mardi 30 mai 2017




Kediri

16 novembre 1939
204

A sa maman
J’ai écrit à la maison il y a deux jours. Et hier j’ai reçu ta lettre 222. J’ai eu beaucoup de plaisir aux photos, tu es très bien avec ton hüteli (petit chapeau) ! Aussi les photos du pic-nic sont jolies, mais j’ai presque eu de la peine à reconnaître tout le monde Je suppose que la jeune fille sur les genoux de Nögg est la jeune Biedermann ? Ce n’est pas directement une tenue que je puis apprécier et je me demande ce que Padre aurait dit si je m’étais conduite ainsi dans le temps ? Et toi aussi surtout tu aurais su me faire remarquer… un tas de choses concernant cette conduite. Le moment est peut être déjà arrivé où je fais l’effet d’être vieux jeu, je n’en sais rien, et pourtant on dit toujours qu’aux colonies la vie est plus libre et plus lâche. Enfin, passons là-dessus, d’ailleurs cela ne me regarde en aucune façon. Nous avons peut être tous changé, chacun de son côté, et voilà, c’est la vie !
Tu es si bien avec ton hüteli, mais c’est vrai que tu commence à ressembler beaucoup à notre grandmamali, l’expression surtout. Si tout s’était bien passé et qu’il n’y eut pas eu cette terrible guerre, nous serions arrivés à Bienne ce soir ou même déjà hier et je t’aurais serrée dans mes bras. Enfin, résignons-nous, c’est partie remise, espérons et ayons confiance.

sept. 1939 Padre et ses fils

Je te crois que tu as chaque fois du plaisir quand tes rejetons-officiers font leur apparition pour quelques heures. Je puis si bien me les représenter maintenant, grâce à ces photos. Je les regarde au moins mille fois par jour, et chacun les trouve épatants, mes frères ! Je n’ai pas voulu l’écrire dans ma lettre à la famille, car j’imagine qu’ils le savent déjà assez qu’ils ne sont pas moches nos garçons.
Alors, mon Röttu, gondle et regondle à des meetings de Oxford ? Tu as bien fait, vas-y mais gare les …conversations ! Je pense que ce sera comme la gra’mamali avec son Histoire de la Réformation !!! Mais non, Rötteli, je sais bien que ceci est mieux et tu en tires un tel profit. Seulement il faut aussi me laisser te chicaner un peu, hein ? D’ailleurs je viendrai avec toi aussi quand nous serons ensemble, seulement pas si souvent. Car selon ta lettre, tu y est allée les 14, 18, 21 et 22 octobre, et peut être même encore entre temps. Làlà ! D’ailleurs on le voit à ta lettre tu n’avais pas tes pensées concentrées sur Java quad tu l’as écrite ! Ah mais maintenant taisons-nous, sans quoi je finis encore par fâcher une certaine Gondleuse et cela, ce n’est pas dans mon intérêt, car qui m’écrirait encore des lettres !!! C’est pas que je les apprécie beaucoup, ces lettres mais cela vaut toujours mieux que rien !!!
Comme toi, je suis très contente que les garçons s’entendent si bien, c’est un grand bien pour chacun d’eux.
Voilà, c’est assez pour ce soir, le Monsieur commence à protester, alors je vais m’étendre. Bon soir… !

17 novembre
Voilà de nouveau une journée de passé toute seule dans une grande maison vide ! Madame Fraay est partie pour Soerabaya il y a deux jours. Il fallait que la petite aille chez le dentiste, car elle a les dents qui avancent comme moi, alors elle porte un fil de fer et madame doit toujours profiter des vacances pour l’emmener à S. Elle ne voulait pas y aller d’abord pour ne pas me laisser seule mais je l’y ai obligée. Je me suis bien installé dans le pavillon, j’ai Kaidi, mon djongos pour me servir et ma foi cela ne va pas trop mal. A midi je vais dîner chez les Mogendorff car je ne veux pas cuire pour moi toute seule, mais le matin et le soir Kaidi me prépare mes repas ici. Je profite de cette solitude pour écrire, pour coudre, et vraiment j’en jouis. J’aime beaucoup être seule et je ne m’ennuie jamais. Le soir, j’ai mon chien qui dort sous mon lit, et Kaidi par terre devant ma porte, ainsi je suis bien gardée et tu n’as au moins pas à te faire du souci pour moi, Mamms !
Pendant que j’y pense, ne m’envoie pas de fil DMC. Ce n’est vraiment pas nécessaire, car il apparaît de nouveau petit à petit, les importations reprennent de la régularité, et il ne faut pas te faire du souci pour moi. Quand il y aura vraiment quelque chose qui me fait défaut et que j’aimerais avoir, alors je ne me gênerai pas de vous le demander.
Demain samedi, Oscar va venir pour le weekend. Nous devrions aller chez tante Engel, mais on va s’arranger pour rester les deux seuls ici. Moi aussi je devrais aller loger chez tante Engel, si elle savait que je suis seule ici, elle serait fâchée, mais  je n’en ai pas envie. Il y a le vieux Engelhart qui m’énerve. Je ne sais pas pourquoi, mais il raconte toujours les mêmes histoires et c’est un paon, il voudrait toujours qu’on l’admire et l’approuve Je n’ai jamais remarqué cela autant avant mais maintenant cela me va sur les nerfs. Il n’y a qu’à toi que je le dis, naturellement quand je suis avec eux, je ne fais pas les semblants. Mais depuis que je suis enceinte, je remarque que j’ai des sympathies et antipathies plus prononcées que normalement. Par exemple, Elout, je ne peux plus le sentir, je le déteste et des fois j’ai cela avec la Lismete (Mme Mogendorff) aussi. A propos, sa petite fille devient plus jolie de jour en jour c’est vraiment merveilleux comme ils croissent vite les petits enfants. Quand je vais là pour dîner, j’assiste souvent au diner du baby d’abord, elle le nourrit et c’est si joli ! Oh, comme je me réjouis !!!
La nuit passée je n’ai pas bien dormi, car Woldringh junior ne voulait pas se tenir tranquille, alors je m‘amusais à regarder comme il bougeait ; des fois cela me donnait des battements de cœur comme si j’avais bu du café fort, et pourtant je n’en bois pas une goutte, ni du thé fort, ni surtout des boissons alcooliques. Oh, je fais bien attention et je vis déjà maintenant rien que pour mon baby. Hier matin j’ai fait analyser mon urine, le docteur n’a rien trouvé et pourtant j’ai les pieds enflés tous les soirs, mais je pense que c’est aussi de la chaleur. Enfin, je vais faire attention, n’aie pas peur je ne me vepipäpele (dorlotte) pas mais je me surveille.
Nous avons enfin de nouveau reçu une lettre de papa Woldringh. Il a été à la Haye pour rendre visite à Eddy et Ans (frère de Oscar et son épouse), et il paraît qu’il a de nouveau eu un crève-cœur au sujet d’un tableau (Het gouden Land, C.L. Dake 1920, Gunung Gedeh, maintenant propriété de Conrad). Une peinture à l’huile qui lui avait été offerte par ses amis de la Banque, à l’occasion de son jubilée. Eddy et Ans, qui ont la garde de ses choses et aussi des beaux meubles avec lesquels ils ont installé leur maison, ont pendu ce tableau dans la salle d’attente (Eddy est médecin) et ils ont enlevé la plaquette en argent avec l’inscription du souvenir, donnant pour excuse que cela ne regardait pas les clients de savoir que le père d’Eddy avait été à la Banque etc. Je ne les comprends pas, s’ils ne tiennent pas à ce que des étrangers sachent l’histoire de ce tableau, il ne fallait pas le mettre dans la salle d’attente. Il y a des gens qui ne savent pas apprécier leur chance ! Quand on peut installer sa maison avec un tas de belles choses pareilles, il y aurait moyen de prendre quelques considérations. Cette Ans me fait un peu penser à Margrit Kreis.
Papa Woldringh m’a de nouveau recommandé de ne pas me faire de soucis, et si quelque chose n’allait pas et que nous étions dans la gêne, qu’il ne fallait pas hésiter de nous adresser à lui.
Alors toi, tu as un béguin à la poste ? Eh bien, la pomme ne tombe pas loin du pommier, car moi aussi j’en ai un ici et quand j’y vais on fait toujours des parties de blague. Ainsi je suis aussi bien au courant des choses de la poste en ce qui concerne mes lettres. Ce sera bientôt ta fête, mais je ne t’enverrai rien cette fois-ci !
Dimanche matin, 18 novembre 1939 ! Boili est arrivé hier soir et va repartir cet après midi, pour une nouvelle semaine. J’ai aussi eu des nouvelles qu’à Batavia il n’y avait aucune maison à louer, rien, rien de libre, il paraît que c’est terrible et cela me donne bien un peu de souci. Il nous faudra donc passer quelques mois à l’hôtel et qui sait si j’aurai même un toit pour recevoir mon baby en sortant de la clinique. Naturellement je me raisonne, et tâche de ne pas m’en faire trop, mais j’ai tout de même des moments où j’ai terriblement les bleus. Mais c’est fait comme exprès, j’ai toujours des embêtements pareils et il faut croire que cela ne m’est pas donné d’effectuer un changement de domicile dans de bonnes conditions mais toujours il y a l’une ou l’autre chose pour m’embêter. Quand je pense aux fraueli (petites femmes) en Suisse qui peuvent si bien préparer cet événement dans la paix de leur chez soi, entourées de leur famille et dorlotées à qui mieux mieux. Enfin, je n’ai pas à me plaindre, tout le monde est bien gentil ici avec moi, surtout les femmes qui, ici, sont très solidaires en ce point. Seulement quand je pense que les Sayers ont pu revenir de leur congé et s’installer dans une maison bien propre et entretenue et que moi maintenant je dois chercher, chercher sans trouver peut être. C’est une chose qui m’embêterait énormément de ne pas pouvoir installer une petite place bien à moi pour mon baby, et de devoir vivre ainsi sur la branche. Enfin, il ne faut pas te faire du souci parce que je me laisse un peu aller à ouvrir mon cœur quand il est trop plein. Cela vient de ce que j’ai été seule cette semaine et que hier j’ai justement eu cette mauvaise nouvelle d’une dame qui a cherché une maison pour moi à Batavia et n’a rien trouvé.  Une fois de plus je vais suivre tes bon conseils, et ne pas m’en faire, car tout vient comme cela doit dans la vie n’est-ce pas Rötteli mia ?
Je vais donc vivre au jour le jour, et profiter des bons moments qui me sont réservés sans me faire trop de souci pour le lendemain. T’en fais pas, la GE tient toujours sa tête haute à la fin de compte, car elle ressemble aussi à son Padreli !
gare de Kediri
Je vais vous quitter pour cette fois. Si tu seras un certain temps sans nouvelles, ne t’en fais pas, car la prochaine lettre viendra probablement de Batavia. Je vais loger chez Tante Engel demain pour quelques jours. Probablement que Boili sera licencié lundi prochain, il faudra faire ses bagages au plus vite et prendre le train pour Batavia, car Elout a déjà demandé au moins 8 fois quand Oscar arriverait enfin. Il semble qu’ils ne peuvent plus se passer de lui là-bas !


