dimanche 26 février 2017




Kediri

8 février 1939

Mes bien chers,
Je n’ai qu’un tout petit moment pour vous écrire et je veux en profiter le plus possible pour vous donner de mes nouvelles.
Mais tout d’abord, c’est merci, merci mille et mille fois pour toutes les belles et bonnes choses que vous m’avez envoyée par Mies. Le petit costume est ravissant et me rendra de grands services seulement il faut que je le change, que je le fasse plus petit, la jaquette et la jupe. Tout est trop large, mais après tout, il vaut mieux que ce soit trop grand que trop petit. Les chäpeli, alors vont bien, ultra bien et me plaisent énormément, aussi à Buby. Le rouge, je l’ai reçu hier, ainsi que la petite chemise, pour laquelle encore une fois merci de tout cœur. Le petit bouquet aussi est bien joli et a été bien admiré, tu remercieras Hedy de ma part, car je n’ai pas le temps de lui écrire pour le moment. 
Maintenant, Mamms, il ne faut pas te fâcher avec moi ; j’ai eu un tel plaisir à tout ce que tu m’as envoyé que le jour après j’ai tout de suite été à la poste et je t’ai envoyé un mandat par bateau. C’était justement le commencement du mois et j’avais de l’argent en réserve, un tas de petite monnaie qui ensemble a fait le montant de Frs. 65.-. C’est donc parti le lundi, jour de courrier pour les bateaux, et le mardi à midi Buby m’apporte ta lettre où tu me dis que tu es fâchée si je t’envoie de l’argent. Ta lettre est donc juste arrivée 24 heures trop tard, cela fait que tu accepteras donc ces sous et tu en feras ce que tu voudras, si tu ne veux pas que je te paye ce petit costume, alors achète-toi quelque chose.
J’ai aussi un tel plaisir à Madame Curie. Si vous saviez garçons ? J’en avais déjà entendu parler et probablement que je l’aurais lu traduit en hollandais, et maintenant je suis si contente de le posséder en français pour moi toute seule. Je le trouve tellement bien écrit. En ce moment c’est Buby qui l’a pris avec lui en voyage. Si tout va bien il reviendra ce soir.
Dimanche le 5 février nous avons donc été chez les Engelhart pour la rijsttafel, c’était en même temps pour faire connaissance avec la Mies et pour fêter l’anniversaire de Mr. Engelhart. Nous étions 12 personnes. En revenant dans l’auto, je demande à Buby : Alors, how do you find Mies ? Buby : More stupid as the backside of a pig, and you ? ---M…de pour elle. C’est une personne prétentieuse et bête. Quand elle m’a dit de la suivre dans sa chambre pour me donner toutes les belles choses et que une à une je les déballais et les admirais (je faisais de mon mieux pour me retenir et ne pas trop montrer mon plaisir, mais tout de même je ne pouvais pas rester indifférente) alors elle poussait de ces éclats de rire tel…..euhiihiihii, euhiihiihii, euhiihiihii, qui ont fini par tellement m’agacer que je n’ai plus rien dit et j’ai admiré mes jolies choses en silence. Comme je peux comprendre qu’elle vous allait sur les nerfs, bon sang oui, c’est « e Hotche » (une bécasse).
Le plus beau, c’est que mardi matin à 9 heures, je voulais justement commencer de vous écrire, la voilà qui s’amène. Je me suis dit merde tout en la saluant de mon plus gentil sourire. Elle me racontait que tante Engel avait été à une démonstration de cuisine électrique, mais qu’elle n’avait pas voulu y aller car cela ne l’intéressait pas ! Alors qu’elle aimait mieux venir en visite chez moi. Bon sang, voilà une matinée de perdue que je me suis dit alors vite je l’ai poussée dans ma chambre de travail, là où j’ai  mes armoires à linge et tout mon barnum et je lui ai dit : cela ne te fait rien de venir t’asseoir ici, n’est-ce pas ? car je suis justement en train de déballer ma caisse de linge. Ainsi je l’ai assise dans un coin et tout en parlant et en tâchant de la faire parler, je déballais mes draps, mes nappes etc. Ainsi je ne perdais pas tout mon temps pour cette vache, mais c’est bien elle la cause que je n’ai pas écrit il y a 3 jours. Vers midi tante Engel est venue la chercher et a demandé si nous avions fait de la conversation française ? Pas un mot, la Mies ne commençait pas, alors moi non plus je ne me suis pas donnée de peine pour parler, je ne suis pas sa gouvernante. Mies paraissait tout étonnée que je parle si bien le hollandais et elle me dit que vous les garçons vous croyiez que moi, votre sœur, je ne saurais pas encore bien parler cette langue. Est-ce que c’est une blague que vous lui avez faite ou est-ce que vous le croyez vraiment ? Alors sachez que je parle cette langue tellement bien que l’on me prend souvent pour une hollandaise jusqu’à ce qu’un petit accent allemand par-ci par-là, vienne me trahir. D’ailleurs je vous l’avais écrit il y a quelque temps déjà, que je parlais le hollandais couramment maintenant.
Mes chers, je ne suis pas bien en humeur pour écrire une longe lettre ce soir. Oscar vient de rentrer, il est très fatigué et demain il doit repartir d’un autre côté. Vous savez que nous avons Mogendorff ici, il loge chez nous et demain sa femme va arriver et logera aussi ici, dans notre pavillon jusqu’à ce qu’ils auront une maison. Cela fait que j’ai des visites avant même que j’aie tout déballé de mes propres affaires, et avec les domestiques cela ne va pas encore bien non plus. Ils ne s’entendent pas entre eux et cela rend l’organisation du travail difficile. Enfin, on y arrivera bien, même si cela ne va pas sans peine.
Merci encore pour les beaux sacs à souliers et pour les autres petits sacs que Minna a cousu paraît-il. Avec le vieux linge de la gramamali, ou bien est-ce de toi ? Je ferai un petit tapis pour ma véranda. Les souliers blancs me plaisent aussi, j’en avais tant besoin. 

