jeudi 29 décembre 2016




Tjilatjap

30 août 1938

Nous voilà de nouveau à la maison. Nous sommes arrivés de Bandoeng hier soir à 8 heures juste et j’ai été contente de retrouver mon intérieur joli et confortable, seulement j’ai un grand chagrin. Mon chien, mon cher Alert a été écrasé par une auto pendant notre absence. Je ne peux pas vous dire quel chagrin j’en ai. Ce chien me manque tellement, car il me suivait toujours partout et il comprenait quand je lui parlais. Maintenant la grande maison me semble bien vide sans lui. Buby va m’en acheter un autre, mais pas tout de suite, le souvenir d’Alert est encore trop vif dans ma mémoire.
A part cela, c’était bien joli de rentrer dans notre home, Madame Oliemans avait fait mettre de belles fleurs partout, et le djongos aussi avait rempli tous les vases, pendant que la koki avait fait une belle tourte, du ting-ting et un tas d’autres bonnes petites boustifailles. Comme j’avais apporté du poisson fumé de Bandoeng, une spécialité, j’ai demandé aux Oliemans de vite venir souper avec nous.
Voilà le résumé de nos belles vacances. Nous sommes donc partis le 6 août et en arrivant à Bandoeng nous avons logé dans le Grand Hôtel Preanger
Hotel Preanger, art déco

Parce qu’il appartient à la Banque, nous en avons profité pour avoir un prix spécial et avons pris une belle chambre avec salle de bain etc.  D’ailleurs, je vous ai envoyé une carte postale avec une croix pour indiquer notre chambre. Nous y sommes restés trois jours, puis nous avons demandé à la belle sœur de tante Engel si elle pouvait nous prendre en pension, car je savais qu’elle avait une grande maison un peu au-dessus de Bandoeng. En effet, elle nous a accepté et nous pensions que nous serions là très bon marché, mais nous avons fait les comptes sans elle. Elle nous a demandé autant que dans une pension, malgré que nous n’ayons presque jamais mangé là le soir, vu que nous étions toujours en ville. Enfin, c’était une expérience de plus ! De mon côté je n’en suis pas fâchée, j’ai revu tante Engel qui était là en visite. Cette semaine à Bandoeng, je l’ai passé à voir les magasins et faire des achats, pendant que Buby courait de droite à gauche pour ses golf clubs. A la fin il en a trouvé au club même et il a pris des leçons. Ainsi il a aussi bien employé ses vacances. Le samedi, 13 août, nous sommes montés à Baroe Toemggoel avec les Boese, après avoir acheté un camion plein de vivres !
Nos 15 jours à la montagne se sont bien passés. Nous n’avons rien fait d’extra, pas de grandes excursions. Nous avions un grand jardin à notre disposition, duquel j’ai beaucoup profité. Le matin à 7 heures j’étais dehors au soleil à lire ou à paresser sous les arbres ou au soleil avec une belle vue sur les montagnes et Bandoeng. Pendant ces deux semaines, je n’ai eu d’autre idée dans la cabosse que de brunir mes jambes et de manger, tout le reste était éteint. Ce que j’ai bouffé, mes chers, c’est pas croyable. Janine Boese cuit très bien et c’est elle qui s’occupait le plus souvent de la cuisine. Buby lui, il passait ses journées entières à s’exercer au golf. Boese, lui, lisait et Janine cousait ou brodait. On allait chacun de son côté et souvent on ne se voyait qu’aux repas. Chacun était libre et c’était bien ainsi. Le soir quand le soleil était couché, on rentrait, on jouait au Monopoly, à 8 heures on soupait comme des ogres et vers 9 heures le plus souvent on était couché. Il faisait bien froid le soir, et j’étais « vive les figaröttli », les belles couvertures et le cape de Tatali. Pendant quinze jours je n’ai pas vu de robe, seulement des shorts et le soir un long pantalon. Je suis revenue toute bronzée et Buby noir comme un nègre. J’ai repris mes joues d’öpfumütschli (pomme d’api), tout le monde se moque de moi comme je suis ronde et grasse, mais je m’en fous, au contraire, j’en ai du plaisir. Maintenant il va falloir essayer de garder cela et de rester en bonne santé.
Nos jours de mariage, anniversaire
Hotel Preanger
on les a passé gentiment les deux, Buby et moi, on s’est payé un petit dîner, une bonne petite bouteille et c’était chic. Pour ma fête, Buby est venu choisir avec moi un beau bracelet chinois avec clip, broche et bague. Toute la parure, c’est très joli et j’en avais envie depuis longtemps Pour notre jour de mariage, on s’est payé une belle petite lampe à lire. En revenant de la montagne nous avons de nouveau logé à l’hôtel Preanger et nous en avons bien joui. On s’en est payé des cinémas et des soirées dansantes ! Il a fait bien beau, c’était cher mais on s’en fiche !



