutes les nappes par terre, il fourre ses doigts dans tout ce qui est creux, même dans la gueule du chien s’il en a l’occasion, il rit, il chante, il sait gronder quand quelque chose ne lui plaît pas. Il est maintenant dans une période où je ne peux pas le laisser sans surveillance pendant une seule minute. Il a été terriblement gâté hier, il a reçu 12 cadeaux, sans compter les nôtres que nous n’avons pas encore acheté. Inclus des photos qui vous diront mieux que moi comment il se porte.
Je suis si contente que l’affaire de Charlot se soit réalisée. De tout cœur beaucoup de succès, Charlot. Travaille fort et tient ton intelligence éveillée et tu réussiras.
Vous m’écrivez que la situation de Milex est bonne (entreprise horlogère familiale). Je ne demande pas mieux que de vous croire, mes chers, et comme je ne puis rien faire pour vous en ce moment à cause de la situation mondiale, je me force à avoir confiance.
Comme je vous l’ai écrit dans une lettre précédente, nous avons déménagé au Djocjaweg 24, Batavia C. Mais n’ayez pas peur, j’ai fait le nécessaire pour que vos lettres nous parviennent sans faute.
Notre maisonnette ici est un peu plus petite qu’à la Palmenlaan, mais tellement plus gentille, et aussi le jardin est plus grand et offre plus de possibilités. Last but not least, le loyer est plus bas. J’étais contente de devoir déménager le premier mars, cela m’a donné à faire et a occupé mes pensées. Nous demeurons maintenant à 5 minutes des van Mastwyck et le jour du déménagement, elle m’a envoyé à dîner. Ils sont toujours très très gentils et bon pour nous.
J’espère pourtant que vous recevrez encore mes lettres, surtout celles où j’ai envoyé tant de photos de Griot. Il est si joli, si vif et gai. Il a seulement 4 dents et quand il sourit c’est si joli, mais comme je vous dis, il ne me laisse pas un instant de répit, il est toujours après l’une ou l’autre espièglerie. Le jour de sa fête, quand nos connaissances lui ont apporté tant de ces beaux cadeaux, Monsieur s’est amusé toute la journée avec une vieille cuillère de bois à taper sur ses cadeaux neufs. Je la lui avais donnée en souvenir de Charlot quand il saluait le drapeau avec, près de la fontaine ! Et dire qu’il y a presque 25 ans de cela !
Mes frères, c’est bientôt votre fête (4.4.1913). Tous trois nous vous souhaitons une bonne santé d’abord et beaucoup de succès dans vos entreprises et du bonheur dans votre vie privée and many many happy returns of the day, mes chers, chers frangins. Ayez bien soin de mamali. 
Inutile de vous dire que j’attends votre lettre avec une grande impatience, et dites moi tout, mes chers, aussi comment vous vivez car je ne peux pas m’empêcher de me faire un peu de souci. D’un autre côté, j’ai une grande confiance dans vos capacités, garçons. Vous êtes des hommes maintenant à savoir vous tirer d’affaire et vous saurez bien le faire.
La lettre 251 où Papali a écrit si longuement m’est parvenue juste une semaine après votre télégramme. J’ai bien eu mal au cœur mais d’un autre côté, c’était comme si Papali m’écrivait du ciel.
Cette semaine je vais à une réunion Oxford chez Go.
Mes chers, je dois vous quitter. Mille bons vœux et baisers de nous trois…..
……Votre Ge… Oscar et Griot