Il paraît que madame van Mastwyk, la femme du directeur dont je vous ai déjà parlé, attendait aussi un bébé, presque en même temps que moi, mais un beau jour le médecin n‘a plus perçu les battements du cœur du petit enfant, et il a fallu l’opérer pour enlever l’enfant mort. Ensuite il s’est produit une infection et madame a été très très malade pendant plusieurs semaines. Il paraît que c’est déjà la troisième fois que cela leur arrive, et ils aimeraient tant avoir des enfants. Il paraît que lui chaque fois qu’il téléphonait avec Boili, demandait après moi, comment je me portais etc.  C’est triste pour eux. Alors quand j’entends des choses pareilles, j’ai honte d’oser ronchonner pour l’une ou l’autre chose telle que par exemple cet embêtement de ne pas avoir de maison etc. Je ne devrais être que reconnaissante pour tout le bonheur que j’ai déjà eu et qui, si Dieu le veut, sera encore plus complet dans quelques mois.
Voilà, cette fois c’est fini Oscar attend car nous allons dîner chez les Mogendorff, et cette lettre doit partir.
Mille bons vœux à chacun avec un bon muntschi de votre Ge….
All all the best aussi aux Garçons dans leur vie de soldats, une bonne santé à tous et que Dieu vous protège et vous bénisse.