mercredi 21 décembre 2016




Tjilatjap

31 juillet 1938

Mes bien chers,
Il y a bien longtemps que je n’ai plus rien entendu de vous, de Mamms, cela veut dire. J’espère bien que les photos sont bien arrivées et que tu n’en as pas eu trop d’émotion Rötteli, surtout que cela ne t’a pas fait du tort. J’en ai un peu peur et c’est pourquoi j’attends de vos nouvelles avec impatience. C’est demain jour de courrier de nouveau, peut être qu’il y aura la lettre tant attendue de ma Rötteli, mais elle arrivera juste un quart d’heure après que j’ai mis celle-ci à la poste, donc je ne pourrai plus y répondre par ce courrier.
Dans ma dernière lettre je vous avais dit que nous devions partir en vacances vers le 6 août mais que nous devions attendre un téléphone de Elout avant de faire des plans définitifs. Ce téléphone, nous ne l’avons pas encore reçu et sommes toujours encore à nous demander ce qui nous attend. Toutefois  je crois  que cela aura été une fausse alarme, car il me semble que nous saurions déjà quelque chose s’il s’agissait vraiment d’un déplacement. Donc nous nous reprenons à vivre à Tjilatjap ! C’est qu’après une alarme pareille, on se tient sur le qui vive, on se dit que cela ne vaut plus la peine de faire ceci ou cela et par prudence on commence déjà à se détacher des choses. Maintenant peu à peu on se rattache, par exemple, j’ai de nouveau acheté du fumier pour mon jardin !
Cette après midi comme nous étions en train de prendre le thé, on a eu la nouvelle que Buby avait gagné Fl. 100.- à la loterie nationale. Depuis des années il prend toujours un lot, presque chaque mois et jusqu’ici nous n’avons jamais rein eu, vous pouvez penser le plaisir qu’il a maintenant. Mais il ne faut pas croire que cet argent va nous enrichir, non, il est déjà dépensé au moins dix fois, depuis le moment que nous le savons. Nous faisons les plans les plus fantastiques, comme si ces pauvres petits Fl. 100.- étaient au moins 1000000.- !!! Je crois toutefois que le projet final sera d’acheter des golf sticks. Oui, mes chers, nous en sommes fous. Depuis peu il est venu ici une famille De Jongh, ils sont de notre âge et n’ont pas d’enfants non plus, ils jouent assez bien au golf et ont immédiatement cherché un terrain, loué quelques coolies pour l’aménager et maintenant nous avons un golf course de 4 holes (4 trous). Ce n’est pas beaucoup mais pour commencer c’est mieux que rien, et c’est au bord de la mer, il y fait très beau et bon. Depuis deux dimanches, de grand matin nous y sommes et jouons avec eux. Oscar en est tout fou, aussi il fait des progrès rapides, avec moi cela va moins vite, mais j’y arriverai aussi. Avec cet argent de la loterie nous allons maintenant nous acheter des golf sticks, des golf clubs comme on les appelle. C’est un achat assez couteux, mais grâce à ce lot nous pouvons dire : wir können’s, ja, wir haben’s ja ! Mais ce n’est pas tout ! Voilà la queue de la comète ! Nous avons envie, si nous pouvons aller en vacances, d’aller passer une semaine à Bandoeng, au grand hôtel Preanger, se la couler douce et d’aller prendre des leçons de golf au club là,  avant de partir avec les Boese dans notre chalet dans la montagne. Je ne sais pas si je vous avais écrit que nous avons loué un chalet meublé haut dans la montagne et que nous ferons notre popote nous-mêmes avec les Boese qui enmènent leurs domestiques. Ce sera des vacances très simples, dans la grande nature et la forêt vierge, c’est pourquoi nous aimerions nous payer cette petite semaine de luxe avant, respirer l’air de la ville puisqu’il faudra retourner à Tjilatjap-trou-les-bains. Et puis Bandoeng est à mi hauteur entre Tjilatjap et la montagne où nous allons, de sorte que le changement de climat se fera en deux fois, ce qui vaut mieux.
Il fait toujours encore un sale temps ici, pluie et pluie. C’est fou, tous les matins mon jardin est sous l’eau tant il a plu pendant la nuit. Je sens aussi beaucoup mes rhumatismes, car il fait très humide. Espérons que cela passera à Bandoeng.
Ce soir il y a de nouveau grand concert chez nous. En ce moment Oscar est en train de jouer à quatre mains avec Mr. De Zeeuw, et tantôt il y aura encore Kleber qui viendra Naturellement je les ai pour souper, mais je n’y ai pas d’objection, je suis trop contente que Buby s’amuse ainsi. Quelle différence avec la compagnie d’Engelenberg, avec ses verres de bière et de genièvre. Celui-là ne vient plus du tout chez nous. Je ne sais pas, non, je ne crois pas que je vous l’ai écrit. Pendant que Buby était au service, Engelenberg avait naturellement l’usage de l’auto pour la fabrique et pour aller au bureau et en tournée, mais voilà que le matin après le départ d’Oscar, il me téléphone tout simplement pour me dire : Madame, je garde l’auto chez moi, cela me convient mieux et si vous voulez l’employer, vous n’aurez qu’à me demander. J’ai répondu que ce n’était pas à moi à lui demander la permission d’employer l’auto le soir après le travail, et qu’il n’avait qu’à faire remettre la voiture dans notre garage le soir, comme d’habitude, puisque je peux l’employer en privé, après les heures de bureau. – Non, non, Madame, cette auto est avant tout l’auto de la fabrique et je la garde ici tant que votre mari est loin, vous n‘avez qu’à me demander si vous la voulez. Après cela je n’ai plus rien dit et là, Monsieur faisait le grand seigneur pendant que Buby était loin. Une fois de retour, Buby lui a dit son affaire, très calmement, vu que nous ne voulions pas de chicane, mais lui, E. est allé nous décrier partout à cause de cette histoire. Au fond, très formellement il a raison, il a l’emploi intégral de l’auto s’il remplace Oscar, seulement pendant tout le temps qu’il était ici nous l’avons toujours très bien traité, très amicalement et Oscar n’a jamais fait sentir qu’il était le patron, ni moi non plus, puisque je l’ai toujours reçu cordialement, que j’ai eu sa femme ici et tout ce que j’ai fait pour eux à l’occasion  de leur mariage !!! Alors il pouvait bien me traiter d’une autre manière que ce qu’il a fait. Enfin, d’un côté nous sommes très contents de cet incident. E. a laissé tomber son masque, maintenant Oscar sait avec qui il a à faire. Moi, je t’avais déjà écrit, que je ne pouvais pas le sentir ce type et bien qu’il était toujours charmant avec moi, je ne pouvais pas avoir confiance. Je ne pouvais pas le sentir, mais pourtant je pouvais bien me cacher. Enfin, maintenant quand il me rencontre au club, il ne me salue même pas ! Et au bureau il fait juste son travail, très bien, mais rien de plus. De cela j’en suis très contente, car j’ai souvent eu peur de ses gentillesses pour Oscar je n’y croyais pas et ne pouvais jamais surmonter une certaine méfiance, qui, maintenant s’est prouvée juste. Je vous assure que j’en ressens une vraie délivrance de ne plus avoir à recevoir cette binette ici et que Buby sache une fois pour toute à quoi s’en tenir avec lui. Tous ces mois j’ai eu peur bien des fois que Buby se fasse rouler d’une manière ou d’une autre, maintenant au moins cela lui a ouvert les yeux. Par conséquent il n’est plus tant question de ces soirées au club où E., proposait toujours de jouer au poker ou à un autre jeu de hasard, à quoi il est excellent. J’ai toujours dit qu’il avait manqué sa carrière, il aurait dû devenir croupier ou tenancier d’un bistrot, il en a la capacité et l’âme. Enfin, je vous dis, je  jouis de cette délivrance et Oscar, bien que ce ne soit pas trop agréable pour lui surtout les premiers temps après son retour, commence à prendre le dessus, maintenant il se montre patron malgré qu’il soit beaucoup plus jeune que E. Il se montre et il est patron, mon Buby, et cela me fait plaisir. C’est une expérience qu’il nous a fallu faire, elle ne sera pas inutile et je suis même contente que Buby l’ait faite, car souvent il est trop bon.
Mes chers, je vous quitte, j’ai encore tant à faire, à coudre, à laver etc, pour Bandoeng. Je veux me tenir prête, afin que nous puissions filer aussitôt quand nous le pourrons. Nous passerons donc nos jours de fête (anniversaire de Nelly et mariage) à Bandoeng probablement. J’espère que j’aurai encore une lettre avant.
Et mon Macaroni, tu jouis bien de ton Sutz ? Est-ce que vous avez acheté ce bout de terrain maintenant pour lequel il nous a fallu signer cette procuration ?
Quand je serai à Bandoeng, Padre, je m’occuperai d’Engelke (l’horloger). Juste avant de partir, la fois passée, j’ai appris qu’il était parti en Europe en congé parce qu’il paraît qu’il est malade de l’estomac. Je tâcherai donc de me procurer son adresse en Europe et vous pourrez lui écrire. Mais ne vous emballez pas trop avec lui, il paraît qu’il se fait vieux et qu’il n’a plus trop d’énergie pour pousser ses affaires. Peut être que son séjour en Europe lui aura fait du bien, je ne sais pas, en cout cas, je n’oublie pas de m’en occuper.
votre Ge….



