dimanche 28 février 2016







Tjilatjap (Cilacap)

10 février 1935

Je vous écris depuis Tjilatjap, où nous sommes depuis hier au soir. Nous logeons chez les van Tinteren. Vous n’aurez pas une bien longue lettre cette fois-ci mais vous comprendrez, car enfin, je profite d’être ici, d’avoir bon temps et de blaguer tant et plus. A présent nous sommes assises au jardin, et nous écrivons les deux à la maison, pendant que la petite fille  (Beinchen) nous regarde. Elle est grandement intéressée à mon jeu de « piano ». Nous avons fait des commissions ce matin, acheté de l‘étoffe pour une robe de chambre pour Buby, un assez beau tissu couleur bordeaux avec des raies bleues foncées. …dag’ ddada   gu.. voilà c’est la petite Beinchen qui aide à écrire. Ce n’est pas une des choses les plus faciles, mais elle s’en fatiguera vite. Bon, la voilà qui a renversé l’encrier de sa maman sur un beau tapis brodé. Oui, les gosses !!!
Nous sommes arrivés hier après midi vers les 5 heures, et avons rencontré les Röhwer qui étaient en visite ici depuis samedi. Nous avons tous été souper au restaurant chinois, un tas de plats fameux, nous avons bien ri. Après souper, les Röhwer sont repartis à Keboemen, tandis que nous sommes encore restés assis à causer. Ce soir, madame v-T. a été si gentille d’inviter Beerenschot pour souper, ainsi nous serons de nouveau une gaie compagnie, et vous comprenez qu’il n’y aura rien de fait pour écrire. Enfin, vous avez un échantillon de ce que seront mes lettres plus tard je pense. Réjouissez-vous.
Je vais encore écrire à Max pour sa fête, puis à Coen, et aussi à papa Woldringh, car Oscar n’a pas le temps de le faire. Nous n’avons pas encore reçu votre courrier cette semaine. Il paraît que l’avion a du retard, et nous ne recevrons les lettres que mercredi ou demain, mardi soir. Il sera trop tard pour y répondre, cela sera donc pour la prochaine fois.
rivière à Cilacap

Pour cette semaine je n’ai pas beaucoup de nouveau à vous raconter J’ai passé mon temps à la maison, j’ai travaillé à une robe de tennis qui me donne bien du fil à retordre. Elle est en piqué blanc, que j’avais acheté en son temps à Solo avec Jans. Je veux y faire des plis, mais diable, ils ne veulent pas réussir. O flûte, je l’ai fichée dans un coin jusqu’à nouvel avis, quand j’aurai de nouveau du courage pour m’y mettre. Mon rhume et ma toux vont beaucoup mieux, mais je fais encore bien attention. Toutefois, cela me fait du bien d’être ici, cela change les idées.
Oh, il fait si beau ici, j’aimerais que vous puissiez nous voir. Nous deux jeunes femmes assise dans un immense jardin, sous un grand arbre, au milieu d’une immense pelouse, sous un pajong. Il fait une petite brise agréable avec un beau soleil. A tout bout de champ nous avons quelque chose à dire, et je crois que parler va plus facilement qu’écrire, pour une fois. Nous n’avons toujours rien entendu de M. Voskuil. Nous ne savons pas encore quand il viendra à Keboemen.
La semaine prochaine il y a ici réception chez le Regent, peut être que Buby pourra s’arranger à revenir ici, pour que nous puissions y assister. Ce serait une très belle occasion, mais je ne veux pas me réjouir d’avance, il faut toujours et seulement prendre les choses comme et quand elles viennent.  Vendredi soir nous avons eu la visite des Engelhart. J’avais l’intention de vous écrire vite, pour que cela soit fait, mais ainsi nous avons passé une belle soirée à bavarder. Ils m’ont grondée, parce que je ‘avais rien dit quand j’étais seule à la maison. Une autre fois, si je suis encore seule, pendant qu’Oscar doit s’absenter, il faudra que j’aille chez eux, ou elle viendra vers moi. Ils sont toujours très très gentils. Ils nous ont apporté des beaux fruits de leur jardin.
Depuis quelques temps la Rickshaw a l’idée que je ne suis pas aussi heureuse que le montrent les apparences. Cela vient de ce qu’une fois, elle a eu rogne avec son vieux, alors comme moi je l’ai justement rencontrée, elle m’en a causé, j’ai fait de mon mieux pour la remonter. Entre autre je lui ai dit qu’il ne fallait pas qu’elle se laisse aller à des colères terribles vis-à-vis de son mari. Que quand elle avait quelque chose contre lui, qu’il fallait qu’elle se change les idées, qu’elle se calme etc. Pour cela, qu’elle devait aller promener un peu, que c’était aussi ce que je faisais toujours. Alors comme je vais beaucoup promener, vous le savez bien, la bonne Rickshaw a pris cela pour de l’argent comptant, et maintenant elle croit dur comme fer que j’ai chaque fois chicane avec mon Buby quand je vais promener. Cela lui fait un bien formidable, elle est gentille même cordiale avec moi. Elle m’a aussi dit entre autre, oh oui, maintenant que je sais que ce n’est pas tout rose chez les autres gens, même qu’ils ne font que se parler gentiment, je ne m’en fais plus tant et je ne les envie plus tellement. Oscar et moi, nous en rions, et des fois nous nous amusons même à être un peu froid l’un avec l’autre quand ils sont chez nous. Alors cela lui fait du bien, elle en jouit visiblement. Oh, les gens sont bêtes, mais il faut savoir profiter de leur bêtise. Mon Buby et moi, moi et Buby. Pour vivre heureux, vivons cachés, nous en profitons bien.
Ici, chez Mme v.Tinteren, elle a aussi dit, la Ric, oh, quand on pense que les autres gens s’entendent bien, qu’ils s’aiment comme des fous, parce qu’on n’entend jamais de chicanes chez eux, eh, bien il ne faut pas le croire, ils en ont autant que nous, seulement ils ne sont pas assez francs pour le laisser voir. (cette phrase se passe de commentaire !!!) vous voyez ce que c’est moindre.
Vous pensez que sa langue ne s’est pas tue ici, et je me demande bien ce qu’elle a dit sur moi, peut être que je le saurai encore. Pour le moment je me tiens sur mes gardes, comme toujours d’ailleurs. Hier soir, au restaurant, elle n’a pas su se conduire. Elle ne sait pas vivre cette bourrique. C’est seulement maintenant que j’ai pu la comparer à d’autres gens, que je vois comme j’ai été bête de me laisser fâcher ainsi par une bourrique pareille. Oh, mes chers, la vie est si belle quand on a fait ses expériences.
Les Engelhart, que nous n’avons plus vu pour quelques temps, ont trouvé Buby encore un peu plus gros et surtout avec une très bonne mine. Cela me fait plaisir, et à vous aussi, je suis sûre. C’est signe que je le soigne bien. Madame van Tinteren me trouve aussi de si bonnes couleurs, elle en est toute surprise, car elle prétend qu’elle ne pourrait pas être sans se mettre du rouge, vu qu’elle a perdu toutes ses belles couleurs. Mais aussi moi je suis beaucoup plus à l’air que la plupart des gens ici. Ils ont peur du soleil ou qu’il fasse trop chaud. Madame v.T. a été toute surprise ce matin de voir comme il faisait beau d’être assise au jardin.
Et maintenant c’est l’après midi, j’attends que madame v.T. revienne de la salle de bain pour y aller moi-même. Ensuite j’irai encore vite un peu en ville, acheter différentes petites choses et voir pour des souliers Bata pour Buby. Histoire de marcher un peu, car cela me manque.
Demain, j’irai rendre visite à madame Erkelens, histoire de politesse, parce que c’est la femme d’un collègue. Diplomatie, quoi. Eh bien mince, il m’arrive quelque chose que je n’aurais jamais cru possible, mais vraiment, au moment même je ne sais plus quoi vous écrire. Pourtant je suis sûre qu’il y a encore un tas de choses que j’ai à vous dire, mais en ce moment, attendant pour aller à la salle de bain, je ne peux pas me concentrer. Vous ne m’en voudrez pas, et penserez seulement que je suis happy, happy d’être ici, à voir beaucoup de monde, à avoir de belles robes à porter, happy d’être avec mon Buby, qui, lui est aussi happy de m’avoir ici, enfin quoi, happy de tout.
Cette fois-ci donc, je vous envoie (puisqu’il y a de la place) mille bons muntschis à chacun. N’oubliez pas mes soldats. J’ai les photos avec. Tout le monde les admire, j’en ai beaucoup de plaisir. Mes chers, à la prochaine fois. Ciao !



