vendredi 30 juin 2017



Batavia

15 avril 1940
212

A sa maman
Il y a si longtemps que je ne t’ai pas écrit, que cette nuit cela m’a empêchée de dormir comme il faut. Et ce matin Conradli s’est déjà réveillé à 5 heures de sorte que je me suis levée et je profite d’écrire en attendant que ce soit le moment de le nourrir. Il pleure et se suce les doigts, mais j’attends tout de même l’heure fixée pour son premier déjeuner, 6 heures, et je ne lui donne pas avant. Il faut être exacte comme une horloge avec ces petits. Tu devrais l’entendre crier, il ameute tout le quartier. Oh, c’est un bonheur sans cesse renouvelé….
Mais voilà, je ne veux pas me perdre dans des considérations pareilles dans cette lettre ci, car j’ai trop peu de temps, elle doit partir à 8 heures tantôt. Il y a 10 jours nous avons enfin reçu votre lettre écrite après réception du télégramme. Nous l’attendions avec une telle impatience.
J’accuse réception de ta lettre 231 qui m’est parvenue à la clinique. Tes lettres viennent toujours à point, juste au moment où j’en ai le plus besoin, soit que j’aie un embêtement quelconque, soit que j’aie un peu les bleus ou que je me fasse du souci pour une chose ou l’autre, voilà une lettre et tout va bien de nouveau.
Je me rappelle qu’à la clinique j’avais justement le cœur gros parce que Conradli pleurait, pleurait, et que les sœurs n’en avaient aucun souci et n’allaient même pas voir ce qu’il pouvait avoir, et moi je ne pouvais pas encore me lever du lit. Quand la soeur a aperçu que je pleurais, elle a souri en disant : on connaît cela avec les mamans de premier né ! Maintenant je suis déjà aguerrie, je laisse pleurer Conradli sans m’en faire.

sortie de clinique

Voilà, il a bu, et je donnerais je ne sais pas quoi pour que tu puisses voir cela.
Vu que je n’ai pas eu le temps de vous écrire, je vous ai envoyé des photos deux ou trois fois de suite J’espère que vous les aurez reçues.

Je me porte de nouveau bien, je me sens aller mieux de jour en jour, et si je ne vous écris pas, c’est principalement parce que les visites ne men laissent pas le temps. C’est fou ce que j’ai eu du monde, la plupart du temps 3-4 personnes par matinée, et pour le lunch, et pour le souper, et pour le thé, de sorte que je n’ai souvent même pas le temps d’aller prendre ma douche. Toutes les trois heures je dois nourrir Conradli et cela aussi prend du temps, surtout que je prends aussi mon temps pour l’admirer et le cajoler et m’amuser avec lui. Il grandit tellement vite. Le lundi de Pâques nous avons eu son premier sourire, nous étions justement penchés sur son berceau tous les deux. J’étais si contente que Boili ait aussi pu en jouir en même temps que moi.

Maintenant il est assez tranquille, quand il a bu il s’endort ou il reste réveillé et commence à découvrir ses mains et à regarder autour de lui. Il pèse 4 kg 125 gr. Il n’est pas gros, mais cela ne fait rien, il a très bonne mine, car le matin à 6 heures, après son déjeuner, nous portons le berceau dehors, Boili et moi, et il y reste jusqu’à 9 heures, après son bain, je le sors de nouveau.
Moi, je continue à avoir bonne mine, j’engraisse parce que je mange tellement et je bois beaucoup de lait. Je ne peux plus mettre une seule de mes robes d’avant et j’ai vite dû en acheter 2-3 de la confection américaine, très bon marché.

Est-ce que je vous ai écrit que pendant que j’étais à la clinique on a volé ma machine à coudre qui était ici dans la chambre donnant sur la rue ? Un après midi que Kaidi a ouvert la maison dans l’attente du retour de Boili, et pendant qu’il était à la cuisine pour préparer le thé, les voleurs ont réussi à enlever la machine comme s’ils étaient des commissionnaires d’un magasin qui doivent venir chercher la machine pour une réparation. La police a tout de suite fait une enquête, mais sans résultat. Des vols pareils sont fréquents ici. En attendant c’est la guigne, car je ne peux pas coudre. Boili en est très content, ainsi je suis quitte de me fatiguer, qu’il dit, mais il faudra bien en racheter une, l’une fois ou l’autre.
Je sais que Mr. van Mastwyk a été chez vous, je me réjouis de le voir, il est maintenant à Calcutta et elle est partie à sa rencontre jusqu’à Singapore. Ils reviendront vers la fin de ce mois.
Maurice et Margot (Warren, jeune frère de la maman d’Oscar) se sont aussi embarqués mercredi passé pour leur grand congé, mais je ne pense pas qu’ils viendront jusqu’en Europe. Margot est Canadienne, de sorte qu’ils resteront en Amérique où elle a toute sa famille. Elle m’a donné un joli petit panier de bébé qu’elle avait elle-même reçu de sa mère pour son fils. Je vais y faire un petit matelas, et nous pourrons ainsi trimballer Conradli avec nous.
C’est que vous ne savez pas la dernière nouvelle. Oscar vient d’acheter une petite voiture, une Opel Kadett. Elle appartenait à Hermann ten Cate, le frère de Ryk et l’ami de Boili. Il avait un urgent besoin d’argent en ce moment, et nous l’a laissée à un prix avantageux. Nous sommes très contents d’avoir une petite voiture de nouveau, car Oscar  dépensait énormément en taxi pour aller et revenir du bureau. Quand v.Mastwyk est ici, il vient le chercher, mais comme il est souvent en voyage, Oscar  doit aller à son propre compte et cela revient très cher. Cette Opel ne mange pas trop de benzine, et cela nous revient bien meilleur marché ; ainsi nous avons l’occasion de sortir. Nous allons régulièrement faire un petit tour entre  5 et 6 heures quand Conradli dort. D’abord ce n’était pas facile de laisser Conradli seul à la maison, mais je dois m’y faire car de sortir un peu me fait aussi du bien.
Mes chers, je ne fais que parler de moi et pourtant mon cœur est plein de vous et de choses vous concernant. Mes chers frères, c’était votre fête le 4, j’ai pensé à vous et je vous ai souhaité combien de bonnes choses dans mon cœur, mais je ne suis pas arrivée à vous écrire encore.
J’ai donc bien reçu ta lettre 232, et je vais y répondre cette semaine. Cette lettre-ci n’est qu’un petit accompte pour que vous sachiez qu’ici les choses vont à souhait. J’espère tant et tant que vous allez bien tous, et je prie pour vous. Nous sommes de nouveau suspendus à la radio depuis les derniers évènements en Norvège et ne sommes pas sans inquiétudes pour le sort de la Hollande. C’est terrible, terrible.
……..