haricots séchés
Les « dürre Bohne » (haricots secs, spécialité régionale) sont très bien arrivés, pas moisi du tout comme je le croyais à cause de la saison humide en ce moment. Je vais les garder encore un peu jusqu’à ce que je puisse bien les manger et quand on sera seuls, car je veux m’en ficher une bosse, seulement je ne pourrai pas y mettre tous les oignons que je voudrais, car ils me sont défendus pour mon foie.
Est-ce que je vous ai déjà écrit que j’ai eu une nouvelle crise le premier jour que j’étais ici dans la maison ? C’était pas gai de se mettre au lit dans une maison pleine de caisses, avec des domestiques nouveaux que je ne connaissais pas et tout sens dessus dessous.
Il y a ici une très jolie piscine, et j’y vais tous les matins avec madame Fraay (celle qui m’apprend à coudre). Quand sa petite fille sort de l’école à 11 heures, on va la chercher avec l’auto et on file aux bains jusqu’à midi. Cela fait juste une heure de délassement tous les jours et j’en jouis beaucoup. Il y a là aussi un instructeur pour apprendre à nager et comme la petite Fraay apprend à nager je me suis aussi inscrite pour quelques leçons et hier j’ai osé plonger pour la première fois. Je n’ai pas encore fait un vrai plongeon, mais j’ai au moins osé sauter à l’eau et j’en suis fière comme un coq.
A la Banque à Soerabaya, il y a un jeune directeur que nous avions encore connu à Batavia. Entre temps il a été en congé en Europe et il est revenu marié. L’autre jour quand Oscar l’a vu à la Banque, il paraît que la première chose qu’il a demandé, c’était si j’étais aussi là en ville, qu’il voudrait me présenter sa femme. Buby a bien ri de son empressement et je pense que voilà de nouvelles connaissances en perspective. Oui, je crois que j’ai laissé un très bon nom à Batavia !!!
Merci encore pour les deux livres de cuisine que tu me fais cadeau. Tu sais tu me gâtes vraiment d’une façon terrible, et alors tu ne voudrais pas que je t’envoie de temps en temps un tout petit peu de cumin (argent) ? Allons donc cela ne vaudra jamais tout ce que tu as déjà fait pour moi.
Mogendorff ici a aussi une grande sympathie pour Oxford, on en parle souvent et il a aussi beaucoup de livres s’y rapportant, donc j’apprends comme toi à prendre la vie du bon côté !
Et maintenant, mes bien chers, assez pour aujourd’hui. J’ai mis trois jours à écrire ce bout de lettre qui, j’espère, vous trouvera tous en bonne santé. Merci à Loulou pour sa bonne lettre, je lui répondrai directement. Mes bien chers, …. encore mille fois merci pour tout, tout ce que j’ai reçu…
Je vais peut être cuire à l’électricité, si je puis louer un potager (cuisinière), cela serait chic, mais je ne veux pas acheter un fourneau ce qui serait trop encombrant.




mercredi 22 février 2017




Kediri

2 février 1939
A la main

Mes bien chers,
Vite quelques mots pour vous dire que nous allons bien et j’espère qu’il en est de même pour vous. Je suis entrée dans notre maison le 23 janvier et le jour après j’ai de nouveau eu une attaque de foie. Je suis restée au lit 2 jours, c’était pas gai dans tout ce cheni, mais je n’en faisais pas et maintenant la maison est presque en ordre.

