samedi 30 avril 2016




Keboemen

1er septembre 1935

C’est dimanche aujourd’hui, il est nécessaire que je l’écrive noir sur blanc pour m’en apercevoir, car c’est de nouveau la fin du mois et Buby est collé au bureau. Hier c’était le jour national hollandais, la fête de la reine. D’habitude tout est fermé, c’est grand jour férié, les banques, les postes, les magasins, les commerces, tout a congé. Oscar a demandé à Visser le jour avant ce qu’il fallait faire (car toutes les autres fabriques de la Mexolie ferment  également) mais Visser a répondu : oh, pour ces peu de gens qui viendront au bureau ce n’est pas la peine de fermer la caisse ! Il est à gifler de temps en temps. Justement parce qu’il y a peu de gens à la caisse un jour pareil, c’est la meilleure raison pour fermer, car on ne perd pas grand chose ou rien du tout, mais voilà bien la nonchalance de Visser. Il se fout bel et bien de ses employés, qu’ils restent collés au bureau, eux, lui n’y vient pas, alors il s’en fout. Röhwer a eu congé vu que la fabrique ne tourne pas, mais Buby a été au bureau travailler à sa fin de mois, avec le plaisir de la terminer un jour trop tôt, puisque à Batavia ils ne l’attendent pas à la date régulière, ayant aussi fermé hier. Ce n’est pas de la méchanceté de Visser, non, c’est seulement une immense nonchalance, une terrible indifférence envers ses employés, envers tout ce qui ne le concerne pas personnellement, ce qui ne le touche pas lui et sa famille. Il est très bon pour les affaires il a du flair, il est commerçant, mais rien de plus, aucun intérêt en dehors de ce rayon-là et celui de sa famille. Enfin zut, faut pas s’en faire cela ne change rien à l’état des choses.
Merci mille fois pour la lettre 101. Je l’ai reçue mardi de nouveau comme d’habitude. Oui, que cette nouvelle série de 100 nous apporte le même bonheur que la première et toujours d’aussi bonnes nouvelles.
Mardi matin, comme je venais de baigner après avoir expédié mon courrier, madame E. avec cette jeune Hollandaise, sont venues me chercher. Elles voulaient aller visiter l’hôpital, parce que cette jeune femme a été garde malade en Hollande, elle a aussi son diplôme de sage femme. Nous avons donc visité tout l’hôpital de Keboemen en compagnie d’un jeune docteur nouvellement débarqué. C’est la première fois que j’ai ainsi visité tout l’hôpital et vraiment c’est à être surpris comme tout est bien installé, up to date tout à fait. C’est un immense bloc de maisons toutes reliées entre elles par des galeries couvertes, entre lesquelles verdissent de jolies pelouses. Il y a deux bâtiments pour les hommes, et deux pour les femmes indigènes, à part la salle d’opérations bâtie séparément, la salle Röntgen, la polyclinique, la pharmacie, le laboratoire, les cuisines. Dans une aile séparée se trouvent les chambres pour Européens et Javanais payants. Viennent ensuite les maisons d’habitations des docteurs, des sœurs, des gades javanais internes. Vraiment jamais vous ne vous imaginerez comme tout est bien, beau et propre. Keboemen est connu pour cela, parce que dans le temps du sucre la population était très dense ici de sorte que la Mission a tout fait pour avoir un hôpital de grande utilité. Le plus beau, c’était naturellement la chambre des poupons. Oh, vous auriez dû voir cela, ces petits chinois et javanais. On leur donnait justement à manger, de la bouillie de riz et des épinards, ensuite ils devaient aller sur le pot. Pour cela les sœurs les alignaient le long de la paroi en les attachant un peu pour qu’ils ne se sauvent pas avant d’être prêts. Ces enfants sont toujours nus pendant le jour, surtout s’ils sont déjà guéris, le plus souvent ils ne sont pas malades, mais ce sont des enfants trouvés ou sauvés de conditions de famille impossibles, alors le long de cette paroi ils formaient une rangée de petits Bouddhas bruns sur un trône d’émail blanc. Toi, si tu avais vu cela tu y serais encore à l’heure qu’il est !!! Moi aussi j’ai eu de la peine à m’en séparer.
En rentrant, ces dames sont encore venues boire un verre de sirop chez moi, et elles n’étaient pas parties 10 minutes, voilà que Frank (van der Stok ?) arrive sur sa moto. Il est juste resté un jour pendant lequel j’ai toujours eu la chance de cuire et mettre sur la table juste ce qu’il aimait, de sorte que ce jeune a bouffé, a bouffé comme les garçons quand ils reviennent du service. Cela m’a tellement rappelé de choses que je le bourrais come je pouvais. Un jeune qui vit depuis 3 ans d’une pension à l’autre, sait apprécier quand on fait quelque chose pour lui. Il ira en Europe le printemps prochain, je lui ai déjà fait promettre de prendre un paquet pour vous. On verra.
Mes chers, est-ce que ce n’est pas affreux cet accident de la reine Astrid (accident de voiture près de Lucerne)? J’en ai été toute bouleversée et ce pauvre Léopold (roi de Belgique), bon sang, ce qu’il doit souffrir ce pauvre homme. C’est déjà terrible quand une chose pareille arrive à un particulier, comme à Frans, mais encore un roi qui doit faire face au deuil de toute une nation. J’attends avec impatience le Journal du Jura pour avoir une version juste de tout l’accident, ici les télégrammes se contredisaient quelque peu et l’on doit attendre les nouvelles par lettre pour en savoir plus long.