vendredi 26 février 2016









Keboemen

4 février 1935

Votre lettre du 19 janvier, soit no 71, nous est bien parvenue et a été lue avec un immense plaisir, qui toutefois a encore été dépassé par le plaisir visuel d’un examen long et précis de certaines binettes.

les Tiptopsy + Macaroni

Alors oui, j’en ai un plaisir fou, je ne sais pas laquelle j’aime le mieux, je les regarde toutes l’une après l’autre, elles ne me quittent pas, je les prends avec au lit, au cabinet, enfin partout. Je les montre à qui je peux pour un peu plus je commanderais encore au djongos de les admirer, mais sssst ! trop de compliments gâtent le caractère, donc je n’en parlerai plus, seulement laissez-moi encore vous dire que ce sont les binettes de Tiptopsy (les frères de Nelly) qui m’ont le plus enchantée !
A propos, j’en suis jalouse de tes petits chiens, ils sont trop beaux, et je comprends que tu en sois aussi folle que moi des deux miens au commencement. Tu me dis qu’ils commencent la maladie. Laisse-moi te donner quelques indications utiles, car je finis par m’y connaître. La maladie des chiens est une sorte de refroidissement, ils ont le rhume, et cela se jette souvent sur les poumons, comme pour Topsy 1(le chien de Nelly). Avec Tipsie, cela a commencé par le ventre et fini par le rhume. Il n’y a pas beaucoup à faire contre cette maladie que de les tenir bien au chaud. Le principal c’est que les jeunes chiens aient la force de passer la crise. Pour cela il faut leur donner de l’huile de foie de morue. Si papa rouspète, ne l’écoute pas mais achètes-en un litre, de la meilleure marché, et essaye de leur en donner un cuillère à soupe le matin ou avant dîner. En général, les chiens l’aiment beaucoup, mais s’ils faisaient des difficultés, alors tu la mêles à leur nourriture, une cuillère à soupe par jour. Dans le repas du soir tu mets une pincée de fleur de souffre réduite en poudre. Il faut aussi leur donner un oignon haché finement de temps en temps, des légumes et au moins une fois par jour du lait quand ils seront plus grands, maintenant je pense que tu leur en donne encore 2-3 fois avec du pain, car ils sont encore très jeunes. Depuis que je suis ici, j’ai appris qu’il fallait aussi soigner un jeune chien, sans en devenir toquée pour cela. Je ne peux plus penser sans remord à notre Falot et aux chiens précédents, et notre affreuse négligence à leur égard. Pauvres bêtes. Si tu vois qu’un des chiens montre des signes d’indisposition, il te faut lui donner de la bouillie à manger, rien de lourd, mais des choses nourrissantes et fortifiantes. Moi, je n’ai pas hésité à donner des jaunes d’œufs à Tipsie quand elle était si malade, mais ici les œufs me coûtent 2 cents la pièce, ce qui rend la chose excusable. Les tiens sont trop jolis, maman, et je suis sûre que tu t’y attache plus que tu t’en rends compte toi-même, c’est pourquoi ce serait dommage si tu les perdais, alors que tu peux les élever en bonne santé en leur donnant un peu de soins.
J’aime bien ton manteau et les gants de Londres vont bien avec. Oui, tu es bien, tu as l’air tellement malicieuse sous ton Hueteli (petit chapeaux, bibi) ! Je vais maintenant remuer ciel et terre pour aussi faire faire des photos de nous, car je me rends bien compte quel plaisir elles font. Je me réjouis déjà des 4 prochaines.
Mon Faaather, mon gros Macaroni, j’aimerais te dire, tiens-toi droit au milieu de tes fils, mais je crois que le soleil te gênait, pas ? Ce sont vos doubles mentons, à toi et maman qui me font plaisir ! Je ne trouve pas que tu aies engraissé, mais pas maigri non plus… Padreli, merci mille fois pour tes deux barrettes, la noire et la blanche que j’ai reçues hier. Elles ont immédiatement pris place tour à tour sur mon chou-rave, elles me vont bien et j’en suis très très contente. Merci de tout cœur.
Il y a aussi les journaux, Tatali, qui sont bien arrivés et qui nous ont procuré un beau dimanche. Je lis maintenant les romans, car j’attends que j’aie tous les No. n’ayant pas la patience d’attendre la suite. Hier c’était un grand jour, j’ai mis ma robe en foulard Tootal bleue. Une toilette ravissante, je vous dis, et qui me va mieux que très bien. Toute la journée hier je vivais avec le sentiment d’être une jolie girlie. Je porte la petite robe avec une ceinture de cuir blanc que j’avais achetée à Semarang en son temps, et des sandalettes en cuir blanc également, de Solo. Les manches vont bien, et l’écharpe est nouée près du cou et retenue par ton épingle-broche en or. J’ai travaillé toute la semaine à ma robe, elle est bien cousue, soigneusement et cela me fait plaisir Je tenais à l’avoir spécialement pour hier parce que nous attendions les v.Tinteren pour la journée, mais ils ne sont pas venus. Quand Buby était à Tjilatjap il a logé chez eux et a été très bien soigné. Tous les matins il trouvait un paquet de cigarettes dans sa chambre, vous pouvez penser comme cela lui allait, à ce polisson. Mme v.T. est une juive, il paraît, cela explique aussi un peu sa belle maison, etc. Enfin, cela ne change rien à l’affaire de ma sympathie. A Oscar aussi ils sont sympathiques, de sorte que nous sommes tout à fait contentes de ces connaissances. Probablement qu’ils viendront dimanche prochain.
L’annonce de cette visite m’a enfin fait terminer l’arrangement de ma chambre de visites. Je vous avais écrit dans le temps que j’avais acheté de la cretonne très bon marché. J’en ai fait des rideaux, un petit rideau à la commode qui sert de lavabo, et une belle housse par-dessus deux de mes malles, ce qui fait un joli banc au milieu de mes trois fenêtres. Avec la même étoffe, je vais encore garnir un paravent bon marché que j’ai fait peindre en blanc et à l’envers duquel se trouvent quelques petits porte-manteaux ( les clous) pour les robes de chambres et les kimonos etc. L’arrangement de toute la chambre me revient environ à Fl. 5.--, avec la natte en coco par terre, mais sans les meubles ( !) et l’effet est vraiment joli, on dirait une chambre de campagne anglaise. Je suis bien contente que cela soit enfin fait et je me réjouis d’y coudre maintenant, car quand je n’écris pas, c’est là que je passe la plus grande partie de mon temps. Pour cela j’y ai aussi pendu le magnifique calendrier (de Londres) de mon Chuggou qui nous a fait si plaisir. C’est aussi grâce à ce calendrier que j’ai enfin trouvé l’idée d’arranger ma chambre d’une manière aussi définitive.
Moi, il y a longtemps que je n’ai plus été faire mes promenades. Je tousse encore toujours, ayant eu une rechute. Le dr. pourtant dit que ce n’est rien et me conseille de sortir comme d’habitude, mais moi, je ne l’entends pas de cette oreille-là. Avant que je sois tout à fait remise je vais me tenir sur mes gardes, car enfin, cela m’impatiente, je veux que cela finisse. Il m’a aussi dit de ne pas trop m’habiller, ce que j’ai fait pendant quelques jours mais après j’ai bien vite remis mon jäckli. Tu sais ton Bettjäckli, je le mets à l’envers, je le ferme donc au dos de sorte que je suis bien couverte sur la poitrine. 
sereh /lemon grass