Je continue à la machine, cela va quand même plus vite. Donc, quand tout me faisait mal ainsi, j’ai fait venir le docteur qui a bien constaté une nouvelle de ces crises. Je pense qu’elle provenait de ce que la nouvelle koki (baboe cuisinière) a employé trop de graisse pour la rijsttafel, et aussi parce que j’étais très fatiguée. Enfin, Buby qui devait partir en tournée a fait tous les soirs 100 km de plus pour revenir coucher à la maison, afin de ne pas me laisser trop seule dans la nouvelle maison. Maintenant cela va de nouveau bien, et je suis heureuse de pouvoir enfin avoir ma diète et d’avoir une bonne koki sous mes ordres.
L’emménagement dans la maison n’a pas été sans peine. La madame Sayers l’a laissée dans un état épouvantable, malgré que je lui aie dit plusieurs fois que je voulais avoir le salon tout à fait vide, elle ne pouvait pas se résoudre à ranger ses meubles. A la fin elle est partie, disant que son mari règlerait tout. Le lendemain de son départ, je vais voir la maison : rien n’était rangé. Dans la chambre à coucher traînaient encore de vieilles pantoufles, des fleurs artificielles, les jouets de la petite fille n‘étaient pas rangés, tout traînait là, c’était dégoûtant et j’ai été bien fâchée. Comme Mr. van Mastwyk (de la direction de Batavia) était justement là et logeait à l’hôtel avec nous, je ne me suis pas gênée pour lui en dire quelques mots. Il m’a donné raison en ce sens que j’avais bien le droit d’entrer dans une maison vide et en ordre. A la cuisine, madame S. m’avait demandé si je voulais avoir les tablards. J’ai dit que je voulais bien les employer puisqu’ils étaient fixés et que moi j’avais laissé les miens à Tjilatjap. Je pensais que c’était une chose bien comprise et liquidée, mais voilà quand je vais voir à la cuisine après son départ, ces tablards étaient pleins, mais archi pleins de vieux cheni, des vieilles lampes, des vases, enfin un tas de choses qu’on conserve et que certainement je ne me sentais pas le droit de jeter. Alors la Näggeli n’a pas fait long procès, elle a demandé à Mr. Sayers de venir avec elle vérifier si tout était en ordre, elle l’a conduit à la cuisine et lui a dit : Là, Monsieur, il a été convenu que j’aurais l’emploi de ces tablards et pour cela il faut qu’ils soient vides. D’un autre côté je n’ai aucune envie et ni le droit de jeter toutes ces choses qui vous appartiennent, veuillez le faire vous-même. Alors vous auriez dû voir ce Sayers qui s’est mis à faire de l’ordre tout en jurant tant et plus pendant que moi je restais plantée à côté à le regarder. Oscar lui, se gênait pour Sayers, aussi il n’est pas resté avec nous mais se promenait dans le jardin, aber ds Näggeli hets düre gstieret (la Nägeli s’est imposée). Comme cela il y a un tas de choses qui ne jouaient pas, ils nous ont trompés dans mille et une petites choses.
A l’instant, je reçois ta Stämpere 199, et j’en suis si contente, merci, merci de tout cœur. Tu aurais dû voir comme je l’ai arrachée des mains de la baboe ! Mais je vais vite continuer à écrire tout ce que j’ai sur le cœur car je n’ai pas beaucoup de temps.
Dans mes lettres précédentes, je vous ai souvent parlé de Hoekman, le bras droit de Buby ici et je vous ai dit comme Elout l’avait prévenu contre nous, mais que nous avions réussi à le tourner de sorte qu’il est devenu aimable et amical. C’est un type que nous aimions bien, Oscar et moi, il m’était aussi sympathique et tout laissait prévoir que l’entente serait bonne entre nous. Au bureau aussi, cela allait bien, les deux hommes s’entendaient bien pour le travail. Hier il est rentré avec Buby à midi pour boire un verre de bière, nous avons causé et ri jusqu’à 1 ½ heure, ensuite il est rentré pour dîner. Hier soir Oscar rentre du bureau blanc comme un linge et tout à fait dérangé. Vers trois heures, Hoekman avait reçu un téléphone, paraît-il qu’il devait se rendre chez le juge et… ils l’ont gardé là, en prison, directement, pour la même chose (il est homosexuel) que le frère à mademoiselle Probst. Ce Hoekman est un homme instruit, développé, distingué et il en souffre terriblement. Nous en sommes tous malades, nous n’en avons pas dormi toute la nuit. Hier soir j’ai été fermer sa maison qui est si jolie bien propre et en ordre, et de penser que lui passait la nuit à la prison. Il ne peut naturellement plus rester à la Mexolie et maintenant c’est Mogendorff qui viendra ici, celui qui était notre successeur à Tjiltjap. Il arrivera cette nuit déjà, car Oscar ne peut en aucune façon diriger seul la fabrique. C’est naturellement un scandale terrible, c’est un procès monstre à Batavia qui dure déjà depuis plusieurs mois. Il y a des hautes personnalités qui sont accusées et des hommes desquels on le croirait le moins.
3.2.39 Hier soir Oscar a été voir Hoekman en prison, il paraît que c’est affreusement triste. Tout le monde ici en a eu un coup terrible et Hoekman avait beaucoup de très bons amis. Nous sommes encore sous le coup comme tous ses amis du reste. Ce matin est arrivé Mogendorff de Tjilatjap, lui aussi a eu un coup terrible, car c’était un bon ami à Hoekman également. Mogendorff loge ici chez moi jusqu’à ce qu’il ait sa propre maison. Sa femme est encore à Tjilatjap pour tout emballer ce qu’elle vient de déballer il y a quelques semaines !
Je viens de déballer une de mes dernières caisses, celle qui contenait nos lettres à Oscar et à moi, plus quelques livres et les papiers militaires de Buby. Bien, presque plus de la moitié a été mangée par les fourmis blanches. C’est une sorte de fourmi qui bâtit ces hautes tours, je crois qu’on les appelle les termites. La moitié de nos lettres sont rongées et certains livres reliés avec du carton très épais pourtant, sont mangés jusqu’à la moitié des pages, soit par le haut soit par le bas, c’est affreux à voir et j’en a beaucoup de chagrin, surtout à cause de nos lettres. Dans la même caisse se trouvait aussi ton livre de cuisine, par miracle il n’a pas été attaqué !
Maintenant vite réponse à ta lettre, je n’ai pas le temps d’écrire beaucoup cette fois-ci et vous ne m’en voudrez pas, hein ?
Ce lamé de Banely (Fanny), envoie-le moi tel qu’il est sans le faire laver chimiquement, je le ferai nettoyer ici, car pendant le voyage il y a bien des risques qu’il se salisse de nouveau. Toutefois il faudra l’envoyer emballé dans un boîte en fer blanc (boîte de cigarette etc) fermée avec du leukoplast ou quelque chose de pareil, ceci pour le voyage en mer qui gâte toutes les étoffes. Merci d’avance et aussi pour toutes les autres choses. J’y reviendrai quand je les aurai reçues. Si jamais Banely reçoit encore d’autres restes d’étoffes pour des robes, je me recommande si elle ne les emploie pas pour elle. Il y a longtemps que j’aimerais me faire un manteau du soir en velours mais je trouve que c’est encore trop cher, car un manteau du soir est vraiment du luxe. Toutefois si Fanny reçoit du velours qu’elle ne peut employer pour elle, alors hein, vous savez où l’envoyer.
Dimanche 5 février nous allons manger la rijsttafel chez tante Engel pour faire connaissance avec la Mies et moi pour recevoir mes jolies choses. J’espère qu’elle les aura avec elle, pas que je doive encore attendre  que ses malles soient arrivées. Je lui ai fait envoyer un panier de roses en guise de bienvenue ! Si je l’ai fait, c’est pour les ¾ pour tante Engel et un quart parce qu’elle m’apporte des choses de vous. Je suis bien contente que tu m’aies avertie, je serai quitte d’avoir une déception.
A la main dans les marges
Je répondrai plus tard au reste de ta lettre. Mlle Gétaz m’a remerciée pour le petit plat en métal ! Mais c’est de l’argent, bon sang ! Pourrais-tu lui donner un signe dans ce sens ? Je ne veux pas lui écrire pour lui dire que je lui ai fait un cadeau beaucoup plus cher qu’elle ne croit !!! C’est en argent 800. J’ai aussi reçu une lettre de Max !
Au revoir mes chers, votre Ge….


