jeudi 23 mars 2017

Kediri
7 mai 1939
2ème partie

A sa maman
Hier dimanche, nous sommes partis de grand matin avec les Mogendorff en auto en dehors de Kediri. Nous avons laissé l’auto dans un village et nous avons fait une belle promenade, grimpé sur une colline d’où nous avions une vue merveilleuse sur les alentours de Kediri. Là-haut, nous avons mangé notre déjeuner et à 10 heures nous étions de retour à la maison, où le chinois nous attendait pour nous vendre… ce que nous avion acheté pour la Rötteli. Après, Boili a vite pris une douche et il est allé au bureau travailler. Il a travaillé tout l’après midi pendant que je dormais, et le soir après souper aussi. Nous connaissons rarement un dimanche de libre ici.
Samedi passé, les Mogendorff’s nous ont invités à aller à Soerabaya, car c’était sa fête à elle et elle volait sortir un peu et en même temps se revancher un peu de notre hospitalité. J’ai donc mis ma belle robe et nous avons été danser au club. C’était très joli et je t’assure que je n’étais pas la plus moche, malgré que je n’aie pas été chez le coiffeur d’abord, comme toutes les autres femmes. Tu sais que je porte mes cheveux en boucles sur le haut de la tête maintenant ? Une coiffure que j’ai essayée toute seule d’après des illustrations dans les Sie & Er. Seulement vers minuit les deux hommes n’en pouvaient plus de fatigue, surtout Boili, il ronflait presque dans sa chaise, alors nous sommes rentrés, mais il fallait encore faire 2 ½ heures d’auto pour rentrer. C’étai fou, et je n’accepterai plus une invitation pareille, car après un bal il faut pouvoir aller se coucher directement, sans encore être obligé de conduire dans la nuit. Moi, j’aurais bien voulu danser encore toute la nuit, surtout les danses nouvelles, le Lambeth walk et le Palais Glide qui sont épatants, mais je n’avais pas le cœur d’en vouloir à Boili parce qu’il ne m’invitait pas. Je me rattraperai une fois qu’on sera en Europe, alors je veux danser encore une fois tout mon saoul avant que je devienne trop vieille ! On a aussi eu un buffet froid à la suédoise, qui était une merveille, seulement la Näggeli n’a fait que regarder et n’a mangé que du poulet froid et une salade de fruits, pour bien suivre son régime, et je ne bois plus une goutte d’alcool.
Chaque fois que Buby est en tournée, j’en profite pour verser toute une bouteille d’huile de quinine sur mes cheveux. Je l’y laisse pendant les deux jours, ensuite je me lave les cheveux, alors ils sot souples et brillants, c’est fou !
Tu sais que depuis longtemps nous désirons acheter un ciné-kodak pour faire des films, mais maintenant nous y renonçons, car c’est un hobby qui revient très cher. Boili désire s’acheter un appareil photographique, un Leica, qui est très bon, mais aussi très très cher. Enfin, je le laisse faire et cette semaine probablement nous irons à Soerabaya pour l’acheter. Il doit aussi avoir son plaisir, et alors la Rötteli aura des photos de sa Ge.
Je me suis fait un dirndl kleidli (robe de style autrichien) qui me  va très bien. C’est une étoffe en coton grès gaie, dont je t’envoie un échantillon dans le paquet qui part ce matin. J’y mets aussi un échantillon de l’étoffe de mes chaises que j’ai fait recouvrir en arrivant ici.
Mon intérieur est de nouveau très joli maintenant que j’ai rangé un peu et fait de l’ordre partout. Vendredi soir nous avons eu la visite du Regent avec la Raden Ajoe et ils n’en pouvaient plus de surprise à la vue de mon intérieur. C’était sincère, je le voyais à l’expression de leurs visages. Pourtant les choses que nous avons sont loin d’être chères, nos meubles sont du bon marché, mais voilà, nous savons  les arranger pour qu’ils présentent bien. Autrement, ce Regent-ci n’est pas mal, il ne parle pas mal le hollandais, et elle aussi. Elle est petite, petite, et a quelque ressemblance avec la Marthy Osterwalder quand elle était jeune, 18 ans environ. Non, vous ne pourriez pas y voir de ressemblance, mais à force de voir ces figures javanaises on apprend à les déchiffrer un peu. Je crois qu’ils nous trouvent assez sympathiques, surtout je crois que j’en impose à elle parce que je viens de la Suisse, le pays des montagnes. Elle a un désir aussi profond de voir l’Europe et la Suisse que nous généralement à 18 ans avons d’un voyage aux tropiques. C’est drôle, les rôles sont justement inversés, mais tu vois, les gens sont partout les mêmes, humains, rien qu’humains. Ils ont été très flattés d’apprendre que je savais un peu de javanais et que je m’intéressais à la langue. Cela leur a fait tant d’impression qu’elle est venue vendredi soir m’offrir de me donner des leçons. Je riais bien en dedans de moi ! Enfin, c’est toujours bon d’avoir des connaissances pareilles, et j’espère bien encore une fois arriver à entrer dans le palais du Sultan avec ses 40 femmes à Solo.
Madame Fraay déménagera probablement au mois d’août. Je la regretterai mais enfin, c’est les Indes. Je profite encore d’apprendre ce que je peux avec elle. Quand ils seront partis, et si nous restons ici au retour des Sayers, nous irons dans leur maison qui est vraiment celle de l’administrateur. Elle est beaucoup plus grande et ce qui m‘attire, elle a un très beau jardin avec beaucoup de belles plantes et de fleurs. Elle a aussi des terrasses depuis chaque chambre et l’on peut se tenir dehors même quand il pleut, et comme j’ai hérité ta manie d’être toujours dehors autant que possible je veux en profiter. Il nous faudra acheter quelques meubles, c’est cela le seul désavantage, mais tant pis, je verrai bien à ne pas trop dépenser.
Il y a environ une semaine, Boili est allé jusqu’à Banjoewangi en tournée et il a rendu visite aux van Tinteren. Alors Wies lui a donné un grand tableau que j’avais toujours admiré chez elle. Devine ce que c’est ? C’est une copie d’une peinture de Heinz Balmer, et cela représente la vue depuis Ligerz (Gléresse, rive nord) sur Täuffelen (vis à vis, rive sud), si je ne me trompe pas. J’aimerais beaucoup que vous puissiez arriver à savoir l’adresse de Heinz Balmer (1903 Nidau-1964 Zofingen, peintre suisse), je voudrais lui écrire pour lui demander. Il était à Bienne autrefois, cela j’en suis sûre. J’en ai un plaisir fou, c’est une belle peinture à l’aquarelle, gaie aux belles couleurs.
Et maintenant, si j’en venais à répondre à ta lettre 207, avec une certaine image que je n’ai même pas bien regardée !!! Alors j’ai eu un plaisir fou, et je la garde sur ma table de toilette, c’est là que je dis bonjour tous les matins à Rötteli et Padre mio. Naturellement cette photo n’est pas parfaite, mais d’autant plus précieuse pour moi qu’elle montre une de tes expressions variées et pas seulement une risette s’adressant spécialement à la Ge aux Indes. J’aime aussi te voir comme tu es vraiment, et pas seulement ta binette de « Mamali-d’une-girlie-aux-Indes » !!! Donc merci de tout mon cœur, et … les autres photos celles avec les risettes je les accepte aussi !!!
