Keboemen
1er septembre 1935
C’est
dimanche aujourd’hui, il est nécessaire que je l’écrive noir sur blanc pour
m’en apercevoir, car c’est de nouveau la fin du mois et Buby est collé au
bureau. Hier c’était le jour national hollandais, la fête de la reine. D’habitude tout est fermé, c’est grand jour
férié, les banques, les postes, les magasins, les commerces, tout a congé.
Oscar a demandé à Visser le jour avant ce qu’il fallait faire (car toutes les
autres fabriques de la Mexolie ferment
également) mais Visser a répondu : oh, pour ces peu de gens qui
viendront au bureau ce n’est pas la peine de fermer la caisse ! Il est à gifler de temps en temps.
Justement parce qu’il y a peu de gens à la caisse un jour pareil, c’est la
meilleure raison pour fermer, car on ne perd pas grand chose ou rien du tout,
mais voilà bien la nonchalance de Visser. Il se fout bel et bien de ses
employés, qu’ils restent collés au bureau, eux, lui n’y vient pas, alors il
s’en fout. Röhwer a eu congé vu que la fabrique ne tourne pas, mais Buby a été
au bureau travailler à sa fin de mois, avec le plaisir de la terminer un jour
trop tôt, puisque à Batavia ils ne l’attendent pas à la date régulière, ayant
aussi fermé hier. Ce n’est pas de la méchanceté de Visser, non, c’est seulement
une immense nonchalance, une terrible indifférence envers ses employés, envers
tout ce qui ne le concerne pas personnellement, ce qui ne le touche pas lui et
sa famille. Il est très bon pour les affaires il a du flair, il est commerçant,
mais rien de plus, aucun intérêt en dehors de ce rayon-là et celui de sa
famille. Enfin zut, faut pas s’en faire cela ne change rien à l’état des
choses.
Merci
mille fois pour la lettre 101. Je
l’ai reçue mardi de nouveau comme d’habitude. Oui, que cette nouvelle série de
100 nous apporte le même bonheur que la première et toujours d’aussi bonnes
nouvelles.
Mardi
matin, comme je venais de baigner après avoir expédié mon courrier, madame E.
avec cette jeune Hollandaise, sont venues me chercher. Elles voulaient aller visiter
l’hôpital, parce que cette jeune femme a été garde malade en Hollande, elle a
aussi son diplôme de sage femme. Nous avons donc visité tout l’hôpital de Keboemen en compagnie d’un jeune docteur
nouvellement débarqué. C’est la première fois que j’ai ainsi visité tout
l’hôpital et vraiment c’est à être surpris comme tout est bien installé, up to
date tout à fait. C’est un immense bloc de maisons toutes reliées entre elles
par des galeries couvertes, entre lesquelles verdissent de jolies pelouses. Il
y a deux bâtiments pour les hommes, et deux pour les femmes indigènes, à part
la salle d’opérations bâtie séparément, la salle Röntgen, la polyclinique, la
pharmacie, le laboratoire, les cuisines. Dans une aile séparée se trouvent les
chambres pour Européens et Javanais payants. Viennent ensuite les maisons
d’habitations des docteurs, des sœurs, des gades javanais internes. Vraiment
jamais vous ne vous imaginerez comme tout est bien, beau et propre. Keboemen
est connu pour cela, parce que dans le temps du sucre la population était très
dense ici de sorte que la Mission a tout fait pour avoir un hôpital de grande
utilité. Le plus beau, c’était naturellement la chambre des poupons. Oh, vous
auriez dû voir cela, ces petits chinois et javanais. On leur donnait justement
à manger, de la bouillie de riz et des épinards, ensuite ils devaient aller sur
le pot. Pour cela les sœurs les alignaient le long de la paroi en les attachant
un peu pour qu’ils ne se sauvent pas avant d’être prêts. Ces enfants sont toujours
nus pendant le jour, surtout s’ils sont déjà guéris, le plus souvent ils ne
sont pas malades, mais ce sont des enfants trouvés ou sauvés de conditions de
famille impossibles, alors le long de cette paroi ils formaient une rangée de petits Bouddhas bruns sur un trône d’émail
blanc. Toi, si tu avais vu cela tu y serais encore à l’heure qu’il
est !!! Moi aussi j’ai eu de la peine à m’en séparer.