lundi 20 février 2017




Kediri

18 janvier 1939

Je réponds vite à ta lettre 198, je viens de la recevoir hier soir. Merci pour tous les bons vœux et toutes les belles choses que tu m’annonces. C’est vrai, je m’en réjouis beaucoup et je suis contente de pouvoir y rêver aussi longtemps à l’avance. Mais tu me gâtes trop. Ce n’est pas permis, tu le sais bien. Si tu veux encore me faire un bon gros plaisir, c’est de me dire ce que coûte ce costume de sport que tu as fait faire chez Hedy. Je serai très contente de l‘avoir et je veux le payer moi-même. Les petits chapeaux et leurs accessoires tu pourrais me faire cadeau, mais le costume et les souliers, j’estime que c’est à moi de les payer. Donc stpl dis-moi ce que cela coûte.
Avant que j’oublie : je t’ai donc remerciée pour tout ce que j’ai reçu, et je m’aperçois que le jumper de Buby ne nous est pas parvenu. Il faudrait donc faire faire des recherches à la poste, de votre côté, et par retour du courrier fais-moi savoir :
Où tu as adressé le paquet
Quand tu l’as expédié
Quel no il porte, puisqu’il est chargé (recommandé/enregistré).
Quand j’aurai ces indications, je pourrai faire faire des recherches de mon côté et il y aura moyen qu’on puisse le retrouver. Je regretterais énormément si je ne le recevais pas, car c’est pourtant un jumper que toi, tu as tricoté ? Ou est-ce un pullover acheté ? Quoi qu’il en soit, on ne va pas faire cadeau de cela à la poste. Ecris-moi donc aussi vite que possible à ce sujet stpl.
Cadeau Huber : mais oui, j’avais bien l’intention de lui envoyer une petite chose en argent, mais ensuite je l’ai de nouveau oublié. Mais Rötteli, comment est-ce que tu es arrivée à le lui raconter, voyons, tu aurais dû garder cela pour toi et lui laisser la surprise. Si tu fais des choses pareilles, je n’ose plus tout t’écrire... Le mois prochain, je vais lui envoyer quelque chose, car ce type de Djocja (Yogjakarta) a déjà été ici ce mois et je n’ai rien acheté que je puisse faire cadeau à madame Huber. Mais je ne vais pas l’oublier, t’en fais pas. Et ne va pas croire que je sois fâchée parce que tu l’as dit et que cela m’oblige à le faire. Non, non, j’allais le faire comme que comme une fois ou l’autre, seulement  à l’avenir ne va pas raconter les choses trop vite et surtout ne raconte pas trop aux gens, sans quoi je n’ose plus tout t’écrire dans mes lettres.
Chapitre Mies : tout ce que tu m’écris confirme en quelque sorte mon pressentiment et mes appréhensions (est-ce que c’est du français, ce mot-là ?) de ce côté-là. Tu as eu bien raison de m’avertir, c’est à dire, je le sentais déjà tout seule, mais je suis contente de savoir à l’avance que je ne me suis pas trompée. La tante Engel aura du fil à retordre avec elle. Si elle est « hotche » (étroite d’esprit, pas très intelligent) c’est qu’elle l’a hérité. Toute la famille Engelhart, donc du côté de lui, sont hotche, tous, sans exception, ses sœurs, ses nièces et neveux, enfin tous ceux que je connais, sauf tante Engel et sa famille à elle, donc ses frères etc. Mais tu te trompes si tu as peur que je vais me charger de la changer, ah, bien non, la Näggeli ne s’appelle pas Rötteli. N’est-ce pas, chère ? «pense-te ! si une jeune fille n’est pas arrivée à quelque chose avec toutes les occasions qu’elle a eues d’apprendre et de se perfectionner, elle ne l’apprendra plus. D’ailleurs, j’ai déjà pensé que ce ne sera pas sans difficultés quand cette Mies sera là, il me faudra être très diplomatique, bon sang ! Aussi je ne vais pas aller trop souvent chez eux, mais je laisserai plutôt tante Engel venir vider son cœur vers moi, et je prévois qu’elle en aura besoin. Je comprends aussi qu’ils m’aiment bien ces deux, je suis tout de même autrement, nom d’une pipe ! Que la Mies n’ait pas admiré les Alpes quand elle se promenait avec toi, cela je peux le comprendre. Elle ne pourra pas bien se donner, et elle aura probablement trouvé que toi tu étais trop expansive dans ton admiration. Buby aussi ne peut pas s’exprimer ainsi non plus, et si nous vivions près de vous, tu me dirais souvent : pourquoi est-il si tranquille, pourquoi ne dit-il rien, n’a-t-il pas de plaisir ? pourquoi est-il ainsi, etc etc. et à la fin, moi, je penserais aussi, eh oui, pourquoi est-il ainsi ? Tandis que maintenant je le prends comme il est, je l’aime comme il est et je t’assure qu’il est souvent encore meilleur que je ne pense ! Pour en revenir à la Mies, donc ne t’en fais pas pour moi, je saurai très bien me tirer de cette affaire-là ! Je vais m’arranger pour encore aller chez tante Engel avant que la Mies arrive, après m’aurai toujours l’excuse que je ne veux pas les déranger dans leur joie de se revoir !!! De cela, elles ne pourront jamais m’en vouloir et ainsi je pourrai rester à l’écart, car tu penses bien que je ne veux pas non plus me mêler dans leurs chicanes, qui j’en suis sûre, seront nombreuses. Pauvre tante Engel. Bon sang, elle n’est pas sans défaut non plus, elle n’a pas de goût, ni pour ses habits, ni pour son intérieur, mais elle a beaucoup de bonne volonté pour chacun, et elle a un très bon cœur. Cela je ne l’oublie pas, mais il y a aussi bien des choses que je ne voudrais pas lui dire. Encore une fois, il faut prendre chacun comme il est et surtout il faut traiter chacun d’après sa propre mesure.
Et maintenant, Rötteli sale femme que tu es, dis-moi une fois si tu veux encore de ces petites cuillères, et quel genre ? Je t’ai déjà demandé souvent, car je voulais te compléter l’envoi. A présent je ne me rappelle plus bien combien je t’en ai envoyées et quel genre. Raconte-moi cela au plus vite. J’ai encore l’occasion d’acheter de ces choses-là ici à Kediri et il faut en profiter. Je trouve ces petites cuillères en écaille très distinguées, pas toi ?
Mais maintenant, il faut encore que je te gronde, et cela sérieusement à cause de Nauheim. Voyons, cela, c’était intelligent de t’en faire tellement parce que cela coûtait tant. Puisque tu avais décidé de faire cette cure alors qu’il fallait en profiter 100%. Maintenant tu as dépensé l’argent et cela ne t’a pas fait de bien, alors qu’autrement tu aurais dépensé cet argent, avec profit. Maintenant il faudra que j’économise encore plus, et quand je viendrai en Suisse, il faudra que je prenne ma Rötteli pour aller avec elle faire une cure, mais alors gare ! Chaque matin je vais te sermonner pour t’apprendre à jouir de ta cure. Car il faut absolument que tu sois en santé pour venir ici. Je sais déjà quel lit je t’achèterai quand tu viendras ici, pour que tu puisses bien dormir !!!
Quant à cette petite opération qu’il faut que je fasse faire, je ne peux pas la faire faire avant que mon docteur de Bandoeng m’y autorise, et il ne le fera que quand il sera tout à fait satisfait de moi. Donc ne t’en fais pas, en Hollande les docteurs font très attention que les femmes n’aient pas d’enfant quand elles ne sont pas tout à fait en santé, du moins quand c’est en leur pouvoir, et ce dr. van Leeuwe ne me permettra pas de faire faire cette opération avant qu’il puisse prendre cette responsabilité sur lui, et Bernard (le mari de Ir, à Bandoeng) lui obéira en tout. Je te dis, c’est tellement bien d’avoir ce docteur en qui nous puissions avoir toute confiance. Mais il m’a bien dit que le plus vite ce serait, le mieux ce serait, car je vais avoir 32 ans et il ne faudrait plus trop attendre, surtout pour le premier.
Chapitre Sayers : je pourrais de nouveau t’en raconter des tas, mais ce sera pour une autre fois, je veux que cette lettre parte et je dois la donner à Buby tantôt. Nous avons été au Soos hier soir, il y avait un cabaret français. C’était pas mal, ce qui me plaisait le mieux, c’est que nous avons tout de suite été salués et entourés par les membres du Rotary. Adieu la solitude je ne crois pas qu’elle existera ici à Kediri.
Oui, ce Max, il commence par être puni, à chacun son tour, hein ? Je vais encore lui écrire pour sa fête, et dis-lui seulement qu’il n’a pas besoin de répondre à mes lettres, seulement qu’il m’envoie de temps en temps de l’étoffe !!! Tu n’iras pas le lui dire, mais entre nous, c’est bien ce que j’espère ! Réponds à tout ce que je te demande dans mes lettres, gäll ? La semaine prochaine on prend possession de notre maison, je n’écrirai donc plus si souvent les prochains temps. Tu comprends, hein ? Et après je commencerai de nouveau …..   pas terminée




dimanche 19 février 2017




Kediri

11 janvier 1939
à ses parents

Je prends le parti de vous écrire sur mon papier  double, vu que ma provision en papier avion est épuisée. J’en ai encore énormément dans mes caisses, mais je ne pensais pas que j’écrirais tant à l’hôtel, je ne me représentais pas qu’un mois puisse être si long, et je ne veux pas aller acheter du papier puisque j’en ai encore.
Hier Oscar est reparti en tournée pour 4 jours, et justement avant de partir, il m’apporte enfin ta lettre…. Et ce matin, un autre grand plaisir : la lettre de fin d’année de mon cher vieux et unique Macaroni. Vraiment ta Ge… a eu du plaisir que tu penses encore vite à elle avant de boucler les comptes de 38. Merci, et aussi pour les bons vœux de mon vieux Caclon (Charlot).