jeudi 29 juin 2017



Batavia

6 mars 1940

A sa maman, à la main
C’est toi la toute première à qui j’essaye d’écrire, tu es toujours avec moi, ton bon sourire de la dernière photo ne m’a pas quittée un moment sauf quand j’ai été transportée dans la chambre d’accouchement. Tu as ta place à côté du petit lit de Conrad (né le dimanche 3 mars 1940), tu nous regardes tous les deux.
né un dimanche


Je jouis vraiment d’être ici. Nous sommes tous les deux très bien soignés. Les sœurs sont gentilles et fines et le pavillon d’accouchement est situé dans un grand parc dans lequel broutent des chevreuils. Toute la journée, une fenêtre est ouverte et j’ai cette belle vue devant moi et quand je regarde dans la chambre je ne vois que des fleurs, des fleurs. Jusqu’à présent, j’en ai reçu 10 corbeilles, des arrangements merveilleux, mais ce qui me fait le plus plaisir c’est un tout petit bouquet de jonquilles, trois fleurs avec des brins d’herbe et deux petits narcisses pour le petit enfant Woldringh. C’était si joli d’avoir le printemps suisse près du berceau. Il faut savoir que ces jonquilles sont des fleurs qui sont rares ici et par conséquent très chères.
Comme tu l’auras remarqué, nous avons donc un Sonntagskind (enfant né un dimanche).

Il pèse 7 livres 100 gr. Il ressemble à Boili comme deux gouttes d’eau, le même long nez, pousse des cheveux, bouche, oreilles, tout y est sauf les petites mains me semblent plutôt être  la copie de celles du Padre. Je dois toujours rire quand je les regarde !

Aujourd’hui Conrad ne fait que pleurer toute la journée, on ne sait pas pourquoi, peut être qu’il reçoit trop de lait. Heureusement que je suis en de bonnes mains, alors je ne m’en fais  pas, mais c’est plutôt un peu embêtant, car depuis hier je partage la chambre avec une petite dame japonaise qui a aussi un fils, un tout petit, petit bébé.

Le joli petit bracelet a immédiatement été mis au bras de Conradli, tout le monde le trouve si joli.

Je compte rester ici 10 à 12 jours si tout va bien. Je ne veux pas rentrer trop vite, mais bien reprendre des forces d’abord. Je n’ose pas avoir de visites avant le 6-7ème jour et j’en suis bien contente sauf Boili qui vient 2 fois par jour, m’apporter les télégrammes et nouvelles qui arrivent à la maison.
Eh oui, je suis bien contente que tout se soit si bien passé.

Merci de tout cœur de votre télégramme et ce matin m’est parvenu celui des Charlous. Papa W. se considère aussi comme le parrain de son petit fils parce qu’il s’appelle comme lui. Il doit avoir eu un plaisir fou que nous ayons un fils, j’en suis bien contente.

Je viens d’avoir eu la visite de la sœur principale. Ce soir on va donner moins de lait à Conradli, car il paraît qu’il a l’estomac un peu dérangé ayant trop bu. Je suis pourtant si contente que tout aille ainsi, mieux que je ne l’attendais.


