mardi 30 juin 2015





6.10.1933

NM/Poelau Bras
Straits Settlements/Malacca

Demain matin à 06.00 heures nous entrons dans le port de Singapore, où nous nous arrêtons seulement quelques heures, toutefois je tâcherai d’aller voir Reuben (client de Milex Elem Watch Co. Bienne, entreprise familiale).

Depuis Belawan, nous avons de nouveaux passagers à bord. Une jeune femme loge dans la cabine à côté de nous, avec deux jeunes filles, elle n’est pas sympathique et fume tout le temps. Cela nous ennuie, nous étions si bien pour nous jusqu’à présent. Je ne peux pas  écrire plus, il est passé 22 heures et je dois me tenir tranquille, sans cela nos voisines vont réclamer.
Belawan





Medan / Sumatra

Hier nous avons passé toute la journée à Medan, qui est une grande ville avec quelques magasins européens où nous avons acheté quelques petites choses. Il a fait très chaud. Nous sommes allés tous les passagers ensemble, en voiture depuis le port. C’était une magnifique promenade, sur une belle route asphaltée, avec des merveilleux palmiers de chaque côté. Dans la ville aussi il y a beaucoup de parcs, une piscine et le plus intéressant, c’est les Halles, ou le Pasar (Bazaar), en malais. Ce sont 4 immenses halles où se vendent tous les produits d’ici, le marché donc. Les poissons vivants dans l’eau courante, les viandes, les légumes, les fruits, il y en a des choses inconnues pour nous.




Hier à l’hôtel de Boer, où nous avons pris le lunch, nous avons pour la première fois goûté des fruits d’ici. Il y en a de très drôles, tant par leur forme, consistances (surtout) que par leur saveur. En général, il sont bons et formeront une bonne partie de notre nourriture. Oscar en a acheté d’une sorte au Pasar et je suis en train d’en manger un. L’enveloppe est d’un beau rouge et a la forme des marrons de chez nous, seulement rouge donc, et dedans, le fruit proprement dit est blanc, gélatineux, dégoutant à voir, tiens, comme de la tête de veau, mais d’une couleur blanc-bleu, c’est glissant-gluant. Une fois que l’on s’habitue à cela, le fruit est bon (rambutan). Oscar en grignote continuellement. Je ne peux pas vous expliquer la saveur, quelque chose entre une orange et des framboises. Une dame  a acheté une grande corbeille de mandarines pour 20 centimes. Vous savez qu’elles sont absolument vertes ici.



samedi 27 juin 2015



2.10.1933

NM/Poelau Bras, Océan indien

Pendant 2 et demi jours nous avons passé la mer Rouge, j’ai presque pris mal à cause de la chaleur, l’air était mouillé tant il était humide, avec 35°, la transpiration ne séchait pas. Naturellement impossible de travailler, personne ne faisait rien que dormir. 3 fois par jour on prenait des douches, avec de l’eau pompée de la mer, mais elle était aussi chaude que l’air. Maintenant nous avons à nouveau un air délicieux et frais la nuit.

La vie ici va son train, tout gentiment. Parmi les passagers la glace est rompue et on ne se regarde plus comme des chiens de faïence. Ce qui m’embête le plus est de ne pas encore bien savoir le hollandais, cela empêche un contact agréable avec les passagers, parce que beaucoup de personnes de leur côté se trouvent un peu gênées ou timides de parler soit allemand ou anglais et moi je ne peux pas encore soutenir une conversation en hollandais, souvent aussi je ne comprends pas ce qu’on me dit, toutefois tout le monde est très gentil avec moi et même se donne la peine de m’enseigner, mais vous comprenez ce n’est pas la même chose que si je pouvais parler à mon aise. Sitôt installée à Keboemen(Kebumen) je vais m’y mettre de toutes mes forces. Le malais n’avance pas beaucoup non plus, naturellement, je ne peux jamais suivre, quand on a le mal de mer on n’a pas envie de travailler. C’est drôle, les djongos (serviteurs) ici à bord ne savent pas ou ne veulent pas comprendre le hollandais, alors il faut parler avec les mains, les pieds et n’importe quoi pour se faire comprendre. Cela me fait rire quelques fois, mais je m’arrange toujours pour ne rien avoir à leur dire, Oscar aussi ! Toutefois ils sont très agréables ils ne me font plus du tout peur et je crois que je saurai très bien les commander dans ma maison. C’est si drôle de vous parler de ma maison, je ne peux pas encore le réaliser que je suis mariée et que je vais aux Indes, et pourtant ce serait le moment !