vendredi 16 décembre 2016




Tjilatjap

20 juillet 1938

A sa maman
Merci mille fois pour ta bonne lettre 188. Je l’ai lue comme on mange un bon dessert, lentement et par petits bouts pour mieux pouvoir en jouir. Il ne faut pas du tout t’en faire parce que tu n’as pas écrit plus vite, je comprends très bien que s’il fait beau temps à Sutz, tu dois en jouir, cela me fait même plaisir de penser que tu en jouis. D’ailleurs, moi je ne te gâte pas non plus avec mes lettres qui ne viennent jamais régulièrement.
Non, non, aime seulement Ebe (Ebetina Sossich, de Rome), du moment qu’elle aussi t’aime bien et qu’elle réussit un peu à me remplacer. Je ne suis que trop contente, tout ce qui contribue à te rendre un peu heureuse me fait plaisir. Je regrette tant pour elle qu’elle ait perdu sa maman et je sympathise avec elle de tout cœur. Je suis heureuse qu’elle puisse être avec toi un peu, car je ne doute pas que tu puisses faire beaucoup pour lui aider à supporter son chagrin. Pauvre Ebe, elle doit se sentir si seule à présent, mais dis-lui de ne pas perdre courage, elle est jeune et jolie et pas bête, elle saura refaire sa vie et combler le vide que laisse sa maman.
Mince, il est venu des visites, une dame avec deux enfants et m’a fait perdre mon temps. Maintenant il est bientôt midi, quand la lettre doit partir.
Je pense bien que notre Chalet est beau de nouveau. C’est drôle, juste quelques jours avant de recevoir ta lettre où tu me dis que les petites roses du portail sont en fleur, j’y ai pensé et me suis demandée si elles fleurissaient.

le portail avec les roses

Merci pour le corselet et la petite chemise que tu m’as envoyés mais que je n’ai pas encore reçus, je pense qu’ils arriveront la semaine prochaine. C’était juste pour cela que je t’ai envoyé Frs. 50.- par mandat avion. Tu déduiras donc cela et avec le reste tu te payeras de bons quatre- heures (goûter), mais rien qui te fasse du tort, compris ???
Sitôt que tu m’auras dit combien coûtent des souliers Bally, prix approximatif, je t’enverrai encore des sous. Je veux ouvrir un compte courant chez toi pour touts les achats que tu devras faire pour moi. Mais tu n’oublieras pas non plus de marquer les frais de port, hein, Mamms ! Des petites chemises, hemdhosen, je les aime bien telles que tu me les envoyais dans le temps, qui se ferment par une patte avec deux petits boutons. De préférence du tricot de coton, blanc et en couleur aussi. Dernièrement tu m’en as envoyé une rose en tricot mercerisé, eh bien, elle se détend affreusement, et quand je la mets, elle me pend comme une vieille nippe. Le tricot de coton conserve mieux sa forme. Pense toujours, en m’achetant des choses pareilles, que j’aime beaucoup avoir une bonne coupe avant tout.
Si le corselet de Emmy Pauli me plaît, j’en demanderai encore, mais pas du luxe, dans cet article-là, je veux de la qualité mais pas du luxe, car il m’en faut un neuf presque tous les deux mois.
J’ai tout de suite écrit une belle lettre de bons vœux à Max (il se remarie) ! Il fallait toujours s’y attendre qu’il fasse une chose pareille, et maintenant Banely n’a plus de place du jour au lendemain. C’est bien la raison pour laquelle je n’étais pas trop d’accord qu’elle aille chez Max, je savais que cela finirait ainsi, je t’avais même avertie.
Hier nous sommes revenus de la montagne où les Oliemans nous avaient invités pour le weekend. Il a fait très beau. Ma santé va de mieux en mieux, je bouffe comme un ogre et me fortifie bien.
On vient de recevoir un téléphone de Batavia, qu’il ne fallait pas encore faire des projets pour nos vacances au mois d’août. Quand Buby a demandé pourquoi, on lui a répondu qu’on ne pouvait pas encore nous le dire, qu’il fallait attendre une lettre d’Amsterdam. Est-ce que nous serions déplacés ? Aucune idée. Enfin, qui vivra verra, en attendant je ne m’en fais pas et prends la vie comme elle vient, cela se peut aussi que Engelenberg soit déplacé et qu’alors Buby ne pourrait pas quitter ici s’il y a un nouveau comptable. Peut être que je pourrai vous le dire dans ma prochaine lettre. Mes chers tous, votre Ge…





