vendredi 28 octobre 2016




Tjilatjap

9 novembre 1937

A sa maman
Merci beaucoup pour ta lettre 173 que j’ai  bien reçue et lue avec beaucoup de plaisir. Je ne vais pas y répondre longuement cette fois-ci parce que j’ai perdu mon temps au jardin ce matin et aussi parce que ma machine a le hoquet, ce que tu remarqueras bien. Tu sauras que ce n’est pas la Pfutlet qui écrit mal, mais bien la machine.
Nous avons aussi reçu une carte de Nöggi (Louis/Loulou) avec Eddy et Ans (frère de Oscar en Hollande). Je suis contente si Nöggi trouve cette Ans sympathique. Nous avons trouvé son frère tellement sympathique, ce Koo que j’avais si souvent chez moi à Batavia. Voilà aussi des gens à qui je n’ai plus écrit depuis plus de 6 mois, non, même plus, presque une année.
Nous avons reçu une longue lettre de papa Woldringh où il nous racontait la visite de Loulou (Bruxelles en route pour Londres). Je crois que Loulou s’est aussi bien plu chez eux. Alors il voyage beaucoup, notre Nögg. Je suis contente pour lui, si seulement Charlot pouvait s’en aller un peu, cela lui ferait du bien, car il en a besoin. Mais je pense que cela viendra aussi une fois plus tard.
Merci de tout cœur pour ta bonne lettre, tu as raison, il ne faut pas te préoccuper. Je me suis déjà tout dit cela avant même que tu m’écrives, tu sais je ne suis pas trop bête même si je ne suis qu’un « dräckli ». Mais tu comprends, cela fait du bien d’ouvrir son cœur et de pouvoir parler librement. Ici je n’ai personne, tu le sais bien, je ne me confie à personne. Et aussi longtemps qu’on est dans ma maison on (Mily) se considère une amie, tu penses. Je n’ai pas à me plaindre de cette visite, j’ai fait attention et expliqué les choses. Je n’ai pas toujours tout partagé ou raconté, la maison est assez grande et j’ai expliqué qu’ici aux Indes chacun est libre, surtout pour de si longs séjours, on ne doit pas toujours être ensemble. Je sortais aussi souvent avec Oscar sans qu’elle vienne avec. Ah non, tu sais mon mari d’abord et depuis le commencement j’ai mis les points sur les i et c’est vraiment bien allé. J’ai eu beaucoup de plaisir vraiment. On a bien ri et cela m’a aussi fait du bien, surtout justement dans cette période de crise. Tu sais, elle est bien bête, mais elle a bon cœur et elle n’est pas moindre de caractère, oh non, pas du tout. Nous avons beaucoup jodlé, rigolé et fait la cuisine suisse. Des chnöpfli (spätzli…), des rösti, etc. vraiment j’ai eu plus de plaisir que je ne m’y attendais. Elle était très très triste au commencement mais je lui parlais toujours et je suis bien arrivée à la remonter. Oh, tu verras, elle pourra te raconter un tas de choses de notre vie ici, dans ce but je lui ai raconté un peu plus que je ne l’aurais fait sans cela. Je me suis dit que c’en était une fois une avec  qui tu pourrais parler, pas comme avec les Engelhart qui ne pouvaient pas se faire comprendre. La Mily m’appelait aussi la Morri ! Un jour la baboe a lavé une robe pour elle, elle ne la pendait pas bien malgré qu’on le lui avait expliqué, alors la Mily tout d’un coup dit : Du donners Chuefüdle du ( toi, espèce de cul de vache) ! J’ai cru que je faisais aux culottes. Depuis nous avons toujours appelé la baboe ds chuefüdle (cul de  vache), le djongos est le Teigaff (singe empâté), le kebon dr Zibelegring (tête d’oignon) et la koki ds saumöntsch (sale humain), et le katjong ds mondchalb (veau lunaire) ***.
***ces mots en bernois ont une tout autre connotation en dialecte et ne sont pas insultants, comme ils le seraient en français, ils sont en principe intraduisibles et il s’agit plus du son émis que du sens). 
Oh, j’en ai profité pour mal parler, c’était formidable ce que nous avons juré, tu n’en as aucune idée.
La Mily m’a pourtant rendu un grand service.  Tu sais il y a ici le comptable de la fabrique, monsieur Engelenberg. Il a renvoyé sa femme après 17 ans de mariage, et maintenant il vit seul à l’hôtel. Je crois que je t’avais écrit cela. Enfin, ce type dans le temps gagnait énormément, mais il a trop fait la noce et tout perdu au jeu, il est passionné, c’est aussi pourquoi il a perdu une belle place. Maintenant il est ici à la Mexolie comme simple comptable, alors qu’il a déjà 40 ans. C’est le frère de madame Oppel, ceux chez qui nous avons eu cette rijsttafel à l’hôtel des Indes. C’est aussi par ces Oppel que cet Engelenberg est entré à la Mexolie. C’est un type calé et très bon pour son travail, mais voilà il ne se sent heureux que quand il peut jouer aux cartes etc. Enfin, pour moi ce type c’est un Ferdy (nom d’une connaissance en Suisse). Depuis le commencement je ne pouvais pas le sentir, même avant d’avoir su tous ces détails. Naturellement qu’il aimerait toujours que Buby aille s’amuser avec lui, il trouve les femmes de trop et embarrassantes, tu comprends. Lui, il est libre maintenant et il croit que les autres hommes devraient aussi l’être. Enfin, au commencement il venait chercher Buby et tâchait de l’avoir aussi souvent que possible et alors ils rentraient à des heures impossibles et souvent ils avaient trop bu. Enfin, j’ai eu du chagrin. Maintenant cela va mieux, je crois que Buby voit lui-même qu’il ne peut tout de même pas vivre ainsi. Qu’il fasse la noce de temps en temps il faut aussi lui accorder cela, mais quand même il y a des bornes. Enfin, Mily a été ici pendant ce temps et elle a pu s’en rendre compte, alors un soir elle m’a dit que je devais faire attention, que je montrais trop combien je détestais cet Engelenberg. Tu sais, elle m’a parlé comme toi tu l’aurais fait, comme tu l’as d’ailleurs fait souvent quand je faisais une figure méchante envers Ferdy. Alors cela m’a fait du bien, je me suis reprise et maintenant je fais mon possible pour cacher mon antipathie. Engelenberg l’a d’ailleurs aussi remarqué. Tu comprends je ne dis presque rien à Buby là-dessus, le silence est d’or, et je ne veux pas qu’il sache combien je le déteste. Pas besoin de tout dire. D’ailleurs cela va mieux maintenant, c’était juste le commencement, la nouveauté du Soos (le club) etc. Maintenant depuis que Mily m’a dit cela je me suis reprise, je me montre gaie etc. je crois que je regagne du terrain, tu comprends. Hier soir aussi on voulait justement sortir un peu quand ce « saucheib »(sale type) est venu chercher Buby pour une partie de billard. Je m’attendais à ce qu’il rentre de nouveau très tard mais il est revenu à 9 ½ heures. J’ai pensé que je voulais laisser aller les choses sans rien empêcher. Généralement les enfants mangent du chocolat jusqu’à ce qu’ils ne peuvent plus le voir et ensuite on a la paix. J’ai pensé que ce serait le même cas et je ne crois pas que je me trompe. Plus on a de liberté, moins elle a de charme. Ach, tu sais c’est chaque femme qui a des crises pareilles dans son mariage, il s’agit seulement d’y passer et je suis assez intelligente pour le faire. Seulement tu comprends, c’était mon premier putsch et c’est toujours un peu difficile, avec le temps on s’y fait.
Mamms, je n’ai plus de temps de t’en écrire plus long, mais enfin tu es tout à fait au courant de ce qui se passe maintenant.
Ah, je voulais encore te raconter cela. Je t’avais écrit que j’avais fait des économies, je voulais lui en faire la surprise pour sa fête, mais voilà qu’il y a quelques jours non déjà deux semaines, il a dit : si seulement j’avais de l’argent, l’occasion serait bonne pour acheter des papiers etc. Chaque fois qu’il entendait de nouveau les cours de la bourse il disait cela et Oliemans de la Banque aussi disait que le moment serait bon pour acheter. D’abord j’avais l’intention d’acheter moi-même un papier et de lui en faire cadeau pour sa fête, mas alors quand il disait toujours cela, je me suis dit non : moi je ne suis qu’une femme, pour lui cela lui fait du bien s’il peut s’en occuper lui-même, cela le fait causer avec Oliemans etc, et comme c’était justement ces moments difficiles, j’ai pensé que j’avais là une bonne arme contre Engelenberg et un beau jour je lui ai fait la surprise de lui mettre le carnet sous le nez. Mamms, tu aurais dû voir ce plaisir. Il avait encore plus de plaisir à moi, que j’avais si bien économisé qu’à l’argent même. Tu aurais dû voir comme il était fier de moi ! A cela j’ai bien vu que mon Buby était toujours le même au fonds, la girly a encore toujours la première place. Enfin, il a eu un plaisir fou, et maintenant il a pu acheter une action d’un bon fonds d’ici. C’est vraiment depuis ce moment là que son home a regagné du terrain, cela lui a donné le goût d’économiser, c’est à dire qu’il laisse ce soin à moi, mais tout de même, il fait attention. Enfin, je crois que j’ai choisi le moment psychologique pour que ma surprise fasse de l’effet.
Maintenant, Mamms, il faut que je file à la poste. Tout va bien ici, la santé comme le reste. La prochaine fois je vous en raconterai plus sur la vie de tous les jours.
N’est-ce pas, il ne faut pas te faire du souci pour moi, mais je te raconte tout parce que je te l’ai promis. D’ailleurs j’ai aussi dit à Mily qu’elle pouvait absolument tout te dire de ce qu’elle avait vu et vécu ici. Je ne sais pas encore ce qu’elle va faire, si elle rentrera bientôt. Je le pense.
U jetzt adie u furt (et maintenant adieu et loin)
Toujours votre …….Ge……