Cela m’a fait beaucoup de bien, avec cela je bois un thé composé selon une recette d’ici, de sucre spécial, d’un bâton de bois de réglisse, d’une pincée d’anis, de trois clous de girofle, de feuilles de sereh (une sorte de citronnier) (lemon grass en malais). Il faut cuire tout cela avec une tasse d’eau, jusqu’à ce qu’il en reste la moitié et le boire par petites gorgées de temps en temps. Cela m’a déjà bien dégagé ma toux, elle a aussi presque cessé aujourd’hui, j’en suis contente. Il ne faut pas avoir peur, j’ai fait ausculter mes poumons, tout est absolument en ordre, ce n’est qu’un rude refroidissement, comme je vous l’ai d’ailleurs écrit, et ce dr. ci ne le prend pas bien au sérieux, mais moi, je ne plaisante pas pour ces choses là. Je ne veux pas prendre de risques et je me soigne jusqu’à ce que ce soit passé.
Mes journées seules se sont bien passées à part un violent orage la première nuit. Le mardi j’ai mangé chez les Röhwer, et la Rickshaw est venue me chercher tous les soirs pour aller promener un peu (c’est peut être là que j’ai attrapé ma rechute, je ne sais pas) j’ai trouvé cela assez gentil de sa part.
Et maintenant, mes chers, nous allons encore faire une constatation ensemble. Vous avez devant vous, par l’entremise de cette lettre, un triple Totsch (dialecte pour idiote). Un Totsch fille, un Totsch-sœur et un Totsch-nièce qui a été bien bête de s’en faire pendant cette année écoulé pour une Rickshaw, une merde pareille. Eh, si vous saviez comme je me moque de moi-même maintenant, car je suis arrivée là, par où j’aurais dû commencer. Cette fois je vous garantis que mon complexe d’infériorité m’a rendu la vie dure pour la dernière fois. Bon sang, j’ai toujours été trop modeste vis-à-vis des gens, qui, avant de les connaître me paraissaient 150% tandis que moi, comparée à eux, je me prenais pour 0 %. Ha, et la vie est si belle maintenant, la Rickshaw me compte parmi ses meilleures amies maintenant. Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait me laisse froide comme un glaçon. Je puis sourire, parler, même lui donner l’illusion de lui faire des confidences le plus simplement du monde. Mon cœur n’est plus jamais de la partie, et ne le sera plus jamais, pour n’importe qui je rencontrerai encore. La vie est si facile ainsi. Je vous dis, j’ai beaucoup appris et j’en suis heureuse. Mais n’allez pas penser que je vais sécher, bon sang non, je serai toujours la même, ni plus ni moins. (Je sais bien que mes frères diront que c’est dommage, j’aurais encore tant à gagner, hein ?).
Aujourd’hui c’est le Nouvel An chinois (1935 année du sanglier ou cochon) le bureau est fermé, oui, fermé. C’est à peine croyable, mais comme presque tous les commis sont chinois, ils ont demandé congé, alors il ne restait plus qu’à fermer. Buby a donc eu un semblant de vacances, je dis un semblant, parce qu’il a tout de même été au bureau ce matin pour le courrier, puis cet après midi pour faire du travail qu’il n’a pas le temps de faire autrement, mais il est revenu à 4 heures, c’est déjà beau. Maintenant, il ira jouer au tennis avec les Visser.
J’ai montré vos photos aux Visser, ils les ont longuement regardées, lui ne pouvait pas assez regarder, qui pensez-vous ? vos Tiptopsy !!! Il les trouvait de race… dans leur uniforme ! Il a aussi une forte sympathie pour toi Faaather, il veut absolument aller pêcher avec toi, il le dit chaque fois qu’il en a une occasion. Mais entre-nous soit dit : en bon chien de chasse, Visser s’est tout de suite rendu compte qu’il chasserait de race avec toi, et le poisson que vous pêcheriez ne nagerait pas dans l’eau douce ! Ouah ! Moi je ne fais pas les semblants, mais je connais mes Pappenheimer. Il te ressemble tant, en beaucoup de choses, des fois c’est heimelig. Demain, Mr. Meyeringh vient pour un jour, il est en route pour Batavia, recevoir Mr. Voskuil qui arrive le 7 courant. Oui, je me demande tout ce qu’il va apporter et annoncer comme nouveau. Ici, on ne l’attend qu’avec un plaisir mélangé. Par contre, nous, nous avons eu du plaisir aux dernières lettres de Papa Woldringh, qui a vu les rapports de la Mexolie, qui, malgré toutes les difficultés, lui font grand plaisir.  Il nous écrit entre autre : « Je me sens heureux de savoir que tu ne te laisses pas abattre par toutes ces difficultés, mais que tu continues à exécuter chaque tâche qui t’es donnée, avec bon courage et énergie. Je peux aussi t’informer que tout cela n’a pas passé inaperçu dans les rapports que j’ai reçus et qui mentionnent avec grand contentement l’une et l’autre chose sur ton compte. Je te laisse savoir cela parce que je sais que ces louanges seront un stimulant pour toi, pour continuer dans cette voie. Mr. Voskuil a très haute opinion de toi. Cela m’est très agréable, et c’est aussi bon pour toi de le savoir, tu auras ainsi plus de facilité à t’entretenir avec lui. »
Oscar, lui, prend ces choses avec son calme extérieur habituel, mais moi, je m’en réjouis franchement, seulement avec vous, bien entendu. Ici, nous ne laissons rien paraître de ces choses-là. Toutefois, nous regrettons infiniment que Mr. M. nous quitte, c’est une perte irréparable pour la Mexolie. Il aurait mieux valu que Voskuil quitte, ceci entre nous naturellement.
Je suis si contente d’avoir mes deux belles petites robes, donc deux pour le beau temps et deux pour le mauvais temps, ce qui me donne la certitude d’être toujours bien habillée. Comme je ne peux pas aller à Semarang pour le moment, car je ne veux pas me faire faire la permanente avant que mon rhume soit bel et bien passé, je suis si contente d’avoir ces bigoudis. Oh, je vous dis, je serai High life quand V. viendra, quoique très très simple. Mes chers, je n’ai pas beaucoup de nouveau cette fois-ci, et je termine en vous embrassant de tout mon cœur.  Votre Ge…
p.s. Buby a renversé de l’huile sur mon original, je vous envoie donc la copie…



mardi 23 février 2016






Keboemen les Bains

20 janvier 1935

Mes bien chers tous,
Bonsoir, c’est dimanche soir. La radio joue des succès de musique de film, Oscar est assis dans son beau pyjama dans un fauteuil, moi sur la couch orange et beige et noire, le lampadaire entre nous deux jette une lumière douce sur nos lettres. Autour de nous, du chni, du chni, le chni de dimanche soir, des lettres partout, des journaux, mon agenda, mon livre de comptes de fin du mois, je compte toujours les résultats pour m’arranger à ne pas faire des factures trop hautes sur la table, un bonbonnière en verre noire avec des pistaches rôties, au sel, le jeu d’échecs avec les figures éparpillées, un plateau avec les tasses d’ovomaltine, des livres, sur le tapis Tipsie qui se gratte au c… Ah ! j’oubliais, à côté de moi se trouve encore mon capeli jaune. Bien sûr, il ne me quitte plus, c’est presque devenu une seconde peau pour moi. Jamais je pourrai assez te dire combien je l’apprécie, combien je suis heureuse de l’avoir, quand je le mets c’est toujours comme une légère caresse de tes mains.
Merci de ta lettre no 69. Je vais y répondre un peu ce soir, mais je ne veux pas faire trop longtemps, car j’ai de nouveau pris froid à Tjilatjap. Quand nous sommes revenus mercredi matin, je me suis mise au lit. J’ai eu mes névralgies, mais pas très fortes, par contre je suis enrhumée. J’ai aussi eu un peu mal au cou, mais trois jours de lit, bien au chaud avec d’innombrables grogs au citron m’ont fait passer cela en transpirant. Maintenant j’ai encore mon capeli bleu sur les épaules, et unfoulard de soie sur la tête. Demain je vais l’enlever s’il fait beau. C’est à Tjilatjap qu’il a commencé à faire du vent tout à coup, et notre chambre était très exposée, nous ne pouvions pas changer car tout était complet. Enfin, maintenant c’est passé, sauf le rhume qui me fait encore un peu la tête lourde. C’est pourquoi il ne faut pas vous attendre à grand’chose pour ce courrier-ci, j’ai la flemme de faire faire un petit effort à ma cervelle. Je laisserai donc parler le côté du foin !!! Nous avons eu un bon souper, un soufflé au fromage raté parce que cuit dans un four à trop grand feu, mais mangeable tout de même, et de la salade, de la bonne vraie salade crue de mon jardin. J’en ai bouffé jusqu’à ne plus voir jour. Là, nous venons d’avoir une escarmouche, toujours autour du même sujet, l’éternelle fumerie de Buby. C’est fantastique, il faut que j’emploie toutes les ruses imaginables pour le freiner un peu, car le matin il tousse comme un vieil ours. Cela me met en rage chaque fois. Autrement pas de nuage au ciel du ménage.
Oui, tu recevras des photos du capeli et des petites robes, sitôt que nous aurons quelques jours de beau temps. Je viens de recevoir un petit mot de madame Engelhart, qui m’a envoyé de merveilleuses bananes de son propre jardin, des monstres de bananes. Ils ont voulu venir un soir pendant que nous étions à Tjil. Ce sera pour une autre fois. Elle est toujours gentille, ma Fanely des Indes, ou Tante Engel, comme je l’appelle.
Dites, est-ce que par hasard vous n‘avez pas entendu tonner à Bienne il y a un moment ? Moi, j’envisage sérieusement l’achat d’un masque à gaz marque Bubyschutz (sécurité Buby)!
Cette fois cela y est avec mes frères. J’ai eu beaucoup de plaisir à déjà recevoir tant de nouvelles de leurs premiers jours à la caserne. Oui, en effet est-ce que tu touches encore l’asphalte quand tu marches à côté d’eux, Mamms ?
Sais-tu que ton papier à lettre est violet quand il arrive ici, et je dois payer des ports en plus, tout cela pour le Mutterstolz (fierté maternelle) qui est vraiment formidable ! Je suis très contente d’être ici, car si j’étais encore à Bienne, tu ne me verrais pas tout de même, et je pourrais te répéter ma question d’il y a 20 ans : Est-ce que tu m’aimes encore, dis, maman ? Oui voilà où en sont les choses, mais ma foi, tu as bien raison, et tu en as amplement le droit, d’être fière. Il me semble que je vois les garçons au service, faire leurs paquetages, etc. Mais j’espère que Charlot après quelques temps pourra aussi rejoindre ses camarades pour aller s’amuser un peu, diable c’est ce que je lui accorderais de tout cœur.