L’adresse de Engelke (ancien client) est :
B. Engelke
Katja Wetan 108, Bandoeng Java

Vous avez raison si vous lui écrivez un mot, l’invitant à venir vous voir quand il sera en Suisse, mais ne faites pas de longue scie. Il ne faut pas qu’il ait l’impression d’être cramponné s’il vient vous voir.
Quant à Stöcker (magasin d’horlogerie à Bandoeng), tu ferais bien de lui offrir la vente d’un type de montre, un article bon marché mais bon, courant, qu’il puisse prendre dans son catalogue. Ne le lâche pas, car je crois qu’il est bon et maintenant que Engelke abandonne à Bandoeng, ce sera bien Stöcker qui prendra fortement le dessus. C’est le seul magasin là, qui ne vende que des montres, les autres sont aussi bijoutiers.
Alors c’était bien Schorer, ce type d’Engelke ? J’avais peur d’avoir oublié ou peut être mal compris et surtout mal rappelé le nom. Je suis contente si vous le connaissez et j’espère que vous arriverez à un bon résultat.
Je ne sais pas à quoi en sont les garçons (ses frères) maintenant, mais à mon avis, il vous faudrait « travailler le client » selon un système établi, étudié. Surtout ces nouveaux. Il ne s’agit pas seulement de leur écrire lettre sur lettre, non, c’est dommage pour les timbres, mais il faut d’abord longuement étudier et peser les choses, ensuite établir une série de lettres bien visées. Est-ce que Charlot n’a pas aussi étudié cette manière de réclame ?
Envoyez-moi un peu de matériel, de ce que vous faites maintenant, mais il me faut des illustrations avec les prix et les descriptions, car il y a trop longtemps que je suis hors du bureau, je n’ai plus bien le filon. Quand je serai un peu au courant de ce qui se fait et se vend, j’essayerai à Soerabaya. Il y a aussi un Suisse là, mais c’est un burestöffu (un paysan). Enfin on verra ce qu’on peut faire.
Seulement encore une chose, mes vieux, si j’attrape encore une fois sous le nez une de vos lettres mal écrites et mal soignées, c’est fini, et bien fini. N’économisez pas sur vos rubans de machine à écrire, et faites attention à votre orthographe, surtout aussi pour vos lettres anglaises. Donne les donc à corriger à Maman (parle parfaitement l’anglais après un séjour de plusieurs années aux USA) quand tu te mêles de les écrire, Padre, mais pour l’amour n’envoyez plus de ces horreurs telles que j’en ai reçues quelques-unes. Pour les lettres en français, soyez courts, concis et précis.
Mon cher Padre, oui, cela me fait vraiment quelque chose que 1939 soit l’année jubilaire (50 ans) de la maison, et permets-moi de te féliciter de tout cœur, mon cher Padre, et d’y joindre mes vœux les plus chaleureux pour un futur prospère et une extension saine et solide. Si tes deux fils y trouvent aussi leur contentement et leur intérêt de travailler avec toi pour la continuation de la firme, je vous souhaite une bonne coopération et toujours la bonne entente, deux choses essentielles pour la réussite. L’union fait la force !
Et pour terminer, encore un petit signe d’amitié à Mottet (le comptable) qui fait partie de l’Elem aussi !! Mes chers, toutes mes pensées affectueuses. Mon Padre, toujours bien ta Ge….





jeudi 16 février 2017






Kediri

11 janvier 1939

A sa maman

Mais je les aime quand même tes Stämpere (longues lettres), elles n’ont qu’un défaut : elles ne sont jamais assez longues pour moi. C’est toujours fait comme exprès, tes lettres arrivent juste au moment où elles me font le plus plaisir, comme hier quand Buby repartait, ainsi j’ai eu ta lettre pour me tenir compagnie. Et tu vois, je te gâte aussi un peu, je t’écris de nouveau !
Merci, merci pour tous tes bons vœux et tes prières. J’ai encore juste pu chüschele (chuchoter) à l’oreille de Buby avant qu’il parte, que tu priais toujours pour son succès et il a été touché.
Ce bol japonais doit être employé avec l’assiette cela fait un, et c’est ainsi qu’on y sert la salade. Tu peux naturellement faire comme tu veux, je te le dis seulement pour que tu le saches.
Alors, il paraît que vous avez eu plutôt de la neige en Suisse, ce qui aura tempéré un peu ce grand froid. Je suis contente que vous ayez une bonne saison d’hiver, mais ne prenez pas froid. Oui, je sais que Tatali aimait tellement la neige, et elle en avait du temps pour la regarder tomber, pauvre âme. Je pense souvent à elle, maintenant que je suis souvent seule aussi, et je peux me représenter les sentiments qu’elle a eu toutes ces années de solitude. Le pire c’est que quand il était là, elle n’avait personne non plus, elle était seule aussi, et surtout tous ces dimanches qu’il ne voulait pas bouger. Mon Dieu, quand j’y pense !  Cela me donne toujours le frisson, aussi je fais bien attention de ne pas laisser cette habitude surgir ici chez moi. Non, de temps en temps cela va bien, mais autrement je fais toujours en sorte qu’il y ait une activité quelconque le dimanche. Ce soir je me suis coiffée en hauteur comme Tatali l’était dans le temps, je me la rappelle encore si bien, je l’admirais tant. Cela me va bien aussi cette coiffure en hauteur avec des boucles sur le milieu de la tête, c’est la première fois que cela me réussit bien ce soir. Je suis sûre tout le monde porte cela à Bienne, ici cela commence seulement, et je vais le faire aussi, surtout pour le soir.
J’espère que vous n’avez pas été trop embêtés avec cette Mies (fille Engelhart) ?
Chapitre Sossich (connaissances de Rome, voir who is who)), faites bien attention. Si Sossich aimerait aussi venir en visite chez vous, c’est sûrement qu’il a une carotte à tirer du Padre. Fais attention, n’introduis pas le voleur dans ta propre maison. Que Ebe (fille de Sossich) aime venir chez toi, cela je puis le comprendre, mais Sossich a une raison pour vouloir venir. Vois-tu, ne crois pas que je suis jalouse d’eux, pas du tout, mais c’est l’instinct qui me dit que tout ce qui brille n’est pas de l’or, là, il y a simplement quelque chose qui ne joue pas. Refuse-les, crois-moi, c’est plus facile de refuser leur visite par écrit que de leur refuser ce qu’ils vous demanderont ou proposeront une fois qu’ils seront vos hôtes. Que Ebe veuille se perfectionner dans la langue allemande cela c’est seulement une excuse, Madre mia, pour être chez vous. Fais attention, ou tu auras encore des déceptions de ce côté-là
Oui, j’ai reçu toutes les choses que tu m’as envoyées, et je regrette si j’ai oublié de t’en remercier J’ai donc bien reçu la ceinture de Tata avec le nœud en soie écossaise verte, le costume de bain de Schürch (pour lequel je t’ai remerciée il y a longtemps), la petite blouse tricotée beige, une petite chemise de dessous pour Boili, une petite chemise pour moi, la ceinture en élastique, l’agenda, le Bärndütdch Buech, les bas, le beau calendrier Heimat et un petit pullover blanc en laine mince. Est-il pour moi ou pour Boili ?

