mercredi 30 décembre 2015





20 août 1934

Keboemen

Merci pour ta lettre du 5 courant, mamali, et Charlot aussi, nous avons lu ton exposé avec grand intérêt comme toujours. Par même courrier nous avons reçu un exposé environ sur le même sujet de Papa Woldringh. C’était intéressant de comparer, mais le tien est bon aussi, Oscar l’a dit, mais qu’il fallait les considérer chacun sous son propre point de vue.
Ach, mes chers, ne me demandez pas de vous en écrire long cette foi-ci. Nous avons bien mal au cœur, car hier soir notre Topsy est mort après une terrible agonie. Nous l’avons enterré ce matin et ne pouvons pas nous défaire de notre triste impression de deuil. Moi, j’ai pleuré. Il a commencé d’être malade mardi, mercredi quand nous nous sommes aperçus qu’il avait du sang dans ses selles. Nous avons fait ce que nous avons pu pour lui, quand cela ne voulait pas s’améliorer, nous avons téléphoné aux Engelhart qui sont venus vendredi soir avec toutes sortes de remèdes. Nous l’avons bien soigné, et samedi nous étions plein d’espoir, mais vers le soir il a commencé à saigner du nez, d’abord un peu, quelques gouttes seulement de temps en temps. Cela a duré pendant toute la nuit, je l’avais à côté de mon lt pour le veiller, mais nous n’avons pas dormi les deux, nous regrettions tant de le perdre, car nous avions appris à l’aimer beaucoup. Dimanche nous ne l’avons pas quitté d’une minute pendant toute la journée, nous avons même mangé au salon, près de lui. Il s’affaiblissait très vite et le sang n’arrêtait pas, de sorte que nous avions perdu l’espoir, quand un moment il est devenu plus calme et le sang a cessé. Notre espoir renaissait, surtout chez Oscar, mais moi, je ne me fais pas trop au changement et craignais bien que ce soit le commencement de la fin. Dimanche soir donc, nous avons résolu de le veiller à tour de rôle, ce n’était pas nécessaire de manquer notre sommeil, les deux. Ayant dormi l’après midi, j’ai envoyé Oscar se coucher d’abord. Je devais le réveiller à 11. h. mais à 10. h. soit 22 heures, les crises de toux avaient cessé depuis peu, Topsy tout à coup s’est levé, il voulait partir, mais ne le pouvait pas, étant trop faible. Après avoir crié ou plutôt pleuré deux fois, il s’est de nouveau affaissé en soufflant terriblement fort, comme une locomotive, tout en perdant continuellement du sang par le nez et par la bouche, enfin à 11 h. il a expiré avec deux trois soupirs de soulagement. Mais je crois que c’est à 10 heures qu’il a rendu l’âme. J’ai appelé Oscar et tous deux nous l’avons veillé pendant ses dernières minutes. Ensuite nous l’avons cousu dans une natte et porté dans le pavillon, tout en désinfectant le salon hâtivement. Une minute après que Topsy soit mort, Tipsie, qui dormait dans la chambre de travail, a poussé un cri et pleuré pendant quelques instants. A minuit tout était prêt, nous avons été coucher, mais avions de la peine à nous endormir. Aujourd’hui, pendant toute la journée nous avons vraiment eu le cœur en deuil, Tipsie aussi est toute triste, elle ne comprend rien à la situation. Ils jouaient et gambadaient ensemble toute la journée, c’était unique à voir ces deux jeunes chiens s’amuser, se taquiner, se chicaner, puis de nouveau se flatter et repartir s’amuser. Je n’aurais jamais cru que je m’y attacherais tant. Cela me fait si mal au coeur ! Enfin il faut se surmonter, c’est vrai que nous sommes bien fatigués, les deux. Jeudi soir les Visser nous ont demandé de venir jouer au bridge, Monsieur La Bastide, Dr. en chimie, étant ici pour deux jours et un fervent joueur de bridge. Moi je n’ai pas joué avec, seulement Oscar. J’ai commencé un coussin au crochet. Je t’enverrai un échantillon de la soie, mamali. Nous sommes rentrés très tard. Vendredi soir nous avons donc eu les Engelhart ; à 9 heures, quand nous étions prêts avec les soins à donner à Topsy, je leur ai demandé de rester à souper. Nous avions du nassi goreng, mais comme il n’y en avait pas assez pour 4, j’ai fait faire quelques œufs au miroir et ouvert une boîte de sardines. Ainsi c’est très bien allé et nous avons passé une soirée très agréable malgré tout. Mme E. m’a apporté une portion de choux frisés de son jardin, et un immense bouquet de fleurs, des fleurs blanches comme du genêt, cela fait des bouquets merveilleux et sent très bon. J’ai aussi reçu tout un bouquet de violettes, de belles grosses violettes qui sentent si bon. Chaque fois qu’elle vient, elle apporte quelque chose de son jardin. Eux aussi sont très, très généreux, comme madame Visser. Mais grand merci, les E. sont beaucoup plus intéressants. Ils connaissent tellement de choses des Indes, surtout la botanique, et je pourrai beaucoup apprendre par eux. Nous les avons complètement conquis maintenant. Elle me rappelle beaucoup beaucoup la Fanely (sœur cadette de Rose). Elle est coiffée la même chose, elle a la même taille et quelque chose dans les yeux et autour des yeux qui me rappelle absolument « myne Bänggu ». Aussi la bouche, dans l’expression, a quelque chose de Fanely, enfin vous pouvez bien comprendre qu’elle me soit sympathique ainsi. Un dimanche, nous irons passer toute la journée chez eux. Nous ferons aussi des pic-nics ensemble et nous avons projeté beaucoup de jolies excursions dans les environs de Keboemen qui doivent être exceptionnellement jolis et que nous ne connaissons pas encore. C’est vrai, les Visser pour cela ne sont pas agréables. C’est l’usage ici, quand on est administrateur d’une « onderneming » on groupe ses employés autour de soi, on forme une petite société, de temps en temps on s’accorde un plaisir en commun. Mais  les V. en cela n’ont pris aucun soin de nous. Non je ne peux pas dire aucun, c’est faux, ils ont bien été gentils à leur manière, mais ils ne tiennent pas aux excursions, aux pic-nics etc. Visser n’a aucun plaisir à la nature, son plus grand plaisir c’est de jouer aux cartes, il y passe des dimanches entiers avec sa femme, ils jouent à l’écarté. Enfin, il faut prendre les gens comme ils sont, et cela n’est pas si difficile quand ils nous sont indifférents. Enfin, ces prochaines semaines il n’est de nouveau pas permis de penser à quelque sortie que ce soit, car les Röhwer allant pour un mois à Batavia, il est venu l’ordre de Soerabaya, donc du head office, qu’Oscar devait se charger de la marche de la fabrique, ensemble avec le jeune Blockhuis, le chimiste qui n’a rien à faire en ce moment et qui est au bureau vers Oscar pour apprendre la comptabilité. Cela veut dire que le mois de septembre sera extrêmement fatiguant et sévère, plus même un dimanche après midi de libre, mais tout de même c’est réjouissant car ils doivent avoir une très bonne opinion de nous à Soerabaya, chargeant Oscar ainsi de n’importe quoi. Ils le considèrent vraiment comme all sided. Après nous demanderons quelques jours de congé, car vraiment il nous faut sortir un peu, Oscar doit se détendre un peu. C’est même Visser qui le trouve et nous dit d’acheter une auto pour mieux profiter des courts moments de congé, mais flûte, on en a pas les moyens encore. Nous allons nous payer deux vélos, j’ai déjà le mien à l’essai. On pourra faire de gentilles petites tournées, le soir par exemple, surtout pendant la saison des pluies, quand le tennis n’est pas sec vers le soir.
J’ai bien senti mes rhumatismes, cette semaine, c’est plutôt mes névralgies dans mes mains et mes bras. Je vais me faire des robes à longues manches. Je serai contente d’avoir mon cape aussi, je suis si contente, I look so much forward to it. Autrement nous nous sentons bien, il n’y a pas à vous inquiéter, hein, tu vois je te dis bien tout, mais pour cela ne saute pas au plafond.
Et maintenant je vais terminer. Il est déjà tard, Oscar est au lit, lisant. Sa lettre à Laren n’est pas finie, il la terminera vite demain matin, mais moi je veux aller avec Nicki et faire une bonne et belle promenade, donc je n’aurai pas le temps de terminer le courrier. C’est plus sûr de le faire à présent. Mon vieux macaroni, j’ai encore toujours la même bringue pour aller au lit, ma toilette me prend toujours un temps norme, ensuite il faut aller rendre une visite aux …iottes, ensuite il faut voir si tout est fermé partout, ensuite il faut voir s’il y a des moustiques dans la moustiquaire, ensuite il faut encore boire un peu de sirop, ensuite il faut aérer la chambre pendant que je prépare les pantalons de Buby pour le lendemain, ensuite il faut se regarder dans la glace encore, ou penser à cela et ceci pendant qu’on ramone le nez, ensuite, ensuite, etc. Enfin, je n’ai pas changé et Oscar dit comme les garçons : Oh ! ces femmes, c’est jamais prêt.
Mamali chérie, je répondrai en détail à ta lettre la semaine prochaine, vous pouvez être contents, je suis quand même arrivée à faire mes deux pages, mais je bâille, je bâille…