En
rentrant, ces dames sont encore venues boire un verre de sirop chez moi, et
elles n’étaient pas parties 10 minutes, voilà que Frank (van der Stok ?) arrive
sur sa moto. Il est juste resté un jour pendant lequel j’ai toujours eu la
chance de cuire et mettre sur la table juste ce qu’il aimait, de sorte que ce
jeune a bouffé, a bouffé comme les garçons quand ils reviennent du service.
Cela m’a tellement rappelé de choses que je le bourrais come je pouvais. Un
jeune qui vit depuis 3 ans d’une pension à l’autre, sait apprécier quand on
fait quelque chose pour lui. Il ira en Europe le printemps prochain, je lui ai
déjà fait promettre de prendre un paquet pour vous. On verra.
Mes chers,
est-ce que ce n’est pas affreux cet accident de la reine Astrid (accident
de voiture près de Lucerne)? J’en ai été toute bouleversée et ce pauvre Léopold (roi de Belgique), bon sang, ce qu’il doit souffrir ce pauvre
homme. C’est déjà terrible quand une chose pareille arrive à un particulier,
comme à Frans, mais encore un roi
qui doit faire face au deuil de toute une nation. J’attends avec impatience le Journal du Jura pour
avoir une version juste de tout l’accident, ici les télégrammes se
contredisaient quelque peu et l’on doit attendre les nouvelles par lettre pour
en savoir plus long.
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Demain
matin je vais à Premboen et de là avec les Engelhart à Poerworedjo. Je suis
contente de cette occasion pour faire des achats chez le chinois épicier de là,
qui est bon marché et a toujours beaucoup de choix.
Depuis
vendredi nous avons notre deuxième petit
chien, Bruno, Bruintje, Brunou et encore beaucoup de dérivatifs. Il est
exactement comme Tipsie, on a de la peine à les reconnaître l’un de l’autre.
C’est fou ce qu’ils s’amusent ensemble, c’est toujours fête au village
maintenant et je pense souvent à toi, avec tes Tiptopsy.
Nous avons
attendu John et Jans pour le
weekend, mais ils ne sont pas venus,
et nous n’avons pas de nouvelles concernant notre auto non plus. Je serai si
contente quand nous en aurons une, même si nous n’avons les moyens de sortir
qu’une fois par mois, si ce n’est que pour aller chez un bon coiffeur quelque
part.
Ce matin
j’ai acheté un très joli tapis, fait par des indigènes de Sumatra. C’est un
type qui voulait rentrer et avait besoin de son argent, ainsi je l’ai eu très
bon marché, et c’est une chose qui a beaucoup de valeur en Hollande, seulement
je ne m’y connais pas encore assez bien pour l’évaluer.
Mercredi
passé j’ai été à Premboen pour aider à déménager. Mme E. était étonnée de mon
savoir faire et vraiment, sans moi elle ne serait pas encore où elle en est.
Diable, j’ai été à bonne école entre Sutz et Bienne, hein, nous on sait faire cela !
Mes bien
chers, les nouvelles qu’on reçoit au sujet de l’Italie et Ethiopie sont toujours alarmantes. Vraiment, je me
sauve presque chaque fois qu’ils lisent ces dernières nouvelles au radio, je ne
peux plus entendre tout cela. Qu’elle est ton opinion, Charlot ?
Mon
Fatherli, je vois que tu as toujours beaucoup de soucis. Mon cher, cher vieux
macaroni, ne te décourage pas, garde confiance, cela aide à vivre. J’aimerais
tant une fois tirer le gros lot, ce que je vous aiderais alors !
Mamali, tu
sembles avoir une frousse terrible de ce que j’attrape la malaria. Oui, je sais, en Europe on en a très peur, mais
vraiment ici, on s’en fait beaucoup moins, car presque chacun y passe. Cette
peur en Europe provient aussi de ce qu’on ne connaît pas bien la maladie et ses
causes, alors on s’en fait une idée exagérée. C’est vrai pourtant que la
malaria en Europe est plus dangereuse qu’ici, surtout parce qu’on n’est pas
habitué à la soigner etc. La malaria est causée par la piqûre d’un moustique
qui dépose dans le sang une certaine sorte de microbe. Ces microbes agissent
sur les globules blanches dans le sang, je ne peux pas bien vous dire comment,
suffit que cela cause de la fièvre. Alors on prend de la quinine, qui tue ces
microbes. Une fois qu’ils sont tués, on prend encore autre chose qui les fait
disparaître du sang. C’est ce que madame E. vient de faire. Cela se fait le
plus souvent après la malaria tropica,
la forme la plus dangereuse. Il y a aussi la malaria terziana, une forme de microbes qui ne travaille que tous
les trois jours, alors on est deux jours sans fièvre et le troisième on a près
de 40°. Cela peut durer des semaines. Van Tinteren et John ont cette sorte-là.