Nous avons ici à bord un docteur très intéressant, il est le médecin du bateau. Oscar a fait sa connaissance et découvert que c’était un homme très instruit. Il est aussi psychiatre.
Une autre personnalité avec laquelle nous sommes bons amis est l’un des deux prêtres. Un père jésuite, énormément instruit, il a étudié 20 ans avant de devenir prêtre. Il a environ 40 ans, il a l’air très jeune et il l’est. Je m’entends très bien avec lui, mais j’ai bien soin d’éviter toute conversation sur la religion etc, parce que je sais d’avance que j’en sortirais battue, alors il vaut mieux ne pas s’y aventurer. C’est la première fois qu’il va aux Indes, pour donner des leçons d’anglais dans une grande école missionnaire. Je crois bien que nous maintiendrons nos relations. Tout à l’heure j’ai fait une partie de ping-pong avec lui et j’ai pu rire, après un bon coup de sa part, il m’a tiré la langue de plaisir, ça m’a semblé tellement drôle de lui dans sa soutane noire. Quand il fait très chaud ils mettent des soutanes blanches, on dirait deux marionnettes en chemise de nuit. Le Javanais est bien gentil, mais c’est un prêtre tout plein, toujours à prier et pas intéressant autrement.
Hier soir, 1er octobre, nous avons eu le diner d’adieu du capitaine. C’était très bien, chaque passager avait un gentil cadeau. Moi j’ai reçu un très joli bloc note avec le couvercle en métal et émaillé noir, dessins modernes. Oscar a reçu un étui à cigarettes en métal blanc, joliment guilloché. Le capitaine a tenu un petit discours. Je les ai fait rire plusieurs fois avec mon hollandais. Aujourd’hui le capitaine m’a proposé d’aller chez le cuisinier pour apprendre à cuire. Je ne sais pas si je le ferai, vu qu’il reste si peu de temps et que chaque jour maintenant nous entrerons dans un port différent, il y aura toujours quelque chose à voir et je ne veux pas manquer cela non plus.
C’est Oscar qui emploie presque toujours la machine à écrire. Il en est vraiment enchanté. Pour nous, au fond, c’est notre plus beau cadeau de noce, il le dit aussi.
En ce moment il y a un grand bateau qui passe, tout le monde regarde. Il y a quelques jours nous avons passé un bateau hollandais rentrant en Hollande, et suivant la coutume, les deux bateaux ont passé tout près l’un de l’autre et nous nous sommes fait adieu. C’était un moment poignant, les deux bateaux allant en sens contraire, transportant chacun des passagers vers leurs destinées différentes les uns allant aux Indes, les autres revenant et allant vers la patrie qu’ils ont quittée. Quand sera-ce notre tour de rentrer ? Telle était la question dans le cœur de chacun.
Nous venons de passer le premier phare de la côte des Indes. Il pleut tout ce qu’il peut tomber et pour sortir sur le pont il faut même mettre quelque chose de chaud. Cette nuit par exemple nous allons employer nos couvre-pieds, faits par maman.
Ce soir à Sabang nous recevrons un courrier air-mail, mais je ne pense pas qu’il y aura quelque chose pour nous. Je ne peux pas assez m’étonner comme la distance n’est rien pour moi. Il y a seulement la séparation. Donc si j’avais été en Hollande seulement, j’aurais aussi été séparée des miens et je préfère être dans un trou aux Indes parce que tout trou que ce sera, il n’en reste pas moins une grande nouveauté pour moi, tandis que la Hollande….. bäh !
Entre temps nous sommes arrivés à Sabang et restons ici jusqu’à demain à midi. Je suis sortie sur le pont et par un clair de lune merveilleux j’ai vu devant moi une montagne surgir de la mer et enfin nous avons aperçu le port et la ville de Sabang, du moins ses lumières.