Demain matin je vais à Premboen et de là avec les Engelhart à Poerworedjo. Je suis contente de cette occasion pour faire des achats chez le chinois épicier de là, qui est bon marché et a toujours beaucoup de choix.
Depuis vendredi nous avons notre deuxième petit chien, Bruno, Bruintje, Brunou et encore beaucoup de dérivatifs. Il est exactement comme Tipsie, on a de la peine à les reconnaître l’un de l’autre. C’est fou ce qu’ils s’amusent ensemble, c’est toujours fête au village maintenant et je pense souvent à toi, avec tes Tiptopsy.


Nous avons attendu John et Jans pour le weekend, mais ils ne sont pas venus, et nous n’avons pas de nouvelles concernant notre auto non plus. Je serai si contente quand nous en aurons une, même si nous n’avons les moyens de sortir qu’une fois par mois, si ce n’est que pour aller chez un bon coiffeur quelque part.
Ce matin j’ai acheté un très joli tapis, fait par des indigènes de Sumatra. C’est un type qui voulait rentrer et avait besoin de son argent, ainsi je l’ai eu très bon marché, et c’est une chose qui a beaucoup de valeur en Hollande, seulement je ne m’y connais pas encore assez bien pour l’évaluer.
Mercredi passé j’ai été à Premboen pour aider à déménager. Mme E. était étonnée de mon savoir faire et vraiment, sans moi elle ne serait pas encore où elle en est. Diable, j’ai été à bonne école entre Sutz et Bienne, hein, nous on sait faire cela !
Mes bien chers, les nouvelles qu’on reçoit au sujet de l’Italie et Ethiopie sont toujours alarmantes. Vraiment, je me sauve presque chaque fois qu’ils lisent ces dernières nouvelles au radio, je ne peux plus entendre tout cela. Qu’elle est ton opinion, Charlot ?
Mon Fatherli, je vois que tu as toujours beaucoup de soucis. Mon cher, cher vieux macaroni, ne te décourage pas, garde confiance, cela aide à vivre. J’aimerais tant une fois tirer le gros lot, ce que je vous aiderais alors !
Mamali, tu sembles avoir une frousse terrible de ce que j’attrape la malaria. Oui, je sais, en Europe on en a très peur, mais vraiment ici, on s’en fait beaucoup moins, car presque chacun y passe. Cette peur en Europe provient aussi de ce qu’on ne connaît pas bien la maladie et ses causes, alors on s’en fait une idée exagérée. C’est vrai pourtant que la malaria en Europe est plus dangereuse qu’ici, surtout parce qu’on n’est pas habitué à la soigner etc. La malaria est causée par la piqûre d’un moustique qui dépose dans le sang une certaine sorte de microbe. Ces microbes agissent sur les globules blanches dans le sang, je ne peux pas bien vous dire comment, suffit que cela cause de la fièvre. Alors on prend de la quinine, qui tue ces microbes. Une fois qu’ils sont tués, on prend encore autre chose qui les fait disparaître du sang. C’est ce que madame E. vient de faire. Cela se fait le plus souvent après la malaria tropica, la forme la plus dangereuse. Il y a aussi la malaria terziana, une forme de microbes qui ne travaille que tous les trois jours, alors on est deux jours sans fièvre et le troisième on a près de 40°. Cela peut durer des semaines. Van Tinteren et John ont cette sorte-là. En général, la malaria n’est pas une maladie dangereuse qui cause la mort par elle-même. Elle devient dangereuse parce que ces fièvres, si elles se répètent souvent, affaiblissent le malade et diminuent sa force de résistance. Dans le temps