mercredi 26 octobre 2016




Tjilatjap

25 octobre 1937

J’ai bien reçu ta 172 et te remercie de tous les compliments que tu me fais. C’est même Buby qui a trouvé qu’il devait prendre le parti de sa femme, il a dit, oui, mais si toi tu écris 2 fois les mêmes choses, la Mothere les écrit bien 6 fois !!! Hein ? qui est-ce qui perd le filon ? Mais tu as raison, tu peux bien te moquer de moi, c’est salutaire et j’en ai besoin quelque fois. J’avoue que les derniers temps à Batavia je vivais trop en l’air, toujours j’avais du monde qui venait me déranger, toujours je partais, je sortais, je gondlais (flâner en ville), c’était fantastique. Ici je commence aussi déjà, mais je vais tout de même me prendre en main un peu plus.
Nelly le 8.8.1937

Pour le moment j’ai encore toujours la visite de Mily et j’en profite pour aller baigner tous les matins. Nous partons à 7 heures de la maison pour faire une demi-heure de marche sur la plage, on pourrait y marcher pendant des heures et des heures, toujours sur du beau sable noir, ensuite baigner une demi heure, déjeuner, fumer une cigarette (qui ? Nelly ou Mily ?) et puis rentrer. Vers les 10 heures nous sommes généralement à la maison où mes devoir de ménagère m’attendent. Quant à engager encore 3 Minas (l’aide de ménage de Rose) quand je viendrai, il y aura peut être bien quelque chose de vrai là-dedans, mais sûrement pas pour plus d’une semaine. J’y pense toujours ici aussi et on m’a déjà souvent fait la remarque combien moi j’étais restée européenne, que je m’attelais toujours avec beaucoup d’énergie à mes tâches.
Maintenant pour en venir à John et Jans. Premièrement ils ne demeurent pas à Bandoeng, c’est seulement la mère de John qui y demeure, et c’est une si vieille vache que je ne tiens plus à la voir de toute ma vie. John a maintenant quitté Solo et a trouvé une place dans une fabrique de sucre aux environs de Solo. Je ne sais pas si je t’avais écrit que Jans devait tellement souffrir, qu’il était méchant avec elle. Il y a 1 année et demie que j’ai écrit toute l’histoire à Kitty. Ces deux, John et Jans donc, retombent lentement dans la vie javanaise. Vous savez qu’ils sont les deux des demi-sangs, Jans a commencé à faire des dettes et à emprunter de l’argent partout, partout, parce qu’elle n’arrivais pas avec l’argent que John gagnait à payer leur train de vie. Par cela John a commencé à perdre confiance en elle, à la soupçonner, à la détester et à aller avec d’autres femmes. Maintenant il est dans les mains des femmes javanaises, il vit avec une ancienne baboe de Jans et une fois qu’un homme commence ainsi, il est presque perdu pour la vie européenne. C’est un tas de problèmes que je ne peux pas bien vous expliquer par lettre, il faut avoir vécu ici pour tout comprendre les pour et les contre. Nous avons fait tout notre possible pour tâcher de les relever, mais je ne crois pas que ce soit encore possible, vu qu’ils ont eux-mêmes du sang javanais dans les veines. Il faut plutôt avoir pitié de ces demi-sang, car ils ont en eux un combat continuel entre leurs deux races. J’ai assisté à des scènes entre ces deux qui m’ont rendue malade. D’ailleurs je crois te l’avoir écrit, Mamms. Depuis Jans m’a aussi trompée, en me demandant de l’argent, etc. et Oscar a trouvé qu’il valait mieux nous retirer. J’écris encore à Jans de temps en temps, mais John lui-même ne tient plus à venir chez moi, il ne se sent plus à la maison chez nous avec ses manières de kampong (village indigène). 
rizières inondées (1937)