Au sujet de Charlot, je ne sais trop que dire et penser. C’est sûr que l’histoire avec ses poumons a été un grand draw-back pour lui, surtout moralement. Mais je crois qu’il vaut mieux ne pas lui en parler. Et maintenant s’il commence à sortir un peu, ma foi, je ne sais pas si vous pouvez empêcher cela, car il n’est plus un blanc bec. Je vais lui écrire de nouveau, mais sois tranquille, sans faire aucune allusion à ce que toi tu m’écris. D’un autre côté, Charlot a aussi été handicapé d’être toujours à la maison à être votre fils au lieu d’être quelque part pour quelques temps, « juste a man », and nothing else. Il n’a encore pas eu l’occasion de se créer une position dans une société tout à fait inconnue. Naturellement c’est son état de santé qui l’en empêche et il ne faut pas l’oublier, il n’a donc pas pu apprendre à jouer des coudes comme Loulou, et s’il le fera prochainement il ne faut pas vous attendre à ce qu’il réussisse du premier coup. Enfin, je ne peux pas trop dire à ce sujet, car c’est difficile de juger à une pareille distance de temps . En tout cas, svpl, n’agissez pas sur lui, et surtout que Padre sache se retenir de lancer ses fameux fions et d’avoir ses crises d’impatience bien connues : « nom de nom, voilà que tu as déjà 26 ans et tu n’as encore rien foutu !!! » Je connais seulement trop bien comment Papa est, et le mal intérieur qu’il peut faire avec ses paroles quand il s’y met. Même si Charlot a des crises de paresse, laisse-le, cela passera, mais tu n’as aucune idée quelle influence son état de santé peut avoir. Charlot finira bien par tomber sur ses pieds tôt ou tard, mas ne veuille pas vivre pour lui, laissez-le vivre sa vie. S’il ne s’y prend pas bien, il en subira les conséquences tôt ou tard, mais ce n’est pas à vous d’essayer de lui éviter ces conséquences. C’est là le défaut des meilleurs parents, ils veulent toujours éviter à leurs enfants d’être atteints par la vie. C’est faux. Une fois que vous avez appris à voler aux pigeons, laissez les se débrouiller tout seuls. Vous nous avez donné une bonne éducation à tous les trois, de plus vous nous avez donné l’intelligence et une bonne dose de savoir faire ce qui est déjà beaucoup. Une fois arrivé là, ne vous occupez plus d’eux. Parlez seulement s’ils vous demandent conseil, mais ne tâchez pas de les faire adopter vos vues, et les projets que vous avez à cœur. Encore une fois, sachez vous rappeler que chacun de nous a sa vie bien distincte. Laissez vos poissons exactement boire l’eau dans laquelle la vie les pousse, n’y ajoutez ni sucre, ni vinaigre, ni sel. Là comme ailleurs ayez confiance en Dieu, c’est tout ce que je puis dire. J’écris cela plutôt pour Padre que pour toi, car il en a besoin.
Ne t’en fais pas pour la Mies (Engelhart). Surtout tu n’as pas besoin de lui écrire. J’ai rencontré tante Engel l’autre soir. Ils ont été à Bandoeng pendant un mois et maintenant la Mies est en place, auprès de deux enfants, quelque part derrière la lune. A mon avis, elle aura vite fait de retourner à la maison, ce tonneau. J’ai dit à tante Engel que tu n’étais pas bien de nouveau, donc ne pense plus ni à Mies, ni aux Engelhart. Tout va bien de ce côté-là, Madame la Marquise !
Je vois que les chnätschete (papottes) ne te manquent pas, Qu’est-ce que tu dirais, si je te faisais cadeau d’une petite chaise portative en aluminium que tu puisses pendre à ton bras quand tu vas en ville ? Heureusement que les beaux jours reviennent, car tes deux chiens ont dû avoir le cul gelé bien des fois cet hiver, pauvres bêtes !
Mes félicitations à Loulou pour la mesure de sa Brotloube. Je vais mesurer la mienne tantôt.
Pour en venir à ce téléphone depuis la Suisse, je vais m’informer ici. Je ne pourrais pas aller à Batavia, car cela me reviendrait plus cher que si moi je te téléphonais trois minutes depuis ici. Rien que le voyage Kediri-Batavia retour revient à Fl. 40.- ce qui est à peu près Frs. 100.- et j’aurais encore les frais d’hôtel, vu que je n’ai plus de connaissances chez lesquelles je pourrais loger à Batavia. Et c’est 6 heures de chemin de fer rien que pour aller et 6 heures retour ! Il va sans dire que j’aurais un grand plaisir, mais je t’assure c’est quelque chose qui énerve terriblement, aussi bien toi que moi, et c’est si court qu’avant que l’on ait bien réalisé la chose, c’est déjà passé. J’en ai fait l’expérience avec ce téléphone au mariage d’Eddy. Quand on s’aime il faut au moins pouvoir se téléphoner pendant 6 minutes, sans quoi cela ne vaut rien.
Est-ce que tu as reçu maintenant les choses en argent pour la Banely et madame Huber ?
J’ai reçu une longue lettre de la Giggerly. Il faudra aussi que je lui envoie quelque chose, je pense.
Cette semaine Je vais accompagner Boili à Soerabaya probablement, et nous y resterons une nuit afin que je puisse faire des commissions. J’y ai retrouvé mon bon coiffeur de Batavia, il a maintenant ouvert un salon à Soerabaya, alors quand j’y suis allée, il m’a tout de suite reconnue, pourtant il y avait plus de deux ans qu’il ne m’avait vue. C’est un peu une amitié comme avec Marcel dans le temps. 
Je dois aussi m’acheter un chapeau. J’ai des peines formidables pour trouver un chapeau qui m’aille bien. En restant deux jours à S. j’aurai le temps de me chercher une bonne modiste, car je ne peux pas acheter mes chapeaux dans des magasins, j’ai l’air trop cheap.
Mon petit costume de sport en lin, me va comme un gant maintenant, j’ai tout  fait décousu la jaquette et je l’ai faite sur ma mesure, elle est High life. C’était très difficile, car j’avais toujours peur de lui enlever le chic, mais heureusement que cela n’a rien gâté. Je suis toujours encore occupée à remettre ma garde robe en bon état, car j’arrivais à bout de tout je n’avais plus une robe à mettre à laquelle il ne manque pas quelque chose Maintenant cela commence à mieux aller.
Tu dois encore me dire le prix du sécateur à poulet, de l’égouttoir, des trois petites chemises que tu m’as envoyées dernièrement.
Et maintenant tu sais, j’arrive au bout, je n’en peux plus, les doigts me font mal à force de taper sur cette machine, et dans une heure la lettre doit être à la poste.
Dis-donc quand tu fais de ces chnätschete en ville j‘espère que tu ne parle pas trop de moi. Tu sais, tout ce que je t’écris, c’est pour toi et pas pour les gens. Sans quoi quand je reviendrai les gens sauront les détails de ma vie ici mieux que moi-même !!!
Quand tu seras à Sutz, tu t’installeras confortablement sur la galerie, et tu écriras à ta Pfuttlet (Nelly), tu raconteras tout ce qui se passe. Le mois prochain, je serai donc aussi à la montagne, à 1000 m et je vais bien en profiter. Je prends ma koki avec afin que j’aie quelqu’un pour me soigner au cas où je tombe malade de nouveau. Oh, c’est que je suis prudente, et avec ma koki, je pourrai faire cuire mon régime, car elle y est habituée maintenant. Et pendant les weekend Boili viendra aussi, je me réjouis.
J’espère que vous aurez tous passé un beau et heureux Mother’s day, tout comme moi avec Boili.
Toujours mes pensées affectueuses à chacun…
Ge…