quand on ne savait pas encore bien  comment lutter contre la maladie, ces microbes ne disparaissaient pas du sang et ainsi le malade était toujours embêté par la fièvre. Aujourd’hui, les dr. savent tout de suite à quoi ils en sont et ont aussi les remèdes nécessaires pour nettoyer le sang à fond. Une fois le sang nettoyé de ces microbes, on n’a plus rien, jusqu’à la piqûre du prochain moustique. Inutile de vous dire qu’on possède aussi d’excellents moyens pour lutter contre les moustiques, tels que le Flit etc, ainsi que les maisons claires et bien aérées. C’est toute une hygiène tropicale que l’on ne connaît pas en Europe. On est beaucoup plus propre ici qu’en Europe. C’est sûr qu’on est aussi obligé d’attacher beaucoup plus d’importance à l’hygiène ici et je connais beaucoup de gens, des types (je ne veux nommer personne !) qui apprendraient encore bien à se baigner souvent, se laver les gousses etc. et changer de chemises et de chaussettes. Dans ces choses-là il n’y a pas d’économie qui fasse ici. Je vais encore ajouter, quoique je l’aie déjà écrit, il me semble que la quinine, le principal remède contre la malaria, est une écorce d’un arbre qui croît ici, c’est donc un remède tout naturel. Il y a toutefois des gens qui ne la supportent pas si bien que d’autres. Là, es-tu au courant maintenant ? ou faut-il t’en écrire encore plus long là-dessus ? Enfin il sera toujours temps de recommencer quand tu auras de nouveau oublié tout ce que tu viens de lire !!!
C’est lundi soir, Buby vient de quitter pour le bureau de nouveau. Il en aura bien jusqu’à minuit. C’est donc moi qui vais écrire à papa Woldringh. Je suis si contente, nous lui avons écrit à propos de notre plan d’acheter une petite voiture et il nous approuve, même si nous n’avons pas beaucoup de sous. Il dit que nous en aurons un tel plaisir et que cela restera un de nos plus beaux souvenirs de notre vie aux Indes, notre première auto.  Vous ne m’écrivez rien à ce sujet, je me demande pourquoi ? N’êtes-vous pas d’accord ou trouvez-vous que nous nous lançons trop ? Il est vrai que nous n’avons presque plus rien de côté quand nous aurons payé la voiture, si nous l’aurons, ce qui n’est pas encore dit, vu que ces petites voitures sont très demandées maintenant. Nous pourrions en avoir beaucoup de grandes pour Fl. 100.- mais ce sont des voitures qui mangent beaucoup de benzine, ce qui vient cher par la suite.
Ainsi vous avez de nouveau été tous ensemble au Chalet comme autrefois, j’aurais bien voulu y être aussi mais zut, on ne peut pas tout avoir en ce monde. Il fait beau ici aussi avec Buby !
Il me faut encore écrire à Flock. La petite nouille, est-ce qu’elle ne m’envoie pas tout un paquet de….paprika ? je ne savais pas ce qui m’arrivait en l’ouvrant. Le poivre rouge qui croît ici et que j’achète pour rien si j’en veux !!! Ohlalala
Mardi matin, mes chers, je n’ai presque plus de temps, je dois m’habiller et mon train part dans une demi-heure. J’avais encore beaucoup à dire, mais maintenant plus rien ne me vient à l’idée.
Les Röhwer ont aussi reçu leur radio hier soir, gare la fête maintenant que toutes les trois maisons ont leur appareil.
Mes chers je me réjouis de lire votre lettre ce soir…
Salutations à Mina, qu’elle ne désespère pas, une lettre viendra une fois !




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