Kediri,  Hoofstraat/rue principale

12 janvier
J’ai interrompu ma lettre hier, parce qu’il faisait une belle soirée et je suis allée marcher avec le chien. Alors je reprends le filon.
Je suis contente que tu aies pu te payer une robe, cela me fait plaisir et quand je pourrai encore en ajouter je le ferai de tout mon cœur. Moi aussi, je compte te prendre avec aux Indes, mais tu as raison, ne faisons pas de projets, je veux d’abord voir comme tu te portes. Je suis si contente que tu sois dans ce groupe Oxford (Réarmement moral, Caux sur Montreux, voir Wikipedia), car tous les gens que j’ai rencontrés jusqu’à présent, m’ont toujours paru avoir la paix sur la figure. Je trouve un très bon principe de ne pas penser ni au passé ni au lendemain, mais seulement au présent. Je le fais aussi et vraiment on jouit beaucoup plus de la vie.

Kediri, rue principale

Est-ce que tu es bien sûre que cette fille Kocher est la maîtresse de Gaston Schmoll ? Mais c’est à en devenir jalouse !!! Enfin, dä muess es jo chönne, Uebung macht den Meister, aber e zäie niggu isch me de glych ! Me isch doch gwüss scho lang über 50. Enfin, es söll ne freud mache ! Dä het sy piggu im Läbe scho so viel bruucht, dass er gwüss hüenerouge dra het ! E wäh, Rötteli, me gseht halt, dass de gänge ne sou frou gsi bisch, numme soufroue chöi söttigi Schnuder meitli ha wie Du eis hesch ! (il doit savoir y faire et s’y prendre, mais c’est malgré tout un vieux sec. Il a plus de 50 ans, non. Enfin, si ça leur fait plaisir ! il a déjà tant utilisé son p… dans sa vie qu’il doit avoir des cors ! On voit bien que tu es une sale femme… !)
Stpl donne moi l’adresse de la Giggerli (3ème sœur de Rose), il y a longtemps que je ne lui ai plus écrit, et je veux le faire. Alors elle avait des dettes ? Qu’est-ce qu’elle fait à Zurich, est-ce qu’elle travaille quelque chose au moins ? Donne m’en des nouvelles.
Merci pour toutes les salutations de tout le monde, tu en feras de même.
Tu n’as pas besoin d’avoir peur que je rumine trop quand nous avons des déceptions, oh pas du tout. Je sais aussi que ce n’est pas bon et le Boili m’a déjà si souvent grondée que je ne le fais plus. J’ai en effet aussi ce défaut, comme toi un peu, mais quand je commence, alors Buby me gronde et me parle jusqu’à ce que je ne le fais plus. Pour cela il est gentil, le Bueb, il me comprend si bien, et je peux toujours tout lui raconter, il comprend tout de moi. Oui, quand on est vraiment deux à porter les déceptions, elles ne sont pas si lourdes et aussi moins importantes. Et tu sais, je suis souple, maintenant je suis déjà tout à fait habituée ici, je prends madame Sayers comme elle est, et je t’assure que maintenant je peux encore bien m’entendre avec elle. Il faut prendre les gens comme ils sont et non comme on voudrait qu’ils soient. Si je gronde ici dans mes lettres, c’est que je vide mon cœur, et puis après c’est fini.
Hier matin, madame Sayers est venue me chercher pour m’introduire dans une société de dames, quelque chose come le Lycéum à Bienne ( www.lyceumclub.org)  est une institution qui concerne les femmes intéressées par les aspects culturels, sociaux et scientifiques de la vie. Cette organisation féminine fait partie d'un mouvement international. Existe à Bienne depuis 1932). Il n’y a que 40 dames, toutes les mieux de Kediri naturellement, et madame S. s’est vraiment donné beaucoup de peine pour me présenter partout etc. Tante Engel en fait aussi partie et je l’ai vue hier. J’y ai aussi rencontré la fille aînée de Mr. Voskuil, elle viendra me voir une fois. Ils habitent près d’ici, il est adm. d’une fabrique de sucre. Je vois cela, j’aurai très vite des connaissances. Ce matin, je suis allée à une leçon de gymnastique où j’ai aussi rencontré plusieurs femmes, des jeunes, des vieilles. Le mois prochain, nous avons déjà pris rendez-vous pour aller nager 3-4 fois par semaine à la jolie piscine, et je vais entrer au club de tennis. 
piscine de Kediri

Ensuite, il y a madame Fraay (voir who is who), ici qui va m’apprendre à coudre et faire des patrons. Vois-tu j’aurai de nouveau beaucoup à faire. Et vraiment ainsi je ne sens presque pas que Boili est loin. Si seulement Tatali avait aussi fait cela, si elle s’était arrangé une vie à elle pendant que Max était loin. Cela rend élastique et quand le mari rentre, on a beaucoup à raconter et il ne peut pas se faire l’illusion qu’on a passé le temps à l’attendre, et qu’on ne peut pas vivre sans lui. Nei, Mamms, Du bruuchsch kei angscht z’ha….(tu n’as pas besoin d’avoir peur).
So Rötteli,  … porte toi bien et prends bien soin de toi.
Embrasse les hommes pour moi, mais ne leur donne pas mes lettres à lire, tu peux les leur lire, mais pas tout, tu sais, il y a des choses que je ne dis qu’à toi. Compris ?