Sumatra pointe ouest
Port de Sabang avec le Poelau Bras


4 octobre 1933
Hier nous avons passé la matinée à Sabang (Ile Pulau Weh) notre première étape des Indes. Pour le moment nous sommes arrivés à Belawan, un autre port de Sumatra qui me plaît encore plus. La nature y est grandiose et le genre de vie va me plaire beaucoup, du moins à ce que j’ai pu juger à première vue. Ces forêts de palmiers m’ont fait une profonde impression et en certaines choses m’ont rappelé nos forêts de sapins, par leurs longs troncs droits. Nous arrivons dans la plus mauvaise saison, le Kentering, il fait chaud et il pleut, mais cela ne m’a pas encore incommodée beaucoup, j’ai seulement toujours sommeil.
Hier à Sabang nous avons eu un beau tour d’auto, par toute l’île et avons aussi vu un lac dans les montagnes, de toute beauté, mais qui ne peut pas se comparer à un de nos lacs, c’est si différent. Sabang a une piscine d’eau douce dans laquelle nous avons vite pris un bain, à un moment donné Oscar a perdu sa chevalière dans l’eau, mais nous l’avons retrouvée ce qui est une grande chance. Nous avons aussi longtemps regardé les enfants d’une école chinoise qui avaient la récréation, moi je vais bien aimer les chinois, en tout cas leurs enfants sont uniques.
Je viens de surprendre un coolie qui me regardait écrire par un coin de fenêtre laissé libre par les jalousies. Sa figure noire et ses mauvaises dents ne sont pas des plus belles. Le bateau est plein de ces coolies qui y viennent à chaque port pour charger et décharger les marchandises, naturellement il y en a toujours plus que nécessaire. Pourtant on s’aperçoit aussi de la crise ici, les entrepôts ont été bâtis pour contenir plus de marchandises qu’ils n’en ont actuellement, on le voit clairement, et aussi les bateaux allant en Hollande sont remplis de monde.
Pour venir ici à Belawan nous avons dû remonter la rivière un long bout, c’était magnifique et pourtant il pleuvait et tout était gris. Cet après-midi nous allons à Medan, une ville un peu plus à l’intérieur, mais une des plus grandes de Sumatra. Notre bateau reste ici jusqu’à 4 ½ heures.
Savez-vous ce qui me frappe ici ? tous les hommes, je parle des blancs, sont jeunes, grands et tellement actifs. C’est bien sûr les jeunes qui viennent travailler ici pour faire fortune et ensuite ils s’en vont, mais cela donne un cachet spécial à la vie ici, tout est jeune et actif. Et c’est si large et étendu Quand je pense à tout ce que les gens pensent des Indes, non, cela me fâche, maintenant que je vois par moi-même. En tout cas, je crois que j’ai trouvé mon eau pour nager à l’aise.
Ceci n’est pas du tout bien écrit, je vais si vite et puis il y a toujours quelque chose à voir et je ne suis pas encore habituée à la machine (comment le serais-je Buby ne s’en sépare pas !) elle n’a pas de cédille, alors j’écris toujours « ca », ca irait trop long de le faire autrement.
Voilà, nous partons pour Medan.




Le 30.9.1933

NM/Poelau Bras,
Copie d’une lettre à ma meilleure amie et témoin de mariage, le 10.8.1933
Florence Schenk