dimanche 20 décembre 2015





il y a une année: 8.8.33
en bas: Loulou, Roy, Charlot
Flock, Oscar, Nelly, Linette
derrière Flock: Papa Woldringh
derrière Nelly et Linette: Rose et Louis Marchand



12 août 1934

Keboemen


Nous ne voyons presque plus jour, nous venons de dîner, du riz et un poulet qui était une vieille poule, mais bonne quand même quand on a de bonnes dents, et…. de la salade. Oh ! c’était exquis, mais comme je vous dis, nous n’en pouvons plus. Oscar est couché sur notre nouveau couch, lisant, moi, je vous taperai encore quelques lignes et j’irai me coucher, car vraiment avec un estomac aussi rempli, je n’ai plus d’idées ou plutôt, je n’arrive pas à les formuler, car vous imaginez bien que j’ai des tas de choses à vous dire.
Voilà, je ne suis pas arrivée plus loin, à midi, maintenant j’ai bien dormi et les idées claires, tandis que Oscar a aussi dormi, mais se réveille toujours de mauvaise humeur ou plutôt il ne se sent pas bien quand il dort après le dîner. Maintenant il est assis à son bureau et…. travaille un peu, pour changer !!!
Voilà, ils sont passés les jours de fêtes. Ils étaient bien, tout à notre goût et bien réussis en somme, sauf que Buby est de nouveau enrhumé, mais cela va déjà mieux maintenant. Le mardi à midi, nous n’avons donc rien eu d’extraordinaire. L’après midi, j’ai bien décoré notre salon et la table pour le souper, de toutes les fleurs que je pouvais trouver au jardin. Tout mon massif de zinia y a passé, mais l’effet était vraiment ravissant, je les ai arrangés par bouquet dans de petits vases (mes rince-doigts en verre, tu sais mamali) sur ma nappe jaune. C’était joli, et le djongos a voilé les lampes avec du papier crêpe orange, l’atmosphère était tout à fait celle d’un restaurant intime et chic. Nous avions une frousse bleue d’être surpris par les Visser, et en effet, Oscar voulait justement enfiler ses pantalons de smoking quand Mr. V. est arrivé pour un renseignement. Moi j’avais déjà préparé les verres d’apéritif, ainsi que mes petits paniers d’argent avec les biscuits secs au sel, le tout joliment arangé sous notre lampe, et des fleurs partout. Je n’aurais pas voulu que V. voie cela, et j’ai eu assez de maîtrise pour le recevoir à la véranda, autrement il vient toujours au salon. Alors pendant qu’Oscar parlait avec lui, j’ai vite caché bouteille et verres, et en moi-même j’ai ri et pensé à des occasions pareilles à Sutz, quand chacun de nous courait dans une autre direction quand Minna ou l’un de nous sonnait l’alarme de l’arrivée des Rackers, etc. Enfin, après une demi-heure, V. est parti et nous avons continué notre toilette. C’était gai de s’habiller comme il y a une année. Buby était très bien dans sa « dinner jacket », qui lui est trop petite !!! et moi je lui ai bien plu de nouveau dans ma belle robe. Nous avons donc bu à la santé de tous nos chers, de nos patries, enfin de tout, de tout, et nous nous sentions profondément heureux, les deux, et reconnaissants surtout. Ensuite nous avons été à table. Le menu : Fruit cocktail, des morceaux de melon arrosés de jus d’ananas cuit avec du sucre, et une petite cuiller de sherry. Ensuite  caneton, exquis, petits pois, galette de pommes de terre, compote d’abricot (en boîte) glaces et café. La bouteille de Graves que j’avais achetée était du vinaigre ! Heureusement que j’avais encore une petite goutte de Medoc, et nous avons pu boire à la santé avec deux fonds de verre. Ce n’était donc pas fantastique mais acceptable !
Nous avons passé la soirée à rappeler nos souvenirs, fait jouer le gramo et… et… dansé le Kaiserwalzer. Ensuite extinction des feux. C’était une soirée si jolie, ah ! oui, j’oublie. Nous avons encore été au jardin un moment, voir les étoiles, et Buby en a vu une filante, moi j’en avais vu une merveilleuse le soir avant. C’était si beau, cette nuit calme, douce et fraiche avec ces grandes étoiles, et la Croix du Sud, juste devant nous dans le ciel, et nous deux, jeunes et heureux, et le gramo jouant de la musique tzigane, tout doucement. Nous avons aussi fait aller tous nos autres disques, la petite Rose, et le clou : Feldgrau. Je vous dis, ces jours ont passé dans une harmonie complète de tendresse, de bonheur, d’espoir et un peu de regrets, naturellement.
Le lendemain aussi était vraiment notre grand jour. Depuis de bon matin déjà, au lit encore, nous en avons parlé, parlé, et pendant tout le jour, Buby m’a appelée sa bruidje (petite mariée) et a été spécialement attentif. C’était un grand et bon jour. J’ai été faire ma promenade matinale, et en ai beaucoup joui. A midi, nous avons eu des asperges, d’abord oxtailsoup au madère. (J’ai trouvé du bon madère, spécialement pour la cuisine, gare mes sauces) Ensuite des asperges avec mayonnaise et œufs au beurre, à la hollandaise, un rôti au madère ( !) pommes allumettes (vous vous rappelez, garçons, le souper au café de l’Opera à Paris ?) et salade de mon jardin. Dessert : compotes variées (il fallait bien que je finisse la boîte ouverte) L’après midi j’ai été dormir, ensuite nous avons joué au tennis les deux, le soir un bouillon en tasse, un hors d’œuvres, et pour finir, une omelette au rhum. Nous avons repassé la soirée à rappeler de vieux souvenirs et surtout ceux de l’année dernière.
Le 9, j’ai passé mon temps à faire une tourte savarin, mon gâteau d’anniversaire, et des petits vols au vent et mille et une choses, qu’il fallait préparer pour le 10 en cas de visites.
Le 10.8. Le matin à 7 ½ heures, Oscar parti, je me suis encore un peu attardée avec les chiens et j’ai ensuite été aux W.C.  Le djongos vient m’appeler, me disant qu’il y avait des visites. J’étais en robe de chambre et pyjamas. C’était mon amour de Ricshaw qui m’attendait dans la véranda avec un beau bouquet de chrysanthèmes blancs, des asters, (qu’elle a au jardin) une jolie tourte faite elle-même et très bien réussie, et un tea cosy au crochet, aussi fait par elle. Avec cela elle avait mis une robe rose faite d’après le modèle de ma bleue tootischa, avec des volants dans le bas. Elle m’a gentiment félicitée, la rosse, va. Oh ! mais j’ai été gentille, pouah, elle m’est si indifférente maintenant, elle me laisse absolument froide et je n’ai eu aucune peine à être très gentille aussi. Un peu plus tard, Monsieur est venu, avec Oscar qu’il avait été chercher au bureau. Ils sont restés un bon moment et je n’ai pas pu faire autrement que de les inviter pour le soir, pour un potje bier (une choppe), comme il dit, le vieux. Je m’attendais donc à ce que les Visser viennent aussi, car j’admettais sans autre que la Ricshaw avait raconté à Mme Visser que c’était ma fête, mais non, rien, les Visser ne se doutent de rien, et les allusions de monsieur, quelque temps avant, à un petit dîner ne se basaient donc pas là-dessus. La rosse, va. Elle s’est dit naturellement qu’elle ne dirait rien, qu’ainsi elle serait seule à venir se mettre dans mes bons papiers, et que peut être je serais blessée du silence de madame V. Mais moi, pas si bête, depuis je suis encore une fois plus gentille avec les Visser. Ils soupçonnent bien que nous avons eu l’anniversaire de notre mariage je crois, mais grâce à la Ricshaw, ils ne savent rien de ma fête. C’est bien ainsi, j’en suis contente.
Nous venons de jouer au tennis avec eux, et après ils sont encore venus chez nous un moment, et à l’instant, nous venons de souper, madame V. m’envoie une magnifique grappe (régime) de bananes, un sisir, comme on l’appelle ici. Enfin donc le soir de ma fête voilà les Röhwer qui raboulent, quelle tuile c’était pour nous, il a fallu rester pendant deux heures et demie à parler, bavarder de la pluie et du beau temps, mais tout a bien été, ils sont de nouveau la gentillesse même avec nous et quand ils passent en auto maintenant, ils enfoncent presque les vitres à force de nous envoyer des sourires et de nous faire adieu, alors qu’avant ils tournaient toujours les têtes de l’autre côté. Si ce n’est pas ridicule, une conduite pareille. Buby, toutefois m’a avertie, il pense qu’ils veulent quelque chose de nous un service quelconque, c’est pourquoi ils sont revenus entamer les relations. Enfin, l’avenir le dira, pour le moment nous les laissons joliment gigoter. On a eu des épis de maïs, ce soir, est-ce que vous en avez aussi planté à Sutz ?
Est-ce que je vous ai déjà écrit que maintenant, depuis le 1er août je vais 3-4 fois par semaine à l’école avec Nicki. C’est à dire, elle y va en auto et moi je l’accompagne et reviens à pied. 