dimanche 25 juin 2017




Batavia

21 février 1940
210

,
Vraiment vous me comblez ! Quel plaisir j’a eu cet après midi en me réveillant de ma siesta de trouver vos lettres. Father Padrelli-moi, c’est de nouveau tout à fait toi de m’envoyer ce petit bracelet pour le rejeton. Il est si joli, et j’aime tant l’idée qu’il aura mis directement quelque chose de vous. C’est sûr qu’il va le porter, il ou elle, vous savez faut jamais se faire trop d’illusions ! Boili a dû me promettre qu’il mettrait le bracelet directement au poignet, malgré que ce ne soit pas tout à fait nécessaire car l’enfant reste avec moi dans la chambre...  C’est seulement en troisième classe ici qu’on met les enfants dans une salle commune loin des mamans, mais en deuxième nous ne serons que deux mamans dans une chambre, et nous pouvons avoir nos bébés avec nous. Oh, je suis si contente de l’avoir ce petit bracelet, et encore avec la bonne binette de mon Padrelli.
Hier j’ai reçu le deuxième envoi de coton DMC. Merci de tout cœur Mamali mia. Je viens aussi de recevoir le thé. Heureusement que tu l’avais bien emballé dans le joli petit sac en lin car le papier extérieur était tout déchiré et la ficelle enlevée ! Ainsi heureusement le thé, grâce au bon emballage, est intact et je commencerai de le boire demain.
Aujourd’hui j’ai fait mes deux valises !!! Une avec les effet du poupon, et une avec mes choses à moi. Elles attendent maintenant patiemment que monsieur ou mademoiselle se décide !
J’ai été au docteur hier après midi. Tout est très bien, l’enfant est du côté gauche à ce qu’il paraît. Je ne sais pas trop bien ce qu’il veut dire avec cela, car nom d’une pipe, je le sens partout. Il paraît qu’il a atteint la grandeur de l’estomac !!! Maintenant je peux vraiment changer…. car je marche comme une vraie madame canard, du moins j’ai cette impression de moi-même. Tout le monde me dit comme j’ai déjà bien l’air d’une petite mère !!! Tout le monde semble penser que l‘enfant naîtra plus vite que prévu. Mois je n’en sais rien, en tous cas j’attends avec patience et tranquillité. Je ne vais plus faire de longues promenades, on va seulement marcher une petite demi heure, le soir, car je ne veux pas me forcer. Je travaille encore toujours, mais quand j’ai envie de me coucher, je le fais aussi. Il me semble que ces derniers 15 jours j’ose bien prendre mes aises un peu. Maintenant que je suis prête avec mon trousseau et tous les préparatifs, je me sens si paisible, et j’ai du plaisir à lire des beaux livres qu’on me prête de droite et gauche. Nous allons aussi de temps en temps au cinéma, car je veux encore sortir un peu, après ce sera fini pour longtemps ! Oscar ne sort plus le soir sans moi. Avant il allait encore de temps en temps faire une partie de billard avec Mr. Fraay qui est ici à Batavia, ou chez le beau frère des Engelhart pour faire des photos, agrandissements.
Ce matin j’ai été en visite avec Go chez une autre jeune femme qui attend son bébé à fin juin, alors nous avons toujours à parler jusqu’à 100 et retour de nos futurs poupons. C’est joli et j’en ai beaucoup joui.
Le docteur s’est décidé à me donner des injections contre la dysenterie, mais par très petites quantités à la fois, le quart d’une injection normale. Il paraît que cela ne gêne pas ou plus le bébé et il veut éviter que j’aie une nouvelle attaque de dysenterie juste après l’accouchement où je serai encore faible, car il paraît que c’est justement alors que les amibes profitent de l’occasion de faire la noce !!! Enfin, je suis en de bonnes mains, j’ai confiance et je suis tranquille pour le reste il faut laisser faire la nature.
Alors, Padrelli, tu as repris tes timbres ? Cela me fait plaisir, et je vais t’en envoyer de nouveau. Je manquais d’enthousiasme pour t’en envoyer un moment, car je me dis : à quoi bon, ces timbres trouvent le chemin du buffet et y augmentent le cheni !!! (Gare quand tu liras cela, je suis contente de ne pas être dans ton voisinage !!!) J’en recevrais une, sûrement. Par contre je ne sais pas bien quels timbres tu demandes. Est-ce que tu veux les mêmes que celui de 40 cents, mais alors de 35 et 32 ½ cents ? Je vais aller à la poste pour voir ce que je peux acheter. En tous cas, mets tout bien en ordre pour le rejeton, même quand ce sera une petite Rose (entre parenthèse, j’aimerais bien que vous ne soyez pas déçus quand ce sera une petite Rose. Vous ne faites que penser à un petit Conrad, mais moi je n’en suis pas si sûre, et le docteur non plus, je le porte tout à fait en avant, depuis derrière on ne voit presque rien, car je n’ai pas engraissé du tout.)
Merci pour toutes les salutations que tu me transmets, Mamms. Tu les rendras en mon nom. Tu diras à Rummel, que je regrette bien que ce ne soit pas lui qui aidera à « füregrüble » (tirer en avant)  comme il racontait l’avoir fait pour moi !!!
Je me doutais bien que tu mangeais encore trop, je connais mes pappenheimer (mes oies), c’est un jambon de la Rösi par ici, un Laffli (épaule de porc fumée) par là, un souper avec les Racine par ici, une petite boustiffaille par là ! Ha, ce sont toutes de petites exceptions qui ne passent pas inaperçues. Ah, malgré tout ce que tu me disais toujours que vous ne mangiez plus que très, très simplement, je ne me faisais pas d’illusions. Bien sûr que tu peux bien subsister avec du jus de fruits, mais il me semble pas par le froid que vous avez en ce moment, c’est bien naturel qu’il te faut des calories, toutefois du jus de fruits c’est très sain. Pense, je ne me nourris que de cela pendant toute la matinée. Environ chaque heure je bois un verre de tomates, puis un verre d’orange juice, puis je mange de la fruit salad, puis je croque une pomme etc. Tu peux aussi très bien faire de la fruit salad, en mélangeant des pommes, des poires, une orange et une banane si vous en avez encore en Suisse. Tu coupes tout cela en petits morceaux avec un couteau inoxydable, et tu le laisses reposer pendant une heure ou deux, couvert. Alors les fruits tirent du jus ! C’est excellent et tu bois un verre de lait avec. J’en mange un grand saladier par jour de cette fruit salad, seulement je la fais avec des fruits d’ici.
Les parents van der Stock, donc les beaux parents de Go, viennent ici en octobre pour voir leurs petits enfants. Ils resteront quelques mois. Est-ce que cela ne te dirait rien, Rötteli ? Ils sont aussi d’Oxford et lui, a aussi terriblement souffert d’une trop haute pression de sang, alors maintenant ils sont devenus tout à fait végétariens et il se porte bien de nouveau. Il courrait le risque de devenir aveugle, rien que par la pression de sang trop haute ! Le jour que tu feras cette cure de lait il ne faudra pas aller te promener, mais rester tranquille à la maison.
Nous avons réussi à vendre le petit chien auquel nous avions droit, le fils de notre Abdy. Tout le monde l’admire quand nous allons promener ici. Le petit chien n’est pas si joli que notre Abdy, mais nous avons tout de même reçu Fl. 25.-, ce qui n’est pas à dédaigner !
Je crois bien que tu as dû faire de très jolies mitaines (gants) pour tes fils. Je me dis souvent que moi aussi j’aimerais pouvoir les gâter un peu, mais jusqu’à présent, il ne m’est encore rien venu à l’idée. Tu leur donneras un bon muntschi de ma part en attendant que j’arrive à leur écrire !!!
Tu me dis dans ta lettre que tu veux faire quelque chose pour la Affolter Hanny puisque tu ne peux rien faire pour moi. J’en déduis que tu n’as donc pas fait un petit cape, comme je l’avais demandé dans une lettre, celle où je te donnais l’inventaire de tout ce qu’il me fallait. C’est une lettre encore avant la guerre qui a tout boulversé. Je sais bien que je t’avais prié alors de ne rien m’envoyer du tout, parce que c’était trop incertain, mais maintenant que les paquets semblent arriver plus régulièrement de nouveau… Rötteli, schmöcksch der Chäs ? (tu vois venir ?). Tu ne m’en veux pas si je suis un peu fräch (culottée), hein ? Dis-toi que tu m’as toujours bien gâtée et que, ma fois, j’en profite !
Voilà je vous quitte…. Ge….



mercredi 21 juin 2017



Batavia

6 février 1940
209


A sa maman
Enfin, enfin j’arrive à répondre à tes chères lettres et à te donner un peu de mes nouvelles. Cette lettre est donc uniquement pour toi, pas pour la famille, car j’ai une terrible envie de bien chnätsche (papoter) seulement entre nous deux.
D’abord, il me vient à l’idée que je ne t’ai pas encore remerciée pour mon agenda 1940 que j’ai bien  reçu en son temps et que j’ai entamé comme d’habitude, toujours en pensant bien à ma petite Rötteli ! Il y a encore quelque chose dont je dois te remercier mais je ne me rappelle pus quoi peut être que cela me viendra encore à l’idée.
Hier j’ai reçu ta 229 du 21 janvier, elle a de nouveau passé la censure à Calcutta, c’est pourquoi elle a eu du retard. Je crois qu’il vaut mieux à l’avenir ne plus écrire en suisse allemand, car cela pourrait retarder notre correspondance, vu qu’on ne peut pas s’attendre à ce que la censure comprenne ce patois, à moins qu’il s’y trouve aussi des Suisses ! Il y a une lettre de moi que vous ne devez pas avoir reçue, car tu ne m’en as jamais parlé. Elle contenait un agrandissement d’une photo de moi prise à Batoe, là où je brode sur la terrasse avec un mouchoir noué sur la tête.
Aujourd’hui j’ai enfin fini de coudre à la machine le trousseau du baby. Maintenant il ne reste plus que quelques petites choses à broder, et la plupart des choses sont déjà lavées et joliment rangées dans les tiroirs. Dimanche j’ai fini d’arranger le berceau définitivement. 
le berceau

