Batavia
31 mai 1937
A sa maman
…….sale
femme ! (elle taquine)
Merci pour
ta 162 à laquelle je vais me
dépêcher de répondre. Je viens d’avaler avec plaisir un grand verre de ton bon
sirop aux citrons (ta recette). J’en fais énormément, nous ne buvons presque
que cela et mes visites aussi l’aiment beaucoup, de sorte que cela m’économise
au moins une dizaine de florins par mois en me dispensant d’offrir des
limonades et des jus de fruits qui sont très chers ici quand il faut les
acheter. Ma recette est
maintenant :
3 livres
de sucre sur 1.1/2 litre d’eau et 1.1/2 verre à bière de jus de citron.
Buby le
boit toujours avec de l’eau gazeuse, alors cela lui fait de la bonne limonade, qui ne me coûte pas trop cher !!!
Je suis si
contente que ma lettre soit arrivée à temps pour la Fête des mères. J’ai bien
pensé à toi, une chose que sans cela je fais rarement ! Je trouve
l’échantillon de ta robe très joli, joli, l’étoffe surtout est si fine et
distinguée et je suis sûre que le dessin est aussi High life. Je me réjouis
d’avoir ta binette. Mais tu sais, si Hedy est si chère, il ne faut pas te laisser
faire, fais la pauvre autant que tu peux, nom d’une pipe, elles profitent assez
de toi ces femmes. Et puis c’est très bien de payer tout de suite, mais ce
n’est pas un bon principe de payer avant même d’avoir ta robe à la
maison. Ah cela non, c’est une bêtise. Ce sont des gestes que j’ai fait
quelquefois aussi, mais j’ai encore regretté chaque fois de l’avoir fait et
maintenant je suis le principe de Levy de Sydney, je ne paie plus jamais rien
avant 1. d’avoir la marchandise en main, 2. de l’avoir vérifiée.
Vois-tu,
Hedy n’est pas à même d’apprécier cela, elles sont trop bêtes et trop moindres,
ces femmes. Je sais qu’elle est toujours en difficultés financières et moi
aussi je la payerais certainement tout de suite, mais jamais avant d’avoir essayé la robe finie. Crois-moi, Rötteli, elle
ne peut pas apprécier ta façon délicate de la gâter, au contraire, cela la gâte
vraiment.
Tu as eu
raison de ne pas aller à Londres avec le Padre. Cela
t’aurait trop fatiguée et comme je les connais, ils n’auraient pas voulu
dépenser pour te payer une bonne place pour voir le cortège du couronnement (Georges VI) et avec cette vache de Constance (épouse de René Marchand, frère du papa de Nelly), tu n’as sûrement
rien perdu. D’ailleurs vous verrez certainement mieux au cinéma. Nous aussi
nous avons déjà vu passer tous les films du couronnement dont quelques-uns en
couleurs qui étaient très très bien réussis. Et maintenant tu as un servir-boy,
aussi un rêve de la Näggeli. Je comprends que tu en aies beaucoup de plaisir, c’est
si pratique et on peut l’employer pour tant et tant de choses. Il faudra que la
Näggeli t’envoie une fois un petit napperon pour aussi contribuer à ton
plaisir.
Sale
femme, tu ne me dis pas comment va ton genou. Est-ce que tu es tout à fait
remise de ta chute ? Le genou est-il fermé de nouveau ? Peux-tu
marcher sans peine ?
Je crois
que ma dernière lettre, celle où j’avais un peu l’ennui, t’a fait assez de
peine. Il ne faut jamais t’en faire pour moi, heureusement que cela ne dure
jamais longtemps, car chaque fois je suis reprise par mon bonheur ici. Et… moi
non plus je ne me réjouis pas du tout de te revoir et de t’embrasser. Mais tu
sais, tu es bien sage et prudente de ne pas être impatiente et surtout de n’y
compter que quand nous serons vraiment dans les bras l’une de l’autre. Vois-tu
je vois journellement tant de ces choses qui se passent à la Banque, des jeunes
qui sont sur le point de partir, qui ont déjà leur billet et tout et puis qui
doivent d’un jour à l’autre renvoyer leur départ pour un cas de maladie, etc.