Kediri


7 mai 1939

1ère partie

A sa maman
C’est aujourd’hui le jour de la Fête des mères, et tu n’auras rien reçu de ta Möntschli. J’y ai pensé trop tard pour t’écrire une lettre qui arrive à temps. Cela m’ennuyait beaucoup, alors Buby voulait t’envoyer un télégramme ce qui m‘a fait bien plaisir mais après avoir réfléchi un peu, je me suis dit que tu pourrais mieux employer l’argent pour autre chose.
Tu as été dans mes pensées toute la journée aujourd’hui. Depuis le moment que je me suis réveillée, j’ai pensé à ma Rötteli et ensuite toute la journée j’ai constamment pensé à toi et à vous tous à la maison. Par un bel hasard ce matin, est venu le chinois, vendeur d’objets d’art, alors Buby est venu me demander son argent de poche, car il voulait acheter quelque chose pour le Mother’s day. Ainsi, nous avons eu du plaisir à choisir quelque chose pour notre Rötteli, et en faisant cela j’ai été heureuse de penser qu’au moins ainsi, je contribuais aussi au Mother’s day.
Nous avons choisi des boutons d’ivoire travaillé que je vais mettre à la poste demain matin, tu les recevras donc vers le milieu de juin. Tu en recevras 4 que tu pourras sûrement employer sur l’une ou l’autre de tes robes noires. Nous en avons acheté 6 pièces, mais j’en garde deux pour les porter moi-même, et si Hedy veut en employer 6 alors tu m’écriras et je te les enverrai. Tu disais toujours que j’étais une sale fille qui volait tout à sa mamms, alors je continue !!! Donc tu le sauras, si tu veux en mettre 6 pièces sur une robe ou quoi que ce soit, tu n’as qu’à me les demander. Moi, je veux les employer ainsi :      (dessin)     pour fermer l‘encolure sur une robe foncée, car ils sont sculptés à la main, et peuvent très bien se porter comme bijoux. Buby a encore acheté un pendentif de jade sculpté aussi très joli, de couleur gris-vert. Je vais chercher un bijoutier chinois pour le faire monter. Dis-moi ce que tu préfères : un pendentif, un clips ou une broche ? C’est environ grand comme cela :    (dessin) C’est donc pas très brillant et tu peux très bien le porter, c’est discret, Rötteli. Moi, j’en ai aussi un que j’avais reçu pour ma fête à Batavia, de Buby, mais la couleur de mon jade est plus prononcée vert clair. Buby m’a aussi acheté une pierre que je vais faire monter en bague. Il aime bien m’acheter des bijoux et moi je les porte avec plaisir, car j’aime me faire belle pour lui.
Donne moi une réponse au sujet de ce grand tapis de table en fil écru, dont je t’ai parlé dans ma dernière lettre.
Tu me demandes des nouvelles de Mily, je t’en ai données dans ma dernière lettre. Est-ce que tu aurais du plaisir que la Mily vienne vous rendre visite ? Mais tu sais, les nouvelles qu’elle pourra vous donner ne seront pas très fraîches puisqu’elle ne vient pas me dire adieu et qu’il y aura plusieurs mois que je ne l’ai plus vue. Et je te préviens, elle est bête, c’est tout à fait une höhere Tochter (fille de bonne famille) aux idées étroites et malgré ses 2 ans ici aux Indes, elle n’a pas appris beaucoup. Je crois même que si elle est divorcée, ce n’est pas uniquement de la faute à son mari. Maintenant elle est devenue tellement hystérique, c’est fou, elle fume toute la journée et quand un Hosebei (un homme) la regarde seulement deux secondes, elle croit que c’est arrivé. Enfin je t’ai prévenue, et si tu tiens quand même à la voir, je lui écrirai qu’elle vienne te voir.
Tu me demandes aussi des nouvelles de John et Jans (voir who is who). Eh bien, John est entré à l’armée, il est ingénieur d’auto et officier des autos. Il a une très, très bonne place, intéressante et bien payée, il a Fl. 550.- par mois, et il doit souvent voyager. Sa mère est morte et lui a laissé environ Fl. 100'000.- avec une belle maison etc. C’est donc un homme riche. Sa mère possédait trois autos, et maintenant il en a encore acheté 3 autres. Il possède donc 6 autos. Quand nous étions à Soerabaya, Boili et moi, nous l’avons rencontré un matin, car il était dans le même hôtel que nous. Boili devait partir en tournée, et moi je prenais le train pour rentrer à Kediri le même soir. Alors John m’a invitée pour le lunch, mais lui devait repartir pour Bandoeng à 13.40 heures. A midi et demie, encore pas de John, je me disais déjà qu’il avait oublié, mais le voilà qui s’amène. Alors nous avons vite été manger dans un restaurant chinois où il m’a fait goûter à des mets inconnus, car ce patapouf, connaît tout et parle toutes les langues. Moi je devais partir à 4 heures et lui à 13.40, dans la même direction, alors il a demandé pourquoi je ne voyageais pas avec lui ? Moi je croyais que son train n’avait pas de correspondance à Kediri, alors il a téléphoné à la gare pour s’informer ; cela c’est tout à fait John ! Il aurait pu regarder dans un horaire, mais non, courir au téléphone cela allait plus vite ! Enfin, la fin de l’histoire, c’est que je suis partie avec lui. Ayant fini de dîner, il nous restait plus que 10 min pour prendre le train, et moi je devais encore aller à l’hôtel prendre mes valises et emballer ! Alors il a commandé une auto militaire pour venir nous chercher, car ces autos-là passent partout plus vite, elles ont la priorité. Tu aurais dû voir cela, il est venu m’aider à ficher mes choses dans la valise, naturellement nous avons oublié la moitié, et son ordonnance m’a encore couru après avec une robe sous le bras !!! que j’avais oubliée dans l’armoire. Enfin c’était une sau-hetze (une course, stress), c’était fou, quoi, comme tout ce qu’on entreprend avec John. Une fois dans le train nous avons bien ri et je me sentais plutôt une sau meitli (sale gamine) que madame Woldringh !!! Avec Jans, cela va comme ceci cela. Boili l’a rencontrée dernièrement à Solo pendant une de ses tournées. Il paraît que John continue à faire terriblement la vie, et que s’il n’arrête pas bientôt, il sera de nouveau sans le sou. Quant à elle, Boili a trouvé qu’elle était mieux habillée. Je ne pense pas qu’ils vont divorcer. John la considère un peu comme sa femme en titre qui tient sa maison et qu’il peut présenter quand il a des gens comme il faut en visite, mais à part cela il en a d’autres de tous les côtés et de toutes les couleurs. Tu comprends, nous nous tenons un peu sur la réserve. Je suis très contente que cela leur aille bien, j’espère qu’ils profitent de leur argent, et si Jans n’est pas bête, elle saura en mettre de côté pour elle, car elle reçoit de l’argent pour payer les factures mais pour le reste ils ne sont plus notre genre. Ils viendront une fois nous voir ici, cela nous fera plaisir, mais je ne tiens pas à aller en visite chez eux à Bandoeng.
Tu m’as donc fait envoyer un égouttoir, merci d’avance, je serai très contente de l’avoir, car je n’ai pas encore été à Soerabaya pour voir s’il y en avait des modernes. Mais, tu me diras ce qu’il coûte et les frais de port que vous avez dû payer, car je tiens absolument à les rembourser. Sans cela je j’ose plus rien  vous demander ce qui serait embêtant. Tu m’écriras donc le prix et tout ce que vous avez payé.