Il est ravissant, et vous en aurez des photos. Ce soir nous avons été chez une pauvre femme qui fait des abat-jours, car j’aurai deux lampes dans la nursery, et je les fais faire les deux avec la soie de Banely qui me reste encore du berceau. La chambre est si jolie que j’y vais bien 20 fois par jour pour l’admirer !!! Tout y est ivoire et bleu ciel, sauf le fanion suisse que tu m’avais une fois envoyé avec les écussons de tous les cantons. J’en ai fait une petite poche pour mettre une brosse ou n’importe quoi. Enfin, vous aurez beaucoup de photos de la chambre, ayez encore un peu de patience.
Oscar a maintenant commencé de faire des agrandissements, les premiers qu’il a fait ont assez bien réussi, cela lui donne du courage et de l‘enthousiasme pour aller de l’avant. Il s’installe une chambre dans notre réduit à bagages !!! Hier soir il a été chez les van Schaik (la sœur et le beau-frère de Mr. Engelhart) jusqu’à minuit, à faire des essais dans leur chambre noire. Moi je n’ai pas été avec, je préférais rester ici à la maison à pétouiller. Autrement ces van Schaik sont bien gentils pour nous, on dirait qu’ils veulent prendre la succession des Engelhart dans notre amitié. Une des filles qui a 19 ans et étudie pour architecte de jardin, vient souvent chez moi pour m’aider à arranger mon jardin, elle plante, elle commande, elle travaille comme un cheval. Moi je la laisse faire, je suis bien contente qu’elle s’en occupe. Ce n’est que quelques mètres carrés, mais on peut tout de même en tirer parti. Elle va venir demain matin, elle aime bien venir, car après le travail au jardin elle vient causer avec moi. A la maison elle ne peut pas ainsi ouvrir son cœur, les parents, surtout la mère sont terriblement narrow minded en ce qui concerne la jeunesse, alors moi je fais fonction de sœur aînée. Heureusement que cette Hanna est un tout autre genre que le pot de chambre Mies !!! Il me faut naturellement être très diplomatique pour naviguer sans accroc entre les parents et la fille, mais j’aime bien lui aider.
Ce matin j’ai eu trois visites, l’une après l’autre, puis à midi Oscar me téléphone qu’il amenait Mr. Fraay à dîner, et ce soir il est rentré du bureau avec Mr. la Bastide qui a bu une tasse de thé. Cela fait 5 personnes aujourd’hui : tu vois que je n‘ai pas le temps de m’ennuyer !!!! Par Go, j’ai fait la connaissance d’une gentille jeune femme, hollandaise, qui a longtemps été en Suisse, à Genève et Montreux, elle parle bien le français et elle attend son second bébé au mois de juin. Les trois nous nous entendons très bien, et nous voyons souvent, car nous avons toujours beaucoup à nous dire, ayant un sujet commun qui nous occupe. Je me sens de nouveau tellement à la maison ici à Batavia, comme si j’y avais toujours vécu. Dimanche soir, nous avons été invités par les Warren, donc Oncle Maurice et Margot pour aller au cinéma d’abord et ensuite dîner chez eux. Oncle Maurice avait été à la chasse et avait rapporté des bécassines. Comme la dernière fois je les avais tellement aimées, ils nous ont de nouveau invités à venir les partager avec eux. Mais une fois à table, oh, la vilaine surprise, leur cuisiner chinois ne les avait pas fait rôtir !!! Maurice et Margot étaient furieux, ils voulaient chasser leur cuisiner au moment même, car ils s’étaient bien réjouis de me faire plaisir ! Je te dis tout le monde est tellement gentil avec moi et pour moi. De gauche et de droite je reçois des cadeaux déjà.

Rötteli, je dois encore te dire quelque chose et j’espère bien que cela ne te blessera pas et ne te causera pas de désappointement. Vu qu’il y a maintenant déjà une Lena (fille de Eddy et Ans Woldringh, frère de Oscar) dans la famille et que nous trouvons Roseline un peu trop long pour les besoins hollandais, et aussi pour satisfaire à un désir cher à Boili, nous avons décidé de changer quelque peu le nom de fille. Nous allons l’appeler « Rose » tout court, mais officiellement le nom sera « Zilla Rose ». Zilla est le nom de maman Woldringh, et Zilla-Rose sonne mieux que Rose-Zilla. Toutefois dans la vie courante nous aurons une petite Rose. J’espère seulement que tu ne seras pas déçue parce qu’officiellement ton nom sera le deuxième, mais dans la vie elle sera et restera une petite Rötteli. Si c’est un garçon, le nom reste donc Conrad-Louis.
Nous ne ferons pas faire de cartes, vu qu’un certain Padre et une Mothere se chargeront avec plaisir de colporter la nouvelle !!! Nous ne ferons faire des cartes que pour ici, car Boili y tient !
Pendant que j’y pense, il te faudra aussi annoncer la naissance à Mademoiselle (Madame ??) Milly Lenzinger, Kapellenstrasse… à Berne. J’ai reçu une longue lettre d’elle, elle travaille à la Croix Rouge, elle est contente d’être en Suisse, à la maison, mais elle regrette bien les Indes tout de même. Si cela te dit de la voir une fois, alors dis-lui de venir. Enfin, fais comme tu voudras. Tout le long de sa lettre elle chante comme elle voudrait bien encore être à Batavia, maintenant que j’y suis de nouveau ! Oscar et moi avons déjà dit merci au ciel qu’elle n’y soit pas !!! C’est pour le coup qu’on ne serait plus jamais seuls à la maison ! Penses-tu, je ne voudrais même pas avoir Flock près de moi, de peur qu’elle vienne trop souvent déranger notre intimité. Je ne la demanderai pas comme marraine, j’espère bien que tu ne lui auras rien dit à ce sujet. Oscar n’y tient pas, et d’ailleurs il paraît que ce n’est pas nécessaire d’avoir une marraine à un baptême hollandais. C’est autrement que chez nous, alors nous verrons encore cela. Mais s’il y a lieu de demander des parrains, ce sera donc les Charlous. Mais tu sais, ils n‘osent pas donner quoi que ce soit comme cadeau, ce n‘est pas pour cela que nous les demandons ! C’est tout simplement parce que… nous ne les aimons pas du tout !