ou bien qu’au lieu de pouvoir partir pour la Hollande, ils doivent s’embarquer
pour un petit coin bien éloigné dans une direction contraire. Moi, maintenant
je m’entraîne à ne plus compter sur rien que ce que j’ai dans les mains. Je
commencerai de croire à notre congé quand je serai à Mâche ou à Schüpfen (villages
près de Bienne), pas avant. Nous voilà au premier juin et la Banque n’a pas
encore fait connaître sa décision par rapport aux tantièmes et gratifications. Entre nous, je trouve cela un peu
cochon, il y en a tant qui attendent sur ces quelques ronds ! Nous aussi ! Ils auront leur assemblée
annuelle le 2ème mardi de juin et les décisions seront connues le
troisième mardi du mois. Patientons donc encore ! Après tout, ce ne sera
peut être qu’une déception, alors zut !
Notre auto est de nouveau au garage, c’est fantastique, toujours
il y manque quelque chose, c’est comme si au garage, en réparant une chose, ils
en gâtaient deux autres. C’est des cochons, toute la bande !!! Oscarli va
rouspéter quand il lira ceci !!!
Oui, je
suis contente que mes lettres ne fassent que
6 jours. En Hollande elles ne font que
4 jours maintenant. C’est merveilleux. Et le port est devenu meilleur
marché de 10 cents. C’est dommage qu’en Suisse il ait augmenté, je me demande
pourquoi. Enfin, il ne faut pas t’en faire, tu ne m’écriras que toutes les
trois semaines, car je ne veux pas que tu aies trop de dépenses, tu me gâtes
déjà tellement.
A propos
de dépenses, je viens de recevoir ma facture ce mois et j’en ai pour Fl. 10.-
de plus que j’avais compté. Je ne sais pas ce que j’ai fait, c’est fichant, car
depuis quelques temps mes dépenses n’ont fait qu’augmenter. On s’habitue vite au luxe et à une vie plus large.
Nous avons une fois goûté du raisin
et comme c’était si bon, j’en ai très souvent acheté ce mois, ainsi que de très
bonnes pommes que je paye toutefois 7.5 cents la pièce. Tu comprends, ainsi
cela fait vite monter les factures. C’est drôle et si j’étais en Suisse je suis
sûre que nous aurions plaisir à bouffer des bananes chères et qui ne coûtent
presque rien ici. C’est ainsi avec tout. Mais je vais un peu resserrer et
ramener notre mode de vie à la simplicité. Je n’ai plus ce Seuwen à manger
maintenant. Je vois quand même la différence, surtout qu’il prenait toujours
l’apéritif avant de manger. Cela me coûtait une bouteille de Bols (eau de vie de genièvre, 35%, très prisée par les Hollandais) par
mois. Je suis contente d’être seule avec Buby de nouveau.
Cette Go van der Stok attend son baby ces prochains jours. La
pauvrette avait encore un frère de son mari en visite et cela la fatiguait
beaucoup alors je lui ai dit de venir chez moi et chaque fois nous faisions une
petite fête. Je commandais de la pâtisserie etc, et tu aurais dû voir comme elle
en jouissait. Je lui ai aussi fait envoyer des fleurs, elle en reçoit 2 x par
semaine, c’est un abonnement que j’ai pris ainsi dans un magasin de fleurs.
J’ai la même chose, pour Fl. 2.- par mois je reçois des fleurs pour remplir mes
5 vases 2 x par semaine. Oh tu sais la vie est facile ici ! Quand Go est
ici et qu’elle bouffe ainsi cela me rappelle toujours une certaine Rötteli avec
le petit bidon qu’on allait remplir à la laiterie Schwarz!!!
Cette Go
je l’aime beaucoup, beaucoup et elle aussi. Elle est bonne pour moi, et pas
égoïste. La Mimi qui attend aussi son
bébé dans une semaine ne pense qu’à elle, elle se soigne, se dorlotte et je
suis sûre qu’elle n’aura pas un enfant aussi bien que Go. Si seulement c’était mon tour une fois !