Pourtant je vais leur écrire de nouveau, ils ne savent pas encore que nous sommes ici, et d’ailleurs je n’oublie pas ce que Jans a été pour moi au commencement.
J ‘ai bien ri en lisant l’histoire de Mies  (fille Engelhart)  et comme elle a pu se dépêcher d’écrire. Je vous comprends, elle n’était rien pour vous, elle ne peut pas se faire à notre genre suisse, welsche, mais moi connaissant aussi les gens ici et tant de choses dont vous n’avez aucune idée en Europe, je la comprends aussi, et tu dis toi-même, tout comprendre c’est tout pardonner. Toutefois comme en sont les choses tu as eu bien raison de ne plus la reprendre, Mamms. Il faut que chacun regarde pour soi et vive sa vie, du mieux qu’il peut. Ah, mais combien j’aimerais parler avec vous tous, avec les garçons qui ont encore la vie devant eux, la vie est si complexe, elle peut être si profonde dans ces conditions d’existence. Oh, ce que j’aimerais que les garçons puissent venir ici ! où l’on remarque si bien l’atavisme de chaque race, aussi de la race blanche.
Ainsi la Rötteli a été au club anglais !
J’ai bien reçu les journaux de Max avec le tank renversé et mon Nögg élégant comme un « sauhüngli » (sale type) qu’il est !
Le rêve que tu as eu de moi est sans doute la conséquence du cours de tes pensées à un moment donné.
Merci pour la photo de mon frangin Charlot, l’encyclopédie et les découpes de journaux sur les autos. Oscar les a lues avec intérêt, et je vais en faire autant. J’ai bien reçu une longue lettre de lui en réponse à la mienne. Sa lettre est datée du premier août, est-ce que ce serait celle qui était enfermée dans la 168 ? Alors je l’aurais bien reçue et elle est vernuschet (égarée). Si je n’ai pas répondu à Charlot, ni remercié pour sa lettre (pourtant il me semble que j’ai écrit à ce sujet dans une des tiennes) il faut mettre cela sur le compte de notre accident, des suites et du déménagement etc.
Nous allons recevoir un piano que nous devons garder pour quelqu’un pendant quelques mois. Oscar s’en réjouit énormément. Hier soir Mily nous a appris à jaser (jeu de cartes suisse), c’était tellement heimelig d’entendre le Buby dire « stöck » (point) ici à Tjilatjap. Hier, Mily et moi avons été en auto à Poerwegerto rendre visite à une Bernoise mariée à un hollandais. Elle a eu un immense plaisir, et demain elle viendra ici pour manger une Bärnerplatte (plat bernois) avec des rösti et du café. On va aussi jasser. C’est une femme qui est déjà ici depuis 17 ans, elle a deux enfants en Hollande, c’est quelque chose à la Fanny Leuenberger, un peu moins buurig (paysanne) mais tout aussi grosse. So, je te quitte car j’ai encore tant à écrire.




samedi 22 octobre 2016




Tjilatjap

19 octobre 1937

A sa maman

J’ai commencé la lettre pour toi hier soir, puis je l’ai continuée plutôt pour le Padre c’est pourquoi j’en recommence une pour toi.

Merci de tout cœur pour ta 171 à laquelle j’ai eu beaucoup de plaisir. Je suis contente de vous savoir en bonne santé et je pense que tu fileras bientôt à Nauheim (spa en Allemagne), mais comment tu fais avec le cumin (les finances), est-ce que tu en as ? Si seulement je pouvais t’aider et payer du bon temps, mais hélas…
 A propos tu sais ce que j’aimerais beaucoup ? de nouveau un petit Figarötli (liseuse pour les épaules), tu sais un simple comme d’habitude pour mettre au lit. Le mien que tu m’avais fait est fichu maintenant. Je l’ai donné pour frotter l’argenterie, car il est vraiment devenu une patte.
Depuis que Mily est là nous allons baigner tous les matins à 7 h. nous prenons notre déjeuner avec et mangeons après le bain. C’est chic et tellement sain, l’air est bon et tu devrais voir comme je me bronze et comme j’ai bonne mine. 

Plage Tjilatjap
Je suis la seule femme ici qui fasse cela, toute les autres femmelettes à Tjilatjap sont trop flemme ou aiment mieux se coudre des robes au lieu de consacrer une heure à leur santé tous les matins. Mily me rappelle beaucoup la Giggerli dans bien des choses, mais cela va bien, mieux que je ne pensais. Pendant son absence maintenant, son mari a profité pour prendre une autre chambre à l’hôtel et lui a écrit qu’elle pourrait s’en  louer une nouvelle de son côté si elle voulait revenir, mais qu’elle ferait mieux de rentrer à la maison (en Suisse…) directement. Naturellement moi je ne me mêle pas dans cette histoire, mais je tâche seulement de la remonter et de lui rendre du courage pour continuer à vivre seule de son côté. C’est une pauvre diable, elle l’aime encore toujours. Elle n’est pas perdue, elle peut rentrer chez ses parents, ils sont bien situés.
Vous êtes donc de nouveau à Bienne, je comprends que tu jouisses de nouveau de la salle à manger et du salon. Merci mille et mille fois pour les belles photos vers le lac. J’en ai eu un plaisir fou. Tu es très bien et vraiment tu as l’air en bonne santé. Tu as aussi l’air très jeune sur ces photos. 
cabane au bord du lac, Rose et Charlot
et les deux chiens

Je suis contente de savoir comment est ta cabane au bord du lac, je ne pouvais jamais bien me la représenter. Il ressemble aux cabanes que les javanais font dans les champs de riz pour se protéger du soleil quand ils surveillent la moisson. C’est tout à fait cela.
Oui, Nögg a raison s’il ne va pas perdre son temps avec la Mies pendant qu’il est à Londres. Je crois qu’elle aimerait revenir, qui est-ce qui n’aime pas revenir à Sutz quand ils y ont une fois goûté ? J’aurai aussi une fois la visite de tante Engel ici. Elle est toujours la même bonne âme. Avant que j’aie eu Mily, je lui avais écrit qu’ici c’était si difficile de se procurer des légumes. La population de Tjilatjap s’occupe de pêche, alors ils ne cultivent pas tant de légumes, de sorte qu’on ne peut presque rien acheter au « passar »(marché) et qu’il faut tout faire venir depuis Bandoeng. Moi je ne sais pas bien où il fallait m’adresser pour commander des légumes et maintenant tante Engel a demandé à sa belle sœur de m’en fournir régulièrement. Tu sais au moins tante Engel, elle ne me laisserait jamais en difficultés.
Traduction du bernois :
Ces derniers temps j’ai toujours un peu des histoires avec Buby. Ce coquin veut toujours aller au club, comme le Padre au Jura (bistrot à Bienne) et je fais la tête, ce qui le rend encore de plus mauvaise humeur jusqu’à ce qu’enfin dimanche dernier on se soit expliqué. Il m’a dit que je lui devais de le laisser être de temps à autre avec des copains, qu’il m’aimait quand même etc, ce dont je me suis bien rendu compte. La Rötteli m’aurait prêché la même chose, je l’entendais. Je vais me donner de la peine. J’ai été gâtée jusqu’à maintenant. Il y a quelques hommes plus âgés là, et il voudrait faire partie de leur groupe. Mais de temps à autre il rentre éméché, ce que je ne supporte pas.
D’autre part, j’aimerais tant avoir un enfant. Je ne comprends pas pourquoi cela ne fonctionne pas alors que tout va bien de ce côté là. Je ne comprends pas. Lui pense que j’avais très peur d’avoir un enfant, mais maintenant j’ai vu tant de femmes ici avec leurs bébés, ce n’est plus le cas. Enfin, laissons cela au bondieu, mais j’aimerais beaucoup avoir un bébé maintenant. Enfin, on verra.