dimanche 28 mai 2017




Kediri

12 novembre 1939
203


Je vous confirme ma lettre 202 du 22 octobre. Il y a longtemps que je n’ai plus écrit mais vous l’aurez bien compris, j’ai eu le déménagement entre temps. Ma lettre est partie un jour avant que je reçoive la 221 de  ma Rötteli, et deux photos que je n’ai même pas pris la peine de bien regarder !!! Elles ont pris place dans un portefeuille en cuir ensemble avec celles d’un certain macacacaroni et celle d’un Boili. Je n’ai que des hommes dans ce portefeuille ! Rötteli, tu m’annonces aussi des photos de toi, mais jusqu’à ce jour je n’ai encore rien reçu, ce n’est pas que je tienne à recevoir une certaine binette, toutes celles de tous ces hommes, plus antipathiques les uns que les autres, me suffisent !!! Hein, tu comprends bien et j’espère que tu ne te fais aucune illusion quant aux sentiments de la girlie. Mais maintenant assez débité de bêtises, je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire et il faut pourtant que vous soyez mis au courant de nos faits et gestes. Je vous écris à la main parce que Boili écrit à son Aetti (papa en bernois) en ce moment et naturellement il m’a chipé la machine.
J’ai donc commencé à emballer le lundi 23 octobre et ça m’a pris une semaine. Tout est bien allé, j’ai eu une aide excellente en mon djongos Kaidi, et tout le déménagement s’est fait sans que je me fâche ou que je m’énerve une seule fois, ce qui est vraiment un record. J’avais dit à Sayers qu’il pourrait entrer dans la maison le 1er novembre, mais le 30 octobre le monsieur n’y tenait déjà plus, et a fait transporter ses caisses, alors j’ai appelé l’aide de Boili, car je ne voulais pas me fâcher pour une chose pareille. Enfin, le lundi 30 octobre à midi juste, j’ai quitté la maison bien en ordre après avoir parcouru l’inventaire avec le monsieur Sayers qui a tout trouvé en ordre et en excellent état, ce dont il m’a vraiment remerciée plusieurs fois. Ce lundi donc, dans l’après midi, nous sommes partis à Soerabaya et mardi matin Boili est entré au service. Je suis restée à S. pendant 2 jours, car il y faisait très chaud et j’avais hâte de rentrer quelque part où je me sentais mieux à la maison que dans cet hôtel.
Nous avons été chez Dr de Geus qui a tout trouvé en ordre, urine etc, et nous recommandera à un spécialiste de Batavia, un dr. dont on entend beaucoup de bien. Il nous a semblé qu’il regrettait de me perdre comme patiente pas seulement à cause des sous, mais par sympathie personnelle Quand nous étions dans la salle d’attente, j’ai été prise de fou rire car nous étions 5 couples qui attendaient, les hommes se sentaient fiers et importants comme des coqs et les femmes, toutes avec un bidon plus ou moins gros. C’était comique ! Ce dr de Geus ne fait que des accouchements et Dr Hiltermann à Batavia aussi !
En revenant de Soerabaya je suis venue habiter ici chez Madame Fraay qui est vraiment plus que gentille et attentive pour moi, de même que tante Engel. Comme Boili n’est pas arrivé à savoir combien de temps durera cette mobilisation ni combien de temps on le gardera au service, j’ai décidé de rester ici. Mes meubles et tout mon ménage sont ici, emballés et le tout dans un hangar de la fabrique, attendant d’être expédiés. Je n’ai avec moi qu’une caisse contenant toute ma couture et une machine à coudre, car je travaille ferme à mes robes et au petit trousseau. Tante Engel m’a gâtée aussi beaucoup, chaque fois qu’elle vient me voir elle m’apporte quelque chose qu’elle a fait et quand elle me quitte elle me vole quelque chose que j’ai préparé et elle le coud à la maison. Mme Fraay aussi m’aide  tout ce qu’elle peut à couper et coudre mes robes etc. Chaque matin nous allons baigner, c’est épatant pendant cette chaleur, et Dr de Geus me l’a permis. Naturellement je ne nage pas beaucoup, seulement par petits bouts le long du bord. Je me suis acheté un costume marine très simple et cher parce que de très bonne coupe et ainsi j’ose bien me montrer.
Boili vient de Soerabaya le samedi après midi à 5 heures jusqu’au dimanche soir à 5 heures et si j’ai envie d’aller là-bas, je puis partager sa chambre à deux personnes pour un prix très réduit, seulement je n’y tiens pas trop parce qu’il fait trop chaud et ici je peux me laisser vivre plus à l’aise. Ce n’est pas que je me laisse aller, tu n’as pas besoin d’avoir peur. Je travaille, je vais baigner, je marche etc, seulement par exemple la nourriture ici à la maison est plus simple qu’à l’hôtel et cela me convient mieux. Mr. Fraay est loin aussi , de sorte que nous sommes les deux femmes à la maison ensemble avec la petite fille de 9 ans qui, elle aussi, brode des bavettes pour le bébé de Tante Nelle, comme elle dit ! La semaine prochaine Mme Fraay ira rejoindre son mari pour quelques jours, alors j’irai loger chez Tante Engel qui se réjouit déjà de m’avoir. Tu vois que je n’ai pas à me plaindre. Le seul nuage de notre ciel, c’est que vu la situation en Europe, personne ne va en congé, tout le monde reste ici à attendre comme nous que la guerre prenne fin. La conséquence, c’est que les entreprises ont partout sinon trop du moins assez de monde et ce qui est très ennuyeux spécialement pour nous en ce sens qu’il y a une grande pénurie de maisons partout mais surtout à Batavia. Il paraît que c’est formidable, quand une maison devient libre, il y a déjà 50 intéressés avant même qu’elle soit vide. Je me demande ce qui adviendra de nous. Nous pourrions avoir un flat meublé, superbe, mais pour Fl. 400.- par mois, alors Oscar a dit à Elout que si nous recevions un salaire de Fl. 1000.- nous penserions à prendre ce flat, mais aussi il n’en est pas question. Financièrement nous n’avons aucun profit d’être à Batavia, où notre salaire sera de Fl. 625.-. Il nous faut compter Fl. 125.- de loyer par mois plus eau, lumière etc, et pas de docteur ni pharmacie libres, tels que nous l’avions à Kediri. Oscar est furieux et moi ça m’embête aussi, car nos dépenses vont augmenter. Naturellement que je saurai bien nouer les deux bouts, quand il le faut je le puis bien, à condition que nous ayons la santé. C’est vrai que cela n’ira pas tout à fait sans peine car petit à petit nous avons mené une vie plus large, plus confortable et maintenant il s’agira de nouveau de serrer la ceinture pour bien des choses. Pour moi, ça va sans peine, mais Oscar est moins souple sur ce terrain là, il aime bien ses aises, mon Boili ! Enfin, qui vivra verra, et quand je pense à vous tous et à tout ce dont vous devez probablement vous passer, j’ai presque honte d’oser faire la moindre remarque à ce sujet.
Papa W. nous a enfin écrit, la première lettre depuis août. Il nous dit gentiment que nous devons nous adresser à lui si jamais nous avons besoin d’appui financier, car il ne faut en aucun cas que je me fasse le moindre souci de ce côté-là. Pour le moment, ce n’est pas nécessaire, mais c’est toujours une idée tranquillisante de savoir qu’on a quelque part une perche de secours.
Moi aussi, je prie beaucoup et ça me donne une telle confiance et sérénité. Je n’ai pas de peine à être gaie, malgré tout je le suis même plus qu’avant. J’ai un tel bonheur en moi, que ça rayonne même en dehors. Je n’ai aussi pas à me plaindre et les petits bobos je les supporte même avec plaisir, car je sais que tout passera une fois, et alors la joie sera si grande ! Pendant que j’emballais j’ai commencé à avoir les pieds enflés, mais je n’ai rien dans l’urine. Le dr. m’a conseillé de ne pas manger beaucoup d’œufs ni trop de viande mais surtout des légumes et des fruits. Aussi à part le « ränzli » (petit ventre) je n’engraisse pas énormément.
Voilà, j’ai interrompu ma lettre pour aller dîner, une rijsttafel excellente, avec la conséquence que j’ai trop mangé, je suis allée me coucher un peu et ma siesta a été trop longue. Maintenant la lettre doit partir au plus vite. Je reste donc à Kediri, soit chez Mme Fraay ou Engelhart jusqu’à nouvel avis. L’adresse des lettres reste donc Mexolie. Nous ne savons pas encore exactement quand nous irons à Batavia, peut être pour le 1er décembre.
Un bon baiser à chacun et toutes mes bonnes pensées. Mes garçons me regardent, l’étui est ouvert sur la table, mais moi je ne vous regarde jamais !
Ge…..
P.S.
J’ai de nouveau découvert un chapeau de pêche Padre, mais le prix en a plus que doublé, il revient à Frs. 8.- faut-il quand même l’acheter ?