Lundi matin, il est déjà tard. Ma tête va mieux, le rhume se défait, je dois moucher tout le temps pourtant je n’ai encore guère envie d’écrire beaucoup. J’ai un livre de Vicky Baum sur Hollywood, alors vous comprenez, on a le nez toujours entre les pages !
D’ailleurs, j’aimerais bien que de temps en temps tu me répondes à mes lettres, mamali, une chose après l’autre, en prenant mes lettres à côté de toi et ne les épluchant, comme moi je le fais avec les tiennes.
Voyons la chronique de la semaine. Elle n’est pas bien intéressante. Nos deux jours à Tjil. Vous les connaissez déjà en partie par ma lettre de la semaine passée, non, c’est vrai, je n’ai écrit qu’au Padre depuis là. Eh bien, les deux jours ont de nouveau été de vraies vacances pour moi. J’ai fait de longues promenades au bord de la mer, et parmi les magnifiques allées ombragées, très nombreuses à Tjil. Le dimanche soir, nous avons été chez les Erkelens, puis sommes allés souper à l’hôtel, pendant que les Erkelens prenaient congé de madame Kleyn, logeant également à l’hôtel, tous ses meubles étant emballés. Vous savez qu’elle suit son mari qui a donc été appelé à la fabrique de Rangkas. Elle a dû s’occuper de tout le barnum, toute seule, et en 4 jours. Oui, ici il faut savoir faire ses bagages vite. Enfin, après le souper, nous avons rejoint toute la compagnie dans le Hall, et Buby a fait la connaissance de Mme Kleyn. Je vous l’ai déjà décrite, je crois, et vous ai laissé entrevoir mon impression sur elle, pas trop favorable ! En rentrant dans notre chambre, Buby s’exclame, - wat een wyf, wat een wyf !!! Dat is een bek op poote. Ce qui veut dire : quelle femme, quelle femme, une gueule sur pattes, ou mieux, e Schnurre uf Pfoote (en suisse allemand) ! Moi, je n’en pouvais plus de rigoler. Le lundi soir nous avons fait une petite promenade, les deux, et le mardi nous avons été prendre le thé chez les v.Tinteren, où nous avons retrouvé les Erkelens et Beerenschot pour un moment, puis nous sommes restés à souper là, sur le pouce et avons blagué de la Hollande, de Paris, que les v.Tinteren connaissent bien aussi, jusqu’à minuit.
Le lendemain nous sommes repartis pour Keboemen à 7 ½ heures déjà. Je commençais alors mon rhume et n’ai rien foutu de toute la journée. Le soir nous avons été un moment chez les Röhwer, qui fêtaient leurs trois années de mariage. Le jeudi, vendredi et samedi je suis restée au lit, hier j’ai lu, je vous ai écrit et aujourd’hui je suis pleine de bonnes résolutions… pour quand mon livre sera fini, pas avant.
Nous venons de recevoir d’un chinois, de splendides ananas, 10 pièces. C’en est un qui aime bien Buby. Avec ces ananas je vais faire un remède qui est très réputé ici. Il faut en extraire le jus que l’on met au soleil jusqu’à ce qu’il ait fermenté, ensuite ce qui en reste, on peut le conserver pendant des années et c’est bon pour beaucoup de choses, surtout pour l’estomac, etc.
Oui, tu as raison de faire de si belles promenades, moi aussi j’en jouis ici, alors que toutes les femmes me regardent pour un peu toquée d’aller marcher ainsi, mais au fond elles m’envient quand même un peu. C’est la grande faute des femmes ici de complètement perdre l’habitude de marcher, c’est pourquoi la plupart sont ainsi pâteuses, même jeunes encore. Merci pour la recette, je fais aussi des pommes de terre au four avec du fromage.
Bon sang, quand je lis toutes tes nouvelles sur les gens à Bienne etc, je me félicite toujours de vivre ici, malgré toutes les Rickshaw du monde, la vie y est quand même plus large, tout y est plus normal, chacun fait comme il veut et se fout du reste. Une fois qu’on l’a appris, c’est  beau. Moi, j’y suis aussi arrivée maintenant, et grâce à cela je trouve la vie si facile à vivre, et agréable aussi, charrette !
Oscar travaille ferme, il n’est pas revenu pour le déjeuner, je le lui ai envoyé au bureau, et dimanche prochain, nous serons peut être de nouveau en route pour Tjilatjap

le pont moderne

Je vais faire attention en passant la rivière cette fois-ci. Cette rivière, le Serajoe (Serayu), me rappelle toujours le Rhin à Bâle. Nous faisons ce voyage comme rien du tout, un petit saut pour ici, pourtant c’est 2 ½ heures d’auto, à du 60 en moyenne. Les distances sont formidables ici. Gare quand tu verras cela, Mamali ! De plus en plus j’aime penser aux deux « hannetons » (Rose et sa sœur Fanny) qui débarqueront un jour à Batavia ! Pauvre Buby !
Un bon bec à tous de votre Ge
Surtout aux deux piou-pious !



l'estuaire vers Cilacap





dimanche 21 février 2016






Tjilatjap (Cilacap)

14 janvier 1935

A la main
Mon bien cher vieux, gros Macaroni
C’est inutile de te raconter combien ta lettre m’a fait plaisir malgré la nouvelle des canards qui m’a alors vraiment attristée. J’ai bien toujours eu un pressentiment dans cette direction-là, mais j’espérais si fort que je me tromperais (je devrais écrire « trompasse », mais c’est trop moche ce subjonctif !). Aussi je comprends trop bien que tu ne peux pas être à Sutz et à Bienne, et si tu as de l’espoir que les affaires reprennent un petit peu, c’est bien de rester à Bienne. Tout de même, tant de peine, tant d’efforts, ça me fiche malheur, mais comme tu dis, on fait ce qu’on peut si ça va tant mieux, sinon tant pis. Cette philosophie est appropriée aux temps présents et ça aide à les supporter. Je suis contente d’apprendre que tu peux travailler sans la banque Je sais bien que ça ne va pas sans grosses difficultés, mais c’est encore toujours mieux que ces satanées échéances.
Oui, je ne crois pas que tu puisses déjà compter sur Loulou, si après le service il veut repartir et qu’il a la chance, il faut le laisser aller, car cela ne peut jamais lui faire trop de bien et il en profitera toute sa vie. Je peux me rendre compte presque tous les jours que si quelqu’un de Milex Elem avait un peu plus été par le monde, on aurait fait bien des choses autrement et mieux, surtout avec les clients et les conditions de travail ici en Orient, car il y aurait eu à gagner beaucoup. Maintenant c’est trop tard, tout est gâté par le Japon et aussi la crise qui sévit aussi  terriblement.  Des fois, je me dis que je voudrais bien retourner 3-4 ans en arrière avec l’expérience que j’ai acquise pendant cette dernière année, mais c’est des affaires de mon mari qu’il faut que je m’occupe et bien qu’elle soient d’un tout autre genre, il faut y en mettre aussi. Ma tâche maintenant consiste à devenir une femme accomplie, bien diriger sa barque parmi tous les écueils qui se présentent. C’était un terrain rude que j’ai eu à travailler mais j’ai beaucoup appris et grâce à l’aide de Buby pour une grande partie, je sors victorieuse. Pourvu que la crise ne nous joue pas de plus mauvais tour encore, alors nous pouvons être plus que contents. Nous sommes de nouveau ici pour 2 ½ jours, et le 20 courant, dimanche prochain, nous y reviendrons. C’est donc une vie un peu en l’air ces derniers temps, ça me va, et  tant que je peux tenir mon budget en équilibre, malgré ces frais, j’en jouis sans contrainte.
plage près de Cilacap