Ma Flock chérie
Dans quelques jours nous allons arriver à Sabang, une île au nord de Sumatra, d’où je pourrai t’envoyer cette lettre. Je profite de t’écrire un petit moment pendant qu’Oscar joue au pingpong avec un des passagers. Je n’ai pas beaucoup l’occasion d’avoir la machine sans cela car il l’emploie beaucoup pour écrire ses rapports, et comme le travail vient avant tout, je me retire pour mes choses privées.
De mon voyage je ne te dirai pas tellement, mais je joindrai à ma lettre une copie d’une de celles que j’ai écrit à la maison et où je donne une petite description de ma vie à bord. A toi, ma Flock chérie, j’aime mieux te raconter un peu de ma vie privée, de ma vie de jeune mariée en voyage de noce soi-disant. Tu sais que tu as toujours été mon second moi en quelque sorte, et naturellement cela continue, même que peut être malgré la distance j’apprécierai cet état de choses encore plus, car je n’ai plus maman près de moi, et maintenant je ne peux pas tout lui écrire. Tu comprends il y a des choses que la distance et la correspondance rendent plus graves qu’elles ne sont et une maman comme la mienne se fera vite du souci où il n’y a vraiment pas lieu de s’en faire. A toi, ma Flock, je t’écrirai tous ces petits riens de ma vie journalière, pas les choses extérieures, mais celles qui se déroulent intérieurement entre Oscar et moi et souvent en moi seule.
Tout d’abord je peux dire franchement que mon mariage peut jusqu’ici et pourra être considéré comme un mariage heureux. L’entente en grandes lignes est très bonne entre Oscar et moi. Nous nous aimons et cela naturellement est la chose principale, enfin le bon fonds y est, comme d’ailleurs nous l’avions prévu et tu n’as donc pas besoin de t’en faire, malgré de petites brossées à contre poils que je te raconterai de temps à autre.
La première chose que le mariage m’a enseignée, c’est que j’avais plus de coins à arrondir que je ne pensais, et que nous le pensions nous deux, parce qu’enfin, Flock, te trouves-tu tant de défauts ? Franchement, non, hein ? Eh ! bien ma belle enfant, c’est tout le contraire, on en est farcie, je te dis, de ces coins qu’il faut arrondir à tout prix si tu veux te faire une vie tant soit peu possible et agréable. Il s’agit surtout de petites choses en dedans de toi, vis à vis des actions de ton mari. Flock, nous les jeunes filles, on se fait encore une fausse idée du mariage, c’est à dire, toutes modernes que nous sommes, nous avons encore beaucoup trop d’illusions. J’ai pris la grande résolution de faire ton éducation dans ce sens, et en même temps je ferai la mienne en me raisonnant de la bonne façon, car enfin il faut bien que j’en vienne à bout toute seule puisque je vais vivre au milieu d’étrangers à qui l’on ne raconte pas ces choses. Voilà déjà conseil no 1 : apprends à bouffer les choses toi-même en gardant toujours un extérieur souriant. Ne compte pas sur ton mari pour t’aider en cela, non, puisque la plupart des choses à bouffer viennent de lui. Maintenant voyons voir ce qu’il y a à bouffer. Naturellement c’est de moi que je te parlerai, je sais bien que chacune a des expériences différentes. Quand tu n’es pas encore mariée deux mois tu t’attends à ce que ton mari soit encore aux fines herbes avec toi, c’est à dire qu’il aime à être seul avec toi, avoir de longues causeries, des petites promenades le soir au clair de lune, des conversations intéressantes, en un mot la vie à deux, rien qu’à deux pour laquelle il soupirait pendant les fiançailles. On se réjouit à l’avance, on se dit qu’il y a encore tant de choses que l’un ignore de l’autre, on a pourtant vécu plus de 20 ans une vie séparée et quand on aime quelqu’un on tient à tout savoir de sa vie antérieure, etc, etc. Au lieu de cela que trouves-tu ? Quand tu veux faire quelques pas pour te donner un peu d’émulation sur ce bateau, ton mari est fatigué, quand tu propose une partie de pingpong, il n’en a pas envie, quand tu lui demandes de pouvoir lire un peu de hollandais et de faire une dictée, il n’en a pas envie non plus ou il a justement envie de travailler pour lui. Tu vas me dire que je suis sotte, que je ne sais pas m’y prendre ou pas me plier, peut être bien que oui, mais je me sens sotte ce soir et ça me plaît de l’être, comme je ne peux l’être avec lui, c’est avec toi, mon second moi, et toi tu auras bien la patience de m’écouter et même de me gronder, pas ? Oui, gronde moi dans tes lettres, je m’en réjouis déjà, parce qu’au fond, Flock, le plus beau c’est d’être une petite fille, c’est si difficile quelque fois d’être une grande personne, de toujours savoir toi-même et toute seule ce que tu dois ou devrais faire. Enfin pour en revenir à notre charmant sujet, attends-toi à ce que ton mari se plaise beaucoup dans la société des autres personnes, quelques-unes très intéressantes, je le veux bien, à ce qu’il recherche cette société, tellement que par moment tu te demandes pourquoi il t’a mariée. (Ah ! la jalousie !)Tu es assise à côté de lui, oisive pour le moment, il va demander une autre personne pour jouer au pingpong, une personne qui ne joue même pas mieux que toi, et il te demande : ça te fait quelque chose ? Pardi, on répond que non avec un sourire, que veux-tu faire d’autre, seulement tu restes à te demander pourquoi il ne t’a pas demandée, toi.
Tiens en ce moment même, j’écris pendant qu’il a été rendre une visite à un des officiers, il vient de rentrer dans la cabine, je .. Ah ! non je me trompe dans ma méchanceté, il est revenu j’ai cru qu’il repartait pour de bon. Il est revenu parce qu’il est fatigué, il va au lit et se mettra à lire, donc je peux bien parler encore avec toi. C’est fou, mais j’ai un besoin de parler quelque fois, de communiquer mes pensées, et je n’arrive pas à mon compte avec lui. Avec les autres passagers je ne peux pas le faire non plus, ils sont tous hollandais et c’est très difficile de les faire parler une autre langue, du moins les dames. Alors, comme ça, ça me démange. Résultat : bouffe-la ta démangeaison. Tu as envie d’un baiser ? Oh ! non, huit fois sur dix c’est toi qui doit le donner au lieu de le recevoir !
Flock, dis-toi bien que tant que tu es célibataire tu comptes pour un entier mais une fois mariée tu dois plus que t’oublier toi-même, toujours penser à l’autre (ça irait encore, c’est pour ça que nous sommes femmes au fond, et nous aimons le faire) mais aussi t’habituer à ce que l’autre ne pense pas à toi. Bien entendu je ne parle pas ici des grandes choses, non, des toutes petites dans la vie de chaque jour. Je t’assure que c’est bien celles-là qui me donnent le plus de fil à retordre, ces mille et un petits riens qui te mettent de mauvaise humeur, et une fois de mauvaise humeur tu as tant de peine de te remettre toute seule, sans être grondée, car bien entendu, il ne sait rien. Peut être bien qu’il a aussi de ces moments à passer et qu’il écrirait une lettre semblable à la mienne. Comment veux-tu que je le sache, je ne suis pas encore assez calée pour percer les silences.
Ah !Pouff ! maintenant je souris de nouveau, c’est dehors la raclée, c’est comme un ballon dégonflé en dedans de moi. Dis, pas de mauvaises pensées, hein ? Et maintenant : c’est mon homme, c’est mon homme, ce n’est pas qu’il est beau, qu’il est riche ou costaud, mais je l’aime, mais je l’aime…..