7 février
Ouf ! quelle matinée ! j’ai cessé d’écrire hier soir parce que j’étais au bout de mon papier et je voulais attendre à ce matin pour recommencer une nouvelle feuille, mais le sort en a décidé autrement. D’abord, à peine que Boili était parti au bureau, j’ai fait le tour de ma maison, et j’ai fait une tourte au maïs. Je les aime bien ces tourtes, elles sont bon marché et comme on n’emploie pas de beurre ni d’oeufs, elle entre dans mon régime et je puis aussi en manger. Après, j’ai essayé de faire de la poitrine de veau farcie, une chose que je n’ai encore jamais eu l’occasion de faire avant. Je me demande si cela sera bon à midi ? J’y étais encore occupée, voilà que Hanna arrive avec des plantes. Elle avait pris un ouvrage avec elle, de sorte qu’elle est restée toute la matinée, heureusement que j’avais aussi à coudre, alors cela allait en même temps, et j’ai de nouveau patiemment écouté ces histoires de jeunesse. On était bien installées, voilà que Annie Elout s’amène avec ses deux gosses (enfants). Cela a été une visite mouvementée, énervée et énervante. Elle parle sans discontinuer, elle saute d’un sujet à l’autre et c’est très fatigant, simplement de l’écouter. Je suis bien contente que nous n’habitions pas trop près l’une de l’autre. En parlant d’elle dans ta dernière lettre tu penses qu’elle n’est pas trop bien éduquée etc, mais tu te trompes, Anne est bel et bien avocate, ayant fait toutes ses études en Hollande. Elle est vraiment très calée, dommage qu’elle soit si terriblement nerveuse.

tisane d'alchémille

alchemillae vulgaire
Le Frauenmänteli Tee (tisane d’alchémille, Alchemillae vulgaris herba, angl. Lady’s mantle, tisane pour maux gynécologiques et féminins)), je le boirai comme tu me l’indiques, sitôt que je l’aurai reçu. Je l’ai  raconté au docteur, alors il a ri et m’a bien permis de le boire, disant que cela ne servait à rien. Alors je lui ai répondu : …says you !!!


Moi aussi j’ai eu du plaisir à lire que Charlot était fatigué de Miss Christen. C’est pour le coup que maintenant je suis certaine qu’il a tout eu, car d’une simple amitié on ne se fatigue pas ainsi !!! Oui, tu as eu bien raison de ne jamais rien dire, moi aussi j’ai déjà souvent fait l’expérience de laisser travailler le temps pour nous au lieu de vouloir mettre les choses au point tout de suite. Le temps guérit bien des choses !!! Et si l’on a la patience d’attendre !
L’autre jour j’ai eu une courte visite de Didi van Mastwyk. Elle m’a offert de la tutoyer ce que j’ai accepté avec plaisir. Elle est plus jeune que moi, elle n’a que 27 ans, mais voilà c’est la femme du directeur. Elle est assez jolie, mais ce n’est pas une dame. Elle a bon cœur, mais pas toujours assez de tact. Tout de même c’est quelqu’un avec qui je puis bien m’entendre, avec un peu de bonne volonté naturellement. Lui est en Europe maintenant, il doit arriver en Hollande ce soir ou demain matin, mais ce n’est pas encore sûr qu’il puisse venir en Suisse, et peut être qu’il viendra mais ne pourra pas passer par Bienne. En ce cas il enverra le petit paquet par la poste. Il n’a que 5 semaines à rester à Europe, et il a tant à faire et tellement de monde à voir !!!
Je ne suis pas convaincue que ce sera un Conrad et je vous prie bien de ne pas être désappointés, car cela me ferait de la peine. Papa W. a aussi déjà écrit que je devais tâcher d’avoir un Conrad et qu’alors il se ferait parrain du gosse !!! Ma foi, j’espère bien que je pourrai satisfaire à vos désirs !!! Oscar, lui, aimerait tout autant une petite Rötteli qu’un garçon, et moi aussi après tout, je serai contente de ce qui arrive, pourvu que ce soit un bébé en bonne santé. Quant à l’évènement, je suis bien calme, je sais que ce sera plusieurs heures très pénibles à passer, mais tant de femmes y ont passé avant moi, que sûrement je saurai en faire autant. J’y pense souvent mais sans inquiétude, je suis calme, confiante et paisible. Je crois que je t’ai écrit dans une de mes lettres précédentes que j’avais été à la clinique faire connaissance avec la sœur (l’infirmière en charge). Elle m’a si gentiment reçue, comme si nous étions de vieilles connaissances. C’est une toute vieille très sympathique et tout le monde me dit comme elle est bonne. Maintenant il ne me reste plus que mes objets personnels à mettre en ordre, un peu réparer ta chemise qui est déchirée par endroits Je vais m’y mettre demain et une fois que je serai prête, je vais faire les deux valises, celle du baby et la mienne de sorte qu’on n’aura qu’à les mettre dans le taxi et filer à la clinique. Je sais d’avance que Boili aura tout à fait perdu la tête, c’est pourquoi je prends toutes mes précautions. Il est bon, courageux et intelligent, mon Boili, mais quand il me voit souffrir, c’est une patte à relaver qui a mal au ventre et qui perd tellement la tête qu’il se met à me gronder !!! sans le vouloir bien entendu.. Heureusement que je le connais si bien maintenant, je suis quitte de m’en faire, et comme déjà dit, je prends mes mesures !!! Une fois que je serai prête avec toute cette couture, je vais encore me mettre à ma correspondance et puis prendre du bon temps, lire de beaux livres etc, pour que je sois bien reposée et fit quand le moment arrivera…

L’autre jour madame Dozy est venue me rendre visite, donc la maman de Minnie, la fiancée de Koo Koningsberger. Elle m’a apporté un joli lien de serviette en argent pour le baby déjà, et un joli petit pantalon. Aujourd’hui j’ai eu une lettre de Ans (sœur de Koo et épouse de Eddy, frère de Oscar) qui me donnait des nouvelles de la petite Linette. Je l’ai donnée à lire à Boili sans rien dire, mais quand il a eu fini, il a aussi trouvé que c’était une lettre un peu superficielle et forcée. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne crois pas que nous nous attacherons beaucoup à eux. C’est autre chose avec cette Minnie Dozy ici, elle m’est très sympathique. Oh, je te dis, je suis en plein dans les connaissances agréables et chacun est tellement bon pour moi.
Ici à la maison je n’ai plus trop de soucis non plus. Kaidi est toujours attentif à me faire plaisir, il travaille comme un cheval, des fois c’est un peu un stämpere (parle trop), mais il faut bien que je l’écoute, vu qu’il n’a pas sa femme ici, ni des amis avec qui parler. Tous les mois j’écris pour lui à sa femme, c’est lui qui dicte, et il raconte toujours comme il est gâté par la njonja (maîtresse de maison). Il envoie régulièrement une partie de son salaire à la maison, et je l’aide où je peux en lui donnant à bouffer les restes, ce qui le rend très heureux. Sur mon initiative, il a aussi pris un carnet d’épargne à la poste et tous les mois il va y mettre 25 cents, ce qui le rend très heureux, car grâce à ce système, il se voit déjà grand propriétaire de champs de riz dans son village ! C’est une bonne pâte. La petite baboe aussi travaille bien, mais elle a moins bon caractère que Kaidi, elle est moins franche, de sorte que je dois bien la surveiller qu’elle ne me fiche pas de blagues. La koki, c’est une bonne vieille avec beaucoup de bonne volonté, ce qui me fait fermer les yeux quant à son art culinaire par moments. En grandes lignes, mon ménage ne marche pas mal, de sorte que je pourrai m’absenter sans me faire de soucis pour Boili. Je te raconte tout cela pour que toi non plus tu n’aies pas de souci à mon sujet.
Mais maintenant c’est Schluss ! Il est 10 ½ heures, j’ai bien sommeil et Oscar va rentrer dans une demi heure. J’ai juste encore le temps de porter cette lettre à la boîte aux lettres qui est ici tout près.
Oh, je tombe de sommeil.
votre Ge… et son Boili.