Ce matin, j’ai fait une longue promenade au bord de la mer, c’était magnifique. Les pêcheurs étaient en train de retirer les filets, pendant que sur la grève, il y avait un vendeur ambulant qui avait tout l’attirail nécessaire pour apprêter le poisson sur place. Un peu plus loin, quelques hommes, femmes et enfants portaient des offrandes (des fleurs) et disaient leurs prières à Kidoch (Nyai Roro Kidul, Queen of the south sea of Java) le dieu de la mer. 
Ratu Kidul



Je n’ai pas baigné, étant seule, demain il y aura peut être des dames et enfants européens, alors je me joindrai à eux. Les v.Tinteren ont leur petite fille malade, de sorte que nous n’avons pas pu loger chez eux, et sommes à l’hôtel aux fines herbes.
Tu es un chou d’avoir fait cadeau d’une lampe à maman. Ca fait si plaisir un cadeau ; n’oublie jamais que les cadeaux entretiennent l’amitié. Merci aussi de tout cœur pour les barrettes qui seront grandement appréciées. La première ne quitte pas ma tête, excepté pour dormir. C’est fantastique ce que je l’aime, elle me permet aussi de bien arranger mes cheveux, malgré qu’il leur faudrait le ciseau du coiffeur. Il faudra aussi que j’en fasse une photo. Oui, je vous en promets toujours et ne tiens jamais parole. C’est que je ne trouve ou plutôt ne peux jamais prendre le temps nécessaire pour démêler tout mon chni, mais il faudra bientôt que je te fasse un envoi de timbres, ils s’amoncellent, je ne peux plus fermer ma boîte. Oui je reçois toujours régulièrement le Journal du Jura, et j’ai déjà écrit une lettre (aux Gassmann, propriétaires) ou deux de Keboemen en y mettant un mot aimable à cause du Journal. Il me semble que c’est assez pourtant, pas ? Oui, je suis toujours contente d’avoir le Journal, pas seulement pour les feuilletons que je peux lire en paix puisque je les ai seule pour moi, mais j’aime bien savoir tout ce qui se passe au patelin. Je t’assure que j’apprécie le Journal ici plus qu’à Bienne ! Par économie, nous avons maintenant notre quotidien ensemble avec les Röhwer. Tu sais ici on ne se gêne pas de s’arranger pour faire des économies, il n’y a pas de « ça ne se fait pas », etc, entre Européens. Plus je suis ici, plus j’aime la vie des Indes, tout est si simple et si naturel..
Oui, il y a bien des choses que je voudrais encore savoir, mais au moment même cela ne me vient pas à l’idée. Ah ! oui, est ce que tu peux donner un peu de paye à maman ou est-ce qu’elle donne encore toujours de son argent, elle ne doit pourtant presque plus en avoir ? Ecris-moi là-dessus, mais ne me fiche pas de blagues, hein ? Elle n’a pas besoin de savoir que je l’ai demandé, car alors elle te fera sûrement venter !!!
Ach, je pense si souvent à vous, mais le mieux que je puisse faire pour le moment, c’est de bien me tenir en équilibre moi-même de sorte que vous n’ayez aucun souci de mon côté. Alors ça, vous pouvez être plus que tranquilles tant du côté santé, bien être matériel et moral. Tout va bien, seulement comme Oscar aime toujours lire mes lettres à vous je ne veux pas trop chanter ses louanges, il ne faut pas trop leur monter le cou, à ces hommes. Maintenant il vient de partir au travail, et moi après avoir expédié mon courrier j’irai au bord de la mer.
Macaroni, je t’embrasse, je te chnutsche  (serre) bien fort et de tout cœur, toujours










Keboemen

12 janvier 1935

Mynes Mamms, chérie unique
Il y a si longtemps que je n‘ai pas knätschet (papoté) avec toi cela m’a manqué et je me réjouis de pouvoir le refaire. Je viens de recevoir vos lettres no 68 et celle du Padre, et j’en ai eu un grand plaisir comme toujours d’ailleurs. Quand le moment du courrier approche, c’est comme si on arrivait à bout de souffle, il faut une nouvelle dose d’oxygène pour revivre. C’est vos lettres qui font l’effet d’oxygène.
Oh, ce radio, le plaisir qu’on en a déjà eu, c’est fou. Il marche toute la journée, depuis le matin à 6 heures. Bien que nous pouvons bien entendre les stations d’Europe, nous préférons celles d’ici qui sont très bonnes aussi, car il y a moins de nuisances, que des stations à si longue distance.
Cela ne me fait rien d’avoir passé le Nouvel An ici, loin de vous mais ce que je regrette, c’est ce demi litre de chianti, que Padreli a apporté pour souper, le soir de Sylvestre. Non, c’est un double litre, pas un demi-litre, quels veinards, va. Oh, je suis si contente que tu aies du plaisir aux deux chiens, n’est-ce pas que c’est beau de les avoir et de les voir se chamailler. C’est cette sympathie que tu montres pour ces chiens quand tu écris : Topsy a été malade, j’avais peur qu’elle claque. J’ai au moins ri une demi-heure après avoir lu cela.
Fais attention à toi, surtout avec ces jours de lait, ils attaquent le cœur, si tu ne me crois pas, demande à Cousine Marguerite, elle le sait. A quoi cela sert de faire ces jours de lait quand les autres jours on mange beaucoup et surtout quand on boit 6 choppes en un soir ? Bon sang !
Je n’arrive pas à écrire à tout un chacun. Tu comprends, il faut que j’écrive surtout à ceux qui me répondent, il fait aussi beau recevoir des lettres. D’ailleurs, je vais restreindre ma correspondance un peu, je vous l’ai déjà dit, avec toutes ces cartes et lettres que j’ai écrites pour Noël, je n’ai rien reçu, excepté de vous, St Gall, Fanny et Flock. Oui, la Gässmeli (Mme Gassmann, du Journal du Jura) m’a écrit une lettre pas trop mal, mais les autres, eh, bien, je vais les envoyer aux pives, c’est dommage pour tous les sous.
Quant au radio, Buby dit que cet émetteur est encore trop faible, mais nous allons essayer tout de même une fois. Notre appareil est tellement sensitif qu’il en prend beaucoup de ces petits émetteurs, mais ils sont tous trop faibles.
Je voulais répondre à tes lettres une par une, mais je crains que je n’ai pas assez de temps, car il me faut encore faire la valise pour partir à midi.
Je me demande bien ce que tu as encore dans l’idée de me faire. Tu dis que ce n’est rien pour porter, quoi donc alors ? Je suis curieuse, mais n’est-ce pas tu ne fais pas un couvre pied pour mes visites. Cela serait dommage pour le travail. Mes couvre-pieds iront avec moi à Tjilatjap, je ne voyage jamais sans couvertures, et mon Bettjäckli aussi, et mon beau cape. Oh, ce qu’il est beau, tu n’as aucune idée. Il me va et me fait belle, c’est fou. Oscar en a déjà fait des photos, mais elles ont raté à cause de l’humidité qui nous gâte tous les films ici. Il faudra attendre encore un peu mais tu en recevras, vas, de tous les côtés et dans toutes les poses.
Une chose excellente que tu as commencée, c’est la gymnastique. Si tu savais le bien que cela me fait, je ne pourrais plus m’en passer, tous les matins et tous les soirs, à peu près 5 minutes. Tu n’as pas besoin de faire des exercices fous, non, seulement comme tu le fais, bouger les bras, les jambes, et après quelques temps tu commenceras par aller dans les genoux, après une semaine tu en fera 2, et ainsi petit à petit, tu gagneras beaucoup d’élasticité, crois-moi. Au commencement je ne pouvais pas me baisser, mes mains touchaient seulement mes genoux, et maintenant, sans effort mes mains touchent par terre, mais cela a duré plus de 6 mois pour arriver à ce résultat. Mais il te faut le faire tous les jours, ne jamais arrêter. Cela est bien mieux que ces journées de lait. Crois-y, et dis-moi si tu le fais régulièrement.
Tu as raison d’accompagner tes hommes au match (de foot) de temps en temps, le dimanche après midi. Moi j’aimais aussi toujours y aller, pas tant pour voir jouer que pour voir tout le monde qui s’y trouvait. C’est gai et intéressant. Et Irma, est-ce qu’elle a l’air heureuse maintenant ? Bon sang, je pense assez souvent à elle, quel mariage, au moins le mien est différent, et je ne peux pas assez te répéter combien je suis contente, de ne jamais avoir eu des histoires pareilles.
Dis, que penses-tu de Mme Meyeringh. Tu sais, elle s’est plainte à cause de son mari, qui a dû souffrir sous les ordres de Voskuil, et maintenant il a démissionné, il quitte la Mexolie. C’est plein d’histoires et elle a vidé son cœur, et tu penses combien j’ai dû faire attention et me taire et être diplomatique. Mais tu ne dois absolument rien dire à personne, même pas au Faaather et surtout la fille Voskuil (vit près de Bienne) ne doit rien en savoir. Ici personne ne sait encore rien, seulement moi et Buby. Cela me fait de la peine qu’ils partent et qu’il ne soit plus directeur, Buby l’aimait bien aussi. Mais n’a-t-elle pas une confiance illimitée en moi ? Mais n’est-ce pas, tu ne laisses rien sortir de ta bouche. Tu sais c’est un secret important, je m‘étonne encore qu’elle m’ait parlé ainsi à cœur ouvert, alors que je ne l’ai vue que 2 fois, c’est fantastique cette confiance entre femmes. Moi j’ai naturellement bien fait attention et n’ai rien dit que je ne puisse dire devant n’importe qui.
Tu devrais voir comme j’ai bonne mine maintenant, mes boutons m’ont presque tous quitté, grâce aux selles régulières, mais sitôt que je mange poivré, ils reviennent. Donc, je n’emploie plus du tout de poivre, et je vais dormir régulièrement 2 heures chaque après midi. C’est cela qui fait un bien énorme, est-ce que tu le fais au moins aussi ? Tu sais on apprend à se soigner ici. Le visage, je me le lave avec du lait cela me donne un teint de jeune fille. Je n’ai donc pas besoin de crème etc. Mais cela on ne peut le dire à personne, je l’ai trouvé seule, et je le garde pour moi. Il ne faut pas tout dire. Mais le résultat est excellent. A Tjilatjap tout le monde se maquille beaucoup, mais je ne le fais pas, n’aies pas peur.
Et voilà, c’est assez pour cette fois, je dois aller faire les valises. Nous ne partons que pour deux jours mais ici aux Indes, il faut toujours prendre beaucoup d’habits et du linge, etc etc, je dois encore coudre des boutons.
Porte-toi bien, prends soin de toi, et sois heureuse en pensant à moi, car ici tout va bien comme toujours.
Papa W. nous donne Fl. 300.--, pour notre radio ! Addio !