Mily et moi allons faire des photos de la maison ici et tu en auras. Mily est folle de ma grande maison et de mon joli intérieur. Je pense qu’elle restera encore jusqu’à la fin du mois, elle ne me gêne pas, elle se retire dans le pavillon, cela va bien. Buby était à nouveau absent 3 jours la semaine passée et je suis contente de ne pas être seule.
Frank Elout a aussi été ici 3 jours. Il était gentil, il voulait venir voir comment on se trouvait ici et m’a demandé bien des fois si je me plaisais ici, naturellement que j’ai dit oui. Je pense que nous devrons bien rester plus longtemps qu’une année, enfin je n’en sais rien, mais je ne crois pas que nous puissions compter sur notre congé pour 1938, maintenant qu’Oscar est avancé ainsi. J’espère que cela ne te fait pas trop mal au cœur….

Bon, je dois aller voir à la cuisine ce que fait la koki. On fait de la daube (rôti mariné). Je ne l’ai jamais réussie avant et maintenant c’est Mily qui va surveiller que ce soit bien fait. On verra. Oh tu aurais dû voir ces zibele rösti (rösti aux oignons) qu’on s’est payé, les garçons auraient de nouveau pu futtere (râler) sur leur sœur qui aime tant les oignons.
Mily m’a apporté un très joli peigne de poche en argent et une poudrière, j’en ai beaucoup de plaisir. Maintenant elle apprend à se faire une robe sous ma direction. On peut bien rire, elle ne sait encore rien coudre. On se fait les deux la même. 
Nelly et Mily,
et le chien Alert

Oh tu sais on passe de bons moments ensemble, et surtout quand on bärnere (parle en dialecte) et qu’on chante tous nos chants. C’est la première fois depuis que je suis aux Indes que je pense tant à la Suisse et que je vis à la Suisse, mais aussi j’en jouis sans avoir l’ennui. Non, je suis heureuse ici avec mon Buby et je serais bien bête d’avoir l’ennui. La Suisse je l’aime bien et je ne l’oublie pas, mais j’aime aussi mon Buby et cela me remplit le cœur et me rend heureuse, alors qu’est-ce que je peux désirer de plus ? si longtemps que je vous sais tous en bonne santé, je suis tranquille ici.
Voilà, je dois terminer, sinon la poste s’en va sans ma lettre.
Tu ne dois surtout pas te faire de soucis quant à ce que je t’ai raconté. Tu sais que je t’écris toujours les choses comme elles sont. Je suis franche et tu dois l’être aussi.












Tjilatjap

18 octobre 1937

Merci de tout cœur pour la 171 et la bonne lettre du Padre. Je suis contente que j’aie réussi à te faire plaisir avec cette commande (de montres, voir lettre du 16.9.37 à Milex)) et l’adresse d’Engelke. J’espère que maintenant que tu as l’adresse de Stöcker, tu auras confirmé la commande par avion, afin qu’il sache où il en est. Il m’a déjà fait demander par madame Lenzinger (Leuzinger ?), la Consule, qui a été invitée chez lui avant de venir ici, si donc, j’avais écrit à mon père concernant cette commande. Tu m’écris que tu veux établir une facture pro forma, je trouve que c’est bien, mais l’as-tu envoyée maintenant ? Bats le fer pendant qu’il est chaud.
Tout ce que tu me dis concernant les affaires m’a beaucoup intéressée. Je lis bien toujours le Journal du Jura, mais une lettre du Padre vaut encore toujours 1000 fois plus.
Concernant ces chapeaux de pêcheurs, hatti chönne gift druuf näh, (j’aurais pu le jurer) que tu tâcherais d’entamer une affaire avec Osci. Mais je ne crois pas que tu t’y sois bien pris, cela te reviendra beaucoup trop  cher. Moi je l’ai payé Fl. 1.15 dans un grand magasin japonais, à la Bouldoire (à l’époque à Bienne). Il me semblait que c’est justement Osci qui aurait pu faire les supports puisque c’est en baleine de parapluie. Et pourquoi tu en as commandé 100 pièces, cela te fera de nouveau du stock qui traîne et tu devras te fendre en quatre pour t’en débarrasser de droite à gauche. Tu en as déjà tant entamé de ces sortes d’affaires ! Quant à d’autres articles japonais, je ne peux pas bien te les procurer, car tout le comptant de ces choses-là, c’est celui du grand public dans les grands magasins, mais je suis toujours à l’aguêt de quoi que ce soit de neuf.
Je vais te faire parvenir une sorte de briquet très en vogue chez les javanais ici autour de Tjilatjap. Il est simple comme bonjour et surtout pratique pour dans l’auto et au grand vent, car plus il y a de vent, mieux il brûle. La prochaine fois que Buby ira en tournée il m’en rapportera. On ne peut pas se les procurer dans les magasins chinois ici sur place.
Est-ce  ma procuration concernant le Chalet que tu as donnée à Charlot ? Ou est-ce celle du bureau ? Oui, je pense bien que c’est cette dernière. Tu as bien fait de donner une action à Mottet (le fidèle comptable…), je trouve qu’il l’a mérite bien.
Je n’arrive pas à écrire beaucoup cette fois-ci. J’ai la visite de madame Lenzinger (Mily, la « consulate ») depuis une semaine, et vraiment j’en jouis bien. 

à gauche Mily (foulard) et Nelly à droite
On se fait des rösti (pommes de terres rôties en galette), on lit du Bärndütsch, mer tue wuescht rede (nous parlons vilain), on chante, on jodle ( !), on fait jouer tes disques. Ce soir on a bouffé une eierrösti (rösti avec des œufs) excellent, il nous a fallu aller promener pendant 2 heures au clair de lune pour la digérer tellement on en a mangé. Buby est allé jouer au bridge au club. Il y va souvent maintenant qu’il a trouvé des hommes. Je le lui accorde bien, seulement moi il faut apprendre à m’y faire que je sois souvent seule le soir, j’ai été gâtée jusqu’à présent, l’ayant toujours eu à moi. Enfin, il faut de tout dans la vie !
Cette semaine nous avons eu la visite de Elout pendant trois jours. On ne s’est jamais couché avant trois heures du matin, toujours au Soos (club) etc. c’était fantastique. Ma maison est de nouveau un vrai Tubehuus (pigeonnier), Mily n’en revient pas, elle qui pensait s’ennuyer à Tjilatjap, elle trouve que les journées ici passent beaucoup trop vite. En tous cas, elles passent bien trop vite pour moi, je n’arrive jamais à faire tout ce que je devrais.
Après demain j’attends la visite de mr. La Bastide (de la direction de Batavia) qui restera aussi quelques jours. Vois-tu ma maison c’est comme à Sutz pendant les première années, une visite chasse l’autre.
Merci pour tes exhortations à ne pas trop faire la noce et mettre quelques sous de côté. Malheureusement on n’arrive pas à le faire malgré que je sois vraiment économe.