Voyons, comment as-tu pu te fatiguer comme cela et te rendre malade ainsi ! Cela m’a fait beaucoup de peine de lire cela et je suis un peu fâchée aussi. Est-ce que ce Herzbad St Moritz que le docteur te conseille, c’est St Moritz des Grisons ? Je ne sais pas bien ce que je dois te conseiller, d’y aller ou pas. Je sais bien, Nauheim ne t’a pas fait de bien, ou du moins pas tenu ce que tu en attendais, et si tu vas à une place pareille de nouveau, tu seras la même dumms Rötteli, tu t’en feras à cause des sous et cela gâtera tout, naturellement. Si tu réussis à te tenir tranquille au Chalet, je crois que cela pourrait te faire tout autant de bien, mais il ne faudrait pas que tu aies des visites.
Est-ce que le docteur t’a au moins prévenue de ne plus boire l’eau du Chalet, de la source ? Cette eau est trop calcaire pour toi, tout ce calcaire se dépose dans tes artères et cela t’augmente la pression du sang (d’où tient-elle cela ?!!!)  Stpl, fais donc attention, soigne-toi. Vois-tu, ce n’est donc pas si terrible de se soigner et de faire attention, moi qui suis tellement plus jeune, je le fais aussi. Apprends donc une fois à penser à toi, toi d’abord, toi ensuite et puis plus rien, et encore toi. Je vais encore écrire au Padre qu’il soit une fois raisonnable et qu’il ne te fasse pas toujours avoir des visites, des gens comme les Racine qui t’énervent et qui demandent trop de tes forces. Enfin, j’espère que cela aura de nouveau été une leçon pour toi et que maintenant tu sauras faire bien attention !
Tu as eu raison de ne pas accepter l’invitation de Ebe (Ebetina Sossich, Rome), car tu aurais absolument dû l’avoir en visite chez toi de nouveau pour tenir revanche, et puis, tu as été à Rome, tu connais un peu et tu en as joui. Y retourner maintenant ne serait plus la même chose et dans les conditions actuelles, je ne sais pas si ce serait une bonne idée d’aller en visite là-bas.
Mais n’est-ce pas, tu ne crois quand même pas que nous viendrons cet été ? Vois-tu je n’aimerais pas te faire de peine, mais il n’y a rien de fait pour cet été, car comme je l’ai déjà écrit nous devons rester ici jusqu’au retour des Sayers, ils le placeront ailleurs, ce que je lui accorderais de bon cœur. Car avant de partir il nous a encore dit : naturellement je reviens ici, aucune autre fabrique entre en ligne de compte pour moi que la meilleure ! C’est sûr, quand on a eu l’habitude d’avoir Fl. 200.- de plus par mois que les administrateurs des autres fabriques, on ne tient pas à retourner à ces autres fabriques ! Mais Oscar ne travaille pas pour rien comme un forcené !!! Tout de même nous ne savons encore rien de ce qui sera décidé à notre égard. En attendant je profite de la bonne paye que nous avons ici, environ Fl. 150.-  par mois de plus qu’à Tjilatjap, car ici on fait beaucoup plus d’huile. Naturellement que j’ai mis de côté aussi, car il nous faudra des sous pour aller en Europe. Il faudra bien que j’apporte un cadeau à la Rötteli, sans quoi elle ne nous acceptera pas en visite !!! Elle n’aime pas les visites, la Röteli, alors je ne sais pas bien si une fois j’oserai venir la voir !!!
J’ai encore une nouvelle pas trop bonne à t’annoncer. Elle est bonne pour nous mais pas trop pour toi, car je prévois que cela retardera encore notre visite. Mr. Dunlop, le directeur de la Banque (à Amsterdam) et Mr. Vermey, l’homme principal de la Mexolie en Hollande, le chef de Bigot, vont venir aux Indes à la fin de l’année, pour une tournée d’inspection. Si on nous laisse ici à Kediri, cela donnera beaucoup à faire, à les recevoir etc. J’aimerais beaucoup que nous puissions les recevoir ici à Kediri, où la fabrique marche bien et où Oscar se sera donné tant de peine pour maintenir les affaires avantageuses. Naturellement que cela lui donnerait un bon point qui ne serait pas à dédaigner. Vois-tu, Mamms et mon Padreli, je regrette beaucoup de toujours devoir vous causer des déceptions nouvelles, mais pensez que nous devons tâcher de faire notre chemin ici. Sachez avoir patience et le temps viendra bien que nous nous retrouverons tous au cher Chalet, seulement je ne peux encore rien dire quand cela sera.
Mamali, ne te laisse pas ficher les bleus par les gens qui s’étonnent que je ne revienne pas encore. Vois-tu, laisse les penser ce qu’ils veulent, surtout des gens comme les Rackers, car ils ne savent rien de la vie en dehors de leur village, ils n’ont aucune idée des conditions et de leurs rapports entre elles, à l’étranger, dans le vaste monde. Une fois que tu auras été ici, tu comprendras bien des choses beaucoup mieux. Surtout ne va pas d’imaginer que c’est mauvais signe qu’on ne revient pas, ou quoi que ce soit de ce genre, même si les gens à Bienne pouvaient se faire des idées pareilles, laisse-les faire et penser sans te faire du souci. Aie confiance en moi. Je t’ai promis de toujours tout te dire et jusqu’ici j’ai consciencieusement tenu parole et je continuerai. Je ne t’écris rien, absolument rien que la vérité, et tu vois toi-même que je ne te cache pas non plus les choses moins agréables. Au contraire si tu pouvais venir voir, tu serais surprise bien des fois de voir que ma vie ici dépasse encore ton attente. Tu n’as vraiment pas besoin de blaguer comme dans le temps les grands-parents au sujet de la tante Nelly (Bulgarie). Les choses sont encore mieux que vous ne puissiez les imaginer.
Il y a seulement une chose que je regrette, c’est que vous ne puissiez pas mieux partager avec moi mon bonheur, que vous ne puissiez pas mieux jouir de l’harmonie de mon mariage. Je ne peux pas assez le dire de te sentir heureuse en pensant à moi et à Buby. Sois contente, contente, Mamali, et naturellement mon vieux Macaroni aussi, soyez contents tout plein, et que cela vous aide  avoir confiance et patience.
Je me suis aussi remise de mes intestins. Je bois fidèlement mon huile d’olive tous les soirs, je tiens mon régime et voilà 3 semaines que je n’ai plus pris quoi que ce soit de remèdes pour aider le foie, et je ne m’en sens pas plus mal. Mon poids reste toujours à peu près le même, mais je n‘ai pas mauvaise mine, surtout mon teint est bon. C’est toujours là que je m’aperçois en premier quand quelque chose ne marche pas. Si seulement dans le temps on avait cherché un peu plus sérieusement la cause de ma mauvaise mine. Tu te rappelles comme j’étais pâle des fois et que j’avais comme cela les traits tirés, fatigués ? A mon avis, c’était déjà le foie qui commençait à se déranger. Enfin, n’en parlons plus, tant que je vais mieux tout va bien.
Boili est reparti en tournée ce matin pour deux jours. J’en profite pour faire nettoyer la chambre où les Sayers ont rangé tous leurs meubles. Non, tu devrais voir cela, comment est-ce qu’elle a osé laisser les choses ainsi, elle avait pourtant le temps d’emballer car elle savait longtemps à l’avance quand elle partirait et elle a laissé à son mari le soin de ranger. Tu devrais voir ces buffets, ils sont pleins de fourbis, mais ce n’est pas moi qui vais faire de l’ordre, oh non, je les laisse comme ils sont.
Le mois passé Boili a roulé 6550 km, même à Batavia ils ont été étonnés de ce record. Mais il ne faut pas demander s’il est fatigué !!! C’est fou, aussi je le soigne bien, mon Boili. Samedi soir il y avait un grand bal du Rotary ici, j’aurais bien voulu y aller, et si j’avais un peu forcé il y serait venu, mais je n’en ai pas eu le cœur, ainsi nous sommes allés au ciné et à 10 heures nous étions au lit.