Son école est située dans la plus belle partie de Keboemen, où les routes ne sont que des allées merveilleuses, propres, de beaux arbres et des maisons riches. De temps en temps madame V. vient avec moi, et quand elle n’a pas envie de marcher j’y vais seule. Je suis très très contente de cette combine qui me donne toujours une bonne excuse pour un exercice quotidien de plein air. Les jours que m. V. part en tournée, Nicki va à l’école dans sa petite voiture, alors il n’y a pas de place pour moi, et je vais toujours faire l’une ou l’autre commission. Grâce à ces promenades, je me porte si bien et j’ai tout à fait bonne mine, et … je conserve ma ligne. La Rohwertje m’a avoué qu’elle pesait maintenant 70 kg. J’ai fait semblant de ne pas le croire, lui disant avec la mine la plus sainte du monde que jamais cela ne se voyait. Avec cela elle a un pétard !
J’oublie presque de vous remercier de vos bonnes lettres du 29 juillet, no 46, que j’ai reçue le jour de ma fête, ce qui m’a fait extrêmement plaisir. Nous avons reçu des lettres de Tata, de Flock, de Fanny, de Guggige, de Coen, d’Eddy, de papa W. de Cis, vous pouvez penser comme j’ai à écrire de nouveau pour répondre à tout le monde et en écrire encore bien d’autres. Je vais tâcher de tout liquider cette semaine et après adieu, il me faudra me remettre à coudre. Tous les pantalons de dessous d’Oscar sont trop petits, il me faut les élargir, ensuite il me faut des pyjamas, des robes etc, et je vais aussi essayer de me former un chapeau. Excepté ma chronique hebdomadaire, plus personne n’entendra rien de moi jusqu’à Noël. Un de ces samedi nous irons aussi à Solo et Djocja pour acheter un buste, rendre visite à John et Jans, et voir du nouveau un peu. Oh ! dites, j’ai oublié de vous dire que pour ma fête j’ai encore reçu Fl. 10.--, de Buby et avec l’argent qu’il m’a donné avant déjà, je vais acheter un buste. Le chèque de papa W. me servira à acheter une table à écrire et un vélo, Oscar va aussi s’en acheter un. On s’en paye du luxe, pas ? Mais voilà, nous avons maintenant Fl. 310.--,  à la poste, l’assurance est payée pour une année, c’est à dire que la prochaine prime n’échoit que le mois d’août prochain, en même temps que notre date de mariage.
Et maintenant mes chers, je vais vous quitter pour cette semaine, je veux encore écrire un billet à Faather, puisqu’il n’arrive jamais à répondre à mes lettres, vu qu’elles circulent, je pense. Mais n’est-ce pas, mamali, elles ne sortent pas de la famille, sans quoi je me verrai contrainte de ne plus écrire si librement sur tout. Ouah ! je baille et j’ai sommeil, c’est dommage, je dors pendant plus de la moitié de ma vie ici. Ce matin j’ai voulu aller à l’église. J’avais lu dans le journal hier soir qu’il y avait culte à 9 heures a.m. je suis arrivée une des premières, il n’y avait que quelques femmes javanaises, mais petit à petit il en venait toujours plus, des Javanais, rien que des Javanais, de sorte que j’en vins à me demander ce que je faisais là toute seule, moi. Il m’est venu à l’idée que peut être le sermon ne serait pas en hollandais. A la fin j’ai demandé à une des sœurs d’hôpital, la Soeka Anny, celle qui a soigné madame Visser lors de son accouchement. En effet, elle m’a répondu que le culte se faisait en javanais, et que le soir ce serait en hollandais. Je me suis donc dépêchée de sortir, mais ce soir, ayant eu les Visser, j’ai été empêchée d’y aller.
Voilà, ... terminé. Un bon muntschi à chacun de vous, toujours all the best de votre Ge….. et Boylie