lundi 12 juin 2017




Batavia

dimanche le 28 janvier 1940
208


La suite de ma dernière lettre s’est bien fait attendre et ce matin enfin, je me suis levée avec les meilleures résolutions du monde. Comme c’est dimanche de pluie et qu’il est 6 ½ heures, il y aura peut être moyen de les mettre à exécution !
Avant de répondre à tes chères lettres, mynes Rötteli chérie, je vais vite tout vous raconter ce que j’ai à vous dire.
Mr. van Mastwyk part en Europe par avion, ce prochain jeudi 1er février. C’est un voyage d’affaires très court, très important et très concentré, il compte y rester environ un mois. Dans ce temps il a aussi l’intention d’aller en Suisse pour des affaires d’alcool ou je ne sais quoi, et alors il m’a demandée si je n’avais rien pour vous, que s’il avait le temps et l’occasion qu’il irait vous rendre visite. Ma foi, je n’ai pas pu me dérober en disant que je n’y tenais pas, vous comprenez cela l’aurait peut être froissé. Comme il va en avion, je ne peux pas lui donner avec tout ce que je voudrais, vu que son bagage se compte au poids. Je profite donc seulement de lui donner cette boîte à cigarettes pour mon Padre, car je n’ose pas la confier à la poste par ces temps-ci. Toutefois ce n’est pas encore sûr qu’il la prenne, il doit d’abord contrôler le poids de ses propres choses, et naturellement que sa famille passera avant moi. S’il n’a pas le temps de venir vous l’apporter lui-même, il vous l’enverra de l’une ou l’autre ville suisse dans laquelle il se trouvera. Je crois qu’il doit se rendre à Berne entre autre.
Vu que tout est tellement incertain, il ne faut pas vous en faire, et surtout ne pas te déranger en quoi que ce soit, Mamali. Si jamais il vient, j’aimerais bien que vous le receviez gentiment, car c’est le patron de Boili, au-dessus de Elout. C’est un homme tout simple, qui aime beaucoup les Suisses et la Suisse, tous ses meilleurs amis ici sont des Suisses et il en connaît plus que moi, entre autre aussi le Consul Lenzinger, l’ancien mari de la Milly, etc. Son plus grand plaisir c’est de faire des excursions en montagne en leur compagnie, c’est un très bon marcheur, il aime la nature, etc.
Comme caractère c’est un homme dans la force de l’âge, très énergique, qui sait ce qu’il veut et qui n’y va pas par quatre chemins. Il est en outre très droit et honnête en affaires. Padrelli, pas de propositions ni de combines pas tout à fait correctes, hein ? Car il s’intéresse à tout et je ne doute pas qu’il te parle affaires aussi.
Si jamais il vient, ce serait le mieux de l’emmener quelque part manger quelque chose, car il aime bien manger et il se fout du luxe. Quelque chose comme le Mönchlliwy à Douanne, ou une petite boustifaille à Marin ou dans un endroit pareil, il saura bien apprécier. Je ne crois pas qu’il aimerait tant des petits coqs, vu qu’on en mange tellement ici. Enfin, je vous laisse le choix. C’est le type no 6 qui est assis vis à vis de moi à cette grand rijsttafel dont vous avez la photo.
Il ne faudra rien lui donner pour prendre avec pour moi, et s’il vous demande, alors donnez quelque chose de petit et de léger, mais ce n’est pas nécessaire. Je sais que s’il vient cela va vous coûter et je ferai en sorte de pouvoir vous envoyer l’une ou l’autre chose, car ce sera pour nous que vous le recevrez hein Mamms ? Encore une chose, vous pouvez bien dire des witz, mais pas des saletés, svpl.
J’espère que je ne vous froisse pas en vous demandant de le recevoir ainsi, naturellement je ne me rends plus bien compte des conditions en Suisse, et si cela vous est possible de l’emmener manger quelque part. Ne lui collez pas de chique, il aime bien une bonne petite goutte, mais ne le forcez pas trop pour qu’il soit malade comme un chien le lendemain, tu comprends ce que je veux dire, hein Mamms. Je ne sais pas ce qu’il parlera, l’allemand ou l’anglais et je crois qu’il comprend aussi un peu le Bärntütsch. J’aimerais beaucoup qu’il puisse rencontrer mes frères, mais je crains que ce ne sera pas possible, enfin qui sait… avec de la chance !
Il part donc d’ici le 1er février, il sera à Naples le 5 ou le 6 février. De là il filera probablement sur Amsterdam et sur son chemin de retour, il passera par la Suisse je pense. Je n’en sais rien, mais j’essaie de vous donner quelques indications quant au temps de sa visite probable.
Vous savez que c’est d’eux que j’ai acheté la chambre d’enfant. J’ai fait passer tous ces meubles au duco, couleur ivoire, et maintenant c’est une vraie chambre de prince que nous avons pour y recevoir notre premier ! Ils ont été très gentils avec nous et vous savez que c’est lui qui tenait à avoir Boili ici au bureau de Batavia, comme contre poids de Elout pour ce qui concerne le gentleman like !!! dans le comportement.
Depuis environ le trois janvier Boili est malade. Cela a d’abord commencé avec le rhume ordinaire, e tous les matins il allait au bureau, le soir il en revenait avec de la température et se mettait directement au lit, puis c’était la grippe que j’ai essayé de guérir moi même, puis c’est devenu une bronchite etc. Enfin, nous avons demandé le docteur qui a enfin fait rester Boili au lit pour de bon. Il nous avait conseillé des injections contre ces rhumes auxquels Boili est tellement sujet, alors maintenant Buby a été vacciné pour cela. Il a eu 4 injections qui l’ont rendu bien malade, mais maintenant nous espérons qu’il ‘aura plus toujours ces rhumes et ces bronchites à tout bout de champs. C’est un nouveau remède qui vient d’Amérique.
Nous avons encore des connaissance qui sont placées ici à Batavia : les Lovius, nos amis de Tjilatjap, ceux qui habitaient sur l’île de Noesa Kambangan et chez qui nous allions toujours baigner et faire des excursions dont vous avez reçu des photos. Il devient sous directeur de la prison d’ici. Ils viendront ici vers midi pour la rijsttafel, il faut donc que je me dépêche de terminer cette lettre.
Vu que Boili ne se trouvait pas bien, nous ne sommes pas sortis depuis Nouvel An. Hier nous avons eu une invitation de madame Bär, le directeur de la Banque chez qui nous avons été à Nouvel An à cette réception, pour aller dîner samedi prochain en evening dress. Naturellement que j’ai dû refuser, n’ayant plus de vraie robe du soir dans laquelle je puisse me montrer J’ai terriblement grossi depuis Nouvel An. Je me suis acheté une ceinture de soutien maintenant afin que je puisse bien marcher. Le docteur, chez qui j’ai été au commencement de cette semaine, a tout trouvé en ordre, sauf mon foie qui me fait un peu mal de temps en temps, mais je me tiens strictement à mon régime maintenant. Le docteur préconise une fille !
Et maintenant une nouvelle sensationnelle. Je vous ai souvent écrit à propos de Engelenberg, de Tjilatjap, ma bête noire pendant que nous y étions. En février dernier, quand il y a eu l’histoire de Hoekmann et que Mogendorff devait venir à Kediri, Engelenberg est resté seul à Tjilatjap comme administrateur provisoire. Ce mois-ci il devait être placé à Kediri sous Sayers, comme comptable de nouveau, alors pendant que son successeur était en train de reprendre les affaires à Tjilatjap, il a été découvert que Engelenberg avait triché la Mexolie pour Fl. 3’800.- (environ Frs. 10'000). Il a commencé pendant les derniers mois que nous y étions encore, de sorte qu’il a bel et bien trompé Boili. Ah, une fois de plus je ne me suis pas trompée dans mon instinct. Il s’est procuré cet argent pour réparer ses dettes de jeu. Chaque fois qu’il allait en tournée à Bandoeng etc, il allait jouer. C’était une belle affaire pour commencer l’année, ce salaud. Et dire qu’il a osé ainsi nous tromper après tout ce que j’ai fait pour eux. J’avais pourtant averti Buby bien des fois que je ne pouvais pas avoir confiance en ce type, il flattait trop Buby et cherchait trop à lui plaire et à l’inciter à faire la noce, mais il sentait bien qu’avec moi il n’avait pas le jeu facile. Enfin, c’est fait, c’est passé maintenant. Heureusement que la famille a offert de payer pour le sauver de la prison, car van Mastwyk l’aurait fait coffrer sans plus, malgré que Engelenberg est le frère de madame Opel, ancien directeur de la Banque d’ici. Van Mastwyk (prononcer van Mastwéik) est bon mais dur comme pierre, nom d’une pipe, il ne faut pas le tromper car alors il ne connaît aucune pitié. Je pense que quand l’affaire Engelenberg sera liquidée, Buby recevra une bonne réprimande, d’Amsterdam, et Mogendorff aussi, parce qu’ils n’ont pas su découvrir ces fraudes. Ce sera une expérience qui en vaut une autre !
Mamali, dans ma dernière lettre je t’ai remerciée pour le fil, merci encore une fois. Merci aussi pour le catalogue de photos de la Landi,
Lettre pas terminée ou feuillet perdu