jeudi 25 mai 2017




Kediri

22 octobre 1939
No 202


En tout hâte quelques mots pour vous dire que nous sommes placés à Batavia. Dimanche passé nous sommes revenus de Batoe, après exactement deux semaines de vacances qui nous ont fait beaucoup de bien.
Mr. Sayers est donc arrivé, plus arrogant et self conceited que jamais. Malgré les difficultés que sa personnalité occasionne chez les clients chinois, il est placé ici à Kediri. Oscar est maintenant en train de régler toutes les affaires, ce qui prendra encore environ une petite semaine. Nous pensions ensuite pouvoir prendre quelques jours pour emballer, car Oscar voulait m’aider et nous nous serions acheminés sur Batavia environ le 3-4 novembre. Mais ce matin nous venons de recevoir par express la feuille de mobilisation provisoire. Boili doit entrer au service le 31 octobre, et pas à Batavia mais à Soerabaya. C’est contrairement à ce que nous nous attendions, et nous n‘y comprenons rien. Enfin, maintenant il me reste cela de moins de jours pour faire mes paquets et quand Oscar partira au service, je serai prête pour fermer la maison et j’irai à Batoe, ou je resterai ici dans le pavillon des Fraay, jusqu’à nouvel avis.
Adressez votre correspondance à Kediri, jusqu’à nouvel avis. Les Mogendorff sont placés à Keboemen et Engelenberg de Tjilatjap viendra ici comme bras droit de Sayers. Je me demande comment cette combine va marcher ?
J’ai bien reçu le chapeau noir, merci de tout mon cœur Il est joli et je vais voir comment je puis l’employer, car il m’est un peu trop petit. Mais t’en fais pas, je saurai toujours en tirer parti.
Merci aussi de ta lettre 220, et de la merveilleuse photo de mon Macacacaroni ! Bon sang, ce que tu es bien là ! Je ne peux pas assez la regarder et sais-tu ce que j’en ai fait ? Je l’ai mise au corridor à un point où je la vois chaque fois que je sors de n’importe quelle chambre, et toujours j’ai ta bonne binette qui me sourit et qui me parle, selon les besoins du moment : Hé, Ge… mets-y les gaz !!! quand je suis pressée, ou bien : du calme, du câââlme, quand je suis sur le point de me fâcher, ou bien : eh bien, merde, faut pas s’en faire pour si peu !!! ou bien, bah ! cela finira bien par s’arranger !
Enfin, tu vois, de mille et une manière j’ai mon bon Macaroni avec moi et tu n’as aucune idée quelle influence tu as sur moi dans mes petits tracas de tous les jours. Même Oscar dit que cela fait du bien de te regarder ! Sitôt que nous serons à Batavia, on va te mettre dans un beau cadre et tu seras le talisman de bonne humeur dans notre nouvelle maison.
Cela vous donne peut être à penser que nous en avons bien besoin de la bonne humeur, eh bien, non, cela va. Je ne vais plus vous écrire que je me porte bien, car nom d’une pipe, chaque fois que je l’ai fait, je suis tombée malade ou j’ai eu un embêtement quelconque directement après. Je me bornerai donc seulement à vous écrire que les choses et la santé ne vont pas mal, et cela il faudra le lire de la façon la plus optimiste. Aussi Oscar « ne va pas mal ». Ces vacances lui ont fait beaucoup de bien.
Il semble que Mr. van Mastwyk tient absolument à avoir Boili à Batavia, comme contre poids d’Elout. Ce n’est pas des choses qu’on nous a dit, mais bien des circonstances nous le font deviner. Mr. Visser de Keboemen qui jusqu’à présent était à Batavia avec Elout, est placé à Banjoewangi comme administrateur de nouveau, et cela pour les ¾ parce qu’il n’est pas monsieur pour deux sous, qu’il n’a pas un bon Auftreten ! (pas de bonnes manières).
Je prévois donc que nous ne serons pas dans notre propre maison pour Noël, encore un Noël dans un hôtel ou chez des étrangers ! Mais zut ! on se fait à tout, et puis si longtemps que nous sommes ensemble, mon miston et moi, je ne m’en fais pas. Mais vraiment je m’attends à tout le pire, car ici on ne sait jamais, mais je suis loin de me laisser prendre la tête. Bah ! non, on n’est pas Jurassienne pour rien et heureusement que j’ai hérité une bonne partie du caractère de mon macaroni ! Oh, mais tu sais, Rötteli, j’ai aussi un tas de bonnes choses de toi, qué on ne dit pas qué ?
Je vous écris à la va te faire f…., mais je viens d’apprendre qu’il part un courrier avion ce soir, malgré que c’est dimanche, alors je me dépêche, car cette semaine il n’y aura plus rien de fait pour écrire. Demain je commence à mettre la maison sens dessus dessous, mercredi et jeudi j’aurai des hommes pour emballer, vendredi je fais nettoyer la maison et la remets à madame Sayers et après flûte ! Donc ne vous en faites pas si vous ne recevez rien de nous pendant au moins un mois, car je ne sais pas où je me trouverai pendant que Boili sera au service. Il pense devoir y rester un mois au moins.
Cette semaine j’ai eu une visite de la Mies Engelhart. C’est un « POT DE CHAMBRE » pas nécessaire d’en dire plus. Elle vous fait bien saluer. Toute cette dernière semaine j’ai été occupée à couper des robes que mon homme a cousues, et il m’en faut encore quelques unes, car il faut absolument que j’aie bonne façon pendant ces prochains mois. Pour des occasions officielles je m’en fais une en crêpe mat bleu pervenche, avec un tablier en brocart de Banely. Ce sera une toilette superbe et nous en ferons une photo. Madame Fraay m’aide encore pour la couper pour au moins qu’elle réussisse bien. Autrement tout le monde me complimente sur la bonne façon que j’ai dans mes petites robes de circonstance !!!
Le petit Oscarli…. Hm ! je crois que ce sera un futur footballeur, en tous cas il est loin de se tenir tranquille !!!
Voilà, je dois finir et aller dîner chez les Mogendorff qui nous ont invités ! Ce soir nous allons à Meritjian chez les Engelhart.
Un bon muntschi à chacun, aussi à mes frangins que je n’oublie pas surtout !
…..tout le cœur de votre Ge… bien gaie ! et son Boili et son Oscarli ! qui ne s’appellera pas Oscarli !




dimanche 21 mai 2017




Batoe

4 octobre 1939
No 201


Je viens de recevoir aujourd’hui le 4 octobre tes deux lettres No 218 et 219 et c’était le moment, car bien que je sois prévenue des irrégularités dans le courrier, le temps d’être sans nouvelles de vous et de la Suisse commençait à me sembler long. J’ai presque embrassé le facteur aujourd’hui à midi quand il ma remis deux lettres à la fois ! Il y a deux jours j’ai reçu la lettre par bateau avec les belles photos de votre tour par la Suisse. Ce que vous êtes bien, toi et Padre, à l’Axenstrasse (lac des Quatre Cantons) ! Enfin, toutes les photos sont jolies, aussi celles du Chalet et j’en ai un plaisir fou, je les regarde et les regarde, et puis aujourd’hui enfin ces lettres ! Je me sens vraiment comblée et heureuse.
Vos lettres passent par la censure anglaise, celle des photos et la 218 y ont passé la 219 est arrivée sans le tampon et elle a aussi mis moins de temps pour me parvenir. La poste par avion est maintenant tant soit peu réglée, les avions partent d’ici jusqu’à Naples et de là les lettres s’en vont par le train et par la Suisse, de sorte que vous les recevez avant la Hollande. Je ne sais pas comment le service est réglé depuis la Suisse, mais vous pouvez sûrement vous en informer vous-mêmes. Enfin je te promets, mynes Mamms, de ne pas m’en faire, je suis très bien tous tes conseils, et je ne m’en fais pas, je reste gaie et happy, car je pense toujours au petit Oscarli !
Je vais répondre à tes lettres tantôt, d’abord je vais vite vous mettre au courant de notre vie ici depuis ma dernière lettre.
Pendant que j’étais en train d’écrire, donc le 11 septembre, j’avais ma machine sur mes genoux. Il faisait beaucoup de vent et par deux fois ta lettre, Mamms, s’est envolée, pas très loin de ma chaise, mais tout de même trop loin pour que je puisse la ramasser sans effort. Cet effort je l’ai fait, c’est à dire que je me suis tendue et tordue pour pouvoir la ramasser sans être obligée de déposer ma machine de mes genoux, et je pense que ce geste a été mauvais pour moi. Le soir en me déshabillant j’avais quelques taches dans mon linge. Tu peux te figurer comme j’ai été effrayée et Oscar aussi. Je me suis immédiatement mise au lit, à plat et j’ai fait appeler madame Fraay, qui, elle aussi, a eu peur. J’avais bien un peu mal au ventre, mais pas trop et je n’ai plus eu de pertes non plus, mais madame Fraay m’a tout de même conseillé de téléphoner au docteur. Oscar lui a raconté la chose mais le dr. ne voulait donner aucun conseil depuis Soerabaya, sauf celui que je devais rester étendue au moins une semaine et consulter le docteur de Kediri. C’est ce que nous avons fait, quoique cela m’était extrêmement désagréable. Ce dernier m’a aussi conseillé de rester au lit, très tranquille, presque sans bouger. Il ne considérait pas la chose très grave, mais il fallait tout de même être très prudent. J’ai donc passé 18 jours au lit, absolument couchée à plat. Matin et soir Oscar m’aidait à me laver. Heureusement qu’après cette première nuit, je n’ai plus du tout eu mal au ventre, ni rien, je me sentais absolument bien. Après 8 jours voilà Oscar qui tombe malade, la grippe. Un soir, il est revenu de tournée avec 39 de fièvre, je l’ai immédiatement obligé à se mettre au lit, et voilà que nous étions gentiment couchés l’un à côté de l’autre. Il a aussi gardé le lit pendant plus de jours, jusqu’à ce que la fièvre l’ait quitté. Pendant ce temps j’ai demandé au docteur de me donner une sœur javanaise qui venait me laver matin et soir et arranger mon lit. Madame Fraay aussi venait régulièrement 2 fois par jour, elle s’offrait toujours pour m’aider mais je ne voulais pas accepter, car elle avait des visites et sa petite fille avait la rougeole en même temps.
Enfin, un beau jour, le docteur est venu me dire que je pouvais me lever maintenant et il m’a en même temps demandé pourquoi je ne restais pas à Kediri pour l’accouchement, si je n’avais pas confiance en lui etc. Je lui ai franchement avoué que s’il s’agissait de mon deuxième enfant, je resterais naturellement à Kediri, mais pour le premier que je préférais un spécialiste etc. Il a fait de son mieux pour me dissuader d’aller à Soerabaya, disant que c’était tellement plus simple si je pouvais rester à la maison jusqu’au moment décisif et qu’ensuite il n’y avait que deux pas jusqu’à sa clinique !!! Je lui ai promis de penser à la chose, car je tenais à ménager la chèvre et le chou. S’il devait encore une fois m’arriver quelque chose pendant le temps de ma grossesse, qui m’empêche de courir à Soerabaya, je serais bien contente d’avoir le docteur près de moi, et pourtant je ne peux pas me faire à l’idée de ce docteur de Kediri, qui ne m’est pas bien sympathique. On en entend du bon et du mauvais, mais surtout qu’il boit jusqu’à en être saoul, et alors, il faudrait justement que cela arrive un soir au moment critique, qu’est-ce que je ferais ? C’est donc encore un problème à résoudre. En attendant je vais demain à Soerabaya chez le Dr. de Geus pour me faire visiter.
Mercredi passé donc, nous pouvions nous lever tous les deux et comme Oscar avait encore très mauvaise mine, il a fait son possible pour prendre des vacances. Je dois te dire que les Mogendorff ont été quinze jours à Soerabaya. Un soir la Lismete croyait que l’enfant allait venir, ils sont partis aussi vite que possible à Soerabaya et une fois là, ils ont encore dû attendre 15 jours ! D’ailleurs, je vous l’ai écrit dans ma lettre 200 que j’avais été à Soerabaya avec elle. Le bébé est donc né le 23 septembre, une petite fille, ce dont ils sont très contents. Tout est très bien allé.
Le 23 septembre (anniversaire du Padre) j’ai donc eu la photo d’un certain Padreli près de mon lit tout entourée de fleurs et naturellement qu’une certaine Rötteli n’y manquait pas non plus ! et pour fêter, je me suis payée une livre de bonne poires ! Mais je n’ai jamais regardé la photo et je n’ai jamais pensé à un certain macacacaroni !!!
Dimanche nous sommes venus ici à Batoe où nous comptons rester une quinzaine de jours, pour que Boili puisse se remettre et reprendre des forces, surtout pour se reposer, car il s’est terriblement fatigué. 