Et voilà tout.

lundi 22 juin 2015






NM / Poelau Bras



18.9.1933
Sur le bateau NM/Poelau Bras
entre la Crête et Port Saïd


Depuis 3 jours que nous sommes à bord, je trouve enfin le temps d’écrire quelques mots.
Commençons par Milan, le 12.9.1933. Nous avons soupé à la Galerie Victor Emmanuel, près du Dôme. Le lendemain à 08.00 heures grand départ pour Naples, via Florence et Rome. Un train bondé de monde, les couloirs remplis de gens, de bagages, une chaleur et des parfums ! La campagne que nous traversions était toutefois de toute beauté et changeait toujours. A Rome arrêt de 10 min pour sauter dans le train de Naples. 14 heures de chemin de fer au total, par cette chaleur, nous sommes arrivés à Naples plus morts que vifs
A Naples nous avons fait des achats et nous nous sommes occupés de nos bagages. Le portier de l’hôtel nous a été d’une grande aide. Nous avons acheté des souliers et une chaise longue pour le bateau. A 5 heures nous sommes montés à bord. Je dois avouer que là à nouveau le cœur m’a manqué un peu. (Pardon, ici il me manque aussi, les vagues deviennent plus fortes, à plus tard…)
…4 heures de l’après midi, j’ai bien peur que ce texte ne sera pas très long, car il faut toujours que je me couche à cause du  ..Oups !
Demain à 7 heures nous serons à Port Saïd où nous restons seulement 3-4 heures pour le courrier. Ensuite nous continuons notre route sans escale jusqu’à Singapore. Je le regrette beaucoup car nous ne toucherons pas Bombay ni Colombo. Nous serons donc 15 jours en pleine mer, mais il paraît que l’Océan indien sera très tranquille. Heureusement car j’en ai assez de ceci. L’air est excellent et pas chaud du tout.
Le bateau a levé l’ancre vers 1 heure du matin et j’ai baptisé la mer avec les fleurs du Chalet reçues de Papali. C’était une nuit magnifique, Oscar a vu une merveilleuse étoile filante et encore une ; nous avons spécialement pensé à notre avenir.
La vie à bord est calme. Nous ne sommes que 14 passagers et 11 enfants. Je suis assise à côté du capitaine  à table (place d’honneur) et avec deux prêtres, dont l’un est javanais. Ils sont très gentils et intéressants. Le reste des passagers sont des gens qui rentrent de leur congé en Europe.
Les serviteurs ici ne comprennent pas ou font semblant de ne pas comprendre le hollandais, alors il faut bien leur parler en malais. Nous ne sommes servis que par des hommes, c’est très drôle, mais je m’y suis déjà habituée et je les trouve très agréables. Ils sont si attentifs et s’effacent tellement, quelques fois on a l’impression d’être servis par des mains invisibles. La nourriture est plus qu’excellente. Le matin seulement nous pouvons choisir 12 à 20 choses différentes. Moi je me borne à manger un fruit, 4 morceaux de toast, un tas de radis toujours bien frais et glacés, et une tasse de thé. Ainsi je suis bien et n’ai pas l’impression d’un estomac trop chargé. (Cela vient assez vite avec les vagues !) A 11 heures on sert une tasse de bouillon ou un avocat. A 1 heure le lunch se compose de 2 soupes à choisir, 2 plats, dessert, fruits et café. A 4 heures du thé avec toast ou gâteaux et à 7 heures le grand diner composé de soupe, toujours à choisir, 3 plats, desserts, fruits, fromage, café.. Oh ! je vous dis, c’est excellent, malheureusement on n’est pas toujours en état d’en profiter !