vendredi 11 août 2017




Batavia, le 20 février 1941

A la main, 226

Mes chers, Maman et Charlous

Est-ce donc bien vrai ce télégramme ? Par moments j’ai encore de la peine à le croire. Mon Padrelli, notre cher Papali, Dieu l’a béni maintenant et pris à lui.
Merci d’avoir rédigé le télégramme ainsi, cela m’a été d’un grand secours pour accepter la triste nouvelle. Vous savez bien que j’en souffre profondément tout comme vous, mais ce n’est pas l’idée, le fait que notre Papali a « rejoint le Seigneur » qui me fait tant souffrir, c’est de l’avoir perdu, d’avoir perdu son affection, sa présence ici bas, qui est cruel.
Je me réjouissais tant de le revoir, de l’entourer de mon affection, et naturellement aussi la perte d’un amour immense qui m’entourait. Mes frères, c’est une de nos racines que nous avons perdue ; même que nous sommes en plein dans la vie, que nous voguons avec nos propres voiles, je suis sûre que vous vous sentez déracinés comme moi en ce moment. Et combien vous et Maman devez souffrir encore plus du fait qu’il vous a quittés ainsi subitement. Moi, il y a 7 ans que je n’ai plus joui de sa présence et maintenant je me sens si pauvre en souvenirs, c’est amer aussi et pas moins douloureux, croyez-moi, mais la souffrance est autre.
A mon chagrin vient s’ajouter celui de ne rien pouvoir faire pour toi, d’être ici impuissante. J’avoue que ce matin en ouvrant ce télégramme, j’ai hurlé une fois que j’avais bien compris. Oscar était justement parti pour le service et je ne pouvais pas l’atteindre, j’ai prié. Maintenant je suis calme. Si notre Papali a été appelé ainsi sans souffrir, sans avoir le temps d’avoir des regrets de vous quitter, et bien je suis contente pour lui.
Je me sens bien malheureuse à l’idée de ne pas pouvoir être avec vous, mais je travaille et je prie pour apprendre à accepter cela aussi
Garçons, je vous le souhaite aussi, c’est à nous trois à prendre soin de notre maman, vu que j’en suis empêchée pour le moment, je mets toute ma confiance en vous. Remplacez-moi de toutes vos forces, de tout votre cœur, de tout votre pouvoir.

Je pense que vous êtes au courant des affaires et que vous saurez vous en tirer. Une fois que vous le pourrez, vous m’indiquerez un peu la situation financière de maman, de la maison, quoi, car je ne voudrais pas que vous manquiez de quelque chose si j’y puis remédier. Oscar pense tout comme moi.
Je joins quelques photos de Conrad, qu’il apporte un peu d’espoir avec lui.
Mes chers,  je ne peux presque pas vous quitter, pourtant je dois finir, car la lettre doit partir.
Je vous embrasse et suis avec vous de toutes mes pensées, de tout mon coeur .
Nelly



My dear Motherli and dear brothers
How can I say how terribly we feel the loss and how we long to have been with you, to be able to share this sorrow all together and be a strength and help for each other in these difficult times. Alas ! that has not been possible and the circumstances are even such that the distances, which seemed to have grown short are once more huge.
We have been lookingforward so much to present our Conrad to his grandparents as soon as we could leave here for Switzerland after this cruel war.
How often have we pictured the Small little chap., walking side by side with his Grandfather, holding each other’s hands, the one looking up and the other looking down. I’m sure this last will often happen now, and we will teach our Conrad to look up to his Grandfather ! And one of these days he will be able to talk to his Grandmotherli and his uncles about his Grandfather and it won’t even seem strange.
I do hope this will be soon and I know you will be looking forward to this moment as much as we do.
So let’s keep this picture in mind – our little fellow and his grandfather – and let this grow to become our strength to overcome all our sorrows and pains.
You two boys take care of your Motherli for us, and I’ll do the same for Nelly, who is still as brave a girlie she ever was !
Good bye my dears. With all my love and thoughts from Oscar




Remarque :
Le papa de Nelly, Louis Marchand, est décédé subitement d’une attaque le soir du 19 février 1941, alors qu’il allait se coucher. Il était dans sa soixantième année.


mardi 8 août 2017

Partie II

Mercredi, non, déjà jeudi le 13 février 1941. 