dimanche 11 décembre 2016




Tjilatjap

3 juillet 1938

A sa maman
Je viens de terminer la lecture de ton Reisebericht. J’en ai eu un profond plaisir, tel que je me suis immédiatement mise à ma machine pour causer un peu avec ma Rötteli.
C’est dimanche. Ce matin j’ai été au docteur avec Buby pour une piqûre d’extrait de foie (huile de foie de morue ?). Il m’en fait faire une cure, il paraît que toutes les femmes font cela ici, que c’est excellent pour combattre l’anémie. Après cette visite, Oscar est allé à la fabrique jeter un coup d’œil, j’ai été avec lui jusque devant la fabrique, ensuite j’ai marché à la maison pour avoir un peu de mouvement à cause de ma piqûre, car elles font assez mal, ces charrettes ! Je me suis arrêtée chez quelques Chinois, pour acheter des fondants, des brosses à dent etc. En arrivant à la maison, Buby y était déjà, ayant passé avec l’auto pendant que j’étais au fond des magasins, ainsi on s’est manqué. Une fois rentré, il s’est mis au piano et moi j’ai fait de l’ordre un peu par toute la maison. J’ai aussi engueulé la baboe qui est bête comme tout. Elle travaille comme une machine et elle peut passer une année auprès d’une pile de choses elle ne la rangera pas si je ne le lui dis pas. Vers midi, le docteur est venu pour la rijsttafel. Sa femme est partie en vacances avant hier, alors comme il est seul je l’avais invité et il a accepté avec plaisir. Nous avons mangé au jardin et il a trouvé cela très joli. Fidèle à mon principe, je n’ai rien fait d’extra, absolument rien, mais je crois que cela lui a plu tout de même. Il n’est parti qu’à trois heures et demie, et comme nous voulions aller jouer au tennis à 4 heures, ce n’était plus la peine d’aller dormir, c’est ainsi que j’ai fini de lire et relire les Reisebricht de ma Rötteli, et que je lui écris en ce moment. Ainsi vous avez l’emploi de toute ma journée. Ce matin je me suis déjà levée à 6 ½ heures pour aller dire au revoir aux Oliemans qui partaient en vacances également. Ils resteront un mois, et je pense que j’irai aussi pour quelques jours là où ils sont. J’aime beaucoup Elly Oliemans, elle a mon âge, nous nous entendons bien. Son mari, Wil, viendra dîner chez nous souvent pendant son absence. Il est l’agent de la Banque ici.
Mynes Rötteli, elle te manque bien ta Girrly, je le sais, mais tout de même je ne puis faire en sorte de venir en Suisse avant Oscar, du moins sans raison très urgente. Là, au service, il y avait beaucoup de ses collègues qui pouvaient partir en congé d’Europe, et ils faisaient tous des plans, alors cela a tellement fait envie à Buby qu’il est revenu plein de dégoût contre la Banque et la Mexolie et jusqu’à présent il n’a pas encore retrouvé son plaisir au travail. Il y aura 5 ans que nous sommes ici, et nous n’entendons encore rien à propos d’un congé. Vraiment Oscar en a le spleen maintenant. Jusqu’à présent, il n’a jamais eu l’ennui, c’était seulement moi de temps en temps, mais maintenant les rôles ont changé. Cela ne veut pas dire que je ne désirerais pas aussi aller en Europe, mais pour le moment je sais mieux maîtriser mon désir que lui. Vraiment il est dans une passe où je ne voudrais pas le quitter. Je sais que cela ne durera pas longtemps, mais tout de même ! Enfin, nous partons bientôt dans les montagnes, cela changera les idées.
Je pense que nous resterons plus longtemps à Tjilatjap que nous n’avons prévu. D’abord Bigot nous avait dit que nous y resterions au plus une année, mais maintenant il est à Amsterdam dans une autre branche et tout ce qu’il a dit ne vaut plus rien. Au fonds, cela m’est égal de rester ici. C’est bien un petit trou mais la nature y est belle, je suis contente de ma maison, nous pouvons faire quelques économies et voilà, en attendant on pourrait être plus mal.
Si seulement la famille s’agrandissait ! Cela manque terriblement quelquefois. Tu n’oublieras pas de me répondre sur ce que je t’ai écrit dans une de mes lettres précédentes à ce sujet.
Nous n’avons pas été jouer au tennis après tout, car il semblait vouloir pleuvoir. Après le thé nous avons été faire un tour au bord de la mer. Nous avons longé la plage et chassé les crabes hors de leur coquille, la mer était agitée comme notre lac quand il y a le Joran (vent venant de la montagne au nord-ouest) et on voyait bien l’île, c’était joli et j’en ai beaucoup joui. Maintenant on vient de recevoir un téléphone d’un monsieur qui est aussi seul ici, sa femme est en vacances, alors il a demandé s’il pouvait venir, il y a un beau concert de Beethoven au radio ce soir, nous l’écouterons ensemble. Vendredi soir ce monsieur était aussi ici pour faire de la musique, il joue assez bien du violon et Buby l’accompagne, ainsi nous avons quelque fois de la musique de chambre. J’aime beaucoup cela et notre grand salon se prête si bien à des soirées pareilles. Vraiment nous habitons très bien, et je ne me gêne pas de dire que j’ai su tirer le maximum de cette maison. Hm ! cela pue hein ?
Le temps est de nouveau couvert aujourd’hui, c’est formidable toute la pluie que nous avons eue depuis bientôt deux semaines. Il y a longtemps que nous devrions avoir la saison sèche, et nous n‘avons rien que de la pluie, nuit et jour presque, et des orages. Partout il y a des inondations. Quand il pleut, c’est tellement fort qu’en 10 minutes mon jardin est complètement sous l’eau. Et chez vous, est-ce que la sècheresse dure encore ?
J’espère que tu auras reçu les photos maintenant. Je me demande ce que vous en direz ? C’est Boese qui les a faites, un dimanche après midi quand je logeais chez eux à Bandoeng. On a bien ri en les faisant. Il a fait en tout 15 poses et c’est la moins posée qui a le mieux réussi. Quand nous serons ensemble en vacances, il veut tâcher d’en faire une de Buby et de moi ensemble. Quand on a fait ces photos je n’avais pas encore été chez le coiffeur, c’est dommage car maintenant ma coiffure est plus High life, with the finishing touch !
Dis-donc, qui est cette demoiselle Cecchina de St Gall ? Je ne la connais pas et ne peux pas me rappeler qui ce pourrait être. J’ai rêvé de Tatali cette nuit. Elle était assise avec moi au club, et parce que je suis venue en retard au rendez-vous, elle était un peu fâchée et surtout assez aigrie. Cela m’a fait mal au cœur, elle m’a reproché qu’on ne l’aimait pas assez. Et pourtant j’y pense souvent, et plus j’y pense, plus je suis contente qu’elle nous ait quittés.
Je trouve l’échantillon de ton manteau neuf très joli. Tu as raison de rester bien habillée, et ne te laisse pas influencer par le bon marché de gens comme les Racine. Il y a qualité et articles de série, nous, on est de la qualité, un point c’est tout.
C’est jamais la peine de discuter, et surtout pas avec le Padre. C’est un bon Macaroni, mais il y a des choses auxquelles il ne comprendra jamais rien.
Mamms, je te quitte de nouveau pour aujourd’hui. A la prochaine, à bientôt,  ta……




samedi 3 décembre 2016




Tjilatjap

30 juin 1938

Mes chers,

Il y a longtemps que je n’ai plus donné signe de vie, pas ? Cela vient de ce que j’ai eu beaucoup de travail, et j’ai aussi perdu beaucoup de temps à ne rien faire. Voilà : Buby une fois parti au service, j’ai fermé la maison devant et je me suis retirée comme un escargot dans sa coquille. Il y a bien des gens qui voulaient venir me rendre visite, mais quand ils voyaient les portes et les jalousies fermées, ils n’osaient pas insister et s’en allaient pendant que la Näggeli riait sous cape au fond de son jardin. 