Notre cabine est grande et très agréable, la plus belle.  Au fond c’est la belle vie et j’en profite. Nous avons repris bonne mine tous les deux, bien que par moment nous devenons blanc comme linge. Heureusement Oscar a eu le mal de mer en même temps que moi et même plus fort, j’ai presque été prise d’un fou-rire en nous voyant les deux étendus sur nos lits, chacun avec un pot sous le nez.
Demain nous avons 4 heures pour  voir Port Saïd, nous en profiterons pour visiter la ville et faire quelques achats, tels que la lotion pour les cheveux, j’ai de nouveau des pellicules, et Oscar a besoin de chaussettes blanches.
Nous avons déjà croisé plusieurs bateaux sur notre parcours, des tous grands, hollandais, italiens, etc, c’est très beau à voir. Ce qui était aussi de toute beauté était de passer entre l’Italie et la Sicile, entre Scilla et Caribdys (détroit de Messine). On dépasse le Stromboli, un volcan tout seul dans la mer. La mer est bleue, bleue, c’est admirable. Bon, voilà que cela recommence….. oups,  à bientôt, je vais me coucher.
Cela va à nouveau, nous allons souper. On ne fait pas beaucoup de toilette, j’ai mis ma robe brune imprimée. Je n’ai même pas déballé mes robes du soir. Les dames ici sont tellement simples, toutes mères de famille occupées par leurs enfants.
Pendant une promenade sur le pont avec le capitaine et le prêtre nous avons admiré les étoiles. Le ciel est merveilleux. Dans un jour je ne verrai plus la grande ourse, elle est maintenant déjà à l’horizon alors qu’à Bienne elle est visible haut dans le ciel, au-dessus de Macolin. N’est-ce pas drôle ?
Beurk, on voit que nous approchons du sud, je viens d’apercevoir un immense insecte rouge se promenant sur notre papier à lettre, oui cela commence à grouiller dans les coins !!!

Celle-ci est notre dernière nuit fraîche, demain nous passons le canal de Suez et ensuite nous entrerons dans la Mer rouge qui sera terriblement chaude. Jusqu’à 50°. C’est les pauvres diables à la cuisine ici que je plains. Pendant 3 jours que durera la traversée, je ne pourrai rien faire d’autre que transpirer.