C’est fou comme le temps file. Pour en revenir à mes dents, j’espère que vous êtes tranquillisés maintenant que vous êtes au courant. Si vraiment Burri a une meilleure proposition ou méthode, alors écrivez-moi immédiatement. J’attendrai donc une réponse à cette lettre ci avant de retourner chez le dentiste.
Mardi soir nous avons été invités chez les van Mastwyck pour un cocktail party. C’était très réussi. Nous étions une quarantaine de personnes. J’avais mis la robe fleurie en organza de Max, celle avec les rubans de velours vert, formant des épaulettes. Elle est encore tout à fait moderne pour ici et elle m’allait bien. Les v.M. sont toujours très gentils pour nous. Dans le courant de la soirée, il a de nouveau raconté comme il s’était bien amusé chez vous et comme tu avais peur de lui verser un second verre d’anis !!! Il vous fait bien saluer, et m’a bien recommandé de ne pas oublier de vous l’écrire !
Aujourd’hui, Schnucksi a été très pénible, je crois qu’il aura de nouvelles dents. Le 3 février il s’est tenu seul dans son box et a fait trois pas, les mains en l’air comme s’il dansait.. Nous ne l’avons jamais pris par la main et fait marcher, il a commencé tout seul. Quand il tombe, je ne vais jamais le ramasser car je me dis qu’il faut qu’il apprenne à tomber et à se relever, c’est déjà un bon exercice pour le ski plus tard. Vous devriez le voir comme il marche par tout le jardin, sur ces gros cailloux sans tomber et en tenant seulement par un doigt. On me dit qu’il est avancé pour son âge. Depuis hier il a découvert un nouveau « travail » c’est de prendre sur une table basse deux cendriers, de les poser par terre, ensuite il se baisse et les remet sur la table… Et vous devriez l’entendre causer !!! Des mots et des phrases auxquelles je ne comprends rien encore, hélas ! Il a maintenant des accès de timidité. Il reconnaît l’auto quand Boili rentre, alors vite, vite, il me tend ses petits bras pour que je le prenne et le conduise vers son pappie et une fois près de lui, c’est dans les bras de son pappie qu’il veut aller, pas moyen de le retenir. C’est tellement beau et me rend si heureuse Tous les matins, pendant que nous déjeunons, il est assis à table avec nous dans sa chaise et il grignote un crouton de pain avec un peu de beurre et de confiture ou bien il joue avec deux cuillères à soupe. Kaidi a la permission de le surveiller et alors vous devriez voir il est assis à côté du box et regarde Conradli avec extase et comme il l’amuse avec toute sorte de grimaces etc. Il a lui-même encore un petit enfant de 6 mois plus âgé que Conradli, mais qui est à Kediri avec sa femme et ses autres enfants.
Si tu écris à Kitty, voilà des nouvelles de Ir. Quand je suis partie de Bandoeng en décembre dernier, Ir a dû se faire arracher une dent et c’est devenu une petite opération comme elle en a déjà eu une fois. Elle ne pouvait plus ouvrir sa mâchoire pendant quelques jours et n’a presque pas pu manger. Dans le courant du mois de janvier, des amis à eux sont partis en séjour en Nouvelle Zélande, alors tout à coup Ir et Bernard ont décidé de prendre des vacances aussi. Ir est partie en avant. Le 20 janvier elle a pris l’avion ici à Batavia pour Sidney, de là elle ira en bateau à Queenstown ou Christchurch, elle rejoindra leurs amis et passera 3 mois avec eux en attendant que Bernard, qui ne pouvait pas s’absenter si longtemps, (il est médecin) ira la rejoindre. Ils resteront ensemble en Nouvelle Zélande environ 6 semaines, puis reviendrons en avion de nouveau. Tout va bien et ils profitent de ce que la vie leur offre. Sans la guerre ils auraient pris leur congé d’Europe au mois d’avril prochain, mais puisque c’est impossible, ils vont prendre ces vacances en Nouvelle Zélande dont le climat se rapproche de celui d’Europe. Quand Ir est partie, Bernard l’a accompagnée jusqu’ici, Oscar et moi avons aussi été à l’aérodrome pour la voir s’envoler. Les choses vont donc bien chez eux et Kitty n’a pas à s’en faire. Bernard a toujours un travail fou et s’il prend des vacances près de Bandoeng, il risque toujours d’être rappelé, c’est aussi une raison pour laquelle ils partent si loin, et puis ils aiment voir du pays et ils ont bien raison. Mais malgré tout je ne les envie pas, car ils n’ont pas de Schnucksi et cela vaut pourtant tous les plaisirs du monde.
Si jamais tu peux écrire  à papa W. fais lui savoir que nous avons eu des nouvelles de Coen (frère cadet de Oscar, en Inde), il va bien, se porte bien et dis à papa W que nous faisons le nécessaire pour lui quant aux envois d’argent.
Et maintenant, mes chers, encore une nouvelle que j’allais presque oublier. Nous allons déménager à la fin du mois. Grâce à une connaissance, j’ai trouvé une petite maison, environ aussi grande que celle que nous avons à présent mais qui coûte Fl. 75.- par mois. C’est donc une grande différence de loyer, et j’ai même un plus grand jardin que ce que j’ai ici. Les maisons sont très rares ici, c’est à dire les maisons à louer, car la situation est la même qu’il y a une année, personne ne part, tout le monde reste planté ici de sorte qu’il ne se fait pas d’échange de maison, et si j’ai pu louer celle-là, ce n’est que parce que j’ai fait très vite, je l’ai même louée sans bien la voir car j’ai été là pendant que les gens dormaient encore, tôt dans l’après midi et après moi il a encore eu 20 amateurs !!! Ma maison ici, à la Palmelaan, (avenue des Palmiers) est donc à louer depuis un mois et je l’ai au moins déjà montrée à une cinquantaine de personnes, mais elle n’est pas encore louée, parce qu’elle est trop chère et vous voyez bien que j’ai donc raison de déménager. Cela nous fera une économie de Fl. 30.- par mois, mais naturellement pas tout de suite, car il faut déduire les frais de déménagement. Donc vous pourrez le dire à papa W. aussi car cela nous permet d’aider Coen plus facilement.
A réception de cette lettre-ci, vous adresserez donc vos lettres au Djocjaweg 24, Batavia C. (chemin de Djogjakarta) Ce Djocjaweg n’est pas loin d’ici et près d’un très beau parc public où je pourrai aller promener avec Conradli. Quant à la maison nous vous enverrons des photos une fois que nous y serons. Je suis si contente de quitter cette maison-ci, vous n’avez aucune idée et avec l’aide de Kaidi, le déménagement ne me fait pas peur et d’ailleurs j’en ai l’habitude !!! D’ailleurs aller d’une rue à l’autre est bien moins compliqué que les déménagements que j’ai déjà eus. Comme j’ai loué la maison avant même qu’Oscar l’ait vue et le sache, j’avais un peu peur d’abord, mais une fois que nous y sommes allés le soir, il a tout de suite été d’accord et en est aussi très contente. Donc tout est pour le mieux. Il y a bien mes gens ici qui s’étonnent que nous cherchions à réduire notre train de vie, mais je sais bien ce que je fais en réduisant « nos frais généraux » ! surtout en ces temps ci, où vous tous aussi vous devez vous adapter, mes bien chers.
Te rappelles-tu m’avoir envoyé une petite écharpe une fois avec un petit jumper beige ? Eh bien, je l’emploie presque tous les jours car je la porte comme turban atour de ma tête et elle me va très bien. Tu en auras une fois une photo.
Vendredi, le 14 février. Il y a combien d’années que je suis tombée malade ? (encéphalite, à 15 ans) Jamais je n’oublierai tout ce que vous avez fait pour moi.
Merci à Charlot pour sa lettre. Je me demande quelle est la bonne nouvelle qu’il pourra m’annoncer sous peu. J’en suis très très curieuse. Est-ce que j’ose supposer qu’il s’agit d’une bonne nouvelle concernant spécialement Charlot, ou Loulou ? Mes chers frères, vous savez combien je vous souhaite tout le bien et le bon possible. Ce sera d’ailleurs votre fête (4.4.) quand cette lettre vous parviendra et même qu’elle arrivera peut être encore plus tard, en tous cas vous saurez que nous serons en pensées avec vous tous et vous les Charlous spécialement tout en vous souhaitant de tout cœur many very happy returns of the day.
Roy Marchand 