mercredi 15 février 2017



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Kediri

8 janvier 1939


Depuis ta 196, Mamms, et la lettre pour la fête de Boili, plus une lettre de Charlot, je n’ai plus rien entendu de vous. Qu’est-ce qu’il y a ? Pas de maladie, pourtant ? J’ai un peu peur que ces grands froids vous aient nui, à l’un ou à l’autre et je m’en fais un peu. Je pense et j’espère que les garçons ont pu en profiter, sûrement le lac était gelé alors vive le plaisir, mais Padre et Mamms ? Est-ce que vous avez pu assez chauffer au moins ? Je me demande un tas de choses ainsi, si le chauffage a bien marché, et surtout si Padre n’a pas pris froid en allant le faire marcher, etc.
Et ces fêtes, est-ce que vous les avez bien passées ? je l’espère de tout mon cœur. Je vous ai déjà raconté notre Noël à nous, quant à Nouvel An, il a été complètement raté.
Je vous avais écrit que j’irais à Soerabaya. J’y ai été en effet, j’ai même eu le courage d’aller au dentiste. A part le plombage d’une de mes grandes dents de devant, il me faut faire faire une couronne à une molaire ! J’y retournerai en février pour cela. A S’baya, j’ai donc rencontré Boili le soir, nous avons été au cinéma, puis aller souper ensemble avec Sayers. Le lendemain, les hommes repartaient et ne revenaient plus à Soerabaya, comme nous l’avions prévu. On ne peut pas toujours faire comme on veut, alors moi je suis retournée à la maison un jour plus tôt.
J’ai bien réussi pour mon tissu de chaises, tout à fait ce que je désirais, un tissu presque blanc, à l’envers marron que je vais employer pour la bordure. Nous aurons ainsi un salon très clair et comme ces chaises et le couch seront bien neutres, toutes nos jolies choses, bibelots etc en ressortiront d’autant mieux.
Enfin, je suis revenue le 29 décembre de S’baya, très fatiguée, me sentant lourde dans les pieds. J’ai été me coucher très tôt et le lendemain matin, j’avais mes maux par tous le corps, les maux bien connus de dans le temps. Qu’est-ce que je voulais faire d’autre que de rester au lit, bien chaud. Il a été bon ton Bettjäckli, ce que j’en suis contente ! Je me suis remise à la bouillie de riz cuite à la vapeur, mais ce n’était pas gai, malade toute seule ici à l’hôtel. Heureusement que vers le soir Boili est revenu, et moi cela commençait aussi de nouveau à mieux aller. Le 31, 1er, 2 et 3 je suis restée à la maison. Boili m’a tenu compagnie car il était très fatigué. Ainsi j’étais même contente que nous ne puissions pas aller chez tante Engel, car à Sylvestre, nous étions au lit à 8 heures du soir. A minuit nous avons été réveillés par la sirène de la Mexolie (il n’y a pas de cloches ici !) nous nous sommes embrassés et souhaité la bonne année, nous avons pensé à chacun de vous, vous souhaitant aussi tout le bonheur possible, puis nous nous sommes rendormis.  Le jour de Nouvel An, nous l’avons passé tranquillement à la maison, en pyjamas, à jouer aux cartes, à lire etc. Depuis deux jours j’ai recommencé à manger de tout et je me porte de nouveau bien. Je pense que cela a été une nouvelle attaque de mon foie, en tous cas je n’ai pas pris de remèdes pour mes rhumatismes comme je le faisais dans le temps en de pareilles occasions, et il me semble que cela a passé plus vite cette fois-ci. J’ai écrit à mon docteur à Bandoeng pour lui demander si j’avais bien agi ; j’attends encore la réponse. Sitôt qu’elle a su que j’étais malade, tante Engel est venue et m’a gâtée avec des fleurs etc. C’est une bonne âme, ils ont tant regretté de ne pas nous avoir, vu que la Mies (fille Engelhart) était chez vous. Mes chers, je vous demande mille excuses que cet emplâtre soit venu vous gâter ces jours de fêtes. J’espère tout de même que ce n’aura pas été trop terrible. Tu me raconteras cela, pas ?
Nous avons reçu un chien, le frère de notre Alert, il était à Batavia, avant, chez des gens qui ont été congédiés et maintenant ils retournent en Hollande. Il est plus joli que notre Alert, mais moins vif, mais je crois qu’il sera un bon chien quand même, en tout cas, il m’aime déjà bien. La première fois que je suis allée promener avec lui il a eu rogne avec un gros chien loup, et comme je le tenais à la chaîne, il n’a pas pu se défendre comme il faut, et il s’est fait mordre au dessus de l’œil. Il a eu une plaie terrible, nous avons eu bien peur pour son œil et je l’ai soigné presque jour et nuit, ensemble avec Boili. Maintenant c’est en train de guérir, heureusement.
Boili fait partie du Rotary maintenant, il prend la place de Sayers, ici c’est tous les mercredis soirs qu’ils ont leur souper. Je suis contente que Boili y soit. Cela va nous amener du monde et des visites, mais tant pis, un peu plus ou un peu moins, je vois qu’ici aussi j’aurai de nouveau la maison pleine de gens.