Le 19.9.1933
Nous avons visité la ville de Suez qui est surtout intéressante par toutes les races du monde qui s’y promènent et qui font les sangsues sur les touristes qui s’aventurent par la ville.
Cet après-midi nous avons été par le canal de Suez : un trajet de toute beauté. La plus grande partie du canal passe par le désert mais cela aussi est beau. Comme nos montagnes ont l’Alpenglühen, le sable du désert se colore aussi et devient presque lumineux, avec les caravanes, les bédouins, les chameaux, les palmiers…
Oh! le désert ! j’en ai été émerveillée, je n’aurais jamais cru qu’il put avoir un charme si fort. J’étais tout l’après midi assise à la pointe du bateau qui filait doucement sur le canal tranquille, comme un miroir (heureusement !). D’un côté il y avait le chemin de fer allant au Caire et de l’autre côté, c’était tout à fait le désert, pas une herbe qui croit, du sable, du sable d’une couleur !!!





14.9.1933

Naples, avant d’embarquer

Vite deux mots: nous sommes à Naples après 14 heures de voyage dans un train bondé, toujours 8 passagers dans un compartiment, trop fatigant, mais nous sommes ici dans un bel hôtel au bord de la mer, et justement je vois un grand navire prendre le large, il est tout illuminé, demain soir ce sera nous ! Celle-ci est notre dernière nuit en Europe du moins sur sol ferme, et à regarder la mer et les lumières de Naples, on passe des moments inoubliables. J’avoue que c’est un peu mélancolique malgré les Santa Lucia qu’on entend monter de partout.

Il est 7 heures du matin, le 15.9.1933. J’ai bien dormi et me suis réveillée face à une mer bleue et calme. Il fait un temps magnifique, déjà bon chaud, la vue de Naples depuis mon balcon est unique. Maintenant que je suis reposée, cela ne me fait plus beaucoup de partir, c’est une grande aventure. Hier soir j’avoue que le cœur me manquait un peu, mais aussi nous étions terriblement fatigués.
Nous allons déjà souper ce soir sur le bateau, cela ne nous coûtera rien et ici nous avons fait du luxe en prenant une belle chambre avec bain.



mercredi 17 juin 2015




Laren/Hollande, 14 novembre 1932

Comment tout a débuté



Samedi matin nous sommes donc allés à Amsterdam, Oscar (mon fiancé) et moi. Nous sommes partis de Laren à midi et avons pris le lunch à Amsterdam. Oscar m’a emmenée voir la Ned. Ind. Handelsbank. (Banque centrale des Indes Néerlandaises). Nous devions aller à 8 heures chez Monsieur Dunlop, un des directeurs. Tout le monde ici nous conseille de partir ensemble, surtout parce que nous allons à Keboemen/Java, situé dans les montagnes et plutôt un petit village.
M. Dunlop est le directeur commercial des fabriques aux Indes néerlandaises et le seul qui soit contre le projet de nous laisser partir ensemble. Premièrement parce qu’il doit payer mon voyage et ensuite c’est un  principe de la société de ne pas laisser les jeunes partir mariés, ils ont peur, à la Banque, qu’une jeune femme distraie trop son mari et que celui-ci néglige son travail. Oscar a dit que quand M. Dunlop me connaîtrait, il ne serait plus contre ce projet parce que j’allais lui plaire. On m’avait aussi dit que cela dépendrait beaucoup de moi et que je devais me donner la peine de le convaincre !!! Nous arrivions là dans la meilleure ambiance après un bon dîner et du vin et des apéritifs. Enfin, j’ai fait sa conquête et une heure plus tard, Oscar et moi sortions de la maison en riant et sautant le long des « grachten » comme deux gosses en vacances. Naturellement nous ne savons encore rien de définitif maintenant.

M. Dunlop n’a pas dit qu’il était d’accord de nous laisser partir ensemble, mais il m’a demandé si j’avais déjà fait des préparatifs de départ. J’ai dit que non : You don’t expect me, as a sensible girl, to prepare for leaving for India, when I don’t  know anything sure about it ! Il a répondu : Yes that I must say, you are a sensible girl, and I advise you to go home and begin to prepare.. Donc il faut s’attendre à ce que nous partions ensemble et cela bientôt.


Je n’ai pas peur pour moi, je sais que je peux supporter beaucoup et je crois que Oscar n’est pas le plus mauvais et je crois aussi qu’il m’aime sincèrement, je le connais mieux maintenant. Est-il le bon pour moi ? saura-t-il me rendre heureuse ? Je le crois. Il me comprend si bien, nous avons les mêmes goûts, c’est pourquoi je n’ai pas peur de partager une vie avec lui.