La nouvelle de la mort de Roy (Marchand, 15.9.1940, Battle of London, RAF pilot of a Spitfire) m’a fait de la peine. Il n’était marié que depuis quelques mois, (son épouse était enceinte, Carol née le 31.3.1941) n’est-ce pas ? Ecrivez-moi un peu plus là dessus svp. La nouvelle de cette mort a en quelque sorte amené la guerre et tout ce qu’elle représente, plus près de moi, m’a rendu la guerre plus réelle. Car ici où on ne la connaît que par les journaux, on ne se représente pas toujours très clairement les tribulations et les sacrifices qui surgissent d’une situation aussi terrible. Il faut croire que Roy a rempli le but qui lui était destiné ici bas et je garderai un bon souvenir de lui.
Mamali, le 5 mai c’est la fête de Kitty, si tu pouvais lui écrire pour cette date et lui donner les nouvelles de Ir que j’ai écrites plus haut, cela lui ferait grand plaisir.
Il y a bientôt une année aussi que notre Conradli est né. Comme le temps passe vite et comme cette année, malgré tout, m’a apporté un immense bonheur. Le jour de sa fête nous serons encore en train d’installer notre nouvelle maison, et je ne pense pas en faire une grande fête, mais il aura tout de même sa petite tourte avec une bougie ! Nous irons un de ces soirs lui choisir quelques jouets, une petite poupée en caoutchouc, des canards pour s’amuser dans son bain etc. C’est drôle mais c’est toujours avec les choses les plus simples qu’il s’amuse le mieux.
Voilà mes chers, je vais vous quitter car je dois mettre ma lettre à la poste à temps pour qu’elle puisse passer la censure avant que l’avion parte. J’espère bien qu’entre temps vous aurez de nouveau eu de nos nouvelles, car j’écris au moins une fois par mois.
Toujours votre Ge…,