mardi 15 décembre 2015





Keboemen
Lundi après midi (le 6 août 1934)
Sans date


Ouf, j’ai bien travaillé aujourd’hui. Ce matin j’ai fait des « zoutbolletjes », des petits biscuits au sel qui fondent radicalement dans la bouche et qu’on présente avec l’apéritif. J’ai aussi lavé ma robe d’organdi, je vais la mettre demain soir, le 7 août, et le 8 je mettrai ma toute belle blanche (1 an de mariage et anniversaire de 27 ans). Tout au commencement que nous étions ici, la Ricshaw, par une indiscrétion est arrivée à savoir la date de mon anniversaire, et maintenant Visser fait toujours allusion à un petit dîner que je donnerai. Il croit par là m’intimider et m’obliger à les inviter mais la Näggeli ne l’entend pas de cette oreille, ni Buby non plus. Je les aurais déjà bien eus s’ils n’étaient pas aussi difficiles, c’est terrible, ils ne bouffent rien que des boîtes, du thon, des bons poissons, du pâté de foie gras, des bonnes saucisses importées de Hollande et qu’on peut avoir ici à Djocja à un prix fou. Nous ne pouvons pas nous permettre un luxe pareil, même pas pour un petit dîner hors série et Oscar ni moi, pour rien au monde nous allons vivre au-dessus de nos moyens. Naturellement les Visser croient fermement, malgré toutes nos protestations, que nous recevons beaucoup d’argent de nos parents, surtout Oscar, et devant nous ils plaignent toujours les Cletton, les gens qui habitaient notre maison avant nous, qui avaient le même salaire mais qui n’arrivaient jamais, qui devaient faire des dettes, etc. Ils ne veulent pas croire que nous vivons de notre salaire uniquement, c’est dommage que nous n’osons pas leur répondre malhonnêtement quelques fois et une fois bien les remettre en place. Je fais tellement attention avec toutes mes manipulations d’argent, telles que mes économies, mes payements etc. jamais je ne vais mettre de l’argent à la poste quand une des dames est avec moi, je ne veux pas qu’ils sachent quoi que ce soit, et mon agenda aussi je le surveille quand ils sont ici. Nos finances ne regardent personne. Pour notre petite fête, j’ai acheté une bouteille de Graves à Fl. 1.60, mais Oscar s’est moqué de moi parce que le vin est absolument rougeâtre, alors qu’il devrait être blanc. Il dit que ce sera du sirop d’orange avec un peu d’esprit de vin. On verra, en tous cas ce sera toujours quelque chose de plus digne que de l’eau pour boire à la santé de vous tous, car c’est spécialement pour cela que je l’ai acheté.
Madame V. n’allant plus jamais à Poerworedjo, ou si elle y va, elle ne nous demande plus d’aller avec elle car son mari est avec, moi je me suis trouvée bien court de provisions, telles que des sardines, etc. Il y a 15 jours elle avait accompagné son mari à Djocja, elle m’a demandé si elle pouvait faire quelque chose pour moi. Je lui ai donné l’habit de Buby qui devait être nettoyé chimiquement. Elle l’a apporté et m’a remis le bon, comment vouliez-vous que j’aille retirer l’habit, aller à Djocja exprès ? Cela me revenait trop cher, et j’ai décidé d’y envoyer ma baboe qui, avant de travailler chez moi, a été 12 ans dans la même place à Djocja, donc elle connaissait les magasins. De plus elle voyage troisième, ce qui est très bon marché ici, mais moi je ne peux pas y aller. Enfin, elle est partie samedi après midi à trois heures, arrivait à Djocja à 5 heures, faisait mes commissions et s’en allait chez ses amis au kampong, pour repartir le lendemain matin à 5 h. et être ici pour faire le dîner à 9  ½ h. La combine est bonne, seulement elle n’a pas trouvé à acheter la moitié de ce que je lui avais dit, ce n’était pas directement de sa faute, car elle ne manque pas d’initiative et ce qu’elle a acheté, elle l’a bien fait. Enfin, rien que pour cette moitié de choses diverses nécessaires, le voyage y compris, elle a dépensé Frs. 32.50, vous voyez cela, comme c’est cher ? Elle a en même temps porté mon manteau blanc à laver chimiquement, je n’osais pas m’aventurer à le laver à l’eau encore, j’avais peur de le gâter et Oscar l’aime beaucoup, alors je veux en avoir soin. Comme je me réjouis d’avoir mon cape, mamali, tu ne te fais aucune idée, c’est juste ce qu’il me faut ici, maintenant que je sais un peu comment il faut s’habiller pour aller de pair avec le climat. Oh ! je me réjouis, mon manteau je le garderai pour sortir de Keboemen, il est toujours à la mode ainsi que mon costume gris.


mariage javanais

Dans ma dernière lettre, je vous avais promis de vous raconter la noce chez Paar –To (Baarto ?le menuisier, voir lettre du 28.7.34). Nous y sommes allés à 8 heures avec le vieux Röhwer, la vieille ne s’est pas montrée. En arrivant il n’y avait pas encore beaucoup de monde, la maison était très bien décorée, avec beaucoup de goût. Dans la grande pièce de devant, des tables et des chaises étaient gentiment arrangées, nous y avons pris place et avons regardé autour de nous. Au fond, dans une seconde pièce, réunie à la première en enlevant la paroi de bambou, se trouvaient les femmes accroupies sur le sol, tandis que les hommes et les femmes de la haute société, il y en avait deux, pouvaient s’asseoir dans la première salle. Tout au fond se trouvait le lit de noce sur lequel étaient étalés les cadeaux. Des coussins, c’est à dire des oreillers, dans de belles taies blanches, des bananes, du riz, du café, des tasses, un kris (le couteau de défense des javanais), 
kris

des étoffes etc. Le tout gardé par une petite lampe à huile qui n’osait pas s’éteindre. Nous n’avons pas vu les mariés. Le père de la jeune fille, donc notre hôte, est venu nous saluer, et ensuite il a envoyé un jeune javanais pour nous servir. Il nous a poliment demandé ce que nous désirions boire, énumérant les différentes boissons qu’il pouvait nous offrir. Les messieurs ont pris de la bière, c’en était de la meilleure qualité, et moi j’ai pris de l’eau gazeuse. Le tout a été correctement servi avec de la glace dans les verres. Aux messieurs on est venu présenter des cigarettes, des plus chères que celles qu’Oscar fume, et des cigares que le vieux Röhwer a trouvé excellents.  A moi on est venu m’offrir une boîte de petits biscuits hollandais. Les objets, les verres étaient bon marché, mais rien ne manquait pour former un service impeccable. Nous n’en revenions pas Buby et moi, pour dire que ce Paar To est un simple menuisier. Peu à peu les amis sont venus, mais ils n’osaient pas trop bien s’aventurer parce que nous étions là. La grande passion ici, comme aussi le seul passe-temps presque, c’est le jeu, mais ils n’osaient pas bien commencer parce que nous étions là. J’ai toujours pressé pour partir, mais le vieux Röhwer disait que nous devions d’abord manger. En effet, on est venu nous demander ce que nous désirions, les hommes ont demandé du saté gambing, c’est de la viande de mouton rôtie à la broche, avec du riz et une sauce de catchup très forte. De nouveau ce jeune est venu nous prier de nous asseoir à une table plus grande, nous nous déplaçons donc, et voilà qu’il vient avec des assiettes des services en fer blanc c’est vrai, mais qu’importe, le tout était très propre. Il a d’abord placé devant nous une assiette plate, sur laquelle il a mis une jolie serviette en papier et l’assiette à soupe habituelle pour le riz, deux fourchettes, 2 cuillers à soupe, 1 couteau, deux verres joliment avec les dessous, à chacun un trempe-doigt (je ne sais pas le nom en français) qui était une petite écuelle en émail, mais qu’est-ce que cela fait, l’idée et l’intention étaient bonnes, et à chacun aussi une serviette bien blanche. D’abord il nous a présenté une soupe, un bouillon avec des pommes de terre dedans, des légumes, des macaroni, enfin une soupe qui aurait fait la joie de mon Faather. Après que nous nous fûmes servis, avant de s’éloigner, le jeune s’est excusé de ne pas pouvoir nous présenter du meki
sauce maggi

Nous ne savions pas ce qu’il entendait par là, mais à la fin, nous avons compris qu’il s’agissait de…. Maggi, qu’il n’avait pas de Maggi pour notre soupe. Je vous demande un peu, et cela chez des gens qui mangent tout avec les doigts. Après la soupe, le tour du riz, excellent, la viande excellente aussi. Oscar et moi avions soupé avant d’y aller, mais Buby a simplement  g’hooveret là, il a mangé deux immenses assiettées de riz, le tout fortement assaisonné, il en a eu les larmes aux yeux. Moi j’ai aussi mangé et je vous assure que cela ne me dégoûtait nullement, mais je n’ai mangé que du riz et de la viande, sans ce catchup. Pour le dessert on nous a présenté de belles bananes. Moi je n’en ai pas pris, car il paraît que la femme javanaise ne mange pas de bananes parce que ce n’est pas bon pour les organes, etc. enfin cela a peut être une petite influence et John m’a aussi avertie de ne pas manger certaines sortes de bananes, ni trop d’ananas etc. Donc je fais attention, mais il y a deux sortes de bananes que l’on peut manger sans danger, je l’ai demandé au médecin, et les ananas je les fait toujours cuire Quand nous avons eu fini, nous sommes partis, parce que j’avais le sentiment que les gens se gênaient un peu de nous, ils avaient les mets devant eux, mais ne mangeaient pas, enfin, il se peut qu’ils obéissaient à un rite, je ne sais pas. D’ailleurs ne sachant pas la langue, il y a beaucoup de choses que je n’ai pas comprises et je ne pouvais pas demander. Toutefois j’ai promis à Paar To que je viendrais faire une photo de sa maison, j’irai un de ces jours, il me tarde de faire plus ample connaissance avec ces javanais, il a encore 5 autres petits enfants, peut être que cela va donner mes lapins !!! Ersatz pour ceux de Sutz, mais ceux-ci ne le céderont en rien pour la beauté en tout cas. C’est toi mamali, qui les aimerait ces niggers
A la main
Mes chers chéris, un bon et heureux muntschi à chacun. Ge….