mercredi 17 février 2016






Keboemen

12 janvier 1935

C’est fou, j’ai toujours plus à vous dire et toujours moins de temps pour le faire.
D’abord un triple Hurra pour Max et Tatali qui font de moi une vraie reine de beauté !! J’ai reçu ma robe bleue, un petit rêve. Elle me va ! c’est fou ! La couleur, le patron des fleurs, tout est si fin, et encore sans parler de la façon qui est très réussie aussi. Je regrette seulement de ne pas pouvoir vous remercier directement par ce courrier-ci, mais vous en saurez la cause. Vous auriez dû voir les yeux de Buby briller de plaisir quand il a vu sa girly dans cette toilette, c’est vraimement High life ; et encore ce tootisha que j’aime tant et qui se porte si bien ici. C’est jusqu’à présent la meilleure étoffe que je connaisse pour les Indes. J’en suis enchantée, et Buby aussi, c’est formidalbe. Si vous ne recevez pas encore de lettre, c’est que j’ai reçu ma cheibli (sa machine à écrire, diablesse en suisse allemand) seulement hier après-midi, et demain après dîner nous repartons pour Tjilatjap, pour 2 jours de nouveau et vraisemblablement nous y retournerons dans 2 semaines environ ! Par suite de toutes ces dédites, l’administrateur de Rangkas qui n’a pas voulu les annoncer à son personnel, a quitté sa fabrique, de sorte que Mr. Kleyn de Tjilatjap le remplace. Mme Kleyn, dont je vous ai parlé dans ma lettre précédente, est en train d’emballer pour le rejoindre. La fabrique de T. est donc sans administrateur jusqu’à l’arrivée de M. Voskuil, à qui il incombera de régler la chose. Jusqu’alors, c’est Mr. Erkelen, le comptable,  qui fera les tournées d’huile et de coprah, et Buby pendant ces deux jours, le remplacera à la fabrique. Ainsi nous avons encore deux voyages en perspective, ce qui m’enchante ! Vous pouvez penser que je ne vais pas perdre mon temps et profiter d’aller baigner le plus possible. Je ne sais pas où nous logerons, probablement chez les v.Tinteren ou alors chez Beerenschot, car les Erkelens ont encore toujours sa mère à lui en visite.
Mes chers, j’ai tant à vous dire, que vous m’excuserez si je saute du coq à l’âne et fais un méli mélo. 
Chuggou, mon unique frangin, ton cadeau est simplement épatant (un calendrier), nous en avons un plaisir immense, malgré qu’il ait été plié d’un côté, mais nous l’avons bien arrangé et remis en état avec soin. Maintenant, il orne notre voorgalery (véranda), la place où nous nous tenons le plus souvent. Je suis enchantée de ton fin nez pour choisir des cadeaux. Le nôtre, tu n’aurais pas mieux pu tomber, et il est si joli. Vous êtes au service (militaire), maintenant, mes deux frangins, ce que je me réjouis d’avoir vos binettes de nouveau. J’espère que vous avez un bon temps et que vous n’ayez rien qui vous empêche d’en jouir en plein. Je vous le souhaite de tout cœur.
Que font Tipsie et Topsy ? je dois rire quand j’y pense, mais tu verras, comme ces bêtes te feront plaisir et comme tu t’y attacheras, mais il faudra les soigner, les baigner à l’eau tiède au moins une fois par semaine, et leur donner de l’huile de foie de morue dans leur manger, ce qui les empêche de tomber malade. Papa rira quand il lira ceci, il croit que ce n’est pas nécessaire et dira que je deviens catholique, mais je t’assure j’y connais plus que toi, maintenant, sur ce sujet-là. Je suis si contente que tu aies ces petits compagnons, tu verras comme tu en auras du plaisir. Tu trouveras sûrement une place où les mettre en pension quand tu pars en vacances.
Les Meyeringh sont venus cette semaine et ont logé chez les Visser, alors le matin, je trouvais une petite excuse pour aller chez madame Visser et voir Mme M. La deuxième fois que j’étais là, mad. V. en a profité pour aller féliciter la Rickshaw, c’était sa fête le 9 courant. Pendant ce temps que j’étais seule avec madame M. elle en a profité pour me parler à cœur ouvert sur un tas de choses. Elle m’a en outre fait part de nouvelles très importantes. Je vous dis, je n’en revenais pas, elle me confiait à moi comme si je la connaissais depuis 20 ans au moins. Nous avons causé pendant 2 heures, et quand Mme V. est revenue, en partant moi-même, j’ai invité Mme M.  pour une tasse de thé pour l’après midi. Elle a accepté avec chaleur, et chez moi nous avons de nouveau parlé pendant plus de deux heures. Ce sont des confidences très importantes sur lesquelles je dois encore garder le secret, excepté pour Buby. Enfin, je vous dis, nous nous sommes tout à fait trouvées. Elle n’est pas du tout aussi poupée qu’elle en a l’air, ou plutôt dont elle veut se donner l’air. Enfin, mon instinct à première vue ne m’a pas trompée et la sympathie entre nous est devenue très très chaude. Elle avait besoin de s’ouvrir à quelqu’un, et je  vous dis, l’importance de ses confidences m’a grandement surprise, j’ai dû être très très diplomatique. Oh, là, là ! Mais j’ai eu du plaisir tout de même c’est une fois quelqu’un qui m’a vite et justement jugée. Vous devriez voir comme l’eau a monté chez la Rickshaw à mon égard maintenant. Elle me regarde comme quelqu’un de supérieur maintenant et je vous garantis que je vais maintenir cette position maintenant. Non mais c’est fou tout ce que j’ai appris pendant cette année, l’école n’a pas été facile, mais elle a été bonne et je dis comme toi, je ne donnerais pas mon expérience acquise pour tout l’or du monde.
Mes chers, il faut que je vous en raconte une bonne. Le 9 janvier, c’était donc l’anniversaire de la Rickshaw. Je ne savais pas quoi lui donner, ne voulant pas trop dépenser et tout de même faire un cadeau appréciable. A la fin, j’ai décidé de lui faire une petite blouse selon le modèle que j’avais trouvé dans Sie&Er, une blouse kimono tout à fait sans coutures. A cet effet, j’ai une fois demandé à la Ric. si elle venait en ville avec moi, que j’avais quelques emplettes à faire. Nous allons entre autre aussi dans le magasin de soieries, et là, selon notre habitude, nous avons foehné (non, comment écrit-on cela ? feuné ?) et je lui ai dit que je cherchais quelque chose de joli pour me faire une petite blouse. J’avais trouvé une jolie petite soie lavable, dans la teinte favorite à elle, et je lui dis : « je crois que je vais prendre cela. ». Elle fait la moue et continue à chercher. Au bout d’un moment elle s’amène avec une crêpe de chine grise avec des petites fleurs rouges, quelque chose de moche dont elle commence à chanter les louanges sur tous les tons. Entre autre elle me dit : Oh ce que c’est joli, à la fin du mois je viens sûrement en acheter pour m’en faire une robe, c’est trop beau, cela, et j’ai un petit col rouge à la maison qui est fait pour cela. Oh, ce que c’est beau, Nelly, il te faut prendre cela. J’ai fait l’objection que le gris ne m’allait pas si bien, mais elle a dit, que oui, qu’il m’allait aussi bien qu’à elle. Bon, je pense, prenons cela, ma vieille, ce n’est pas pour moi, je m’en fous. J’ai vite fait cette blouse, cousue entièrement à la main, j’y ai mis tous mes soins, mais vous auriez dû voir sa binette quand elle a ouvert le paquet ! Elle avait de la peine à cacher sa déception. Vous vous demanderez peut être pourquoi elle a été déçue ? Mes chers, parce que quand je sors avec elle acheter n’importe quoi, elle me conseille toujours le plus mauvais, en bonne amie qu’elle est. Il y avait longtemps que je m’en méfiais, mais je ne voulais pas encore l’accuser sans preuve certaine, mais cette fois-ci, c’était la Näggeli la plus fine. Je me tords encore les côtes quand j’y pense, c’est une si bonne petite revanche, in fine, hein ? En lui donnant la blouse, je lui ai dit, maintenant tu pourras employer ton petit col rouge !!! quel petit col rouge ? je n’en ai pas, puis se rappelant tout à coup, elle a bredouillé ah ! oui, c’est juste, je t’en ai parlé. J’ai mis toute mon innocence sur ma binette pour la regarder, mais en dedans, je pouffais de rire, oh, ce que c’était bon ! Maintenant je suis son maître, mais si vous saviez combien de fois elle m’a attrapée, surtout pour des choses concernant la vie et le climat d’ici, dont je n’avais aucune idée au commencement.
goerami, type de perche