vacances à Batoe
Pendant les premiers jours après la déclaration de la guerre, il a eu beaucoup de soucis, comme tout le monde d’ailleurs. Les trois jours que nous sommes ici lui ont déjà fait un bien énorme, il ne fait rien d’autre que dormir, manger et lire un peu. De temps en temps nous faisons une petite promenade dans la belle nature !
Quant à moi, cette cure au lit m’a fait un bien énorme ! J’ai bonne mine, et j’ai engraissé !!! Naturellement que le séjour à la montagne ne manquera pas non plus de me faire du bien aussi pardessus le marché. Si j’ai encore le temps, je vous écrirai le résultat de ma visite au Dr. de Geus sans quoi ce sera pour ma prochaine lettre.
Et maintenant, Mamali mia et mon cher Macacaroni, mon soldat de ma patrie, voici :
Au mois d’août (lettre du 6.8.1939) j’ai déjà écrit à mes frères via Mottet (tu vois que je ne te cache rien, Rötteli ! du moins plus en ce moment !!!) les plans que nous avions. Il s’agissait de notre venue en Europe après le retour des Sayers. Nous aurions donc eu notre congé d’Europe, mes chers, mais je ne voulais pas vous l’écrire avant que nous soyons sur le bateau et j’ai eu bien raison. Selon le docteur de Geus, j’aurais dû faire le voyage au mois d’octobre, soit le 5ème mois de grossesse et nous aurions donc passé Noël ensemble. La lettre avec l’accord final est arrivée d’Amsterdam 2 jours avant que les Allemands entrent en Pologne et que la guerre ne soit déclarée. Cela a été un rude coup pour nous. Papa Woldringh le savait, car nous l’avions mis dans le secret, ainsi que les garçons. Tu peux leur demander ma lettre à ce sujet. Si tout avait bien marché, nous nous serions embarqués sur le bateau « Oranje » qui partait de Batavia le 24 octobre. Ce congé nous a été offert par Batavia, car cela entrait bien dans leurs plans, car nous en congé d’Europe, rien n’empêchait de placer Sayers à Kediri de nouveau et ainsi chacun aurait été satisfait. Mais maintenant nous ne voulons pas partir, et j’espère de tout cœur que cela ne vous cause pas de déception à notre sujet. Ce n’est pas que j’aurais peur de vivre en Europe dans les conditions actuelles, mais vu mon état, je ne veux pas risquer que Boili soit mobilisé en Hollande. J ‘espère bien que vous me comprenez, mes chers. Notre désir de vous revoir est et reste immense, mais surtout maintenant je dois être raisonnable, n’est-ce pas ?
Elout aimerait beaucoup nous voir partir malgré tout, car ils ne savent pas trop bien comment arranger les choses avec Sayers et nous, maintenant que nous ne voulons pas quitter les Indes. Cela a été bien dur pour nous d’être si près du but tant désiré et puis d’en être empêché par des circonstances aussi tristes. Je vous l’écris espérant que ce sera toujours une petite lueur d’espérance dans ces jours sombres. Elout a encore essayé de nous convaincre de faire le voyage malgré tout, car il voudrait tellement que son cher Sayers puisse retourner à Kediri, mais je ne trouve pas sage de nous embarquer pour un congé en Europe en ce moment, même que ce serait pour vous revoir tous. J’espère que vous ne prendrez pas notre attitude pour de l’indifférence ou de l’égoïsme de notre part, n’est-ce pas ? Vous savez combien je vous aime et combien je tiens à vous revoir et à passer avec vous au moins quelques mois mais vraiment je ne trouve pas raisonnable de le faire maintenant. Pourtant c’était si tentant que cela n’a pas été facile de prendre notre résolution, mais sûrement vous serez d’accord avec nous.
Nous ne savons encore pas ce qu’on fera de nous. Il y a des rumeurs que nous serons placés à Batavia (pour que Sayers puisse revenir à Kediri !) ce qui veut dire que je devrais déménager à la fin de ce mois déjà ou au mois de novembre. La perspective ne nous enchante pas trop, voilà pourquoi :
Oscar s’est vraiment surmené ici à Kediri, mais il est arrivé à un  résultat presque inespéré. Pendant ces derniers mois la fabrique, grâce à ses peines, a augmenté sa capacité presque du double et maintenant que nous pourrions en cueillir les fruits, il faudrait abandonner la place à Sayers qui pourrait récolter sans effort. Notre salaire a aussi augmenté, par raison des pourcentages sur le coprah. Maintenant que nous attendons notre premier Baby et surtout en ces temps, cet argent nous serait le bienvenu, car depuis que nous sommes à Kediri c’est la première fois que je n’ai pas trop de peine à joindre les deux bouts et que je puis mettre de côté des petites sommes qui comptent. De plus, nous y avons une maison agréable et la vie à la campagne n’est pas si chère qu’à Batavia, par exemple, ici nous n’avons pas besoin de faire tant de toilette et enfin tout y est plus simple.
Les avantages de Batavia seraient que je serais près de Boili quand il devra être au service, puisque sa place de mobilisation est Batavia. Je serais aussi sur place pour l’accouchement, alors que depuis Kediri je dois toujours me rendre à Soerabaya. Seulement l’envers de la médaille ce serait le salaire puisqu’ alors nous ne bénéficierons pas du pourcentage de coprah, que nous n’aurons pas de maison à notre disposition et que les maisons sont très chères à Batavia, que nous n’aurons pas libres de frais ni médecin, ni pharmacien, ni eau, ni électricité, tels que nous l’avons à Kediri où nous recevons toutes ces choses de la fabrique.
Quant au travail, Oscar cette fois serait placé à côté d’Elout, et non en dessous, ce serait bien un avantage, mais les embêtements ne manqueraient pas tout de même, comme vous pouvez bien vous l’imaginer ! Nous attendons une décision d’un jour à l’autre, et chaque fois que Boili est appelé au téléphone ici, nous pensons que cela y est.
Si je dois déménager, nous avons décidé de faire les frais de prendre notre djongos Kaikidi avec, afin que je n’aie pas à m’occuper de tout, ce qui me faciliterait beaucoup, car le pire d’un déplacement, c’est toujours de réorganiser sa maison et son train de vie avec de nouveaux domestiques qui ne savent rien de nos habitudes etc. Ainsi Kaidi en arrivant à Batavia, pourrait déballer et emménager la nouvelle maison presque tout seul, vu qu’il saurait mettre chaque chose à sa place. Il a une femme qui a été cuisinière pendant plusieurs années, je la prendrais aussi à mon service, quoique je risquerais un peu d’acheter le chat dans le sac, mais que veut-on, il faut bien savoir prendre un risque ! Et le plus important pour moi  pour le moment, c’est de ne pas avoir à me fatiguer outre mesure. Si nous déménageons en novembre, je n’aurai pas même l’aide de Boili puisqu’il doit aller au service du 1er au 15, et probablement même plus longtemps. Vous vous rendez compte que je n’aurai pas de quoi m’ennuyer ces prochains temps, si ce projet se réalise ! C’est pourquoi nous prenons encore du bon temps ici à Batoe, où nous restons tout le jour étendus sur la belle terrasse, nous y sommes déjà depuis 6 heures du matin. Le soir après le thé, nous faisons une petite promenade, et à 8 heures nous sommes déjà au lit.
Jeudi, nous sommes donc allés à Soerabaya voir Dr. de Geus. Il a été très gentil, malgré son air de bouledogue. Il m’est de plus en plus sympathique. Il m’a complètement visitée et a trouvé tout en ordre. Il a dit que quelque fois cela arrivait qu’il se produise encore une petite menstruation pendant la grossesse, mais avec la meilleure volonté du monde, il ne pouvait rien trouver d’anormal. Il faut maintenant que je me tienne tranquille chaque fois que ce jour-là devrait revenir et pour le reste il faut que je continue ma vie normale. Il ne pense pas que, ou plutôt, il est sûr que cette petite perte de sang ne venait pas de l’effort que j’avais fait en ramassant cette lettre.
Nelly brode pour le trousseau