dimanche 13 décembre 2015




1er août 1934

Keboemen

Quelles lettres, quelles surprises, cette semaine ! Vraiment je suis tombée d’un plaisir dans l’autre et je ne pourrai jamais assez vous remercier, je veux dire que mes remerciements ici ne vous diront que très faiblement toute ma reconnaissance pour toute votre affection, toutes vos bontés, tout votre amour pour moi. Je me sens si riche, si riche par cela, et si heureuse, cela va sans dire.
D’abord le vendredi, nous avons reçu le courrier par mer, notre bon paquet de journaux, Sie & Er, avec un Jardin des Modes, un des derniers, charrette quel plaisir. Nous nous sommes jetés dessus et pendant une heure nous n’avons plus bougé, comme d’habitude. Merci infiniment Tatali, Du bisch gäng e Schatz (tu es un amour toujours) ! Il y avait aussi une lettre de Flock avec un joli petit tapis tricoté à la main. Une carte postale des Hadorn et Amsler de Kandersteg m’a aussi fait plaisir. Au commencement de la semaine, j’ai reçu  deux avis d’envois recommandés : l’un était la chemise polo pour Buby. Elle va très bien, mamali chérie, merci beaucoup. Tu peux donc continuer à m’en envoyer encore 5, ainsi Buby sera de nouveau équipé pour un temps. N’oublie pas de les laver avant, sans les repasser, bien les « vernusche »(chiffonner). Je n’ai rien payé de douane, je suis contente. En même temps que l’avis de la chemise j’avais reçu l’autre avis mais pour celui-là j’ai dû signer l’autorisation pour la douane de Cheribon (Cirebon, côte nord) de l’ouvrir. Le petit paquet m’est arrivé deux jours plus tard, mais j’ai dû payer Fl. 1.67 de douane. Tout de même je suis très  très contente de ton joli cadeau. J’aime beaucoup ce modèle, mieux que l’autre même, il me va très bien et je le trouve très joli, j’aime beaucoup cette petite dentelle à la chemise. Il me vient des habitudes de luxe !  Merci de tout cœur. Mais à l’avenir, si jamais tu m’en envoie encore (ceci dit sans vouloir bettler/mendier) il faudrait les laver et bien les « vernusche » aussi, pour que cela n’ait pas l’aspect trop neuf, alors peut être que je ne devrai rien payer non plus, surtout si Mottet déclare encore que ce sont des vêtements usagés. Hier après-midi, enfin, j’ai reçu un troisième paquet qui m’a aussi fait un plaisir fou, c’était ma brosse à cheveux qui ne m’a rien couté non plus. Eh ! ce que je suis contente de l’avoir, tu ne te fais aucune idée. Justement je voulais envoyer la baboe à Djocja en acheter une.  Elles coûtent Frs. 4.--, ici et ne sont pas aussi bonnes. Ma vieille est toute chauve, les poils sont tous rentrés dans la gomme ou partis, mais je l’employais pourtant encore. Maintenant elle sert à brosser les petits chiens qui se laissent faire avec un plaisir évident. Qu’est-ce que tu as encore tricoté pour moi ? je n’ose presque pas y croire, c’est fou ce que tu me gâtes, mais pourquoi te fatigues-tu de nouveau tant pour moi ? Voyons, de tricoter des petits figaro, ou plutôt de les crocheter, cela va encore, mais de tricoter un chef-d’œuvre pareil, oh ! làlà, je ne puis presque pas attendre de l‘avoir, mais si je dois penser que tu t’es de nouveau fatiguée à cela, je ne pourrai jamais le mettre sans remords, Faather, écris-moi si elle a de nouveau été imprudente, mynes Mamms. Toi tu es aussi un chou de penser à moi ainsi et de m’envoyer un de ces petites rubans. Bien sûr que cela m’intéresse toujours, ce qui se porte et chaque nouveauté et je te remercie de tout cœur aussi. Quand je l’aurai reçu, je vous dirai comment il me va. Comme vous me gâtez toujours !
Quand je pense à une année en arrière, comme votre amour et votre tendresse m’ont procuré un beau jour ! Oh ! c’était si beau, si beau, trop beau même, je ne le méritais pas, j’ai été si méchante quelques fois. Souvent maintenant je vous en demande pardon en pensée et j’espère bien que vous pourrez me pardonner. Pour en revenir à mon beau jour, mon Faatherli, mon vieux Macaroni, quand j’ai été à l’église à ton bras, jamais jamais je ne pourrai te dire la fierté, le bonheur et aussi le chagrin qui m’ont inondée à ce moment-là. J’étais envahie par un flot de sentiments qui m’ont fait perdre la tête à un moment donné, ou plutôt j’en ai été débordée. Ah ! c’est inoubliable, je ne vous serai jamais assez reconnaissante, à chacun de vous, pour tout ce que vous avez fait pour moi. J’ai eu tant de bonheur à la maison, une si belle jeunesse, et maintenant cela continue ici, tellement, que cela me fait peur des fois.
En voulant tourner la page, je me suis aperçue que j’avais placé mon carbone à l’envers, de sorte que je n’avais pas de copie et que l’original était saligoté des deux côtés. J’ai ronchonné comme un pattier, alors Buby m’a vite pris la machine hors des mains et s’est mis à recopier la lettre. Il m’a dit qu’il avait fait bien des fautes, mais vous ne vous y arrêterez pas, j’en suis sûre. D’ailleurs moi j’en fais aussi toujours énormément des fautes, parce que je vais très vite et que je ne relis pas.
Mes chers, comme j’ai eu du plaisir aux photos, elles sont trop jolies, si bien réussies, je les mange vraiment des yeux. Mes deux soldats, ha ! je ne vous aime pas seulement, je suis fière de vous, mais aussi inquiète en pensant aux événements qui se déroulent. Oh ! ce qu’elle est jolie, comme vous êtes bien tous les trois, mais ce qui nous a fait plaisir à en pousser forces exclamations, aussi bien Oscar que moi, c’est toi, mynes Mamms.
le chapeau!

 Non, mais je n’en reviens presque pas, ou plutôt, je savait bien que tu pouvais être ainsi, mais que tu le sois, cela me fait un plaisir fou. What a lady ! What a sweet smile so happily contente, so quietly happy. Tu es jolie, mynes Mamms. Même Oscar l’a dit, que tu étais bien habillée. Vraiment j’en suis enchantée. Ce chapeau te va rudement bien, s’il vient de la Descoeudres, c’est pour le coup que je lui enverrai une belle carte, car vraiment cela en vaut la peine. Ce que tu es bien, et cela encore sans mon grain de sel, j’en ai un plaisir fou, et je n’en  reviens presque pas !!! J’en suis si contente, oh ! ce que tu es distinguée, et le Faatherli a un chapeau neuf, pas ? 
Charlot, sur la photo du bateau a l’air d’avoir bien engraissé, fais attention mon vieux, à ton âge ce n’est pas encore joli d’être trop « kemouk » (e muet) mot malais pour graisse. Chüggou, tu es vraiment devenu très homme, avec tes bonnes grandes mains. Je trouve que Coen n’a pas changé sauf qu’il a encore plus d’ondulations, ce qu’Oscar a remarqué en tout premier avec une exclamation envieuse et pleine de jalousie. J’ai dû rire, mon Buby avec ses stäckebohnechrüseli (baguettes de tambour). Merci pour vos lettres, mes chers, je vous répondrai une prochaine fois. J’ai encore tant à faire ces jours-ci pour préparer plusieurs petites bonnes choses.