Cette
semaine je ne fais que des visites. Demain je vais voir une Suissesse qu’on m’a
recommandée de Soerabaya. Je crois que c’est une Bâloise, je lui ai déjà parlé
au téléphone. On verra ce que c’est. Ce matin j’ai été chez une dame de la
Banque (par intérêt pour Buby) qui a deux petites filles dont l’une ressemble
comme deux gouttes d’eau à un portrait de la Giggerli quand elle était petite.
Et tu aurais dû voir comme je m’amusais avec elle, alors que j’aurais voulu lui
donner une gifle de temps en temps pour lui donner un peu d’énergie. Avant
d’aller là, j’ai été me promener avec la Consulate. Elle était très malheureuse
à cause de son mari qui ne doit pas être gentil avec elle. C’est sûr, il l’a
traînée pendant 10 ans. Il est parti pour l’étranger et quand il a été placé
ici il l’a enfin mariée parce qu’elle avait
des sous. J’en suis sûre maintenant, et il ne l’aime pas du tout. Je la
soupçonne aussi d’être bête!!! J’ai fait de mon mieux pour la remonter, je lui
prêche toujours la patience, la prudence etc. C’est très difficile, tu
comprends, je fais attention de ne rien dire qui puisse m’amener des histoires.
Mais lui, cela doit être un gschtudierte Zibelegring (se croit intelligent) par excellence. Elle est si bête : ce
matin en nous promenant, elle m’a tout d’un coup entraînée à faire un détour
pour éviter la femme du Consul américain qu’elle ne voulait pas saluer parce
qu’elle ne lui était pas sympathique. Cette dame a vu le manège et est venue
exprès près de nous, mais la Consulate a simplement tourné la tête. J’ai eu honte
pour elle. C’est des choses qu’on peut se payer en privé mais pas d’une femme
de consul à l’autre. Oh mais je n’ai rien dit, ce n’est pas mon affaire et je ne suis pas l’éducatrice du Consulat de
Suisse. Seulement, cela fait mal au cœur. C’est comme d’entendre qu’à une
party la Consulate a bu 7 cocktails, 3 whisky soda et 4 verres de bière et
qu’après elle était un peu gaie ! Que tous les messieurs lui faisaient la
cour et lui disaient qu’ils en étaient amoureux !!!!! Et la vache qui le
croit ! Bon sang de bon sang ! Il paraît qu’elle a écrit à ses
parents de venir te voir ! Tu seras prudente, elle n’écrit pas à la maison
qu’elle a des difficultés avec son mari. Ses parents doivent être des Tschümpu (petits bourgeois), la mère en tout cas,
le père doit être ingénieur forestier à Soleure je crois.
Dimanche
nous avons été invités par les Jöbsis pour une excursion en mer. Tu sais que le jour de l’Ascension nous devions
aller là pour la rijsttafel et que je n’ai pas pu aller à cause de mon pied.
Alors ils ont pensé à nous dimanche. Mr. Jöbsis voulait payer ce plaisir à ses
enfants. Il a loué un bateau à moteur Diesel et le dimanche matin à 7 heures
nous nous sommes embarqués, les Jöbsis avec trois de leurs enfants et 5 autres
enfants amis, un prof. Ter Haar avec sa femme, deux jeunes gens de la Banque,
Buby et moi. Le but de l’excursion était de visiter quelques unes des îles de corail au nord de la côte
de Batavia. Seulement la mer était assez agitée de sorte que nous avons eu le mal de mer, et madame J. et moi
avons fini par vomir. Alors nous avons été sur une île seulement et là nous
avons baigné et picniqué. Madame J. avait pris un grand panier plein de
sandwiches, cake, fruits et boissons, de la glace et un djongos pour aider.