mardi 21 mars 2017





Kediri

21 avril 1939

A sa maman
Il y a combien d’années ce mois-ci que tu t’es fait couper les cheveux? Et que j’ai pleuré de chagrin jusqu’à ce que ton Bubykopf (coupe au carré) redevienne joli après le second lavage. Est-ce que tu y penses encore, non pas en ce moment, car les temps sont trop sérieux. J’ai tellement peur pour vous, je ne peux pas souffrir l’idée que vous puisiez avoir à souffrir de la guerre, c’est tellement horrible. Oh mynes Mamms…
Cette lettre doit bientôt partir, je n’ai donc pas beaucoup de temps pour encore un peu causer avec toi.
Cette soie de Banely est très joie mais déjà usée, elle se déchire vite, toutefois envoie-là moi tout de même. Sais-tu ce que j’en ferai ? Un très joli déshabillé pour mettre le soir à la maison avec Boili. Il aime bien me voir jolie, et surtout maintenant que j’ai monté mes cheveux. Tu sais, tu trouvais toujours dans le temps que j’avais une jolie nuque, eh bien, Boili s’en est aussi aperçu je crois, car il me regarde tellement amoureusement ! D’ailleurs je ne sais pas ce qu’il a, mais il a tellement changé ces derniers temps, il est comme un fiancé. Naturellement je ne demande pas ce qui le rend ainsi, mais je crois bien que c’est cette coiffure, car madame Fraay ici me dit aussi toujours comme cela me va bien, que je suis à croquer !
Naturellement ce sont des choses que je puis dire seulement à toi, tu me comprends et tu ne vas pas croire que ta girly se croit un peu trop. Je me suis aussi fait quelques jolies robes toutes simples mais elles me vont bien parce qu’elles sont bien coupées et élégantes. Alors avec cette soie de Banely, je veux aussi me faire un froufrou, tu sais une jupe qui dépasse une robe large en taffetas noire. Je t’enverrai l’image quand je l’aurai faite.
J’ai eu un grand plaisir cette semaine en apprenant que la mère à Ryk ten Cate, l’amie de Kitty, allait venir aux Indes. Elle arrive dans une semaine déjà à Batavia. C’est une vieille dame qui a beaucoup été malade ces dernières années, et pourtant elle est venue toute seule pour rendre visite à ses enfants. C’est chez elle que j’ai rencontré Boili qui y venait le soir après m’avoir rencontrée en auto avec Kitty l’après-midi !!! Cela me fait bien plaisir de la savoir ici, car elle est déjà âgée, beaucoup plus que toi, et sa santé n’est pas très bonne. Elle a une fille mariée à Sumatra, et son fils à Bandoeng. Gare, quand ma Rötteli s’embarquera avec moi pour passer quelques mois ici ! J’ai déjà fait un tas de projets, Boili rigole toujours quand je les lui raconte. Gare, c’est alors que la Rackere pourra bisquer , et tu sais, tu n‘auras pas besoin d’avoir honte de moi, je serai plus vieille, c’est vrai, avec des cheveux gris et des rides, mais sans cela je ne suis pas mal et je serai mille fois plus élégante que la Hanny. Nom d’un chien !
A propos, la Mily (ex épouse du consul suisse) va revenir en Suisse. Je l’ai invitée pour venir chez moi avant de partir, mais elle m’écrit qu’elle n’a pas d’argent pour jusqu’ici à Kediri, car le voyage est assez cher. Eh bien, qu’elle reste où elle est. Je devine très bien ce qu’elle insinue. C’est qu’elle ne veut pas venir à cause de Boili. Quand elle était à Tjilatjap, il partait à chaque possibilité et il évitait toutes les occasions de lui parler, car il ne peut pas la sentir. Elle est hystérique au plus haut point, et des fois elle se mettait à pleurer à table et il n’osait jamais m’embrasser car alors elle nous regardait comme une chèvre idiote. Quand nous allions à Bandoeng il n’a aussi jamais voulu la rencontrer, alors cela l’a blessée, c’est pourquoi elle ne veut pas venir, car elle sent bien qu’il ne l’aime pas. Moi je m’en fous, je n’insiste pas. J’aurais aimé qu’elle vienne vous apporter de nos nouvelles, mais d’un autre côté elle est tellement bête, (tu n’as aucune idée comme elle peut parler bêtement !) que tu n’aurais pas trop de plaisir à sa visite.  J’ai beaucoup fait pour elle, beaucoup, beaucoup, et malgré cela elle ne s’est pas gênée de me faire la tête à ma dernière visite à Bandoeng, parce que j’ai d’abord été voir les Boese au lieu d’elle. Elle voulait toujours être la première. Elle est divorcée maintenant.
Est-ce que les garçons ont reçu les livres anglais pour leur fête ? Je te demande cela seulement pour l’ordre, sans quoi je vais réclamer au magasin ici.
Krupuk
Donc si tu m’envoies cette soie de Banely, fais la bien emballer dans du cellophane, puis dans une boîte en fer blanc, que tu fermeras avec du leukoplast pour que l’air ne puisse pas trop y rentrer. Je vous ai déjà quelques fois envoyé des choses ainsi et sous peu tu recevras de nouveau du croepoek (krupuk, chips faits de crevettes). 

Ce serait absolument dommage de donner cette soie à Hedy pour en faire quelque chose. Je sais bien qu’elle est très jolie, mais elle n’est plus trop solide. Tu me demandes ce que j’ai fait avec la robe en tulle jaune-orange ? Et bien elle est encore toujours dans ma malle, et je la traîne d’un endroit à l’autre, jusqu’à ce qu’une fois j’en fasse quelque chose. Le tulle est encore assez bon.
Je vais t’envoyer quelques petits napperons pour tes tables de jardin à Sutz. Dis-moi si tu aurais du plaisir à une grande nappe en fil, alors je te l’enverrai.
Je jouis encore toujours du fait que je suis seule dans ma maison maintenant, d’être mon maître tout à fait. Je vais souvent chez madame Fraay, alors l’autre, quand elle le sait, est terriblement jalouse. Il ne me faudrait plus que cela, ne pas pouvoir aller avec qui je veux. Oh, je te dis,

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Un bon muntschi et toutes mes pensées affectueuses, God bless you, mys Motherlie, et te protège et te donne la bonne santé et te rende heureuse. Moi aussi je te serre dans mes ras, en attendant de le faire véritablement, j’y serre Boili en pensant à toi !





vendredi 17 mars 2017




Kediri

21 avril 1939

Mes bien chers,
Voilà 3 jours que je veux vous écrire sans y arriver. Maintenant il est 6 heures, je sors de mon lit et je profite de la Morgenstund hat Gold im Mund…. und Blei im Füddle, comme disait Banely dans le temps. J’ai une dizaine de très grands arbres dans le jardin, ils sont pleins d’oiseaux qui y font leurs nids, et le matin à 5 heures je suis souvent réveillée par un concert plus que fortissimo !
J’ai reçu ta 206 hier Mamms, et la lettre du Padre qui a été la bienvenue. Oui, mes chers, moi aussi je suis sur des charbons en pensant à vous avec tous ces évènements qui se suivent avec la rapidité de l’éclair. Il ne me reste qu’à prier pour vous et ma Suisse. Nous avons le journal 2 fois par jour maintenant, de sorte que nous sommes toujours au courant des dernières dépêches. Je ne veux pas en parler, mais seulement espérer, espérer pour vous tous, mes chers, et avoir confiance en Dieu, car on ne peut plus l’avoir en les hommes.