De plus, le 3 octobre, le petit enfant a fait toc-toc-toc ! Quand je l’ai raconté à Boili, il ne voulait pas le croire, disant que c’était encore trop tôt, mais le docteur m’a bien demandée si je n’avais encore rien senti, et alors quand je lui ai raconté, il a dit que c’était bien cela ! Je l’ai encore senti deux fois depuis. C’est si beau !
Pour le reste, je me porte bien, je me fortifie de nouveau après ce long séjour au lit, immobile, qui m’avait quand même affaibli les jambes, malgré que je les faisais frictionner à l’alcool camphré deux fois par jour. Mais le docteur a dit que c’était normal que cela m’ait affaiblie un peu.
Boili aussi reprend des forces et bonne mine. En ce moment, il dessine pour moi de jolies choses que nous avons trouvées dans des journaux de mode de madame Fraay, et qui serviront à orner le trousseau de monsieur le prince. Pendant que nous sommes étendus dehors sur la terrasse, je brode beaucoup et vraiment, sans nous vanter, nous composons un très joli trousseau !!! D’ailleurs, Boili a pris quelques photos de moi pendant que je travaille, je les mettrai dans cette lettre si je ne l’oublie pas.
Merci mille et mille fois pour le beau bonnet que j’ai reçu hier, donc ce tour de tête de la Descoeudres. Vraiment tu réussis toujours à m’envoyer ce qui me fait plaisir, car je les ai vus à Soerabaya et j’avais envie de m’en acheter un, mais à la fin j’ai résisté à l’envie, me disant que ce n’était pas tout à fait nécessaire. C’est vraiment là que réside notre plus grande économie, c’est que je sais être si raisonnable dans mes achats !
Si nous ne sommes pas rappelés avant, nous pensons rester ici encore 10 jours. Ce week-end nous allons le passer chez les van der Lee qui sont maintenant à Probolingo où lui est administrateur de la nouvelle fabrique de papier qu’ils viennent de bâtir. C’est à environ 1 1/2 heure  d’auto d’ici. Nous partons cette après midi pour arriver là bas à l’heure du thé et nous reviendrons ici dimanche dans l’après midi, car nous ne voulons pas perdre trop de notre bon air de Batoe.
Tu donneras toujours toutes mes bonnes salutations à ceux qui te demandent de mes nouvelles, car je ne vais pas écrire beaucoup pour cette fin d’année, avec ce déplacement en perspective, et tout le petit trousseau à faire, il ne me reste pas trop de temps, surtout que je prends encore mon temps tous les jours pour avoir ma portion de grand air et de marche. Sitôt que nous saurons quelque chose de définitif, je vous l’écrirai. Les van Tinteren vont arriver ici au commencement de novembre, car bien qu’ils étaient en Hollande que depuis 2 mois, ils ont pris le premier bateau qu’ils ont trouvé pour revenir.
Comme je suis fière  de mon Macacacaroni ! Tu as raison Padre, prends bien soin de tous ces soldats qui te sont confiés, je suis avec vous de tout mon cœur. Et ma petite Rötteli si courageuse qui a déménagé (de Sutz à Bienne) toute seule ! Je me doute bien qu’il vous est imposé un tas de restrictions, et je prie toujours pour toi, que la vie ne te soit pas rendue trop difficile, d’ailleurs je le fais pour vous tous toujours ! Ici nous ne sentons pas encore beaucoup, sauf que tout est devenu plus cher et que bien des produits importés commencent à faire défaut, ainsi il est déjà difficile de se procurer du fil DMC qui vient d’Alsace par exemple, mais voilà tant pis, on s’arrange. En vue de notre venue en Suisse, j’avais déjà acheté un tas de petits cadeaux pour nos amis et connaissances, maintenant je vais les garder, espérons que… !
Toute mon affection à chacun de vous mes bien chers. …
Votre Ge…
All the best to everybody, future grandparents and uncles ! Oscar (à la main)



jeudi 18 mai 2017





Kediri

11 septembre 1939
No 200


Ma petite Rötteli et mes bien chers tous
J’ai reçu hier votre carte du Château Eugensberg (Thurgovie, lac de Constance), et cela m’a beaucoup geheimelet (rappelé la maison). Une fois que je passais les vacances de Pâques à Ermatingen, Margrit et moi avons été nous promener jusque dans le parc de Eugensberg, en contrebande, car il y a des forêts merveilleuses qui appartiennent au terrain du château, et nous avons passé toute une longue matinée à rôder là autour du château, voyant en imagination tous les personnages historiques d’autrefois, tout en ayant le cœur en frousse d’être attrapées.
Eugensberg

 Ermatingen, Mammern, Arenenberg, Eugensberg, Reichenau, Constanz (région du lac de Constance), j’y ai passé de beaux jours de printemps et de jeunesse, et qui sait si ce cousin de Margrit Kreis n’était pas mort !!! Te rappelles-tu, nous avions été lui rendre visite à Berne à l’hôpital quelques jours avant qu’il meurt, c’était si triste ! Oui c’est au nombre de souvenirs qu’on voit qu’on vient vieux ! Je suis si contente que vous ayez encore eu ces quelques beaux jours et que tu en aies tellement joui.
Lac de Constance
Merci aussi de votre carte du Bürgenstock (Lucerne), Padre moi et Charlot ! Oui, elle est belle notre Suisse ! Et vous avez eu raison d’en profiter. J’en jouis avec vous.