jeudi 20 octobre 2016





Tjilatjap

4 octobre 1937


A sa maman
Bien reçu ta lettre 180 pour laquelle je te remercie comme d’habitude de tout cœur. Aha, ma Rötteli commence à ronchonner sur sa GE… elle perd la mémoire, la Ge, hein ? C’est les tropiques ! Oh, j’ai bien ri en lisant cela, et je vais me dépêcher de rattraper cette mémoire perdue.
Plage près de Tjilatjap
C’est bien vrai que j’ai vécu terriblement en l’air les derniers temps que j’étais à Batavia, mais tu comprends il fallait encore en profiter avant d’aller s’enterrer à Tjilatjap-les-bains

Et puis ici, c’est la mode, quand quelqu’un part, on les fête encore, on leur offre des petits dîners, des party de ceci, des party de cela, et le matin on est fatigué, on n’a pas envie d’écrire, et puis il vient des visites, on va en ville, on fait n’importe quoi et on a toujours des excuses pour remettre d’écrire la lettre hebdomadaire. Maintenant, cela ira de nouveau mieux, la vie est plus tranquille ici, mieux réglée. J’ai l’impression d’être à Sutz, à la campagne après un long et bel hiver à Bienne. Je ne vais plus te raconter tout ce que nous avons fait à Batavia, ce serait trop long, suffit que nous nous sommes bien amusés et en avons profité 100%. Maintenant je suis bien contente d’être ici pour quelques temps, de diriger ma maison et mener une vie plus calme et rangée. Je vais beaucoup promener, au bord de la mer, avec  mon chien Alert, un jeune Bull-terrier, pur sang, vilain comme tout, mais gentil. Le soir on va jouer au tennis au club.
Ma maison n’est pas encore tout à fait terminée, l’installation je veux dire. Tout a été repeint à neuf, une chambre après l’autre, cela fait qu’il a toujours fallu déménager et je n’ai pas encore pu déballer tout et mettre tout en place. Cela viendra dans le courant de cette semaine. Entre temps j’ai cousu des rideaux, j’ai fait refaire mes matelas etc. Tu sais ce n’est pas si facile de se remettre à un ménage sur grand pied après notre vie de vagabonds au flat. Ici j’ai neuf chambres ! et 5 domestiques, dont il a fallu organiser le travail minutieusement, sans quoi ils se traînent dans les coins à dormir et paresser. J’ai un très grand jardin qui a été mal entretenu et qu’il me faut complètement replanter.
Voilà, maintenant je vais répondre à tes questions. J’ai bien reçu tes lettres 167, 169 et 170 mais pas la 168.
Premièrement je vous demande toutes mes excuses d’avoir trop peu affranchi mes lettres. Cela vient de ce que les tarifs postaux ont tous baissé ici. Maintenant on peut envoyer 10 grammes pour le prix de 5 grammes et pour la Hollande les lettres sont extra bon marché. A partir du 9 octobre il y aura la poste avion trois fois par semaine de sorte qu’il n’y aura presque plus de jours fixe pour expédier ou recevoir du courrier. Les  premiers temps après le changement je n’avais pas bien compris la circulaire et j’ai vraiment mal affranchi mes lettres, mais cela n’arrivera plus Je vous demande bien pardon de tous les frais que je vous ai causés. A l’avenir donc une lettre de 10 gr sera affranchie 45 cents. Ce tarif est juste et si vous deviez payer une amende là dessus, il faut réclamer à la poste. Il en sera de même pour les lettres par bateau dont les tarifs vont aussi baisser, mais je ne sais pas encore de combien. Voici déjà 2 lettres que j’ai affranchies exactement, celle-ci doit donc être la troisième.
chapeau de pêche asiatique

J’aimerais aussi savoir si vous avez du payer de la douane ou autre chose pour ce chapeau de papali. Il faut toujours me dire si ces petits paquets vous occasionnent des frais.
Tjilatjap, pêcheurs

Tjilatjap ,pêcheurs
Ce chapeau pour Faaather doit enrichir la collection des chapeaux de pêche, c’est vraiment un chapeau japonais pour pêcheurs. Il doit protéger contre le soleil et surtout contre la chaleur, c’est pourquoi il est bâti à courants d’air ! Peut être que vous pouvez aussi l’employer contre la pluie, je ne sais pas Je l’ai acheté à Soerabaya et j’avais tant de plaisir en le voyant et en me figurant la binette du Padre là-dessous !