Partie I

Batavia

9 février 1941
225


Mes bien chers tous

Quelle fête cette semaine, deux lettres de la maison ! Les nos 249 et 250. Merci mille et mille fois.
Je vous confirme mon envoi de photo du 4 courant. J’ai appris à la dernière minute qu’un avion partait pour Manilla, d’où les lettres sont envoyées par Clipper en Amérique et de là en Europe. Ces avions ne partent pas régulièrement, c’est pourquoi il faut toujours faire attention aux annonces dans les journaux. Cette fois-ci Oscar m’a avertie et je m’y prends assez tôt, car l’avion ne partira que le 18 février. Le port par cette voie est très cher, donc vous comprendrez que j’économise le papier ! Mais je crois que les lettres vous arrivent dans un délai relativement court, et cela vaut aussi quelque chose.
La lettre 224 contenait donc les photos de Conradli avec l’arbre de Noël, et Conradli le jour des 60 ans de sa grand-maman. Je lui ai donné ta photo dans son box pour qu’il y mette un muntschi, ce qu’il a fait consciencieusement et puis il s’est amusé avec la photo.
Mais je veux répondre à vos lettres d’abord. J’ai un bon moment pour le faire ce soir, Oscar est allé au cinéma avec un ami, voir un film de cow-boys auquel je ne tiens pas, j’ai donc préféré rester tranquillement à la maison et je veux en profiter.
Ta lettre 249. Tu trouves donc que Conrad me ressemble tellement? Moi je trouve qu’il ressemble beaucoup plus à Oscar. Mais enfin, à chacun son goût et Conradli finira bien par avoir une frimousse bien à lui, car ce qu’il a dans la tête, il ne l’a pas dans les pieds.
Merci pour les lettres que tu me dis avoir envoyées par bateau, j’espère qu’elles arriveront une fois ou l’autre. J’ai déjà annoncé aux ten Cate à Bandoeng qu’ils pouvaient s’attendre  à avoir une lettre, ce sera la première qu’ils auront, et tu peux te penser s’ils sont contents !
Oui, je vois que tu gondle (se balader) bien, tu as raison, profites, profites, profites de sortir, ainsi le temps passe et trompe l’attente. Pour le moment il ne faut pas penser à un voyage en Europe, pas avant que la guerre ne soit finie, car Oscar n’ose pas quitter ici étant officier. Tu dis bien que Padre va nous garder en Suisse, je n’en suis pas si sûre que cela, mes chers, mais enfin, nous n’allons pas perdre notre  temps à discuter là-dessus. L’homme propose, Dieu dispose.
Je suis contente que Hedy ait réussi à te faire une jolie robe, Mamali et que mes boutons aient pu servir.
Ta lettre 250. Elle est arrivée le soir très tard, j’étais à moitié endormie quand il me semblait entendre le bruit du facteur, mais comme je venais d’avoir la 249 je me suis dit que c’était sûrement un imprimé et je me suis retournée pour dormir. C’est Boili qui l’a trouvée le matin et qui s’est dépêché de la lire avant que j’arrive avec Conradli.
Je regrette que vous n‘ayez pas pu aller à Auvernier avec Padre, cela aurait été une belle journée pour toi. Qu’est-ce qui a retenu Padreli, les affaires ? Il n’est pas malade au moins, mon Padre ?
Ce livre, Gone with the wind, (Autant en emporte le vent) je l’ai lu quand j’étais à la montagne au mois de septembre et j’en ai énormément joui. En ce moment, nous avons justement le film ici, et jeudi ou vendredi, nous irons le voir, Boili et moi, car il a aussi lu le livre.
Alors tu as vendu le piano Mamms ? Je le regrette un peu, ce bon vieux piano, mais tu a eu raison, il ne servait à rien là au Chalet.
Veuille écrire à Flock et lui donner de mes nouvelles. Il y a au moins une année que je ne lui ai plus écrit ! Dis que je ne l’oublie pas et que je vais écrire bientôt !!!
Alors vous avez beaucoup de neige ? Oui, le Chalet doit être bien beau sous sa parure blanche. J’en jouirai quand j’y serai de nouveau, pourtant je jouis aussi des nuits incomparables d’ici. Depuis que j’ai Conradli, je n’ai plus le temps d’avoir le mal du pays, pourtant je ne l’avais pas souvent avant non plus. Oh, cela ne veut pas dire que j’oublie ma Suisse, oh non, et je saurai bien en jouir une fois que j’y serai, mais jusque là, je sais bien me contenter des beautés qui m‘entourent ici.