Je viens d’apprendre que la correspondance par avion est de nouveau interrompue, de sorte que cette lettre ne peut pas partir ce soir. Si tout va bien, elle partira jeudi. Je vais écrire un bout chaque jour, ainsi je serai toujours un peu avec vous, quoique je le suis tellement souvent en pensées. Mes frères, mes petits frères, je me demande à quelle frontière vous êtes exactement, je pense dans le Jura, notre beau Jura bleu ! Les nouvelles que nous recevons d’Europe ici, sont tellement contradictoires, nous ne savons plus que penser, il ne nous reste qu’à prier et à espérer pour la santé et le bien être de vous tous.
Oscar est aussi en train d’écrire à son père. Il n’a pas pu résister à la tentation d’acheter une petite machine à écrire Hermès, de Paillard d’Yverdon, ou est-ce Thorens à Ste Croix qui les fabrique ? Ce sont de vrai bijoux et elles ont un succès fou ici, et il paraît que les machines à écrire sont un article qui renchérira énormément, aussi les vieilles usagées, car les importations subissent aussi le contre coup de la situation en Europe. Le gouvernement a déjà pris des mesures très sévères à ce sujet. On ne rationalise pas la nourriture ici, mais les manufactures, telles que les étoffes etc. J’ai profité d’acheter tout ce dont j’aurai besoin pour notre baby et il ne me reste maintenant plus qu’à coudre, coudre, coudre.
Je viens d’apprendre qu’il y aura peut être un avion qui partira dans deux jours, et j’espère de tout cœur que cette lettre vous parviendra sous peu. Pour plus de sûreté, je vais adopter ton système, Rötteli, de numéroter mes lettres, ainsi vous pourrez toujours vous rendre compte s’il y en a que vous n’aurez pas reçues. Ton système a beaucoup de bon, et je ne peux pas m’empêcher, surtout maintenant de t’en féliciter de tout cœur, surtout de la persévérance avec laquelle tu as su « rester dans le bon chemin » malgré toutes nos moqueries et taquineries de part et d’autre. Oui, oui, notre Rötteli ! Pour rester au pas, je ne commencerai pas à numéroter mes lettres par 1, car cela me semble un peu ridicule après toutes ces lettres pendant toutes ces années. Je commence donc avec le numéro 200, qui sera donc celle-ci.
Oscar est reparti en tournée ce matin, je suis donc seule à la maison, et tout à l’heure madame Fraay viendra me chercher pour aller marcher un peu. Il a fait très chaud aujourd’hui, les chaleurs vont recommencer, alors sitôt que le baby Mogendorff aura fait son entrée dans le monde, Oscar tâchera de prendre 2 semaines de vacances pour aller à Batoe.
Samedi passé j’ai donc été chez le médecin à Soerabaya. Tout est merveilleusement en ordre et je me porte très bien, à part les petits inconvénients, tels que l’envie de vomir qui ne m’a pas encore tout à fait quittée, mais je tâcherai de tenir bon ! Quand j’ai demandé au docteur quand il faudrait que je revienne, il m’a répondu qu’il voulait me voir au moins encore une fois avant l’accouchement !!! J’ai dû avoir l’air ahurie, car il s’est repris, et il a dit : eh bien, si vous voulez revenez dans 2-3 mois. Il ne doit donc pas avoir beaucoup de soucis à mon sujet.
La Lismete (Mme Mogendorff) est donc aussi à Soerabaya depuis samedi (pour accoucher). Sur mon avis, elle est déjà partie vendredi soir avec son mari et je les ai retrouvés à l’hôtel, samedi quand je suis arrivée. Mais vraiment, je me suis tirée des pieds comme j’ai pu, car elle est d’une impudeur fantastique. Premièrement, elle blaguait toujours comme elle avait bien appris à coudre et quand j’avais des difficultés et que madame Fraay venait m’aider, alors elle savait toujours tout et bien mieux que madame Fraay. Quand, donc il y a quelques mois, elle a commencé à se faire des robes de circonstances, il ne me serait pas venu à l’idée de lui aider ou de donner n’importe quel conseil, mais oh ! misère, quand j’ai vu le résultat e toute cette haute couture !!! Je ne peux pas te décrire la façon de ces robes, c’étaient de simples tabliers et maintenant dans ces derniers temps, elle n’arrive plus à les fermer, de sorte que chaque fois quand elle s’assied sur une chaise, (naturellement les jambes écartées et aussi loin d’elle que possible) ces robes s’ouvrent de sorte qu’on voit jusqu’au « juhee » gratuitement et sans effort ! Son mari est toujours à lui dire : hé, fais attention, hé, assieds-toi un peu mieux etc. Et puis, au lieu d’être un peu discrète, non, là à l’hôtel à Soerabaya, toujours il fallait traverser le lobby, alors qu’il y avait 10 autres moyens de gagner la rue. Et puis elle marche en traînant les pieds, elle stolpere (trébuche) partout et sur tout, et sa robe lui arrive que jusqu’au genou devant, et avec ses grosses jambes en bouteilles de champagne, non, tu ne peux pas te faire une idée de l’impression qu’elle fait. On ne peut pas prétendre à être encore élégante à ce moment-là, mais tout de même on peut s’arranger à au moins avoir bonne façon. J’en ai pris ma bonne leçon et j’ai déjà acheté de l’étoffe pour toute ma garde robe. Je n’aurai que 4 robes, mais elles auront bonne façon. D’ailleurs tout le monde ici s’étonne de moi, comme je nage et comme je me porte bien, sans laisser aller. En cela j’espère bien ressembler à une certaine Rötteli de ma connaissance !!!
Tu me taquines à cause du « modèle » (Oscar) que je dois regarder souvent ! Eh, bien, c’est vrai, je le dévore des yeux, il a une expression si intelligente et maintenant qu’il se sent tellement aimé et admiré (le miston) il a acquis une assurance, un aplomb qui lui confèrent de l’autorité partout où il se montre. Il ressemble de plus en plus à son père mais avec plus de bonté et de tendresse de cœur, moins dur. Entre nous, je ne finis pas de l’admirer ! Voilà où j’en suis après plus de 6 ans de mariage, c’est beau tout de même, pas ?
Je veux aller rendre visite à tante Engel, cette semaine de nouveau. En allant nager tous les matins, je n’ai plus beaucoup de temps pour aller la voir, et pourtant elle est toujours si gentille et elle a tant de cœur pour moi, c’est une bonne âme. Boy est maintenant mobilisé en Hollande, et elle en a beaucoup de souci, elle aurait voulu qu’il revienne tout de suite, mais il ne les a pas écouté.
Oh, hier j’ai reçu un petit paquet de la maison : la belle fleur blanche-argent pour porter dans les cheveux. J’en ai un plaisir fou, elle me plaît tellement et je la mettrai souvent, car elle se prête bien à ma coiffure. Merci, merci de tout cœur, mes chers, vous me gâtez toujours tellement. Mais maintenant il ne faut plus m’envoyer quoi que ce soit ayant de la valeur, car on n’est jamais sûr que cela arrive, ce sera déjà beau que mes lettres vous parviennent et vice-versa. Aussi pour le trousseau du Baby, mes chers, il ne faut pas vous laisser tenter à m’envoyer quoi que ce soit. J’en ai déjà pris mon parti et je me suis arrangée pour acheter le nécessaire ici, je n’attends donc rien du tout de vous tous. Je sais très bien que ce ne sera pas la volonté de me gâter qui vous manque, mais vous le ferez plus tard, quand nous viendrons ! Vois-tu, j‘aime mieux que tout l’argent que tu dépenserais pour moi, tu le dépenses pour toi, maintenant pour vous, afin que vous puissiez vous procurer le nécessaire, et j’espère tant que vous n’avez pas trop à souffrir, mes bien, bien chers. Pourtant j’aimerais bien que tu te tiennes à ta parole donnée, Mamali, et que tu m’écrives toujours comment sont les choses à la maison, j’aime mieux savoir la vérité, même pas belle, que de me débattre dans le doute à votre sujet. Ne pense pas qu’il faille me ménager, non, ma position même me donne beaucoup de force et puis j’ai confiance, je dois avoir confiance, Mamali !