Et j’en ai joui de mes 15 jours, j’ai traîné au lit des fois jusqu’à 10 heures, avec un beau livre, ou bien j’allais me promener le long de la plage le matin à 6 heures. Je rentrais quand je voulais, je dînais quand cela me plaisait, et surtout je me couchais très tôt. Je me suis fait un bien énorme. J’ai aussi remué dans toute la maison, j’ai eu un ouvrier pour faire re-cirer mes meubles, bref, tout était bien sens dessus sens dessous jusqu’au jour avant que Buby arrive. Je n’ai aussi rien mis d’autre que des pyjamas pendant les 15 jours. C’était vive la liberté et le laisser aller sous tous les rapports. Cela m’a fait un bien énorme et c’est avec grand plaisir et impatience que j’ai été attendre Buby à Poerwokerto le samedi soir. Il était démobilisé à 2 heures de l’après midi, juste à temps pour prendre le train de nuit qui arrivait à Poerwokerto à 2 heures de la nuit. Je suis partie en auto à minuit d’ici, avec Lovius. J’avais passé la soirée chez les Oliemans et ils ne voulaient pas me laisser aller seule, alors Lovius est venu avec moi parce que sa femme est loin aussi pour quelques temps. Poerwokerto est à 60 km de Tjilatjap. Je crois qu’en Suisse on ferait bien des histoires pour faire un tel trajet, par un temps de chien, il pleuvait tout ce qu’il pouvait, mais voilà, ici on s’habitue à tout.
Oscar a eu un bon service, il devait beaucoup travailler, car ils sont devenus très très sévères, mais l’ambiance et les soins étaient très bons. Il a tout de même été content de revenir et surtout de retrouver son bon pieu (lit). Il m’a rapporté une jolie powderdose en argent, très finement travaillée, très très jolie. Depuis qu’il est à la maison nous ne sommes pas encore sortis, c’est vive la joie d’être ensemble.
J’ai reçu tes Reiseberichten (rapports de voyage), merci mille fois, j’ai déjà commençé à les lire. Et puis, qu’est-ce que tu fais de me gâter pareillement. J’ai reçu ces magnifiques souliers, ils sont splendides et me vont d’une façon épatante. Comment fais-tu pour savoir, tout juste ma mesure et la forme de mon pied ? Oh, si tu savait quel luxe c’est d’enfiler un soulier pareil et de marcher avec !!! C’est merveilleux, aussi j’ai décidé de ne plus m’acheter de souliers chinois, mais seulement de marcher sur du Bally ! Dis-moi combien tu les paies en Suisse, afin que je sache combien je dois t’envoyer environ quand j’en voudrai une nouvelle paire. Ici on n’a pas de souliers Bally en cuir au-dessous de Fl. 18.- minimum, ce qui fait environ Frs. 40.- . J’ai reçu aujourd’hui le deuxième, et naturellement ils n’ont pas quitté mes pieds ; ils sont merveilleux. J’ai déjà eu tant de plaisir aux marines et tout le monde les admire ici, tout de suite on remarque que ce sont des souliers extra bien. Et quand je les porte, je me sens tellement bien habillée avec ce finishing touch !
Est-ce que je t’ai remerciée pour le Jäckli rose ? Il est si joli, Mamms, et maintenant pendant ces jours de pluie j’ai déjà souvent eu l’occasion de le porter. Buby aussi le trouve tellement joli.
Hier soir au lit j’ai encore lu dans le Reisebericht !  n’importe quel aveugle voit comment tu t’es sentie à Bruxelles. Il n’y a qu’à comparer ton style de Bruxelles et celui d’Unterwasser ! Oh Mài ! tu ne peux pas me faire prendre un X pour un U. Nous n’avons plus écrit à Papa W. depuis Pâques. C’est honteux et Oscar est tellement paresseux pour ces choses-là, c’est affreux. Tout le temps qu’il est à la maison il est assis au piano, pas moyen de l’en dévisser. Quand il n’est pas assis au piano, il est dedans, car il est vieux (le piano !) et il y a toujours quelque chose à corriger ou à rafistoler et Buby se mêle même de l’accorder. Tu devrais voir cela, ce piano tout démonté dans le coin de la chambre.
Depuis que je suis ce nouveau régime je me trouve bien maintenant, j’ai déjà engraissé un peu. Mais je n’ose pas non plus me fâcher, sans quoi j’ai tout de suite de nouveau mal au ventre et de la température, alors je fais comme toi, je prends la vie comme elle vient et ne m’en fais pas.
Dans ta lettre 187 tu m’écris que la diète que je devais suivre ne te plaisait pas mais que tu ne pouvais rien me dire vu que tu ne connaissais pas le climat, ni nos mœurs ni notre nourriture. Bon sang, je comprends que tu ne connaisses pas le climat mais quand aux mœurs et à la nourriture, il me semble que je vous en ai déjà écrit des chapitres, là-dessus. Enfin, c’est vrai que pour vous les Indes sont et restent à l’autre bout du monde, tandis que nous on se sent si près de l’Europe. Ils construisent des avions maintenant pour pouvoir voler jour et nuit ce qui réduira le voyage d’Amsterdam à Batavia à 2 ½ jours. N’est-ce pas splendide ? Il n’y a plus que le prix du voyage qui soit encore trop cher, du moins pour nous, mais cela viendra aussi.
Mamms, moi non plus je ne bois plus de café, je l’ai remplacé par de l’ovomaltine, le matin.
Tenez-vous, nous avons reçu une gratification de deux mois de salaire, avec la mention que l’année prochaine, si les affaires ne deviennent pas bien meilleures, nous n’aurons rien. En attendant cela nous fait Fl. 700.- que nous avons empochés comme cela. Nous avons immédiatement mis Fl. 400.- sur le compte d’épargnes de la Mexolie qui nous rapporte du 4%. Les autres Fl. 300.- je les ai mis sur notre carnet d’épargne à la poste. C’est qu’ici on a une Post Spahrbank, ce qui est très pratique, et très sûr aussi Maintenant au moins on peut respirer un peu, ayant quelque chose de côté, c’est pas encore la fortune, mais toujours un petit commencement.
Oscar a le béguin de s’acheter un ciné Kodak, il en est revenu du service tout fou, alors je suis aussi d’accord. Nous allons nous payer cela peur notre Noël et alors vous recevrez des films que vous pourrez garder. Hein, Mamms ! 
Environ le 6 août nous partirons pour Bandoeng, pour nos vacances de trois semaines. Nous passerons deux semaines avec les Boese dans une petite maison de montagne, il n’y aura rien là que la grande nature, pas d’hôtel, pas de magasins, rien. On prend deux domestiques avec et nous ferons notre propre ménage. On se réjouit de faire de belles courses dans la forêt vierge. Pour cela je me fais faire de hautes bottes jusqu’au genou. Cela nous fera du bien, et il fera froid, car c’est à la hauteur de Chasseral (1600 m) que nous serons. La première semaine, du 6 au 13 août, nous la passerons ensemble quelque part dans un hôtel à Bandoeng ou n’importe où, nous ne savons pas encore, mais nous avons bien l’intention de nous payer du bon temps. Je suis contente de ne pas être ici pour nos fêtes (mariage et fête de Nelly), ainsi je n’ai pas besoin de recevoir et de m’en faire.
Je suis en train de coudre, de coudre ayant beaucoup à faire à coudre des robes, des pyjamas etc.
Je suis contente de vous savoir à Sutz de nouveau, profitez-en notre beau Sutz est unique. J’y pense souvent quand je vais me promener le long de la plage ici, cela me rappelle tant notre lac avec l’île de St Pierre. J’aime à penser que tu es couchée à ma petite place, j’en ai tant joui.
Moi aussi j’ai planté beaucoup de zinnia ici, mais les premiers n’ont pas bien pris alors j’en ai re-semé, et aussi des petunia, des phlox etc.
Mes chers, voilà, je dois encore écrire à papa W. puisque Oscar ne veut pas le faire. Et puis j’irai chez la tailleuse avec Elly Oliemans. Ils vont partir en vacances et c’est moi qui m’occupe de sa garde robe. 