Je vais installer dans ma cour un baquet pour du poisson vivant. Je ne peux pas y aménager de l’eau courante, mais le kebon la changera 3-4 fois par jour. Il y a ici un poisson, le goerami (famille des perches, eau douce) qui se conserve très bien dans un espace relativement petit. C’est le genre des carpes de chez nous. Cela rend service quand on a du monde inattendu ou quand le boucher nous joue des tours, ce qui arrive quelque fois.
Mes chers, je suis au bout de la page, contentez-vous de si peu pour cette fois






1935


7 janvier 1935

Keboemen

Une fois de plus vous m’excuserez si ma lettre n’est pas assez longue. Ce ne sera pas parce que je n‘ai pas beaucoup à vous raconter, diable non, mais c’est tout simplement la faute à vous deux, Max et Tata. En rentrant de Tjilatjap (Cilacap, côte sud de Java), où j’ai passé 2 jours magnifiques, je trouve quelque chose de plus magnifique encore quelque chose de soyeux, de doux de gai, et surtout de tellement bienvenu, et ce quelque chose m’a occupée samedi et hier toute la journée. Oh, ce qu’elle est jolie cette robe j’en suis enchantée. Oscar aussi la trouve très très bien. Je l’ai immédiatement essayée et comme il n’avait aucun changement à y faire je me suis mise à la coudre d’abord par pur plaisir, malgré notre courrier à liquider, et ensuite parce que nous avons appris que les Meyeringh arriveraient dimanche, donc hier. J’étais ravie d’avoir une si jolie robe à mettre, maintenant elle est prête et pend dans l’armoire jusqu’à cet après midi, pour le thé. Je l’ai terminée pour la porter sans manches, sans quoi elle n’aurait pas été prête. Demain, quand cette lettre sera partie, je vais prendre le patron de la manche, et ensuite je les terminerai et les poserai. Il faudra que Buby en fasse une photo, elle me va si bien. La ceinture, je l’ai finie avec les bouts de soie orange, qui étaient à ma robe de crêpe beige, vous vous en rappelez sûrement, elle avait des bouts orange à la ceinture et au décolleté. Comme la robe est en 1000 morceaux, elle se déchire rien qu’à la regarder, je n‘ai pas eu de regrets à défaire ce qu’il me fallait, et ma nouvelle robe est épatante avec. Je la porte avec le décolleté dans le dos, le pli retombant comme un capuchon, et devant j’ai mon grand médaillon en or. Ca fait très bien ! Tatali et Max, je vais vous écrire la semaine prochaine, il ne me reste plus assez de temps cette fois-ci. C’est aujourd’hui le nouvel an javanais et seul jour où les domestiques demandent congé. Je le leur ai aussi accordé l’après midi et la soirée.  Ce matin, la baboe a fait un bon pudding au pain pour notre souper. Elle est gentille, demeure tout près d’ici, elle est vite venue faire le thé. On devient gâté ici, il semble que plus on est sévère avec eux, plus ils ont du plaisir à travailler pour nous. Vous comprenez que cette vie ici tourne la tête à bien des petites femmes qui, en Hollande n’avaient pas la vie si rose.
Oh, notre radio joue toujours des opérettes ! et des valses, c’est si gai, et ma nouvelle robe me va si bien.
Maintenant, notre visite à Tjilatjap
Tjilatjap et l'île de Nusa Kambangan

Un succès sur toute la ligne  surtout pour moi qui ai eu un immense plaisir. Le 2 janvier après dîner nous sommes partis en auto avec Mme Visser et Nicky, qui profitaient de l’occasion pour faire une visite à Mme Kleyn, femme de l’administrateur. Partis à 1 heure nous sommes arrivés là à 3 ½ heures après avoir passé une très large rivière sur un ponton en bambou, autos, gens, le diable à quatre et son bain. C’était bien, dommage que j’avais oublié notre appareil, vous n’aurez donc pas de photos. Arrivés là, Oscar a été directement au bureau de la fabrique, où j’ai fait connaissance avec le comptable, M. Erkelens, un jeune homme de l’âge de Buby. Nous avons laissé Buby là pour se mettre au courant et Mme V. a été chez Mme Kleyn, pendant que moi j’allais à l’hôtel. Une fois mes bagages déposés, j’ai rejoins Mme V. chez Mme Kleyn. Cette dernière était au lit avec de la malaria soit disant, mais je n’en suis pas très sûre de cela. Mme K. a mon âge, je crois, grande, un peu grosse, avec des cheveux merveilleux mais… ils sont rouges !!! Elle ne m’est pas spécialement sympathique, un peu bête et l’aspect pas trop propre, elle doit lire des livres sales.  Grâce à mon expérience, acquise avec mes deux chèvres d’ici, je me suis rendu compte qu’elle aussi se gênait devant moi. Je me suis pourtant donné bien de la peine à paraître bé-bête, et à être gentille. Je ne suis restée qu’un quart d’heure, ensuite Mme V. est repartie à Keboemen et moi j’ai marché au bureau, chercher Buby. Erkelens nous a amené chez lui pour une tasse de thé. Sa femme est petite, bien bâtie. Nous avons ensuite fait un petit tour en auto par Tjilatjap, et mes chers, je me suis crue à Sutz pour un moment. 