Lettre 170. Je regrette beaucoup pour vous que cette Mies ait été une pensionnaire si désagréable. Non cela ne va plus, je ne vais plus t’envoyer personne, Mamms, je comprends bien que cela t’énerve trop, surtout pour toujours faire « gigle » (arranger) tout et tout le monde et que l’église reste au milieu du village avec le Padre.
J’ai pourtant reçu des lettres enthousiastes de tante Engel à propos des nouvelles que Mies envoyait à la maison. Enfin, moi aussi je suis contente que tu ne l’aies pas  gardée 4 mois dans ces conditions là. Pauvre Mamms, je peux si bien me représenter le plaisir que tu dois avoir ressenti en la voyant partir.
Tu me demande si cela ne revient pas trop cher pour nous d’avoir 5 domestiques. Oui, c’est bien plus cher qu’à Batavia, mais la vie est aussi tout autrement ici. Premièrement nous gagnons maintenant Fl. 350.- fixe, plus 1 cent par pikol (environ 60 kg) de coprah tourné par mois, ce qui fait une somme variant selon les conditions de travail de la fabrique. Il y a des mauvais mois comme il y en a de bons, mais en moyenne nous pouvons compter sur Fl. 60.-. Ce mois de septembre-ci nous en avons eu Fl. 100.-, ayant moulu 10'000 pikol. Vu que la fabrique n’a pas ses propres maisons ici à Tjilatjap, nous recevons une allocation pour le loyer et la lumière, Fl. 70.-. Erkelens là-dessus faisait encore du profit, mais nous avons dû prendre la maison avec le pavillon (pour les visites) vu qu’il y avait beaucoup d’amateurs. Le loyer et la lumière nous reviennent maintenant exactement à Fl. 70.- et d’ailleurs, quand Mr. Witkoop a été ici, il a trouvé la maison tellement bien qu’il a demandé de la louer au nom de la Mexolie. Nous avons donc logement libre comme à Keboemen. Les 5 domestiques me reviennent ensemble à Fl. 40.-. J’ai bien un ménage plus cher que quand nous vivions pour nous deux à Batavia, mais ici on demande de moi que je reçoive un peu. 
Le climat ici est plus frais qu’à Batavia, moins chaud, mais aussi un peu plus humide. Il a un avantage, nous sommes tout au bord de la mer, l’air est sain. Il y a 3 mois dans l’année, à l’époque du changement des moussons, il faut faire attention à la malaria. Environ une fois par année il y a une épidémie de malaria ici. Je vous raconte cela parce que j’ai promis de tout vous dire, mais il ne faut pas t’en faire Mamms. C’est moins terrible qu’on ne pense en Europe. D’ailleurs on peut prendre ses précautions qui consistent en une propreté minutieuse dedans et autour de la maison, hygiène, hygiène, c’est la condition de vie ici. J’ai immédiatement pris l’habitude de me faire frictionner tous les soirs à la tombée de la nuit avec une huile qu’on appelle en Europe Citronelle oil. Elle sent très fort le sirop de citron et les moustiques n’aiment pas cet air là. Tous les soirs à la tombée de la nuit, qu’il y ait des visites ou non, la baboe s’amène avec sa bouteille et m’en frictionne les  jambes et les bras, soit tout ce qui n’est pas couvert par les habits. A Buby aussi les chevilles.
Tu me demandes si je ne regrette pas d’avoir dû laisser toutes mes bonnes connaissances à Batavia. D’un côté bien un peu, la compagnie me manque de temps en temps, mais je m’y fais et puis je t’ai dit plus haut, je ne suis pas fâchée de mener une vie plus calme, un peu, plus réglée. J’ai aussi du plaisir à mon ménage de nouveau, j’ai une bonne koki, (femme pour la cuisine) je vais me remettre à faire des cakes etc, et puis j’aurai aussi beaucoup de visites.
En même temps que nous, sont aussi arrivés les Oliemans de Batavia, l’agent de la Banque ici. Je vous l’ai déjà écrit dans ma lettre précédente, je crois. Ils sont gentils et nous nous entendons bien avec eux.
La madame Consul, je l’attends un de ces jours ici. Cela ne va toujours pas avec son mari, et je crois qu’elle va quand même consentir à être réexpédiée en Suisse. Tu sais c’est une pauvre diable. Elle est bête mais elle a bon cœur. Son mari lui en fait voir de toutes les couleurs. Elle restera ici une semaine ou deux, peut être même plus. Elle habitera le pavillon avec une véranda et une grande chambre tout à fait pour elle, de sorte que nous ne serons pas obligés d’être toujours en sa compagnie. Elle va venir m’aider à coudre des rideaux encore, et à finir tout un tas de choses pour bien installer la maison, faire des abats-jour etc. Il me faut énormément de choses pour cette grande maison, et j’ai encore toujours le principe de tout faire aussi économiquement que possible.
Les Elout sont restés à Batavia. Nous nous sommes quittés bons amis. Le soir de ma fête je leur ai offert un petit dîner au flat, rien que des hors d’œuvre, et nous nous sommes bien amusés encore. Depuis que je suis ici je n’ai pas encore écrit.
Bien sûr que nous voyons Ir chaque fois que nous allons à Bandoeng. Ils sortent beaucoup et nous sommes toujours sûrs de les rencontrer quelque part, de sorte que je prends toujours la précaution de leur téléphoner sitôt arrivée à Bandoeng et leur dire où je loge. Une des prochaines fois nous irons de nouveau loger chez eux. Je crois que Bernard est sorti du service et s’est associé avec un médecin pour une pratique privée. Ils ont de l’argent, ils peuvent bien se payer cet essai sur les chances de la fortune. Tout cela ne veut pas dire que nous ne soyons plus bien avec Ir et Bernard, pas du tout, seulement ici chacun est libre et ils ne nous en veulent pas du tout si nous n’allons pas toujours chez eux.
De papa Woldringh nous n’avons plus eu beaucoup de nouvelles. Ils ont été en Angleterre pendant plusieurs semaines, puis en Hollande pour installer Bob (demi frère d’Oscar, âgé de 10 ans environ) dans une école hollandaise de nouveau et je crois que maintenant ils sont de retour à Bruxelles. J’ai vraiment honte quand j’y pense, mais je ne lui ai plus écrit depuis 2 mois. Toutefois je crois qu’ils se portent bien tous.
Oui j’ai repris mon poids normal, c’est-à-dire 60 kg (elle mesure 1.72). Ces injections d’arsenic m’ont fait un bien énorme, tout comme dans le temps quand je les avais reçues de Rummel. J’ai bonne mine, et maintenant je vais baigner dans la mer tous les jours. Madame Oliemans vient me chercher à 11 heures, on va attendre les enfants au sortir de l’école et vite on file baigner jusqu’à 1 heures. C’est épatant.
Oui j’ai bien reçu tous les caleçons de Tatali (décédée…). Ils sont très jolis mais ils me sont encore trop grands. Toutefois je les garde précieusement car je suis sûre que je trouverai toujours à les employer plus tard.
C’est vrai que nous avons commencé notre 5ième année ici. Le temps file vite tout de même, il me semble qu’il n’y a que quelques mois que je vous ai quittés. Je pense bien quelques fois à notre congé mais n’ose encore trop m’en réjouir. Nous n’avons encore rien entendu de définitif de sorte que nous n’osons encore aucunement faire des plans ni compter sur une date précise.
Je vois que tu as toujours passablement de visites au Chalet. Donc les Kiek (amis hollandais où Nelly a rencontré Oscar) sont revenus, c’est moi qui leur avais écrit en dernier lieu et il y a des années que je n’ai plus eu de leurs nouvelles.
J’ai eu beaucoup de plaisir à la photo de mon Nögg. Ce sale type est vraiment trop bien, mais tout comme toi j’en suis fière ! J’ai frémi à l’idée de l’accident qui aurait pu lui arriver, bon sang. Ils ne peuvent pas être assez prudents les garçons. C’est terrible toujours cette idée de guerre partout, et même qu’on l’implante dans les esprits les plus pacifiques. On en entend aussi de toutes les couleurs ici de la Chine et du Japon. C’est fou ce qu’on fortifie l’armée ici aussi, toujours des manœuvres, des manœuvres. Quand Buby était au service il est aussi presque arrivé un accident. Buby avait la charge de diriger le canon contre les avions et un soldat a pris peur ou perdu la tête, ce qui arrive souvent avec ces javanais, alors il a tiré avant que Buby n’ait donné le signal et la balle a passé environ 80 m devant l’avion au lieu d’être dirigée sur un sac traînant derrière l’avion. Il paraît que le pilote a eu une frousse terrible et Oscar a reçu une belle eng… malgré qu’il n’en pouvait rien.
J’ai pensé à vous au Jeune fédéral. Avez-vous mangé du bon Zwätschge Chueche (gâteau aux pruneaux traditionnel) ? Avez-vous beaucoup de fruits cette année ? Et le raisin ? C’est madame la Consul qui aura l’ennui, je pense, car son père possède de grandes vignes au Valais, et elle allait vendanger toutes les années.
Je comprends que la Mies n’aime pas retourner aux Indes, car ici elle n’aura rien, rien, absolument rien du tout, surtout aussi longtemps que ses parents seront à Meritjian. Enfin, à chacun de se débrouiller.
Je viens de recevoir une lettre de la Consul, elle viendra mercredi ou jeudi, en ce moment elle est à Bandoeng chez une famille Ruegg.
Pendant que j’y pense, j’avais oublié de donner l’adresse exacte dans ma commande de Stöcker. C’est donc : Horlogerie Stöcker, Bragaweg, Bandoeng.
Merci encore pour ta lettre 169 et tous vos vœux de bonne fête. Je suis contente que tu ais tellement pu jouir du Chalet cet été, et que tu te sois fait du bien avec les bains du lac.
Et la visite de René (oncle de Nelly, de Londres), l’as-tu eue ?
Il y a bien longtemps que je n’ai plus écrit à Max (mari veuf de Tatali), il faudra que je m’y mette. Tu me dis qu’il est devenu tout blanc, eh bien, moi aussi je deviens toute grise. C’est venu tout d’un coup, mes tempes sont déjà poivre et sel. Cela vous semblera drôle quand vous me reverrez !
Si seulement cela donnait quelque chose avec Mina (employée de Rose) et ce type vers le lac, mais je pense que c’est un nouveau désappointement.
Je ne sais plus si j’ai remercié Padre pour les 2 curlers qu’il m’a envoyés. J’en ai eu du plaisir et je peux bien les employer ici de temps en temps quand mes cheveux sont trop longs et que je ne peux pas aller chez le coiffeur. Toutefois c’est décidé que j’accompagnerai Buby dans ses tournées de temps en temps, quoiqu’elles sont très très fatigantes.
Je pense que maintenant vous êtes de nouveau à Bienne. Quand est-ce que tu pars pour Nauheim (bains en Allemagne), Mamms ?
Cette pression qui ne veut pas descendre, mais je pense que tu as de nouveau trop commencé à boire de la bière. Est-ce que ce Chörbli (Chrüttli ?) chrut schnaps (eau de vie d’herbes médicinale) t’a fait du bien ? Pense, j’ai encore de celui que tu m’as donné avec il y a 4 ans, et j’ai aussi encore un peu de cognac !
Maintenant je vais vous quitter pour courir à la poste, ensuite me mettre à mes rideaux de nouveau et vers midi aller baigner. Nous sommes en train de faire nos visites, tous les soirs une, c’est embêtant mais c’est nécessaire. Nous avons déjà eu plusieurs soirées au club ici, entre autre lors de la visite d’un bateau de Soerabaya. On s’amuse pas mal, mais cela revient cher. Enfin, sitôt que je serai un peu mieux installée ici, il me faudra faire un budget pour économiser. Nom d’une pipe voilà 4 ans qu’on y est et on n’a encore rien de côté, c’est fou. Enfin, faut pas d’en faire pour nous, surtout pas pour ta Ge… !
Oscar aussi est passablement content d’être ici quoique cela n’est pas facile de mettre les affaires en train. Cet Erkelens a eu un chni affreux,  pas d’ordre, pas d’organisation, rien. Tjilatjap jusqu’ici a été la fabrique la plus mal administrée et on les volait de partout. On compte maintenant sur Buby pour tout remettre sur un bon pied. J’espère qu’il réussira et donnera satisfaction, alors il sera mûr pour la place d’Elout à Batavia. C’est du moins ce que Elout lui a dit, parce que lui-même veut retourner à la Banque pour continuer sa carrière comme banquier. Pour prendre sa place il manquait encore de la pratique à Buby, c’est ce qu’il a ici maintenant. Si donc, pendant le congé d’Erkelens Buby donne satisfaction ici, on aura la perspective de retourner à Batavia. Je ne crois pas que nous resterons plus d’une année ici.
Est-ce que je t’ai écrit qu’on s’est acheté un beau tapis chinois ? A rug, 2mx3m, bleu marin, uni avec un bord beige uni et seulement dans les coins une branche avec quelques feuilles vertes et des brins de roseaux. C’est un très très joli tapis, tout le monde l’admire et il me revenait aussi cher qu’un tapis de même grandeur en moquette européenne. Alors tu comprends j’aimais mieux acheter cela.
Et voilà, je te quitte de nouveau pour cette fois. Entre temps j’ai eu la visite de madame Oliemans et maintenant il ne me reste que le temps de filer à la poste.