En général, la malaria n’est pas une maladie dangereuse qui cause la mort par
elle-même. Elle devient dangereuse parce que ces fièvres, si elles se répètent
souvent, affaiblissent le malade et diminuent sa force de résistance. Dans le
temps quand on ne savait pas encore bien
comment lutter contre la maladie, ces microbes ne disparaissaient pas du
sang et ainsi le malade était toujours embêté par la fièvre. Aujourd’hui, les
dr. savent tout de suite à quoi ils en sont et ont aussi les remèdes
nécessaires pour nettoyer le sang à fond. Une fois le sang nettoyé de ces
microbes, on n’a plus rien, jusqu’à la piqûre du prochain moustique. Inutile de
vous dire qu’on possède aussi d’excellents moyens pour lutter contre les
moustiques, tels que le Flit etc, ainsi que les maisons claires et bien aérées.
C’est toute une hygiène tropicale
que l’on ne connaît pas en Europe. On est beaucoup plus propre ici qu’en
Europe. C’est sûr qu’on est aussi obligé d’attacher beaucoup plus d’importance
à l’hygiène ici et je connais beaucoup de gens, des types (je ne veux nommer
personne !) qui apprendraient encore bien à se baigner souvent, se laver
les gousses etc. et changer de chemises et de chaussettes. Dans ces choses-là
il n’y a pas d’économie qui fasse ici. Je vais encore ajouter, quoique je l’aie
déjà écrit, il me semble que la quinine,
le principal remède contre la malaria, est une écorce d’un arbre qui croît ici,
c’est donc un remède tout naturel. Il y a toutefois des gens qui ne la
supportent pas si bien que d’autres. Là, es-tu au courant maintenant ? ou
faut-il t’en écrire encore plus long là-dessus ? Enfin il sera toujours
temps de recommencer quand tu auras de nouveau oublié tout ce que tu viens de
lire !!!
C’est
lundi soir, Buby vient de quitter pour le bureau de nouveau. Il en aura bien
jusqu’à minuit. C’est donc moi qui vais écrire à papa Woldringh. Je suis si contente,
nous lui avons écrit à propos de notre plan d’acheter une petite voiture et il
nous approuve, même si nous n’avons pas beaucoup de sous. Il dit que nous en
aurons un tel plaisir et que cela restera un de nos plus beaux souvenirs de
notre vie aux Indes, notre première auto.
Vous ne m’écrivez rien à ce sujet, je me demande pourquoi ?
N’êtes-vous pas d’accord ou trouvez-vous que nous nous lançons trop ? Il
est vrai que nous n’avons presque plus rien de côté quand nous aurons payé la
voiture, si nous l’aurons, ce qui n’est pas encore dit, vu que ces petites
voitures sont très demandées maintenant. Nous pourrions en avoir beaucoup de
grandes pour Fl. 100.- mais ce sont des voitures qui mangent beaucoup de
benzine, ce qui vient cher par la suite.
Ainsi vous
avez de nouveau été tous ensemble au Chalet comme autrefois, j’aurais bien
voulu y être aussi mais zut, on ne peut pas tout avoir en ce monde. Il fait
beau ici aussi avec Buby !
Il me faut
encore écrire à Flock. La petite
nouille, est-ce qu’elle ne m’envoie pas tout un paquet de….paprika ? je ne savais pas ce qui m’arrivait en l’ouvrant. Le poivre rouge qui croît ici et que
j’achète pour rien si j’en veux !!! Ohlalala
Mardi
matin, mes chers, je n’ai presque plus de temps, je dois m’habiller et mon
train part dans une demi-heure. J’avais encore beaucoup à dire, mais maintenant
plus rien ne me vient à l’idée.
Les Röhwer
ont aussi reçu leur radio hier soir, gare la fête maintenant que toutes les
trois maisons ont leur appareil.
Mes chers
je me réjouis de lire votre lettre ce soir…
Salutations
à Mina, qu’elle ne désespère pas, une lettre viendra une fois !