LouLou, Coen, Charlot

De Papa Woldringh j’ai aussi reçu un cadeau magnifique : un chèque à mon nom (au moins pas à celui d’Oscar !) de Fl. 50.--, (env Fr 110.-) avec le conseil de m’acheter ce qui me ferait le plus plaisir. Je vais m’en payer des choses, mais la première ce sera bien un buste cette fois, à n’importe quel prix. Je vous ai dit que j’étais gâtée. Je ne sais pas si je reçois quelque chose de Buby, n’ayant pas eu l’occasion d’aller à Djocja ou n’importe où, il n’aura rien pu m’acheter, à moins qu’il ait tripoté derrière mon dos, cela je n’en sais rien, mon miston, va.
Oui mes chers, j’aurai donc 27 ans, brrr, cela avance, plus que trois années et j’aurai fini d’avoir…20 ans ! Vous savez, je vous ai quittés à 26 ans, seulement ici le temps file aussi et quand je reviendrai, il ne faudra pas vous attendre à voir une Ge…. de 26 ans. Elle aura vieilli, mais elle ne sera pas une guinche, cela je vous le promets, aussi longtemps que je reste en bonne santé je ne me laisserai pas aller. Pour cela j’ai encore bien de l’énergie en réserve.
L’autre soir, Buby a dû aller chez M. V. et moi j’y ai été après. Mais pendant que Buby y était seul, V. lui a de nouveau lancé un tas de petits fions faisant allusion au fils à papa etc. et quand Oscar lui demande un renseignement, V. ne manque jamais l’occasion de lui dire que lui en son temps travaillait mieux et plus vite, bref, il aime se vanter. Cette fin de mois-ci, la première qu’Oscar a travaillé tout seul et sans contrôle, il y en a mis comme un fou et a pu donner le résultat de pertes et profit un jour plus tôt que le terme fixé. Cette fois-ci M. V. a vraiment été surpris et n’a pas pu se retenir de dire, Hé ! tu iras encore loin, tu as travaillé comme moi dans le temps. Oscar, lui, s’en bat l’œil complètement de cela, mais moi, cela me fait plaisir et je m’en réjouis. Pour une fois il n’a rien eu à redire. D’ailleurs je crois qu’ils ne cessent pas d’être un peu surpris à cause de nous, de nous voir si simples et si tranquilles, pas blasés.




samedi 12 décembre 2015




28 juillet 1934

Keboemen

Quelle affreuse nouvelle nous avons appris d’Autriche ! De lire ce meurtre du Chancelier Dollfuss (chancelier autrichien, tué par les Nazi) m’a rendue presque malade, tout le monde ici au premier moment croyait fermement que cela déclencherait la guerre, exactement 20 ans après l’horrible boucherie de 1914. Les secondes dépêches nous ont ensuite un peu tranquillisés, mais au fonds de nous-mêmes il persiste toujours encore une certaine angoisse. Mes chers, je n’oserais pas y penser, et je prie, je prie pour vous tous, pour notre Suisse et pour l’humanité entière, surtout pour toutes les mamans qui ont des fils, et les femmes qui ont des maris et les sœurs qui ont des frères. Ah ! ce sont des moments pendant lesquels on sent durement la distance. Mais mes chers, il nous reste rien d’autre que d’avoir confiance et beaucoup de courage. Notre confiance et notre foi n’empêcheront pas la guerre, mais cela aide tant à vivre et à supporter ce que la vie nous donne à supporter. Moi, je ne sais pas ce que je ferais si je n’avais pas la foi N’est-ce pas  mes chers, vous l’avez aussi cette foi. Unis en elle cela nous rend forts pour supporter ce que l’avenir nous envoie. C’est pourquoi, quand j’étais tellement abattue de cette nouvelle, Oscar m’a dit que je n‘avais, ou plutôt, que nous n’avions pas le droit d’être tristes et de nous sentir malheureux, nous qui possédons un tel bonheur intime, et cela c’est vrai, je suis si comblée d’un côté, qu’il faut que cela m’aide à supporter l‘autre, celui d’être séparée  de vous tous.

riz mûr

J’ai fait ce soir une petite promenade à travers les champs de riz que l’on moissonne maintenant. C’était merveilleux, le soir descendait lentement, les nuages se teintaient de rose, les montagnes de violet, et dans ce crépuscule, les champs dorés prenaient toute la lumière du couchant et formaient des mers aux vagues d’or. Les deux bords tout le long de la route étaient garnis des épis de riz moissonnés pendant la journée et assemblés en bouquet. Vous savez que le riz se moissonne à la main, épis par épis, ce n’est pas permis d’en couper deux à la fois, de sorte qu’une récolte exige des centaines d’ouvriers, la plupart des femmes, qui en rangs serrés avancent lentement, coupant brin par brin la récolte de ces champs immenses. 