Je me fais aussi faire une shanghaï dress chez la petite tailleuse chinoise. Si elle est bien réussie je vous en enverrai une photo, tu sais une de ces robes chinoises, telles que les porte Madame Chiang Kai Shek !
Voilà mes bien chers, une lettre plus longue à la prochaine fois.









vendredi 2 décembre 2016




Tjilatjap

13 juin 1938

A sa maman
Il est 9 heures du matin, je viens de bien déjeuner, une grande assiette de porridge, et maintenant je suis prête pour une bonne chnätschete (papotte) avec ma Rötteli. Il y a si longtemps que je t’ai laissée sans nouvelles.
Premièrement mille et mille fois merci pour le merveilleux Jäckli. Je l’ai reçu il y a deux jours et il me va très très bien. Il est ravissant, Oscar aussi le trouve si joli.  Merci aussi beaucoup pour ce joli noeud, justement j’ai mis une robe en crêpe georgette bleu marine sur laquelle ce nœud ira d’une manière épatante. J’aime bien ces petites choses là, jolies et élégantes, qui peuvent donner un cachet d’élégance aux robes simples que je fais. J’ai cherché un de ces papillons, mais ici on ne les a pas encore. Tu aurais dû te l’acheter à Nauheim. Si je le fais faire ici, cela n’aura pas le même chic.
Je sais très bien ce que tu entends, j’ai vu cela dans le Jardin des Modes et d’autres journaux de mode français.
J’ai tant de choses à te raconter, à te confier, que je ne sais pas par où commencer. Je vais me mettre à répondre à tes lettres d’abord.
La 185
J’espère qu’à la fin du compte tu as reçu toutes mes lettres adressées à Nauheim. Je puis si bien me représenter ton retour à la maison et la fête que cela devait être pour tes hommes. J’ai eu la même chose en rentrant de Bandoeng, il y a 15 jours. Buby était venu à ma rencontre avec l’auto, un Buby qui ne se sentait plus de plaisir. Je crois que la séparation lui a fait plus qu’à moi, en tous cas il ne savait plus comment me faire plaisir. Toute la maison était pleine de fleurs, entre autre une immense corbeille de glaïeuls roses.
Je suis contente que la cure t’aie bien réussi et j’espère que tu en sentiras les conséquences de la manière la plus parfaite possible. Mais voilà bien la Rötteli, qui va dépenser de l’argent et du temps pour une bonne cure, et sitôt à la maison, elle se fiche une bosse de tout ce qui lui a été défendu, jusqu’à en devenir malade. Rötteli, Rötteli, tu ne deviendras donc jamais prudente ? Enfin, je te comprends aussi, va. Je me réjouis de recevoir le Reisebericht (rapport de voyage)… J’ai bien ri de toutes les aventures et intrigues qui se passaient à l’hôtel.
Merci aussi de la lettre de tante Nelly (Bulgarie). Je pense que Loulou n’y a pas été assez longtemps pour voir comment ils vivaient, probablement qu’il n’est pas encore assez malin pour voir des choses qu’on ne lui montre pas. Cela m’aurait tout de même intéressée d’en savoir plus long.
A Bandoeng j’ai trouvé une belle étoffe de laine, très mince, de la même couleur que la blouse de laine bleue, une teinte plus foncée et je suis en train de me faire une belle jupe. Avec cette jupe, je me ferai aussi une blouse en organdi blanc puisque c’est tellement à la mode. C’est bien pour cela que je suis si contente d’être restée à la maison, j’ai tant de choses à faire pour renouveler ma garde robe, et maintenant je pourrai le faire à mon aise.
Quant aux Marchand-Dean (l’oncle René de Londres), c’est vraiment du bluff et moi aussi je suis bien contente que tu n’aies pas eu à te fâcher de leur visite une fois de plus. Comme toi, j’ai aussi pensé à Pâques à nos vacances de Lugano, et j’y pense encore souvent. Ah, comme on a raison de profiter tout ce qu’on peut dans la vie. Au moins ces souvenirs-là personne ne peut nous les prendre.
Lettre 186
C’est terrible cette sécheresse en Suisse, comme je regrette que les paysans doivent subir cela.
Tu m’écris dans cette lettre que tu crois que je suis Europa-ryf (mûre pour l’Europe), est-ce que tu aimerais beaucoup, beaucoup que je vienne ? Vois-tu c’est comme cela. Maintenant que Oscar est administrateur, il ne peut pas quitter si vite, cela ira encore bien une année au minimum. Enfin, je ne peux pas donner de date, j’aime mieux pas, car je ne sais rien à ce sujet. Ma santé maintenant ira tout de suite mieux, parce qu’enfin je sais où est le mal et je sais comment le combattre.
Jusqu’à présent, les médecins m’ont toujours ordonné des régimes, mais ce n’était jamais tout à fait bien. Maintenant qu’on sait qu’il s’agit du foie, j’ai aussi un régime approprié, qui n’est pas  trop sévère. Ce qui m’est défendu, c’est la viande de porc, l’alcool, le café, pas trop de graisse ni d’albumine. Je dois n’employer que du beurre pour cuire, plus d’huile (de palme ?) etc. Le docteur ici m’a établi un régime avec menus que je dois suivre un certain temps. Tous les matins une grande assiette de bouillie pour déjeuner, soit porridge, ou semoule de riz ou maïzena, mélangé à deux jaunes d’œufs. A midi viande blanche, pommes de terre ou riz, légumes et fruits. Le soir des schnitteli (tartines) ou n’importe quoi de ce genre. Une certaine quantité de lait par jour, mais pas de crème. Je prends aussi de l’ovomaltine dans mon lait, et vers 11 heures du matin quand j’ai faim, je prends une tasse de bouillon avec encore 2 jaunes d’œufs battus dedans. Je ne mange presque jamais de conserves. Tous les 5 jours j’ai un immense panier de légumes frais depuis Bandoeng. Tu vois que nous vivons sainement et que tu n’as pas besoin de t’en faire. Le docteur veut que je devienne un peu plus grasse, mais autrement j’ai bonne mine, et mes intestins se portent aussi beaucoup mieux. J’ai encore à prendre des pillules pour me nettoyer le foie, c’est tout.
Par contre une chose que j’aimerais te demander de faire pour moi, c’est de chercher en Suisse un  petit corset, c’est à dire une ceinture lavable que je puisse porter tous les jours. 
une gaine