Veuillez faire savoir à Banely, à la Giggerli et à tout le monde à qui je dois des lettres, que je ne leur écrirai pas avant que je sache si les communications sont bien rétablies. Donne-leur de mes nouvelles en mon nom et tu seras aussi leur interprète pour moi, car les ports par avion sont trop chers pour les gaspiller. Jusqu’à présent, j’ai donc toujours reçu très régulièrement tes chères lettres, dont la 217 est la dernière. Quant à moi, je vous ai écrit une lettre à la main et dont je n’ai pas de copie, vers le 25 août, ensuite ma lettre du 29 août. Avec la lettre du 25 août est parti un mandat de frs. 100.- que, j’espère, vous aurez bien reçu. A l’avenir veuille m’accuser réception de mes lettres en nommant les dates, Mamms ! ou alors les numéros quand il y en aura. J’attends maintenant les photos annoncées de votre tour de Suisse et du pic-nic au Chalet, mais n’ayez pas peur, je sais attendre avec patience, et même je saurai y renoncer aussi si elles ne me parviennent pas.
Tu m’écris que vous voudriez abattre le thuya près du Chalet ! Mon premier instinct était bien de me ranger du côté de Loulou, et de m’y opposer, mais maintenant avec les évènements qui sont survenu, il faut penser à votre bien être d’abord et faites ce qui est nécessaire. Peut être que cela suffira d’abattre seulement le premier groupe de thuya près du Chalet, de sorte que les deux autres groupes de thuya et sapins, pourront continuer de donner à ce talus tout son charme, sans toutefois nuire à votre santé, surtout que vous y vivrez plus souvent peut être.
Je vois que tu as eu de nouveau beaucoup de visites au Chalet et que René et Constance (Marchand de Londres) n’ont pas changé. En voilà une que je n’aurai pas envie de revoir quand je reviendrai !
Je suis contente si tu vois enfin jour au sujet des Rackers, moi cela me dégoûte quand je pense à la vie de Hanny, avec son « Gstudierte » (homme qui a étudié). Il y avait longtemps que tu ne m’avais plus parlé des Biedermann, et je pensais que vous n’alliez plus tellement avec eux. La femme du docteur ici ressemble à madame Danz comme deux gouttes d’eau. Par cela je me sens attirée vers elle, et pourtant elle ne m’est pas du tout sympathique. C’est seulement physiquement qu’elle lui ressemble mais le caractère, le paraître, les manières c’est tout à fait madame Danz d’il y a plusieurs années, et celle-ci a aussi une fillette dont elle dit à tout bout de champs « myn dochterrrrrr » (ma fille) !!!
Oui, je crois aussi qu’un beau jour vous aurez des surprises avec les Racine. Moi qui voit les choses depuis ici, je me suis déjà souvent dit que Racine était arrivé au haut de l’échelle, ils n’ont pas su en profiter, ils en descendront un jour et alors ils apprendront un peu mieux  à connaître les gens. C’est toujours la même chanson dans la vie, j’ai observé cela depuis ma toute première jeunesse, déjà avec les Schwab de Brüttelen, et puis bien d’autres ! Au moment où j’ai quitté l’Europe, Racine commençait à monter, et son ascension a été rapide, elle ne leur a pas laissé le temps de s’y faire. Ah, la vie enseigne bien des leçons quand on sait avoir les yeux ouverts.
Oui, je regrette bien pour Mottet (le comptable de Milex Elem) qu’il ne soit pas plus heureux en ménage, c’est un cœur qui nous est bien dévoué, tu as raison. Tu lui donneras mes amitiés, car je l’apprécie beaucoup dans ce qu’il a de constant et de dévoué. Toutes mes salutations aussi à Fritz Gilomen que je n’ai pas oublié.
Et la chère vieille Probstei non plus, je ne l’oublie pas. Pendant que j’y pense : j’inclus ici un petit billet pour Mottet, je lui dois toujours encore une réponse à une de ses lettres et je n’aime pas trop lui écrire à la maison à cause de la « Zange » (sa femme), je suis plus libre quand c’est toi qui lui remets un petit billet, ainsi elle n’a pas besoin d’être jalouse peut être !!!
Est-ce que je vous ai remercié de la soie bleue, Banely et toi ? Elle est arrivée en bon état, merci mille fois. Tu m’avais aussi une fois envoyé une combinaison rose avec beaucoup de dentelles de Banely. Eh bien, j’en ai fait un ravissant Bettjäckli (liseuse), très luxueux ! Et avec le reste j’ai garni une chemise de nuit en crêpe de chine rose, ce qui me fait un très joli ensemble ! dans lequel je recevrai mes visites à la clinique !!! Je possède maintenant un très joli trousseau de lingerie très élégant et luxueux, et entièrement fait moi-même et presque avec des riens, un bout de dentelle ici, un bout de dentelle là, que j’ai su bien employer. J’ai des chemises de nuit d’une coupe parfaite qui me vont comme des robes de bal. J’en ai cinq et la sixième sera celle que tu m’as donnée et que j’ai toujours précieusement gardée !!!
Dis bien aux garçons de ne pas s’en faire pour m’écrire, je ne comprends que trop bien qu’ils n’en ont pas le temps, et puis, on s’aime bien assez pour se passer de lettres, d’ailleurs je l’ai déjà écrit.
Je dois terminer cette lettre maintenant, car elle doit partir. Mes bien chers, ne vous faites aucun souci pour moi, pour nous. Ici tout va bien. Oscar n’est pas encore tout à fait remis de ses diverses cures pour la malaria et les intestins, mais je saurai bien le soigner pour qu’il se remonte vite. Nous n’avons encore aucune nouvelle des Sayers, et ne savons pas s’ils sont déjà sur le bateau pour revenir ou encore en Europe. Je ne me prépare donc pas encore à partir d’ici, mais je me tiens tout de même sur le qui-vive quoique Oscar pense peu probable qu’on nous déplace. Enfin, on verra, et peut être que je pourrai vous donner des nouvelles plus précises dans ma prochaine lettre.
Mes biens chers, il ne me reste qu’à vous répéter combien je vous aime, combien je suis avec vous en ces temps difficiles, toutefois, je l’ai déjà dit, je sais garder confiance et je prie pour vous, comme je sais aussi que vous le faites pour nous, n’est-ce pas Rötteli de mon cœur, et aussi mon cher, cher Macacacaroni avec ta bonne binette toute ronde !! Dans tous les cas vous pouvez être plus que tranquilles à mon sujet, mieux même, vous devez vous sentir heureux en pensant que tout va tellement bien ici.
Un tendre baiser à chacun de vous et de tout mon cœur mes meilleures pensées et mes prières.
Votre Ge… et son Boili