vendredi 9 juin 2017




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Batavia

7 janvier 1940
207

Mes bien chers tous,
Voilà bien trois semaines que je ne vous ai plus écrit, c’est fou comme le temps passe et pourtant j’ai tellement de choses à vous raconter.
Noël 1939, Batavia
Donc nous avons bien passé Noël, j’ai réussi à acheter (assez cher c’est vrai) une vraie branche de sapin de laquelle au moyen de fil de fer et d’ingéniosité j’ai réussi à faire un joli petit arbre de Noël. 
Oscar, Noël 1939

Tout petit, mais il sentait vraiment bon. Le dimanche 24 décembre nous avons été à l’église le soir. Toute la journée j’avais déjà ce sentiment de Noël, comme jamais encore je ne l’ai eu ici. C’est que tout était en ordre dans notre petite maison, et j’avais fait des schenkeli (cuisses de dame) et d’autres petits biscuits qui n’ont pas trop mal réussi, j’ai aussi fait une bûche de Noël, (un type de tourte), pour manger avec le thé, j’ai acheté des noix, des noisettes des oranges, des pommes, des raisins secs, des amandes, enfin tout un tas de choses que j’ai arrangées sur un grand plateau avec des pives, des branches de sapin et des bougies rouges, c’était joli à voir et donnait bien l’ambiance de Noël à toute la chambre.


Le matin du jour de Noël nous avons été faire une visite à M. et Mme Dozy, les parents de la fiancée de Koo Koningsberger. Ils étaient très aimables et la jeune fille me plaît beaucoup. Elle a longtemps été en Suisse et sa maman est belge. Ils demeurent tout près d’ici, c’est donc toujours quelqu’un chez qui je puis aller. J’avais fait la connaissance de madame Dozy au cours de chapeaux que je prenais il y a deux ans, quand nous étions au flat. Le monde est petit tout de même ! A midi nous avons dîné d’une oie farcie de châtaignes et de rien d’autre. Elle était délicieuse, mais absolument délicieuse. Je l’ai achetée chez le traiteur, elle me venait un peu plus cher que si je l’avais achetée au marché, mais ainsi au moins je n’ai pas été trompée et nous en avons joui.
Après une promenade vers la fin de l’après midi nous sommes rentrés et Boili a allumé l’arbre pendant que je préparais un tout petit hors d’oeuvre que nous avons simplement mangé avec notre pain, mais la table était joliment décorée et illuminée de bougies. Plus tard Boili a joué pour moi, et pendant que l’arbre brûlait nous avons eu de la musique de la radio, qui donnait les chants de Noël. Oh, j’ai eu un beau Noël, tellement plein d’espérances et bonheur tranquille. Quand j’ai vu l’arbre allumé, et toutes vos photos autour de nous, j’ai bien un peu p…. de l’œil, c’est compréhensible et je pense que cela m’arrivera tous les Noëls, mais sans cela tout s’est bien passé.
Le matin de Noël Boili s’est réveillé avant moi, et alors je n’osais pas me lever, avant qu’il m’appelle. On s’était promis de ne rien se donner que des petits cadeaux utiles. Moi je me suis bien tenue à ma promesse et je lui ai donné un porte monnaie dont il avait besoin, et une lotion pour les cheveux. Mais lui ! Enfin, pendant que j’étais au lit j’entendais un bruit de caisses, de chaises qu’on remuait et je me demandais ce qu’ils pouvaient bien faire avec Kaidi. Enfin, j’ai osé aller voir…. Et j’ai pleuré de plaisir. Dans un coin de la chambre, à côté d’une des fenêtres, se trouvait une jolie petite table à écrire, moderne, dans le style de nos meubles, mon désir depuis que nous sommes mariés. Quel plaisir j’ai eu, je ne puis pas vous le dire. 
petite table à écrire