Pour se protéger du soleil elles ont mis des selendang, ce sont des espèces de châles en toile batik et souvent de couleurs brillantes sur leur tête et leurs épaules, ou elles portent d’immenses chapeaux ronds qui, eux aussi sont teints à l’indigo et à la cochenille, deux couleurs splendides à voir dans ces champs jaunes. Vraiment j’en ai joui de ma promenade.
Oscar pendant ce temps jouait au tennis avec m. V. Sa raquette a sauté hier soir alors je lui prête la mienne pendant que nous faisons réparer la sienne, et moi je prends de l’exercice en allant me promener pendant ce temps. Madame V. semble en avoir assez de nos promenades, elle ne vient plus me chercher le matin, mais cela ne me fait pas grand’chose, j’aime tout autant aller seule, et maintenant qu’on me connaît un peu par ici surtout, les indigènes ne me regardent plus comme si j’avais des cornes, mais ne semblent plus s’étonner de voir cette Européenne faire de la marche alors qu’elle pourrait sûrement se payer une voiture.
(My dears ! Juste a few lines in between from Oscar !!! Everybody shout : est-ce possible ? I know I’m a bad boy, but I’m sure you’ll try to forgive me i f you kow how I’m trying my utmost to keep your girlie the happy girl she always was, and from her letters to you you’ll know that I do succeed in that, whilst to me she is more than I ever could dream my whole hjappiness. Itr’s simply wonderful the life we live here together and how hard I have to work, it still seems nothing in comparison to the recompense I get at home. It’s true, I have a hard time of it now in the office, but never mind one gets used to all and in time all the difficulties pass. It does’nt hinder me however to remember the wonderful time we had a year ago when you will receive this letter. Thanks also to all of you it’s been ever such a happy year we both have lived together. Love to everybody and a kiss from   Oscar )
Dimanche le 30 juillet. Nous venons de dîner, un bon caneton comme d’habitude, et du riz sec, avec de la salade aux concombres, pour dessert une crème au jus d’orange, invention de ma baboe et qui a très bien réussi.
Hier soir, hourra, pour la première fois, j’ai goûté la salade de mon jardin. De la salade crue, pensez-donc mes chers, je n’en avais plus mangé depuis mon départ de Batavia, non, depuis mon départ de la maison en me rappelant bien. Quelle fête aussi. Oscar lui, n’en a pas mangé, n’ayant pas faim, étant trop fatigué et grinche, entre autre il trouvait la salade à Laren bien meilleure, surtout l’assaisonnement. Merci, je l’ai laissé dire et faire la grimace, il en restait d’autant plus pour moi !!! Nous avons eu des pommes de terre rondes avec du beurre et du fromage, c’était exquis. Elle a de la peine à faire des têtes, ma salade, je crois qu’elle n’a pas eu assez de soleil, car ayant peur qu’elle en eût trop, je la faisais couvrir pendant le jour. Je vais essayer d’un autre système, maintenant.
Ce matin, j’ai de nouveau marché en ville pour aller au coiffeur. Il m’avait dit qu’il venait à Keboemen tous les derniers dimanches du mois, alors que c’est tous les 4 dimanches du mois. J’y ai donc été pour rien et me voici avec une sale coupe par excellence jusqu’à quand ? j’ai aussi été cherché le courrier à la poste et quelle joie d’y trouver une longue lettre de Charlot et la carte de Papali des Rangiers. Il a dû faire beau là-haut !
Dans le journal de hier au soir, les dépêches n’apportent pas beaucoup de neuf, j’espère bien que ce soit de bon augure.
Lundi matin, mes chers, hier soir j’ai commencé un livre hollandais, une histoire qui se passe ici aux Indes et… je n’ai pas pu le lâcher malgré ma mauvaise conscience qui ne manquait pas de me répéter que je devais écrire. J’espère toutefois que vous ne m’en voudrez pas trop.
Hier, en sortant de table, il arrive un javanais avec une immense corbeille ronde sur la tête. Nous étions en train de nous demander ce qu’il voulait et attendions que le djongos vienne nous le dire. C’était un garçon envoyé par le menuisier de la fabrique qui nous faisait de cadeau tout un slamatan, c’est à dire qu’il nous envoyait des pommes de terre, des haricots, des radis, des carottes, des bananes, un gros chou, 10 œufs, et une belle poule. Il marie sa fille demain, il y a naturellement grande fête chez lui et la politesse lui prescrit d’aussi en faire profiter ses maîtres. Nous en avons eu beaucoup de plaisir et ce matin je lui ai donné 5 Fl comme cadeau de noces pour sa fille. Tout à l’heure j’irai chez madame V. demander si j’ai bien fait ou non, je ne suis pas encore sûre de ma manière d’agir en des cas pareils. Oui, ce n’est pas toujours aussi facile de trouver le juste milieu, ce sont toutes des choses qu’il faut apprendre par expérience, et heureusement que j’ai un tact assez développé cela me prévient de faire bien des bêtises. Encore une fois, qu’est-ce qu’elle ferait la Hanny à ma place !!!?
L’autre soir après les nouvelles d’Autriche, Visser est venu un moment chez nous, juste pour en parler, alors étant assis dans notre salon il a vu les fenêtres, nous avons dit que nous étions si contentes de les avoir et que si c’était possible nous en aimerions encore aux deux autres, mais que, paraît-il, il n’y en avait plus à la fabrique. Ce matin, il paraît que V. a dit au vieux Röhwer (qui assure le soin des maisons) un peu brusquement qu’il devait chercher des fenêtres pour Woldringh, et aussi qu’il devait faire peindre les portails ( ? ou est-ce portaux qu’on dit ?) et cela un peu vite. Maintenant naturellement R. croit que nous nous sommes plaint à Visser et voilà une cause de plus pour piquer la boule sur nous. C’est pour le coup qu’ils vont nous pousser une gueule. Nous avons discuté de la chose, Oscar et moi, si nous devions tâcher d’arranger les choses, mais après réflexion, il vaut encore mieux laisser aller les choses leur train, moins on dit mieux cela vaut. Tout ce que nous pourrions encore dire maintenant pourrait encore une fois être pris d’un mauvais côté et cela ne ferait qu’envenimer la situation. Mais je suis sûre que V. a eu une boule sur R. et cela lui était justement une bonne occasion de le tarabuster un peu, ne pensant naturellement pas qu’il nous jouait un mauvais tour ainsi. Oh voyez-vous il faut tellement faire attention, pas seulement à ce qu’on dit, mais aussi à la façon dont les gens sont susceptibles de saisir, de prendre nos paroles, dans quel sens. Ce n’est pas que la nouvelle situation avec les R. nous touche beaucoup. Il y a si longtemps que je ne l’ai plus vue, elle, ou plutôt que nous n’avons plus parlé ensemble, et je suis bien ainsi. Nous sommes tout à fait au-dessus de toutes ces mesquineries, maintenant. Ces derniers jours, je pense que les R. auraient bien voulu avoir notre visite, car les Hartong sont en vacances, et ils sont seuls le soir, mais voilà, nous faisons aussi la sourde oreille, les W. ne sont pas des bouche-trous. Ah ! mamali chérie c’est une qualité bien belle et bien utile que tu m’as apprise : savoir se taire. C’est à toi que je le dois de savoir nager sans ennuis personnels entre tous ces courants, et j’y pense souvent à toutes tes bonnes leçons. Même si je n’écoutais que d’une oreille, quelques fois, à la maison, mais maintenant je ne trouve rien de plus précieux que de me rappeler tous tes bons conseils.
Nous avons enfin reçu une lettre de Coen, il ne nous raconte pas grand’chose étant rempli par les évènements qui se déroulent d’une façon assez précipitées, maintenant à Laren. Vous savez que Bobby ira à l’école en Angleterre après les vacances d’été. Plus je ne peux pas encore vous dire, car papa W. nous a fait promettre le secret, et bien que je ne pense pas que cette promesse est aussi valable vis-à-vis de vous, je ne vais tout de même rien écrire, lui laissant à lui ou à Coen, le soin de tout vous dire. Vous ne m’en voudrez sûrement pas de mon silence. Je vous écris ceci seulement pour que vous e vous étonniez pas du silence de Laren.
Dans un des Sie & Er de Tata, il y avait le modèle d’une blouse que l’on pouvait soi-disant terminer en une heure de temps. Cela a excité ma curiosité et j’ai voulu essayer. Les explications sont données très à la légère, mais après une heure de réflexion, la Näggeli a courageusement coupé la blouse et vraiment elle a bien réussi. C’est un modèle si pratique et si simple à faire, que j’en suis enchantée et  qu’il en naîtra encore bien quelques unes de ces blouses, Je trouve l’idée épatante et je suis tellement reconnaissante à Tata de la persévérance avec laquelle elle me les envoie, ces journaux. J’en ai toujours un plaisir fou. Enfin, vous leur donnerez mes salutations à Max et Tata, comme je n’ai pas la nouvelle adresse, je ne leur écrirai pas encore cette fois-ci.
Haha, Baarto, ce menuisier donc qui marie sa fille, a demandé au vieux R. si lui et nous voulions assister au mariage, ou plutôt à la fête. Le vieux R. n’a pas osé faire autrement que de le demander à Buby, qui, lui, bien qu’il devrait travailler ce soir, a consenti et demandé si R. allait aussi. Le vieux n’a pas trouvé d’excuses pour refuser et maintenant nous irons ensemble ce soir. Je pense que lui viendra seul, elle ne voudra pas venir avec nous. Nous on s’en balance, c’est plutôt par malice que Oscar a accepté.
Je vais terminer maintenant et commencer une autre lettre, demain matin, si j’ai le temps, je vous raconterai en quelques mots les événements !!
J’ai encore oublié de vous accuser réception de votre lettre. Je réponds donc à ta lettre no 44 mamali, datée du 16 juillet 1934. Mes chers, portez-vous bien, aimez-vous les uns les autres et soyez heureux
Votre Ge….
A la main
Mes chers, je n’ai plus le temps ce matin de vous raconter la noce. A la prochaine fois. Ge…



vendredi 11 décembre 2015




23 juillet 1934

Keboemen

On a eu un fameux dimanche hier. Vous ne devinerez jamais ce que nous avons fait ! Et bien, une fois pour changer, on a rechangé notre salon. On a poussé des meubles hier toute la matinée. C’est chic, quand j’ai une fois une idée, Oscar est au moins toujours d’accord de l’exécuter. 


Nous allons maintenant faire faire une chaise longue chez un chinois un simple banc avec un matelas que je recouvrirai de quelque chose de moderne, je ne sais pas encore quoi, mais l’idée ne se fera pas attendre longtemps. Ainsi nous avons de nouveau des plans plein la tête et des projets etc. car il ne faut pas que cela revienne cher, naturellement. Je tire déjà affreusement le diable par la queue ce mois, mais nous avons mis de côté un peu plus que la somme habituelle, donc au fond ce n’est pas vraiment dangereux.
Merci infiniment pour votre lettre du 8 juillet, c’est drôle mamali, nous avons écrit les deux à la même date. Tu n’es pas bête toi, aller se mettre ainsi au soleil quand on ne l’est pas habitué et encore sans se graisser un peu la peau, comme tout le monde le fait autour de toi. J’espère bien que cela sera passé maintenant et n’aura pas eu de suite plus fâcheuse.
figaröttli/liseuse
Aujourd’hui il fait gris et froid, comme un jour de pluie au Chalet, il pleut aussi un peu ici. J’ai mis ma robe gamine avec plaisir. Mamali, une fois que tu auras bien le temps, mais ne ris pas trop stpl, tu pourrais bien me refaire… un figaröttli (liseuse), pas seulement pour aller au lit mais un beau petit, pas trop gros pour mettre pendant le jour aussi sur mes robes quand il fait un moment frais. 