dimanche 16 octobre 2016





Tjilatjap

16 septembre 1937

Enfin vous aurez de nouveau une lettre comme il faut de la GE…  Et moi j’ai aussi enfin reçu ta lettre 169, qui a eu du retard à Batavia à cause du changement d’adresse. Je pense que maintenant tu auras aussi reçu mon adresse à Tjilatjap
Hoofdweg vu de la maison

Tu n’aurais pas eu besoin de t’en faire, mais simplement envoyer ta lettre via la Mexolie, comme à Keboemen. Nous habitons ici au Hoofdweg, ce qui veut dire Rue principale, mais tu peux tout aussi bien mettre sur tes lettres Woldringh c/o Mexolie, Tjilatjap, Mid Java. Oscar étant le patron maintenant, tout le courrier vient machinalement chez nous.
Je suis si contente que tout aille bien, surtout que vous soyez tous en bonne santé. Je me suis fait beaucoup de souci, jusqu’à ce que j’aie reçu une lettre de tante Engel où elle me raconte comme Mies était heureuse chez vous et comme elle avait bon temps. Alors je me suis dit que tout devait assez bien aller et que sûrement une lettre s’était égarée.
Voilà bientôt un mois que nous sommes ici. Nous sommes donc partis le 22 août de Batavia et avons été à Bandoeng pour le week-end. Là nous avons logé dans l’Hotel Preanger, un Grand Hôtel. Nous nous sommes encore payé ce luxe avant d’aller nous enterrer dans notre patelin. Le soir nous avons trouvé les van der Lee avec qui nous avons fêté comme d’habitude. D’abord au cinéma et ensuite souper au Soos (club) et dansé. Là il y avait aussi un jeune homme de la Banque, celui qui est assis à côté de madame Oppel sur la photo rijsttafel, le jeune Klüwe. Il dansait aussi avec une jeune fille qu’il me semblait connaître, je ne pouvais pas la placer. Enfin je n’y pensais plus quand le lendemain à l’Hôtel ce jeune homme dînait à une table près de la nôtre, avec trois personnes. C’était les Allemand (nom de famille) avec la jeune Huguenin, et c’était elle qui dansait le soir avant avec Klüwe. Aha !!! Elle a fait le voyage avec lui, et le reste vous pouvez le penser. Klüwe est venu exprès de Batavia pour passer le week-end avec eux. Après le dîner, j’ai téléphoné à madame Allemand pour la saluer. La jeune Huguenin n’était pas là ( !) et les Allemand devaient sortir, je ne les ai donc pas vu personnellement. La jeune rentre en Suisse en Novembre. Il m’a semblé que la tante en avait assez, et cela je le comprends bien, si elle doit aller promener sa nièce ainsi. Et voilà peut être une seconde Biennoise qui sera accrochée à un hollandais de la Handelsbank et aux Indes. Le monde est petit. Ce jeune Klüwe est bien, mais n’allez pas encore le chanter à Bienne, car je ne sais absolument pas si mes suppositions sont justes.
Nous sommes arrivés ici le lundi dans l’après-midi et étions les hôtes des Erkelens pendant 15 jours. Elle m’avait donné deux chambres que j’ai provisoirement meublées avec mes meubles qui étaient venus de Keboemen. Ensuite elle a fait les enchères de ses propres meubles et moi j’ai mis les miens en place dans toute la maison et automatiquement ils sont devenus mes hôtes pour les derniers 15 jours qu’ils restent encore ici. Je vous laisse penser le fourbi et le gstürm (stress) qu’on a eu avec toutes ces histoires de meubles. J’ai encore tout le ménage du jeune Nieburg ici, celui qui a pris notre place à Batavia. Il va dans un hôtel. Là alors je lui ai demandé ses meubles aussi longtemps qu’il ne les emploie pas, ainsi je peux un peu mieux remplir ma maison et je suis quitte d’acheter un tas de choses. Les Erkelens laissent aussi des choses ici, alors je dois faire des inventaires de tout, car il faut de l’ordre. 
Cela m’a donné bien du souci jusqu’à ce que la maison soit organisée, mais maintenant elle est bien jolie. Mon salon est simplement ravissant. Mes meubles font tellement d’effet dans cette chambre si grande, 3 x 12 mètres.