C’était très bien et j’en ai énormément joui. Je me suis beaucoup amusée avec
les enfants à chercher des coquillages etc. En baignant j’ai été piquée par un
hérisson de mer (méduse), cela
brûlait bien et donnait des taches violettes sous la peau, comme si on m’avait
infusé de l’encre. Mais maintenant c’est passé. Un des enfants J. l’avait
aussi. Tu aurais dû voir comme c’était beau, cela me rappelait le Lago Maggiore
avec les Iles Borromées. La mer bleue, bleue, verte, le ciel bleu foncé, et ces
îles toutes couvertes de verdure. Quelques unes sont habitées, mais celle où
nous étions pas. Il paraît que Mr. J. a fait beaucoup de photos, peut être que
nous en recevrons aussi, alors tu les auras. Ils sont vraiment très très
gentils, et elle je l’aime beaucoup aussi. C’est une femme tellement
compréhensive, une vraie mère de famille comme toi. Un caractère bien balancé,
on sent cela et cela fait du bien. Dans cette madame Ter Haar qui était avec,
Buby a reconnu une sœur d’un de ses amis d’école. Il paraît qu’il allait
souvent chez eux et cette sœur les grondait souvent quand ils faisaient des
bêtises, les deux garçons. Elle aussi a eu beaucoup de plaisir à revoir Buby.
Elle est beaucoup plus âgée que nous mais nous irons leur rendre visite, elle
m’est sympathique.
Nous
sommes rentrés pour midi et comme nous étions ensemble dans le même taxi avec
les deux jeunes gens de la Banque, nous les avons invité à venir boire quelque
chose, puis ils sont restés pour la rijsttafel. J’avais dit à Buby qu’il
pouvait les inviter s’il voulait. Le dimanche maintenant je me tiens toujours
sur mes gardes et compte toujours avec des visites.
Cet échantillon
de crêpe rouille doit me donner une robe d’après-midi. Je l‘ai presque finie.
Il te plaît ? c’est très bon marché, toute la robe ne me revient qu’à Fl.
5.- . Je la fais d’après un patron du Jardin des Modes. Je me fais deux robes
en piqué blanc, je couds beaucoup, il faut me préparer pour Soerabaya, et aussi
quand les Heintzen seront ici je n’aurai pas le temps de faire grand chose, il
faudra me tenir à la disposition de la tante Heintzen !
L’autre
jour en revenant du cours de chapeau en marchant, je suis tout à coup devenue
faible dans les jambes. Sais-tu pourquoi ? Dans un taxi qui passait il y
avait un jeune homme qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à notre Nöggi. Il
avait tout à fait la tête du Nöög, intelligent et volontaire, je m’en suis
rincé l’œil.
A propos,
j’aimerais bien que toi tu ne cherches pas trop de ressemblance. Tu as la manie
de me comparer à des gens et si tu as le toupet de croire que je ressemble à la
Stritte & Cie, eh bien, c’est que tu es une sale femme et que je ne t’aime
plus du tout !
Je suis
contente si l’affaire du Padre réussira. Mes meilleurs vœux. Et comment va la
santé de Charlot ? Je vois qu’il se soigne en faisant de grandes
promenades, mais qu’est-ce qu’il fait entre temps ? Est-ce qu’il travaille
à ses études ou au bureau ? Mes Chers Garçons, je ne les oublie pas même
si je ne leur écris jamais Tu le leur diras.
La robe
que j’ai envoyée à Flock ne m’a coûté que Fl. 1.20, soit Frs. 2.40, mais il ne
faut pas le lui dire. Je te dis, tout le monde m’envie que je sache si bien
coudre. Mon premier chapeau par contre, n’a pas réussi, il est si vilain que je
ne voudrais pas même le donner. Le second va déjà mieux et le troisième aussi, mais
c’est pas encore du radium ! J’ai une fois été travailler chez cette
modiste, dans son atelier, alors là j’ai fait la connaissance d’un tailleur qui a travaillé à Paris
pendant 8 ans. Ça a été le coup de foudre de sa part pour moi ! Lui et
cette modiste veulent commencer une maison ensemble.
Pas de salutations