Y a pas, mais ils sont diablement commodes, tes figaröttli, et je te promets presque de ne plus me moquer de toi à l’avenir. Tu sais, j’aimerais quelque chose qu’on peut vite mettre et enlever, pratique, sans manche, pour le reste je te laisse faire.
Avant hier soir, donc samedi, nous étions au tennis avec M. V. voilà que je vois une voiture sable arriver, c’était John avec un ami qui revenait de Batavia et passait vite nous dire bonjour. Ils sont restés de 5 – 7 seulement, mais c’était tout de même gentil. Ils vont revenir un de ces weekend avec Jans. Elle ne peut pas quitter facilement la maison, car ils ont 8 chiens maintenant. Ils sont fous. Autrement ils sont toujours les mêmes, gmuetlichi säumore (suisse allemand intraduisible). Son ami est un inspecteur de la sûreté à Solo. Avec John tu es toujours sûre d’avoir de la compagnie, il se fait des relations comme nous autres des trous dans nos chaussettes. Ce qu’il y a d’agréable avec lui, on ne fait jamais de dérangement, il m’amènerait bien l’empereur de Chine, que je ne lèverais pas le petit doigt pour faire quoi que ce soit. Quant ils sont arrivés, j’avais justement encore un cake sur la table avec notre thé, ces deux se sont mis à bouffer du cake, ils le trouvaient bon. Quand j’ai demandé ce qu’ils voulaient pour souper, ils ont répondu, mais non, on a bien bouffé maintenant on n’a plus faim, on va repartir ainsi. Bon, Je les ai laissé aller, ici on n’insiste jamais et chacun dit ce qu’il veut, sans détours et sans compliments. Si je m’entêtais à garder mes idées et principes suisses à ce sujet, j’aurais une vie impossible.
Nos deux chiens nous la rendent déjà assez tragi-comique ! Ils sont tordants des fois, et vous devriez voir Oscar dans ses essais d’éducation ! Oscar vient de me dire au déjeuner que M. Meyeringh va arriver. Je me demande ce qui peut bien l’amener de nouveau, il n’y a pas 15 jours qu’il était ici. J’espère que ce ne seront pas de mauvaises nouvelles.
Ces charrettes de chiens m’ont empêchée de dormir cette après midi. C’est toujours le moment qu’ils choisissent pour faire les fous et jouer mille et un tours, et demander après moi. Une fois que je m’assieds quelque part, ils viennent sous ma chaise et se tiennent tranquilles, mais ils ne veulent pas être sans moi. Il faudra encor les dresser pour cela.
C’est drôle, mais je n’ai vraiment rien à vous raconter cette semaine. Je ne suis pas sortie beaucoup, madame Visser étant refroidie nous ne faisons plus nos promenades du matin et cela me manque. Tout à l’heure, Oscar viendra  faire un tour avec moi. On ne peut presque pas jouer au tennis, il y a trop de vent. Nous avons su convaincre le vieux Röhwer qu’il nous fasse mettre des vitres aux fenêtres du salon, car cela tire trop en cette saison, et nos 4 parois sont percées. C’est ceci notre dernière surprise que nous réserve le climat des Indes, pendant la saison sèche de grands vents et un froid de chien pendant la nuit.
Cette semaine j’ai fini mes raccommodages et me suis faite une robe de chambre, mais elle n’est pas jolie, l’étoffe est trop bon marché et ne tombe pas bien. Tant pis, j’ai au moins toujours appris. Oh ! cela me fait de moins en moins peur de couper et coudre maintenant, même dans des étoffes chères. Peut être que plus tard je demanderai à Hedy de m’en envoyer pour que j’aie de temps en temps quelque chose d’à part un peu. Elle pourra le faire à la fin de la saison d’été, des étoffes qu’elle n’aura pas pu vendre, et au lieu de les garder en stock, elle pourra me les laisser bon marché.
Faaatherli, merci pour ton bout de lettre, cela m’a fait plaisir d’avoir quelque chose de toi de nouveau, bien que les nouvelles n’en soient pas très roses, mais enfin, j’espère de tout coeur que cela s’arrangera et que tu n’aies pas à faire de mauvaises expériences, une fois de plus. Oui, tu m’enverras une photo des poussins à l’occasion. Moi, je change maintenant, je passe doucement aux barbaries (canards), des entoks, comme on les appelle ici. La viande est blanche comme celle du poulet, elle n’a pas ce goût de caneton comme les kakis, mais tant pis, ils deviennent plus vite gros. Depuis que j’ai les chiens les canards ne sortent plus que dans la cour qui n’est pas très grande, et les deux derniers que nous avons mangé avaient beaucoup de graisse et pas trop de viande. Est-ce que cela vient du fait qu’ils n’ont pas assez de mouvement ? Comme nourriture ils reçoivent 2 fois par jour de la bouillie de riz et deux fois quelque chose comme du son de riz, du kedek, dans lequel je fais hacher des épinards, ou de l’herbe, des restes de cuisine je n’en ai presque jamais, je suis ta fille, voyons, chez moi rien ne se perd. Ce qui reste de midi, se mange le soir, mais jamais du réchauffé. Pour cela Oscar est comme maman, il ne peut pas le manger. J’y remédie en imaginant une variété de petits plats, l’art d’accommoder les restes, quoi. Ma baboe est bien dressée pour cela maintenant.
Dites, est-ce que vous pouvez vous imaginer que je ne parle plus jamais français, je le lis et écris seulement, mais tout le temps je barjaque hollandais et malais. Vous devriez m’entendre des fois, surtout quand je suis fâchée avec l’un ou l’autre des gens et que je les marrone, cela va comme un moulin à café. Djongos, saja soedah bilangt tida boleh bikin itoe. (Djongos, je t’ai déjà dit de ne pas faire cela ainsi.) Djongos, makanan soedah klar ? (D. le diner est-il prêt ?) D. bawak tempat oewang sama coeniji dilemari goedang (apporte mon porte monnaie avec la clef du buffet aux provisions) D. ada bodoh (D. tu es bête). – Voilà vous en avez quelques échantillons, vous vous ficheriez à rire si vous m’entendiez. – Djongos, moesti bikin thè, kapan toean poelang (D. tu feras du thé quand monsieur rentrera). Je viens de le dire.

Aujourd’hui j’aurais eu une immense envie de travailler au jardin, comme à Sutz, avec des pantalons, et couper des branches, ratisser des chemins, nettoyer partout comme je le faisais quelques fois à la grande colère de messieurs mes frères qui avaient l’ordre de ramasser la merde comme s’exprimait Loulou en bon français, respectueux. Tu te rappelles encore les colères que tu piquais, Chüggou ?
Diable, oui, vous devez bien savoir conduire maintenant, et moi je pense que j’ai tout oublié. L’ami avec qui John est venu l’autre soir, a acheté une belle Chrysler 1928, ayant roulé 20'000 km avec 4 pneus neufs, moteur parfait, carrosserie en bon état, pour Fl. 150.-- , soit environ Frs. 300.-- . C’est avec cette voiture qu’ils ont été à Batavia, ils m’ont dit de l’évaluer, ainsi qu’Oscar, nous avons dit Fl. 500.--  croyant être bon marché. Oh, quand nous en voudrons une, nous l’aurons vite, mais pour le moment encore rien de fait.
Mon salon ressemble à un vrai taudis en ce moment, je vais vite faire un peu d’ordre avant que Buby arrive. ………à la prochaine fois.
Ge…