 Avant de partir de Batavia nous avons encore acheté un merveilleux petit tapis chinois, bleu marin avec un bord beige, et dans deux des coins des branches d’arbres en fleurs, beige avec quelques feuilles vertes. La plus grande surface du tapis est unie. Tout le monde l’admire et j’en ai un plaisir fou. Il ne nous revenait pas plus cher qu’un tapis en bonne moquette européenne. C’est mille fois plus moderne et joli qu’un tapis de Perse. Buby a encore acheté la bibliothèque d’Erkelens aux enchères, seulement pour Fl. 1.20. Je vous enverrai un plan de la maison un peu plus tard.
Samedi passé les hommes devaient aller à Bandoeng pour affaires, alors nous les avons accompagné, et j’en ai profité pour acheter des rideaux etc. Le dimanche matin nous avons été au Tangkoebang Prahoe, un grand cratère près de Bandoeng, alt. 2100 m  une belle route pour auto jusqu’au haut avec un hôtel avec piscine. C’était vraiment bien.
Mais ce qui est mieux c’est que, non , cela je vais l’écrire sur une feuille spécialement pour mon maca-macaca-macaroni.
Pour en revenir à notre vie d’ici, j’ai aussi le vieux Röhwer et la Rickshaw de Keboemen en visite. Lui devait venir pour la fabrique ici, il est resté 10 jours, et elle seulement pour un week-end. J’avais donc les Erkelens, Röhwer, et avant hier encore Mr. Witkoop de Batavia. Röhwer a logé ici complètement, Witkoop je l’ai seulement eu pour une rijsttafel. Tu vois Mamms, que moi aussi je connais les Gstürm, et tout cela dans une maison encore pleine de caisses pas déballées.
J’ai repris tous les domestiques de Madame Erkelens, 5 en tout, une koki, une baboe pour laver et faire les chambres, un djongos, un kebon et un catjeng, un jeune pour tout faire, et qui la plupart du temps ne fout rien. J’ai un immense jardin et Buby a déjà acheté un jeune chien, race bull-terrier, avec  Stammbaum. Il s’appelle Alert, il est vilain mais gentil et surtout bon chien de garde. Il me faut cela, car Buby doit faire des tournées de deux jours, c’est pas comme à Keboemen où ils revenaient le soir. Je vais l’accompagner quelques fois, mais je resterai aussi souvent seule ici, car c’est trop fatiguant ces tournées, surtout quand on connaît le chemin.
Les Oliemans de la Banque der Batavia sont aussi arrivés. Ils sont aussi sur la photo Oppel, ils sont sympathiques et je m’entends bien avec elle.
Oh, nous avons encore eu un si bon temps à Batavia, avant de partir. Je ne vous ais pas encore écrit de notre soirée au restaurant japonais, où nous devions enlever nos souliers et nous asseoir par terre à des tables basses pour manger du soukiyaki. (sukiyaki, plat unique de viande et légumes) Et Mr. Jöbsis qui nous a offert un souper d’adieu ? Et moi qui avais invité 10 personnes pour boire le reste des bouteilles chez moi au flat. Comme je n’avais plus d’assiettes et rien du tout, j’ai offert des frankfurterli (petites saucisses) et des petits pains à bouffer sur le pouce. Cela a duré jusqu’au matin à 04 heures. Nous avons tous eu des petites chiques, et avons été les cuver au bord de la mer à Priok, 8 personnes dans une petite auto à 4 places !!! C’était gai et tout le monde veut venir chez moi en visite à Tjilatjap. J’ai invité Schreuder et Koo (le frère à Ans, la fiancée d’Eddy) pour Noël. Enfin, je prévois que ma maison ici sera tout à fait une succursale du Chalet Sutz, une place où les visites ne s’en vont plus. Mais zut, aussi longtemps qu’on y est heureux !
Mes bien chers, je jouis de nouveau tellement d’être dehors, de vivre à la campagne, des belles promenades au bord de la mer.  Ce samedi-ci nous aurons la visite d’un bateau école de Soerabaya, alors Tjilatjap offre un grand bal au Soos, à tous ces officiers et cadets de marine. Je pense que cela sera gai. Vous voyez, on n’a pas le temps de s’ennuyer.
Je vous demande toutes mes excuses de ne pas assez avoir affranchi mes lettres. Je m’en suis aperçue trop tard. C’est que tous les tarifs ici ont baissé de plus du double, mais seulement pour la Hollande. Pour la Suisse c’est le double, c’est à dire que je puis mettre 10 gr pour 45 cents au lieu de 5 seulement. Cela n’arrivera plus à l’avenir, et tu n’auras plus besoin de ronchonner, vieux Nögg. D’ailleurs est-ce que ce ne serait pas une occasion d’écrire à une certaine Schwoscht, même si ce n’est que pour l’eng… ?
Merci infiniment pour les deux photos. J’en ai eu beaucoup de plaisir. Tu es très bien Mamms, est-ce une nouvelle robe d’été que tu as mise ? Charlot, je trouve affreux l’ensemble des plus-four et souliers de tennis. Autrement tu as toujours la même sale binette, tout comme Nöggu aussi. Je n’aimais au moins pas du tout vous regarder !
Je vais vous quitter, ayant encore à écrire à mon Faaatherli.
De la Ge….