Fatherli, mon cher, cher vieux Macaroni, alors tu as encore été t’annoncer pour le service civil ? Bon cher Macaroni, va, mais tu as raison, il faut que chacun s’y mette, pourtant je pense quelque fois à quoi bon ? C’est une résistance presque inutile en vue de la grande majorité. Ici on craint fortement un envahissement japonais cela fourmille d’espions. Lundi de Pâques nous avons été au bord de la mer, à un des seuls endroits où un bateau puisse aborder sur la côte sud de l’île. Eh bien, qui est-ce qui est établi là comme pêcheur, dans une pauvre, pauvre baraque qui ne paie pas de mine ? Un japonais, avec une belle auto derrière sa baraque ! Il y a aussi toujours des incidents avec des bateaux de pêche japonais qui rôdent soi disant sans le savoir dans les eaux hollandaises. En tous cas si jamais Buby devait mobiliser, j’enrôlerais aussi immédiatement. J’avais pris ce cours de la Croix Rouge à Tjilatjap, mais je ne peux pas me faire garde-malade, car je deviens mal quand je vois toutes ces vilaines plaies, je saurai me rendre utile dans l’un ou l’autre bureau ou la gérance d’un hôpital ou quoi que ce soit. Mais j’espère de tout cœur que ce ne sera pas nécessaire.

Mamali, j’ai bien reçu le tapis de Tatali et j’en ai un plaisir immense. Je ne me rappelais plus bien comme il était, mais maintenant je sais très bien encore quand grand’mamali le brodait pour Tata. Merci mille fois de me l’avoir envoyé. Merci aussi du sécateur à poulet. Nous l’avons inauguré le jour même avec un caneton délicieux et chacun voulait le découper. Cela a été fait selon les règles et nous en avons fait un vrai gueuleton, Oscar et moi, à manger avec nos doigts ! Nous sommes si contents d’être seuls les deux de nouveau. Merci beaucoup pour ce sécateur, mais tu ne me dis pas ce qu’il coûte ? Stpl dans ta prochaine lettre, car je veux te le payer.
J’ai acheté pour toi, Mamms, une belle nappe en fil, qui est aussi grande que la table de la chambre à manger, mais maintenant avec les évènements, je ne sais pas si je vais te l’envoyer ou la rendre. Car je peux la rendre à la fin du mois, au chinois chez qui je l’ai achetée. Si tout va bien, je la garde, si non, j’aime mieux te faire cadeau de l’argent, cela te sera plus utile pour acheter l’une ou l’autre chose dont tu as vraiment besoin.
J’ai reçu une longue lettre de la Giggerli (3ème sœur de Rose, habite Zurich) qui m’a fait bien plaisir. Il y a au moins deux ans que je ne lui ai plus écrit, mais j’espère bien que vous lui donnez de temps en temps de mes nouvelles. Toutefois je vais lui écrire sous peu, du moins j’en ai la bonne résolution.
En même temps que ta lettre, Mamms, nous en avons reçu une de papa Woldringh qui nous fait des remontrances sérieuses parce que nous n’écrivons pas beaucoup. Oscar ne lui a plus écrit de lettre depuis plus de 2 ½ ans, sauf à sa fête, il écrit quelques mots au bas de ma lettre, mais c’est tout, et je trouve vraiment honteux, aussi papa W. n’a pas tort.  C’est moi qui écrit toujours de temps en temps mais je comprends qu’il voudrait aussi avoir des nouvelles d’Oscar directement.
Cette semaine j’ai écrit une lettre à madame Bigot  qui m’a pris deux semaines de réflexions !!! Mais je tenais à lui dire quelques petites choses sur le compte des Sayers, seulement il fallait être très diplomatique et ne pas faire de gaffes. Ha oui, ces Sayers ne l’ont pas volé, et moi je ne me tais plus et j’avale tout, oh non, ce temps est passé, et je n’ai aucun remord si les Sayers reçoivent une réprimande, car de son côté il profitera assez de son séjour à Amsterdam pour se vanter et crier sur les autres. A moi on ne me la fait plus.
Alors le Chalet est joli de nouveau ? Je n’ai aucune peine à le croire, et je me le représente souvent dans toute sa splendeur printanière.  Est-ce que je t’ai une fois remerciée pour les perce-neige, Mamms, et Padre ? Ah, ce qu’il a dû être bon ce gâteau aux pignons, le lundi de Pâques ! Rien que pour cela je veux tâcher de guérir, pour pouvoir goûter à ces bonnes choses une fois de nouveau en Suisse. Pour le moment les oignons me sont tout à fait défendus.
Je regrette que ces chapeaux (de coolie) ne soient d’aucun usage, je pensais qu’ils seraient bons pour mettre sur le lac quand tu vas pêcher, Padre, enfin, je n’en enverrai plus. Quant aux autres, aux démontables, je demande chaque fois que je suis à Soerabaya, mais ils ne les ont plus jamais reçus. J’ai déjà été dans tous les magasins possibles et impossibles pour en chercher, mais pas moyen. T’en fais pas, si jamais j’en trouve, j’en achèterai immédiatement une dizaine, pour te contenter.
Dans ma dernière lettre je vous avais demandé en hâte un égouttoir. Je ne sais pas si vous avez compris ce que j’entendais. C’est comme un panier rectangulaire qu’on peut poser sur une table ou un lavoir, et on met les assiettes verticalement entre les interstices des fils de fer, elles restent plantées ainsi pour sécher, ce qui est très pratique. J’en voudrais un modèle pour le faire voir ici, et le faire copier, car quand je l’explique au coolie, il ne comprend pas très bien. J’en ai vu l’illustration dans le Journal du Jura, à une liquidation de Bouldoires, mais je ne retrouve plus le journal. C’est donc un (ou une) égouttoir en fil de fer nickelé ou autre, galvanisé plutôt, c’est pas grand et je crois que vous pourrez facilement l’envoyer par la poste. Cela ne doit pas revenir à plus de Frs. 3.90 je crois, si je me souviens bien du prix. En tous cas, il ne faut pas que cela vous cause des difficultés, sans quoi ne vous en occupez pas, je peux m’en passer aussi. Zut, je viens d’entendre qu’il y en a aussi dans un magasin de Soerabaya, un magasin européen où je n’ai pas encore été voir. Donc attendez encore un moment, avant de vous en occuper et je vous écrirai encore là-dessus.
J’ai été dérangée toute la matinée et maintenant il est midi, et ma lettre n’est pas très longue. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, une autre fois ce sera mieux.
Buby est de nouveau en tournée, nous aurons des visites pour le weekend, un type qu’il a invité, et moi je commence à mieux aller aussi. Je n’ai pas de nouvelles bien intéressantes à vous donner car nous ne sortons pas, nous allons nous coucher tôt tous les soirs.
Je coiffe mes cheveux sur le haut de la tête maintenant et cela me va très très bien, dommage que la mode en est déjà presque passée. Je tacherai de vous envoyer une photo, une fois, mais Buby trouve aussi que cela me va très bien. Je suis très occupée avec ma maison et la couture, toujours à faire des patrons et de nouvelles robes pour plaire à Buby !!!
….pour cette fois-ci, un bon muntschi à chacun de vous, and all, all the best sous tous les rapports.