Prison haute sécurité

Tjilatjap est situé au bord de la mer, mais à environ 300 m de la côte, se trouve une île (Nusa Kambangan, avec une prison haute sécurité) comme le Jolimont (à Erlach/Cerlier), qui a 60 km de long. 
Plage de Tjilatjap 23.11.2013

Vous voyez que cela fait donc tout à fait l’impression d’un lac paisible. C’est un merveilleux port naturel dans lequel abordent les grands bateaux. Il y en avait justement un de Chine et on fouillait les matelots et les coolies jusqu’à la peau à cause de l’opium ! J’ai vu le coucher du soleil, sur l’eau tranquille il y avait des bambous qu’on pouvait prendre pour des roseaux. Enfin, j’ai eu un immense plaisir. Le lendemain matin, vers les 8 heures, j’ai refait le même tour à pied, tout en allant au bureau apporter le déjeuner à Buby. Il devait donc remplacer le comptable Erkelens qui faisait une tournée de 2 jours à la place de M. Kleyn. Ce dernier ayant été appelé d’urgence pour un remplacement dans la fabrique de Rangkas. Là au bureau, j’ai fait la connaissance de van Tinteren, le machiniste. Un jeune homme de l’âge de Buby également, très sympathique. Il nous a invités pour le thé dans la soirée. A midi, nous avons donc dîné à l’hôtel, puis Buby est retourné au travail et moi je suis allé dormir. A 6 heures j’avais ma belle robe blanche, en broderie, avec mon cape jaune sur le bras. En arrivant chez les v. Tinteren, j’ai eu une nouvelle surprise en faisant la connaissance de Mme. Elle ressemble très fortement à Kitty. Une vraie hollandaise, grosse, jeune, sportive, naturelle, enfin Kitty, quoi. La sympathie a été réciproque et j’ai beaucoup joui de ma visite. Il y avait encore un couple en visite, plus 1 monsieur, avec sa mère et ses deux enfants qui logeaient chez les v. Tinteren pour quelques jours. C’était du monde sympathique, des gens qui savent vivre, savent parler, causer, enfin avec lesquels je me suis tout de suite trouvée à l’aise et dont, je crois, j’ai aussi fait la conquête. Vers les 8 heures, Mme v.Tinteren devait mettre au lit sa petite fille et les deux enfants en visite, alors j’ai aidé comme si j’étais à la maison. C’était un petit Max que j’ai déshabillé, lavé et fourré au lit, comme les gosses à Sutz. Le lendemain matin, à 8 heures déjà, j’étais de nouveau chez eux, je leur ai aidé à déjeuner, puis nous sommes tous partis pour la plage. Mme v.Tinteren m’a prêté un costume et j’ai aussi baigné avec les gosses, leur papa divorcé, et leur grand-maman. C’était épatant, l’eau était chaude, il y avait des vagues comme à St Malo, un air exquis qui ne lassait pas sentir la chaleur du soleil. J’ai fait des châteaux de sable avec les enfants, j’ai couru, je me suis amusée comme une folle. Oh ! il a fait beau ! J’en suis revenue bronzée comme un nègre, j’ai eu un petit coup de soleil, mais je ne pèle pas, j’ai tout de suite mis de la pommade, j’ai pensé à toi,  je ne voulais pas être aussi … nigaude. Oh, mais ce que ce bain a été bon, j’en joui encore à l’heure qu’il est.  L’après midi j’ai été dormir comme un loir. A 5 heures, un ami d’Oscar est venu prendre le thé à l’hôtel avec nous. C’est un jeune homme qui a été en pension avec Buby à Nijmegen pendant que leurs parents étaient aux Indes. Il s’appelle Beerenschot, il a été 8 ans aux Indes déjà, il est de quelques années l’aîné d’Oscar et pendant ces 8 ans il a trimé et ne s’est jamais accordé de plaisir hors de ce faire un beau home dans lequel il pensait conduire la jeune fille avec qui il s’était fiancé avant de partir. Quand, après 8 ans, il est revenu en Hollande, la jeune fille, qui n’avait jamais cessé de correspondre avec lui, lui a dit qu’elle ne le suivrait pas. Vous pouvez penser dans quel état il est revenu. Maintenant il une belle auto et fait un peu la vie, mais il est malheureux tout de même. Nous avons aussi été un moment chez lui, puis sommes allés ensemble chez les Erkelens souper. Nous avons bu une bouteille de champagne qu’ils avaient reçu de cadeau d’un chinois. Enfin, il a bien fait beau et la conséquence, c’est que j’aurai toute la bande à Keboemen une fois. Cela ne me fait rien, c’est des jeunes, ça amène de la vie, et ils ont la même paye que nous. Il y a donc pas à se gêner ni à faire du chiqué. Le samedi matin nous avons encore vite été dire adieu à tout le monde et sommes repartis pour Keboemen-les-bains avec l’auto de la fabrique de Tjilatjap. Nous sommes partout invités à venir passer  des week-end, aussi Mme Kleyn nous a invités, mais cela ne me plaît qu’à demi. Enfin, on verra, nous pouvons aussi aller loger chez Beerenschot. Vous voyez que nous avons eu un bel anniversaire de fiançailles. Vous avez sûrement autant pensé à nous comme nous à vous et au beau jour et à la belle soirée du 5.
Merci de tout cœur de votre lettre 67 ! Je suis si contente que vous ayez passé un si bon Noël, vous ne pouvez pas vous figurer ce que votre lettre à tous m‘a fait plaisir. Oh oui, je peux bien me représenter cette atmosphère de Noël, et j’espère bien la revivre encore souvent plus  tard.
Chuggou, Chuggou, je suis si contente des bonnes nouvelles que je reçois sur ton compte, et mes deux Fratellini. En revenant de Tjilatjap samedi matin, le 5 janvier, j’ai pensé à mes deux piou-pious, nous en avons parlé dans l’auto. Bientôt j’aurai une photo, pas ? Faaather, mon cher vieux macaroni pissoeil, tu es un chou de m’envoyer de nouvelles barrettes, toutes les femmes me les envient ici, et cette première que tu m’as envoyée ne me quitte pas ; c’est la première chose que je mets le matin et la dernière que j’enlève le soir. Enfin, mes chers, vous me comblez et me gâtez comme toujours. Je dois rire que vous ayez aussi une paire de Tip-Top. C’est tordant. Mais maman, il te faut les soigner, les laver, surveiller leur nourriture, en deux mots ne pas les traiter comme feu Falot, Finaud etc. Oui, oui, Rosalinde-Insulinde! Enfin, je suis heureuse que ces jours de fête aient bien passé chez vous comme chez nous. Maintenant c’est le travail et la vie régulière qui ont repris. Oscar est de nouveau excessivement occupé avec la nouvelle réorganisation à introduire. Il tient à le faire lui-même et à en avoir fini le plus tôt possible. Mes chers, j’ai maintenant mon vélo en bon état. Vous savez que les Engelhart me l’ont donné, je l’ai fait repeindre, 1 pneu, 2 chambres à air, 1 filet, démontage et révision complets, le tout pour Fl. 3.35, soit environ Frs. 7.--. N’est-ce pas chic ? Je vais donc recommencer à aller en vélo, mais il faut que je rapprenne.
Lundi matin : A Tjilatjap nous avons eu l’occasion de changer notre chic bleu (SFr. 100 voir lettre 16.12.34), cela nous a donné Fl. 48.50, qu’Oscar surveille bien soigneusement dans son compte privé. Le sale type ! Mais sans cela on s’entend bien.
Mes chers, je dois vous quitter en vitesse Buby est justement appelé à faire quelque chose à la fabrique et je dois finir sa lettre à papa Woldringh. Il ne reste presque plus de temps à bientôt, une plus longue épître quand j’aurai de nouveau une machine.