Merci de m’avoir adressé la lettre de Ans (épouse de Eddy frère de Oscar). Naturellement que je la ferai circuler quand elle sera en ma possession Je me réjouis de voir des photos de la petite Hélène. Il ne faut pas vous offenser du silence de papa W. Continue simplement à lui envoyer de temps en temps des photos de Conradli. Il ne cherche pas non plus à entrer en contact avec nous, donc il doit avoir ses raisons, il faut le laisser faire, il saura bien rompre son silence quand il le jugera à propos.
Je suis contente que vous ayez reçu la photo de mariage de Minnie et de Koo (frère de Ans). Oui, ils habitent loin de nous, à Borneo. Regarde sur la carte, Röttu ! Les parents de Minnie, Mr et Mme Dozy ont dîné chez nous dimanche passé, je les aime bien et c’est toujours heimelig d’avoir des gens un peu plus âgés avec nous, cela nous rappelle nos propres parents !!!
Toutes nos félicitations à Louis Marchand jr. pour son avancement au service. Il a maintenant le même grade que  Boili (Capitaine).
Tu me dis que depuis quelques temps tu as un meilleur moral, c’est donc que tu as bien eu les bleus, hein ? Et tu sais toujours si bien le cacher dans tes lettres ! Mais je comprends que depuis que vous devez recevoir de nos nouvelles un peu plus régulièrement, cela vous tranquillise aussi. Et je sais que Conradli y est aussi pour quelque chose. Il joue en effet un très grand rôle. Je n’aurais jamais cru qu’un enfant puisse faire une telle différence. Je me sentais heureuse avec Boili avant de l‘avoir, mais misère, ce n’était rien comparé à ce que c’est maintenant.
-- et voilà mon Boili de retour du cinéma, il est 11 heures, je vous quitte donc. Bonsoir, bonne nuit.
Lundi le 10 février. J’ai encore un petit moment. Je ferai mon  possible pour parler français avec Conradli, mais je suis tellement habituée au hollandais qui me rappelle notre Bärntütsch que je dois vraiment faire un effort pour lui parler français. Toutefois, il l’apprendra bien n’ayez pas peur, car il faut qu’il puisse vous comprendre quand il viendra !!!
La nouvelle année nous a donc apporté une augmentation de Fl. 25.- par mois. Je ne sais plus si je vous l’ai déjà écrit dans ma lettre précédente.
Et maintenant la question de mes deux dents de devant. Je crois que vous vous êtres formés une mauvaise idée de mes projets concernant ces dents. Il ne s’agit pas de les faire arracher ou quoi que ce soit. Elles ont été en traitement depuis longtemps. D’abord de petits trous qui furent rempli avec de la porcelaine. Ensuite une des dents, celle qui était toujours plus foncée, a commencé à me faire mal et j’ai été au dentiste qui l’a ouverte par derrière. Il a constaté que le nerf pourrissait, il y avait un peu de pus etc. et il m’a soignée à la diathermie. Ainsi il a réussi à bien nettoyer le foyer de l’infection. Cela s’est passé durant mon dernier séjour à Batavia, en 1935. Depuis, le remplissage de porcelaine a été changé une fois, mais depuis ma grossesse ces deux dents sont devenues de plus en plus foncées, tellement que je ne puis plus bien me montrer ainsi En ce moment, il faudrait de nouveau changer le remplissage de porcelaine mais le dentiste me conseille de faire faire des couronnes en porcelaine. Ce ne sont donc pas des  stiftzähn (implant), mais simplement une dent en porcelaine creuse en dedans et faite exactement d’après ma propre dent, et qu’on enfilera sur mes dents. On m’assure qu’on n’y verra rien et que c’est la méthode employée beaucoup en Amérique. Les dentistes ici sont tout à fait up to date, des Hollandais qui ont fait de bonnes études en Hollande et autre part en Europe, et je crois bien qu’ils se tiennent aussi au courant des progrès. J’attendrai encore un peu de temps et vous prie de m’écrire par retour si Burri (dentiste à Bienne) a une méthode encore meilleure à me conseiller. Mais je ne le crois pas. Ce ne sont donc pas des dents qu’on visse mais de vraies couronnes ou plutôt, enfin Burri vous expliquera. Mes dents resteront en place, sauf qu’on les lime un peu pour pouvoir enfiler cette enveloppe en porcelaine.

(suite sur un autre post)