Maintenant j’ai installé toutes mes paperasses et c’est de là que je paie tous mes fournisseurs à la fin du mois, ainsi je n’ai plus besoin de courir de droite à gauche à la recherche d’un papier, d’un crayon, de mon porte monnaie etc, car maintenant j’ai tout sous la main.
Mamali,  pendant que j’y pense, merci mille fois pour le coton à broder DMC. Je l’ai bien reçu deux jours avant Noël. Tu as raison, il ne faut plus rien m’envoyer, c’est trop incertain. Moi non plus je ne vous envoie plus rien on pourra se rattraper plus tard.
Le soir de St Sylvestre nous avons été invités chez les Dozy, mais je n’ai pas accepté, nous préférions être seuls les deux. Nous avons de nouveau été à l’église, de 81/2 à 91/2 heures puis en rentrant j’ai fait les oliebollen, une sorte de beignets soufflés qu’on mange en Hollande le soir de Sylvestre avec  du vin chaud. Nous avons soupé de cela, puis encore une fois allumé notre arbre, bu à votre santé, Oscar a joué mes morceaux préférés et à minuit nous avons été nous coucher.
Le jour de Nouvel An, nous avons été à la réception du directeur de la Banque, qui n’est plus Mr. Jöbsis, mais un Mr. Bär van Hemmersveil. J’avais d’abord demandé Annie Elout, ce qu’elle me conseillait, d’y aller ou de rester à la maison, alors elle a tout de suite répondu : Bien sûr que tu dois rester à la maison, qu’est-ce que tu vas aller te montrer là avec ton bidon (traduit littéralement elle a dit : qu’est-ce que tu va aller waggele là wie ne alti gans). Moi j’aurais bien voulu y aller, car je ne connais encore personne de la Banque vu que tout le monde a changé depuis deux ans, et puis je ne trouve pas que je waggele (marcher comme un canard) tellement, au contraire, on me dit toujours comme je marche encore allègrement. Alors j’ai encore demandé aux Dozy, et à droite et à gauche ce que les gens en pensaient et tout le monde m’a dit que je pouvais très bien y aller si je me sentais assez bien. Naturellement que je me sentais assez bien, et le lendemain matin quand les Elout sont venus chercher Oscar pour y aller, moi aussi je suis montée dans l’auto ainsi les deux Elout n’avaient pas du tout l’air enchantés ! Zut ! J’avais une belle robe qui m’allait bien et je n’étais pas plus grasse que les hollandaises. Une fois arrivés là, nous avons tout de suite été saluer tout le monde de notre côté, nous présentant nous mêmes et avons laissé les Elout aller du leur pour au moins qu’ils ne s’imaginent pas qu’on voulait rester pendus après eux. A la fin, c’est même Elout qui est venu vers moi pour blaguer un peu !!! J’ai fait la connaissance d’un Mr. Moquette qui m’a parlé en… Bärntütsch. Sa mère était Suisse, et il venait toujours passer ses vacances à Schaffhouse. A ma grande honte, il parlait plus couramment que moi !!! Mais aussi il y a si longtemps que je n’ai plus parlé le Bärntütsch ! C’est un type tout ce qu’il y a de sympathique, vraiment un mélange néerlandais-suisse tout ce qu’il y a de réussi !!! Il fait l’ascension de tous les volcans ici, dommage que je ne puis pas l’accompagner !!!
Pendant la semaine entre Noël et Nouvel An, Oscar a découvert que le chef d’une maison d’importation anglaise ici, MacLaine Watson, était son oncle Maurice (famille Warren), chez qui nous avons une fois été à Semarang depuis Keboemen. Nous leur avons téléphoné, ils nous ont tout de suite invités pour souper le même soir et nous avons vraiment eu beaucoup de plaisir. Ils ont deux enfants maintenant et avaient du plaisir à nous voir si heureux, nous deux. Le jour de Nouvel An, nous avons encore été leur souhaiter la bonne année et avons de nouveau eu l’impression que la sympathie entre nous était vraiment bien établie. Cette Margot, est seulement de deux ans plus âgée que moi, et lui, Maurice était le plus jeune frère de maman Woldringh (Zillia Warren), il doit avoir dans les 45-48 ans. Voilà donc des « relatives » que nous allons soigner.
Pour Noël, j’avais écrit un peu à toutes nos connaissances d’ici, entre autre aussi aux van der Stock avec qui nous étions bien liés il y a deux ans. Voici qu’un beau jour Oscar reçoit un coup de téléphone et quelqu’un lui annonce une visite pour le soir à 6 heures, mais il ne voulait pas dire son nom. Le soir, les v.d.Stock qui s’amènent avec leur petit garçon qui a 2 1/2 ans maintenant. Ils sont de nouveau placés à Batavia et arrivés de Palembang (Sumatra) 3 jours après nous. Le plaisir était grand de côté et d’autre de se revoir, et Go attend son second au mois d’avril. Ils étaient encore ici ce soir, Go et moi nous ne finissons pas de causer comme vous pensez bien.
Vous voyez qu’avant même d’être bien installés nous avons déjà énormément de connaissances. Nous avons aussi revu les H…mann (Häusermann ?) qui demeurent tout près d’ici et nous nous voyons de temps en temps, soit chez l’un soit chez l’autre. Maintenant il reste encore à rendre visite aux gens de la Banque, du moins aux plus importants. Oh lala, et moi qui croyait qu’on mènerait une petite vie bien retirée ici !!! Heureusement j’ai Kaidi, c’est lui qui s’occupe un peu de tout dans la maison, je n’ai qu’à contrôler en faisant le tour chaque matin.
Mes chers je regrette, je vais m’arrêter ici car j’ai les v.d.Stock qui m’ont retenue, de sorte que je n’ai pas pu écrire tant que je voulais, et pourtant cette lettre doit partir par ce courrier-ci, sans quoi vous pourriez vous inquiéter. Je t’accuse réception de ta 226, Mamms chérie, j‘y répondrai sous peu, et j’ai encore tant à vous dire, que demain je vais écrire la suite de ceci.
En attendant un bon muntschi à chacun. Félicite la Banely pour sa fête, Mamms.
Tous mes bons vœux et mes pensées affectueuses à chacun. Votre Ge…