jeudi 16 mars 2017




Kediri

5 avril 1939

A sa maman
Merci de toutes tes bonnes lettres auxquelles je veux vite encore répondre. J’ai pensé à toi au mois de mars et à votre départ pour l’Amérique, j’y pense toutes les années, et à beaucoup d’autres choses aussi. J’ai aussi pensé à Tatali le jour de sa fête, je ne l’ai pas oubliée. Je n’ai pas écrit à Max pour sa fête, mais je vais le faire une fois ou l’autre.
Buby trouve que tu te portes beaucoup mieux maintenant, il prétend qu’il le voit à ton écriture !
Je suis si terriblement contente que Charlot aille mieux, mais il faut au moins toujours qu’il se surveille et qu’il fasse régulièrement faire des photos (radio des poumons).
Merci de toutes les nouvelles de la Juliana (Princesse de Hollande), naturellement les journaux ici en ont aussi été tout pleins, et chacun louait la gentillesse de l’hôtelier qui avait mis à la disposition de la petite princesse ce grand St Bernard.
Oui, cet accident au Wildhorn était épouvantable, nous l’avons lu ici. Il y a aussi beaucoup d’accidents d’aviation ici. Je suis contente que Buby ne vole pas. Non, je confonds, l’accident dont je parle a eu lieu avant, c’était deux avions qui devaient traverser les Alpes.
Si ce Schnetz doit aller en Chine et qu’il reçoive Frs 3000 d’avance il te faut penser que ce n’est pas pour rien, car les risques qu’il va courir seront immenses. Enfin, tout de même il a raison, il verra du pays. Est-ce que Hedy (la couturière) l’accompagnera ?
 (Zut, voilà mon papier qui s’est de nouveau déchiré, c’est que j’écris sur les genoux et des fois je tiens la machine de biais.) Je n’ai plus vu ni entendu quoi que ce soit de tante Engel depuis plus d’un mois. Je pense qu’ils sont en train de déménager et je pense qu’elle n’a pas la vie trop rose avec son pflotschi-mocke de fille. Comme j’ai été malade moi-même, je n’ai naturellement pas donné de mes nouvelles non plus, mais je vais lui écrire. Il se peut aussi qu’elle ne soit plus venue ici à cause des Mogendorff. Je n’ai pas encore parlé français avec la Mies, j’ai peur de le faire, puisque cela vous a écorché les oreilles, et je n‘ai aucune envie de lui donner des leçons.
La Pflunze Mogendorff aura son enfant au mois de septembre. Elle se porte bien, maintenant, tu devrais voir comme elle a bonne mine, et pourtant elle cherche toujours à se dorloter comme une grand’mère. Madame Fraay se fâche toujours à cause d’elle. Ces deux femmes ne peuvent pas se voir, elles sont jalouses, plutôt, la Pflunze est jalouse de mon amitié pour madame Fraay, et quand madame Fraay vient chez moi, la Pflunze se mue en gazelle pour accourir pour au moins ne rien perdre de notre conversation. C’est tordant, oh, elle nous guette et elle n’est pas du tout gentille avec madame Fraay. Une vraie garde malade, quoi. Madame Fraay les connaît aussi, car elle a fait des expériences comme nous avec la Rossel dans le temps. Moi j’ai aussi discrètement enfermé toutes mes lettres et ma correspondance privée, car on ne sait jamais. Enfin, je t’ai déjà tout écrit dans ma lettre précédente. Mais n’aye pas peur, on s’entend bien ensemble, je suis assez diplomatique pour ne rien laisser paraître.
Merci de toutes tes informations concernant la mode de cet été. Le Hüteli (petit chapeau) de la Descoeudre, je le porte aussi maintenant, car on commence à les voir ici, et mes cheveux sont assez longs pour bien aller avec. 
Merci aussi pour les souliers que j’ai donc bien reçus. Je trouve les blancs merveilleux, ils chaussent comme un gant, mais ils me sont 2 cm trop grands, trop long. Cela me fait des pieds énormes, de vrais bateaux, maintenant qu’on n’est plus habitué à les porter ainsi, et vraiment je ne puis pas les porter pour joli. Les noirs non plus, est-ce que toi tu ne pouvais pas les mettre ? Ce sont absolument des souliers pour dame d’un certain âge, et je vais essayer de les vendre. Est-ce que Banely non plus ne pouvait pas les mettre ?
Pour le moment madame Fraay est en vacances, mais elle m’a justement écrit que quand elle reviendrait, elle m’aiderait à coudre pour que je ne me fatigue pas maintenant. Elle est gentille, et nous allons faire de jolies petites toilettes. Si Fanny te donne cette soie dont tu me parles, tu m’en enverras un petit échantillon stpl, mais pas trop petit tout de même afin que je puisse me rendre compte.
Hier je t’ai envoyé par bateau, donc tu recevras le paquet à la fin du mois d’avril, un petit peigne en écaille et argent que tu donneras à Fanny. C’est le cadeau de fête que je lui ai promis. En outre il y a un petit plat en argent avec ma carte de visite pour madame Dr. Huber. Tu iras le lui porter, et tu lui diras que je l’ai adressé à toi, à cause des formalités de douane. Dans le paquet il y a encore une paire de boucles d’oreilles, que tu pourras donner à Hedy, pour la remercier de son petit bouquet avec le costume sport. Stpl Mamms, tu feras exactement ce que je te demande avec ces choses-là, tu n’oublieras pas, Stink Rötteli.
Tu m’écriras si on voit beaucoup de ces bijoux comme ces boucles d’oreilles en Suisse. Si non, alors je t’en enverrai d’autres come petits cadeaux. C’est de la laque chinoise gravée.


Et maintenant j’ai encore un désir. J’aimerais que tu achètes chez Bouldoires ou chez Tschäppät une Tellerchrätze (égouttoir à vaisselle) en fil de fer, selon l’illustration incluse, et que vous me l’expédiiez au plus vite. Il me faut une nouvelle Tellerchrätze, et pour moi qui doit déménager si souvent, ces modèles-là me semblent pratiques. Ici j’en ferai faire d’autres pareilles, mais il me faut d’abord avoir un modèle.
Cela me fait plaisir que la Rötteli ait été la plus jolie à la réunion de classe. Heureusement que tu me l’as écrit sans cela je ne l’aurais pas su !!!