Et maintenant un chapitre Sayers. C’est des sales gens. Premièrement : ils ne nous diraient jamais que nous pouvons employer l’auto si nous voulons aller quelque part et eux, quand ils doivent s’éloigner de 100 m de leur maison, ils montent dedans. Deuxièmement : il est d’usage ici qu’on envoie quelque chose à boire aux hommes à la fabrique vers 10 heures, le matin. Je le faisais aussi à Keboemen et Tjilatjap, un peu d’eau ou de sirop dans un thermos pour que cela reste bien froid. Aussi longtemps qu’Engelenberg était à l’hôtel, j’ai aussi toujours donné un verre pour lui. Eh bien, ici, Oscar est assis vis à vis de Sayers au même bureau. Tous les matins Sayers reçoit son verre de sirop sans jamais offrir une goutte à Buby. Pourtant, cette vache de femme, elle pourrait se penser qu’étant à l’hôtel, ce n’est pas si facile d’envoyer quelque chose à Buby, je n’ai pas toujours un djongos à ma disposition, et pour elle cela irait en même temps, et un verre de sirop cela ne coûte pas beaucoup pourtant. Ici aux Indes, c’est la toute première règle d’hospitalité, toujours offrir à boire. Ha, mais attends Bibi, je vais aussi les traiter à cette sauce quand j’en aurai l’occasion. Comme cela je pourrais encore vous en raconter beaucoup, et Boili fait aussi ses expériences au bureau, Sayers voulait que Boili prenne la direction de la fabrique déjà à Nouvel An, mais Boili a vu qu’il avait encore un tas d’affaires pas liquidées, alors il a refusé, demandant que tout soit bien en ordre avant qu’il en prenne la responsabilité. Puisque ces gens ne nous accordent rien, on serait bien bête de leur rendre un service. Il en est de même pour moi, j’aimerais mieux me couper la main que d’aller lui aider à emballer, et pourtant elle en aurait besoin, mais neinei, ds Näggeli isch dört düre fertig geputzt (non non, la Nägeli n’est pas tombée sur la tête).
Merci mille fois pour le beau calendrier, pour le corsettli (gaine) de chez Bouldoires (grand magasin de Bienne, maintenant disparu). Il n’est pas mal, et assez solide, mais j’aime mieux la coupe des autres. Mais maintenant tu n’as plus besoin de t’en faire, je suis si près de S’baya qu’il me sera toujours facile de les acheter.
La petite chemise que tu m’avais aussi envoyée n’est pas mal, mais je préfère tout de même celles dont je t’ai envoyé un modèle, elles sont un peu plus chic, moins sobres ! Tu m’en avais envoyé deux roses, une fois, celles-là je les aime assez bien. Mais pour le moment j’en ai encore assez, donc ne fais pas de dépenses pour moi, à moins que tu aies de bonnes occasions, mais alors seulement dans les genres que j’aime. Il ne faut plus en acheter d’autres, et surtout pas penser que ce qui ne se porte plus à Bienne, va encore bien pour ici. Maintenant que nous sommes si près de S’baya, nous sommes aussi plus près de la mode en Europe, gäll ? (n’est-ce pas) ?
Ce matin, j’étais fâchée sur Boili parce qu’il ne voulait pas venir promener, alors comme un Chinois passait, je l’ai appelé et il m’a fait voir ce qu’il vendait. J’ai commencé à marchander sur un beau vase blanc, tout ajouré, comme de la dentelle de porcelaine. Je lui ai offert le tiers de son prix, pensant que jamais il ne me le donnerait, mais à la fin il me l’a quand même donné pour Fl. 3.50. C’était vraiment pas cher, et je vais en faire une très belle lampe. Boili a ri, une promenade lui aurait coûté moins cher, mais il préfère tout de même ce beau vase, et la promenade je l’ai eue ce soir avant de souper, ainsi tout est pour le mieux.
9.1.39   Je viens de recevoir un avis d’envoi recommandé, j’irai vite à la poste après déjeuner je me demande ce que tu m’as de nouveau envoyé, Mamms de mon cœur. Est-ce que tu as reçu ce bol en laque japonaise avec l’assiette, la cuillère et la fourchette ? C’est pour la salade. Tu sais que tu peux laver ces laques japonaises à l’eau de savon.
Mes chers, je n’ai plus rien de neuf à vous raconter et je continuerai ce soir si j’ai le temps.
9.1.39    Voilà, je continue. Je suis presque au bout de ma provision de papier avion prise avec moi pour ici à l’hôtel, et comme je n’ai plus beaucoup à raconter pour cette fois, je continue ici. J’ai été retirer le petit paquet de la poste, ce sont encore des bas. Merci. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai, on verra. A propos, est-ce que vous avez une nouvelle fille au bureau ? Elle écrit toujours Waldringh (Woldringh), et cela me donne des difficultés à la poste.
C’est une journée de laquelle je me félicite aujourd’hui, car je viens d’arriver à Fl. 1500.- dans mes économies sur le carnet de poste. C’est une institution d’Etat, on ne reçoit que très peu de %, mais c’est sûr comme tout, et puis, personne que moi ne peut y mettre le nez. En mettant les sous à la Mexolie, je recevrais plus d’intérêts, mais alors tout le monde saurait comment et combien je peux économiser par mois, et cela n’est pas nécessaire, hein, tu me donnes raison ? J’en suis bien fière, car au moins maintenant on n’est plus tout à fait sans le sou et cela donne une certaine sûreté.
Hé, voilà le Boili qui rentre, ils ont fait une petite tournée ce matin, et demain ils repartent pour la grande de 4 jours, pendant laquelle ils font minimum 1000 km. Pouvez-vous comprendre que les hommes rentrent harassés de fatigue ?  Et tout cela par une chaleur terrible dont vous n’avez aucune idée, car la plupart des routes sont au grand soleil. Cela Oscar le fera 2-3 fois par mois, et puis il y aura encore les petites tournées de 100 à 200 km qui ne prennent qu’un jour, mais qui sont fatigantes aussi. Les distances sont énormes ici, et je crois que la Suisse nous paraîtra ridiculement petite les premiers temps. Quand cela sera-ce ?  Bon sang, ne vous en réjouissez pas encore car ce ne sera sûrement plus pour cette année. Est-ce que ce sera en 40 ? Das wissen die Götter ! (seuls les dieux le savent). Il s’agit d’abord de travailler ici, surtout maintenant, c’est le moment, c’est l’instant. C’est la lutte à haute tension entre Sayers et Boili, qui montera l’échelle le premier ? Les Sayers sont ici depuis 10 ans déjà, et nous seulement depuis 5, alors de notre côté, il faut y en mettre. D’un autre côté nous ne pouvons pas nous plaindre, nous avons bien avancé en ces 5 ans. En ce moment, nous avons la même paye, ou même plus que Mr. Engelhart qui est tellement plus âgé. Il me semble des fois même qu’il est un peu jaloux de nous, pas méchamment, mais quand même un peu. Ils nous aiment beaucoup et ils feront toujours tout ce qu’ils pourront pour nous mais tout de même j’ai pris la résolution de ne pas toujours tout montrer ce que j’achète. Oui, ta girl te ressemble et n’est pas la plus bête !
Mon Bärndütsch Buech (livre en dialecte bernois), je l’ai fini depuis longtemps et dans quelques temps je vais le relire, car il était trop beau.
Que les garçons me disent s’ils lisent facilement l’anglais ? Nous venons de lire trois livres, Boili et moi, et ils sont si intéressants que j’aimerais bien que les garçons les lisent, seulement c’est en anglais. Réponds moi à cette question, n’oublie pas.
Comment va le bras et la main de Nöggi ? J’espère qu’il sera bientôt tout à fait remis et qu’il pourra bientôt goûter le plaisir d’écrire à sa sœur ?!!!
Ha, mes chers, je me réjouis tant d’avoir de vos nouvelles, ne m’oubliez pas, hein ?
A propos, je ne puis pas encore trouver la soie que je voudrais pour ces chemises d’homme, donc n’y compte pas encore.
Je profite encore de vous écrire un peu souvent pendant que je suis ici à l’hôtel à ne rien f…tre, après quand je serai occupée à installer ma maison, adieu les lettres pour quelque temps.
Et maintenant, mes chers, je suis au bout de mon latin pour cette fois.
Toujours bien votre  Ge…, b….si, Sch….li, etc

Oscar repart au bureau et prend la lettre avec, ainsi elle partira ce soir pour l’avion de demain.