En m’auscultant, le docteur à Bandoeng a remarqué que j’avais tous mes organes trop bas, l’estomac, les reins, tout est au moins 5 cm trop bas. Il dit que cela peut provenir de ce que j’ai grandi trop vite. Il dit que ce ‘est rien de dangereux, beaucoup de femmes ont cela et cela ne gêne à rien, seulement qu’il faudrait que je porte toujours quelque chose autour du ventre pour soutenir un peu. Tu sais qu’ici je me suis habituée à ne rien porter du tout. En Suisse j’avais toujours un petit corset pour mes bas, mais ici comme je n’en porte pas, je me suis aussi passée de porter un corset et ce n’est pas bon. Maintenant je sais que Mily a acheté à Soleure, une ceinture, un step-in (une gaine) comme on les nomme en Amérique, qu’elle peut porter sans bas. C’est une ceinture qui a deux élastiques dans lesquels on enfile les jambes, ainsi elle ne peut pas glisser vers le haut. Ils doivent aussi avoir cela chez Tanner, seulement ce qu’il me faudrait, c’est quelque chose que je puisse laver souvent, au moins tous les deux ou trois jours. Il y aura peut être autre chose qui soit bien, informe-toi, peut être dans un magasin sanitaire ou chez la Descoeudres ? Tu sais, il ne me faut pas une ceinture comme toi tu en portes et que tu achètes à Paris, non, cela serait trop. Pour moi il faut une simple petite ceinture moderne, un peu élastique, sans baleines et pour porter sans bas. Demande à Hedy ou à une autre jeune fille qui porte la mode, elles pourront peut être te renseigner sur ce genre de corselets. Et n’oublie pas de me faire savoir les prix.
Tu me dis de ne plus employer de steel hairbrush, mais je t’assure que c’est avec cette brosse-là que j’ai encore les plus beaux résultats. Oh, la Näggeli se soigne, t’en fais pas ! Et tu devrais voir mes cheveux, ils sont jolis. J’ai maintenant aussi une nouvelle coiffure, tu sais ces rouleaux le long de la tête. Elle me va très bien, tout le monde m’en fait le compliment. Et le coiffeur m’a aussi dit que ce serait dommage de me faire faire une permanente, vraiment mes cheveux tiennent bien ainsi. J’ai aussi acheté un crayon pour noircir mes cheveux gris aux tempes, et cela réussit très bien. Oh, tu sais, ta Ge… ne se laisse pas aller.
Inclus la procuration légalisée, par les autorités hollandaises d’ici, on m’a dit que ce n’était pas au Consul (suisse) à faire cela. J’espère  que ce sera en ordre. Je trouve que vous pourriez mieux me tenir au courant de tout ce que vous faites au Chalet. Il paraît que vous avez abattus beaucoup d’arbres, entre autre les beaux sapins du talus etc. Pourquoi ne m’en dites-vous jamais rien ? Un des garçons pourrait bien faire des photos du Chalet une fois. Notre beau Chalet, je l’aime toujours bien, et puis je ne sais pas encore quand je le reverrai !!!
Est-ce que tu aimerais vraiment que je vienne seule avant Buby ? Est-ce pour ma santé que tu m’as dit cela, ou est-ce parce que tu aimerais m’avoir ? Je sais bien que tu aimerais toujours m’avoir, cela je le sais, mais est-ce que cela t’est si difficile d’attendre encore ? Vois-tu, pour toi je veux bien envisager un départ seule pour l’Europe, mais sans cela rien ne peut m’inciter à quitter mon mari pour tant de temps. J’ai encore demandé au docteur à Bandoeng, d’ailleurs c’est Buby qui l’a demandé tout de suite, si ce serait mieux pour moi d’aller en Europe, le médecin a répondu que non, absolument pas. Aucune nécessité. Donc, si ce n’est pas absolument nécessaire, j’aimerais mieux ne pas quitter mon mari pour si longtemps. J’ai le pressentiment que cela ne serait pas bon pour notre mariage, une absence d’une année environ. Quand il le faut absolument, c’est une autre question, mais quand ce n’est pas absolument nécessaire il vaut mieux l’éviter. Je vois tant de ces exemples ici ! Et mon mariage a été un succès jusqu’à présent, et surtout depuis mon retour de Bandoeng, je revis vraiment une deuxième lune de miel, plus harmonieuse et plus profonde que la première même. Mais, il te faut m’écrire franchement là-dessus, tu sais qu’il y a toujours l’argent en Suisse qui me permet de faire le voyage quand que ce soit.
Alors, la Maggy attend de nouveau un gosse ! Nom de nom, elles en ont toutes un sauf moi. Je n’y comprends rien et je suis bien décidée maintenant d’aller me faire visiter. Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce dangereux une visite pareille ? Cela ne fait pas mal pourtant ? Oscar maintenant est aussi d’accord, d’abord il ne voulait jamais, me disant toujours qu’il fallait laisser cela aux soins du Bon Dieu, mais maintenant il veut bien venir avec moi. Nous irons peut être chez Bernard qui est chirurgien gynécologue. Dis-moi ce que tu en penses ?
Bernard et Ir ont été très très gentils pour moi pendant que j’étais à Bandoeng. D’abord je me gênais un peu parce que je n’avais pas été chez lui comme docteur, j’ai pensé qu’il m’en voudrait, mais pas du tout. Ce sont même eux qui sont venus me rendre visite chez les Boese où je logeais. Bernard avait appris que j’avais été à l’hôpital et à titre d’ami il est venu me voir. Il m’aime beaucoup, il m’a aussi examinée et m’a dit que je guérirais bien vite, c’est à dire que ce n’était pas grave et que si je suivais bien mon régime et que je sois prudente j’aurais vite surmonté cela Ir aussi m’a invitée et m’a bien gâtée. Maintenant Oscar aussi a admis que Bernard est très, très bon sans le trouver encore bien sympathique, pourtant il l’aime déjà beaucoup mieux.  Et Bernard a un très bon nom comme médecin à Bandoeng. Mais dans la vie privée, c’est encore toujours le même paysan.
Nelly, mai 1938,
photo J. Boese