mardi 14 mars 2017




Kediri

4 avril 1939

Mes bien chers tous
Alors c’est jour de fête ? (anniversaire de ses frères.) Vous voyez que je suis aussi de la partie, même que je n’ai plus écrit depuis un certain temps. J’espère que les garçons ont reçu ma lettre à temps, elle était bien courte, et je vais me rattraper une fois ou l’autre après les jours de fête.
En attendant merci mille et mille fois pour ta lettre 205 contenant celle de Loulou du 1.2.39. Vous en avez mis du temps à me l’envoyer ! Et si c’est la faute à Câclon (Charlot), comme tu le dis, Mamms, je te conseille vivement de profiter de ce jour-ci, mon vieux, pour prendre la bonne résolution de…. etc, et en même temps bien vouloir te rappeler que les bonnes résolutions sont encore destinées à un autre sort que celui de paver le chemin de…. ! Voilà qu’elle se met à bien te chicaner ta sœur, et encore pendant ce jour de fête, pas gentil tout de même, hein ? Mais sachez, espèces de frangins- CharLou-pins (Charlot – Louis), qu’en ce jour, il y a 26 ans, vous l’avez bien chicanée aussi votre sœur, quand, vers la fin de l’après midi elle a dû courir de droite à gauche avec des petits billets, d’abord pour le Padre, ensuite pour la grandmamali, partout suscitant des  énervements et se sentant de trop, jusqu’à ce que la Fanely en eut pitié et lui donna des bouts de tissus pour qu’elle puisse aller tranquillement s’amuser dans un coin. Le soir quand la Tatali est venue m’annoncer que j’avais deux petits frères, comme cela, tout d’un coup, je ne savais pas si je devais pleurer ou en réjouir ! Est-ce que mes sentiments ont changé depuis ? A vous de le deviner, vieux filous !
Et maintenant venons en aux choses sérieuses. Vous vous rendez compte que je ne suis plus malade. Je l’ai en effet été assez sérieusement. Ayant mangé quelque chose qui ne me convenait pas, j’ai eu une diarrhée énorme, monstre, impossible. Pendant plusieurs jours je passais la plupart de mon temps quelque part. Je n’avais pas de fièvre. A la fin nous avons tout de même fait venir le médecin, et après les recherches nécessaires, il a trouvé que j’avais une sorte de kystes pas celles des Amoeben Dysenteris, mais une autre sorte, pas dangereuse. Tout de même il fallait les chasser de l’intestin, et pour cela il m’a donné des remèdes qui m’ont fait aller encore plus. Cela m’a tenu pendant près de deux semaines, mais maintenant mon intestin est de nouveau propre. Il se peut que j’aie eu ces kystes d’avoir mangé une sorte de yoghurt fait avec du lait pas cuit. Il faut faire tellement attention ici, surtout moi je ne peux pas supporter trop de choses. Naturellement mon foie s’est mis à chanter aussi, mais heureusement le médecin ne veut plus me donner de remèdes, il dit que je dois me guérir de moi-même, maintenant que je n’ai plus de microbes dans les intestins. Maintenant j’en suis de nouveau à mon régime, des petites soupes etc et tous les soirs ma cuillerée d’huile d’olive. Je l’ai dit au docteur et il m’a dit de la prendre, si cela ne me fait pas de bien, au moins cela ne fait pas de tort non plus. Je fais encore toujours de la chaise-longue et je me paye vraiment du bon temps, car cela ne sert à rien de forcer, pourtant je n’ai pas maigri. Voilà, donc vous êtes au courant et il n’y a pas lieu de s’en faire. Au mois de mai, ou juin, j’irai faire un séjour à la montagne. Les van Tinteren vont en congé en Europe, mais les beaux-parents restent ici, vu qu’ils sont juifs allemands. Van Tinteren  a hérité de son père il y a une année, alors il a mis cet argent dans une belle maison de campagne haut dans les montagnes, et les beaux parents vont s’installer là pendant les mois de leur absence. C’est donc chez cette maman de Wies van Tinteren que j’irai, elle se réjouit déjà de m’avoir. J’irai comme paying guest pour avoir ma liberté. Comme ce n’est qu’à 2 heures d’auto de Kediri, Oscar pourra y venir pour les weekend.
Il est justement revenu de tournée, le Boili, rompu de fatigue, car il a fait 850 km en deux jours ! Il est allé coucher à Semarang, et pour cela il a dû faire 100 km en plus, mais il préférait cela à être obligé de passer la nuit dans un hôtel chinois et d’attraper une maladie quelconque. Aujourd’hui (5 avril) il a envoyé Mogendorff faire une tournée, demain c’est lui qui repart pour deux jours encore. Il ne reviendra que Vendredi saint. Oui, il travaille bien ici, aussi Elout a été obligé de lui dire au téléphone qu’il était content de Kediri. Cela nous a fait un bien énorme, surtout Oscar travaille avec plus de plaisir. Oh, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines avec Elout et Sayers, mais on est en plein dans le système D et j’espère bien que nous en arriverons à bout.
Sayers est maintenant en Europe à faire le beau près de la direction à Amsterdam, mais il ne compte pas avec la Näggeli. Je vais écrire une lettre à Madame Bigot, très amicale, où je lui raconterai sous le sceau de l‘amitié, tous les plaisirs et déboires de notre vie privée, comme je le faisais quad nous étions ensemble à Batavia, et ma foi, lui, Bigot pourra en prendre un nez plein au sujet de Sayers. Peste ! Avec de la diplomatie ! Et ces Sayers, je n’ai aucune raison de les ménager. Je ne leur souhaite pas de mal, mais je tiens aussi à ce qu’on sache la vérité sur la manière avec laquelle ils nous ont traités.
Les Mogendorff sont encore toujours ici, mais je crois qu’ils déménagent demain, en tous cas madame ( !) a donné les ordres pour que les meubles et que la maison soit prête et nettoyée, quant à elle, elle a trouvé nécessaire d’aller pendant ce temps rendre visite à une amie à Solo ! C’est bien moi qui laisserais mon mari se débrouiller avec tout le déménagement ! Il y a des femmes qui n’aiment qu’elles-mêmes et longtemps après seulement leur mari.  Je me suis tenue aussi faible que possible, car elle aurait encore accepté que je lui aide à installer sa maison, aber dort düre isch ds Näggeli einisch nid vo merklige gsi (mais faut pas me prendre pour une idiote). Oh, c’est le grand moment qu’ils s’en aillent, car lui commence à s’apercevoir que sa femme est égoïste, et il le lui dit. Enfin, ce sera bientôt un chapitre terminé, et je n’en pleure pas. Merci pour tous tes bons conseils, oui, tu sais toujours comment il faut prendre ta Möntsch pour la calmer et lui faire entendre raison. En tous cas si ce n’avait pas été pour Oscarli, je n’aurais pas fait le poing dans ma poche ainsi. Espérons que cela servira à quelque chose.
Pour les jours de Pâques, j’aurai probablement la visite de Wim van der Lee, qui est en train de bâtir une nouvelle fabrique à papier, à 200 km d’ici. Ce sera une succursale de celle de Pandalarang, et il en deviendra l’administrateur. Sa femme est encore à Bandoeng avec les enfants. Vous voyez que j’ai aussi un hôtel ici, mais Oscar se réjouit d’avoir Wim ici, alors je ne dis rien, car je lui accorde bien ce plaisir.
Pendant que j’étais malade, il m’a acheté à Soerabaya un auto-bridge. Est-ce que vous les connaissez aussi chez vous ? J’ai donc appris à jouer au bridge toute seule, et je trouve épatant. Buby m’a bien gâtée pendant que j’étais malade, il m’apportait aussi toujours des petits « double crème » et je m’en suis payé une bosse.
La lettre de Loulou nous affait bien plaisir, Oscar l’a lue hier soir au lit et nous avons encore longuement discuté de vous, frangins. J’ai aussi pris mon album de photos pour vous regarder à l’aise, depuis les premières photos jusqu’aux dernières et j’ai ri quelques fois en évoquant de vieux souvenirs.
Mes chers, je vais vous quitter pour aller colorer des œufs de Pâques. Ici rien ne rappelle que ce sont les fêtes de Pâques, mais je tiens tout de même à faire quelques petites choses pour respecter les traditions, ainsi nous aurons des nids faits tant bien que mal avec des œufs de couleurs sur quelques tables. 
Tagètes

J’ai au jardin des Stinkende Hoffahrt (tagète) jaunes qui représenteront les primevères. Dans ma lettre précédente je ne vous ai pas souhaité de bonnes Pâques, mais j’espère qu’il en sera ainsi tout de même.
Je pense que mon Padre est de nouveau Sutz-sturm (impatient d’aller à Sutz pour l’été). Ah, Maca-Macaca-Macaroni, gare quand je pourrai de nouveau te tirer par la moustache ! Et te tirer des carottes ! Je me demande si tu aurais reçu ces chapeaux de coolies, à l’heure qu’il est, et si oui, comment ils te vont ! Il y en a encore de bien plus grands ici, mais je ne peux pas les envoyer par la poste, mais je les apporterai une fois que je viendrai. En attendant tu auras toujours ceux-ci pour cet été. J’aimerais bien voir ta binette là-dessous !!! Ils sont peints ainsi pour protéger contre la pluie aussi.
……votre Ge……