Oscar, mai 1938,
photo J. Boese

Au mois d’août Oscar pourra prendre trois semaines de vacances. Nous avons donc décidé de les passer avec les Boese dans un bungalow de montagne, les quatre, avec nos domestiques, vu que nous ferons notre propre popote. Je me réjouis, nous aurons une vie tout à fait libre, pas d’hôtel, rien que la nature Nous serons à la hauteur du Chasseral (1600 m).
J’aurais encore tant et tant de choses à te raconter, mais c’est de nouveau le moment de filer à la poste. La suite donc au prochain numéro. Je vais profiter de ces 15 jours de solitude pour remettre à jour ma correspondance. Une fois enfin !
J’espère que tout va bien chez vous. Vous êtes à Sutz je pense, profitez-en,… votre …..

Merci à Charlot pour ses différentes cartes postales, ses belles photos qui nous ont fait très plaisir. Mes vieux frangins, je pense à vous bien souvent. Et maintenant mes chers, Schluss !




mardi 29 novembre 2016




Tjilatjap

6 juin 1938

Mes bien chers,
Nous sommes à lundi de Pentecôte. Voilà 15 jours que je suis rentrée de Bandoeng et je n’ai pas encore eu le temps de vous écrire quoi que ce soit, car d’abord j’ai eu la visite de Elout encore pendant 8 jours, puis un tas d’autres gens et enfin les van der Lee qui sont arrivés jeudi et restent jusqu’à demain matin. Vous comprenez qu’il y a toujours du va et vient, avec cela j’ai des embêtements de domestiques qui manquent parce qu’il y a trop de visites etc. Enfin, laissons tout cela.
Depuis que je suis à la maison, je me sens assez bien, je continue à prendre les remèdes du docteur de Bandoeng et j’ai bon espoir de faire des progrès et de me porter tout à fait bien dans quelques temps.
Avant de partir de Bandoeng j’ai demandé au docteur de là-bas si je pouvais accompagner mon mari à Soerabaya et il a dit que oui, cela fait que nous partons vendredi soir par le train de nuit pour Soerabaya. Oscar a été avisé qu’il devait prendre part à des exercices de tir à Probolingo, environ à 100 km de Soerabaya. Pendant ce temps j’airai je pense chez tante Engel, ou alors chez la mère des Lovius, nos amis d’ici. C’est une vieille dame bien sympathique qui a une fille infirme de mon âge, et qui habite Malang. Il ne faudra donc pas trop compter sur des lettres pendant les prochains quinze jours, car je voyagerai de ci de là.

Louis tout à droite, Nelly devant lui


Mardi 7 juin. J’aurais voulu faire partir cette lettre hier, mais je n’y suis pas arrivée. Nous avons passé la journée d’hier à l’île Noesa Kambangan (institution pénitentiaire, encore aujourd’hui), chez Lovius, (il travaille à cette prison) avec les van der Lee et une autre famille. Nous avons été au bord de la mer, toute la journée, c’était merveilleux, nous avons baigné, pris des bains de soleil, cherché des huîtres, escaladé des rochers et embêté des crabes. On s’est amusé comme des gosses. 
plage de Noesa Kambangan
à Noesa Kambangan


Le soir en rentrant Lovius et le jeune docteur de l’île, un jeune homme de 28 ans seulement, sont venus chez nous jouer au Monopoly, un jeu dont tout le monde raffole ici. Malheureusement le jeune Cochius qui loge ici depuis samedi, a eu la fièvre, il est resté à la maison ici hier, et le soir en rentrant je lui ai trouvé 39.5 de fièvre. J’ai donc eu beaucoup à faire, à le soigner, à donner à souper à tout ce monde et cette nuit je me suis aussi encore levée pour donner à boire à Cochius etc. Vous penserez peut être que je suis bête de me donner tant de soucis pour des étrangers, mais que voulez-vous.
Lundi 13 juin 1938
Cette lettre est de nouveau restée en plan par je ne sais quoi. Cochius est retombé dans de hautes fièvres, 40.2, malaria terziana, comme moi j’ai eu en son temps. Je l’ai soigné, puis j’ai de nouveau eu des visites, en moyenne 2 hommes par soirée. Depuis que je suis de retour à Tjilatjap, nous n’avons eu qu’une soirée pour nous seuls Oscar et moi, sans cela il y a toujours eu et venu beaucoup de monde. Cela commençait vraiment à m’agacer. Aussi j’ai décidé de ne pas aller à Soerabaya. Nous voulions donc partir vendredi passé Oscar et moi et avoir un beau week-end à Soerabaya avant qu’il entre au service, mais avec Cochius encore malade, je ne pouvais pas bien le laisser ici au soin des domestiques et puis, j’ai eu tant de gstürm (stress) ces derniers 15 jours, que j’ai décidé de prendre de bonnes vacances pendant l’absence de Buby. Je veux une fois me payer du bon temps, ne penser qu’à moi, rien qu’à moi et faire ce que je veux. Buby n’est donc seulement parti hier, dimanche. J’ai été l’accompagner jusqu’à Kroja en auto, là il a pris le grand express pour Soerabaya. Nous avons immédiatement rencontré deux officiers de sa troupe. Il paraît qu’ils sont presque le même groupe que l’année passée et ils vont rester au camp pendant tous les 15 jours. Cela fait que je n‘aurais pas eu beaucoup de sa compagnie, ni de Soerabaya, sauf ce premier week-end, ainsi je suis contente de ne pas l’avoir accompagné. D’aller en visite, même chez tante Engel, ne me dit rien pour le moment. Cette nuit j’ai dormi chez Oliemans, parce que Cochius reste encore ici pendant 2 jours au moins. Ce soir, s’il n’a plus de fièvre, c’est lui qui ira dormir chez Kleber, ainsi tout est pour le mieux à cause des mauvaises langues.
Et maintenant je suis au bout de la page, heureusement, car elle ne vaut pas grand chose, cette lettre, et je vais en commencer une autre.