Keboemen
3 octobre 1935
Qu’allez-vous
penser, je ne vous ai pas écrit mardi passé. J’espère que tu n‘auras pas été
inquiète ? Voilà la cause. Dans ma dernière lettre je vous avais annoncé
que les v.Tinteren allaient
probablement venir passer le week-end ici. Ils sont venus et nous avons eu un
bon temps, tout a bien marché, mais voilà que dimanche soir, Wies et moi avons
décidé d’accompagner Does à Semarang,
puisque Buby ne pouvait pas le faire. Nous sommes donc partis le lundi matin à
5 ½ heures, avec la petite. Nous étions à Semarang à 9 heures, après une course
folle dans leur nouvelle voiture qui est merveilleuse. Does faisait toujours du
80 pendant que je croyais que nous roulions à un bon 50. Il peut prendre les
virages avec du 65-70 grâce à un système de ressort spécial. Sitôt arrivés,
nous avons pris une dagkamer, chambre de jour, à l’hôtel Jansen, dont les
v.Tinteren connaissent le manager. Cela se fait beaucoup ici, de prendre une
chambre de jour, environ de 9 heures à 18 heures. Ainsi arrivées, nous avons fait
un brin de toilette, changé de robe (j’ai enfilé celle de Hedy en lin blanc) et
avons filé en ville où nous sommes restées jusqu’à 13 heures à regarder les
magasins, et faire des achats. Nous avons mangé à l’hôtel avec Does, qui
pendant tout ce temps restait au garage près de sa voiture à réviser. Après le
dîner nous avons été dormir comme à la maison et c’est ce qui a fait cette
sortie si plaisante, de pouvoir passer une journée normale, sans se fatiguer
plus que d’habitude. A 4 heures, après notre thé servi dans la chambre, nous
avons été baigner, mettre une autre toilette (après-midi) et sommes encore
sorties. A 19 heures nous quittions Semarang et étions à Keboemen à 10 heures
moins le quart. Nous avons soupé et déballé tous nos achats. J’ai acheté une
jeannette (planche à repasser), un
Petroleum-Vergaser, un nouveau système de réchaud au pétrole, très économique.
Si je fais de bonnes expériences
avec, j’en achèterai encore deux pour ne plus être obligée de cuire avec du
charbon. Ce système se fait en grands fourneaux, mais je ne tiens pas à acheter
un monstre pareil, et préfère acheter deux trois « feux » séparément.
Enfin on verra. J’ai aussi cherché à remplacer mes verres à eau dont la
douzaine n’est plus complète. Je les ai trouvés, mais ils arrivent seulement le
5 courant de Hollande, donc il me faudra attendre encore un peu avant de les
avoir. Je les ai commandé et suis très contente. J’ai aussi voulu acheter des
hängimatte ( ???), mais une fois
à l’hôtel, je me suis aperçue que ce n’était pas les bonnes et je les ai
retournées. Ils faisaient une sale binette là au magasin, alors je leur ai dit
qu’ils n’avaient pas besoin de me rendre l’argent mais que j’achèterais quelque
chose. A la fin je suis tombée sur un organdi très bon marché, rayé bleu et
blanc, avec des petits points brodés. C’est assez gentil et me fera une petite
robe charmante. J’ai encore acheté une cravate pour Buby, j’en cherchais une
Tootal que je n’ai toutefois pas trouvée. Sans cela je n’ai rien acheté
d’autre, avant de partir j’avais vite fait mon budget, et je n’y ai pas dérogé,
alors que Wies s’est au moins fait dire 50 fois par son mari : gare à toi
si tu achètes de nouveau un chapeau et un tas de choses inutiles. Aussi je la
surveillais et quand elle s’arrêtait aux étalages de chapeaux et de colifichets,
je la tirais vers autre chose. On a bien ri. Elle s’est acheté des souliers chez Bata qui est très estimé
ici aux Indes parce qu’il a un magasin spécial de souliers et par conséquent un
assez grand choix, tandis que les autres marques telles que Bally, Manfield etc, sont vendues dans
des magasins de confection. Ces maisons tiennent bien un rayon de chaussures,
mais cela va sans dire que le choix est restreint. La concurrence chinoise est
d’ailleurs tellement grande. Ah, il me vient à l’idée, dans une de tes
dernières lettres tu m’as demandée si ce serait bien de m’envoyer des souliers.
D’un côté oui, et de l’autre non. J’aime toujours bien les Bally, mais c’est si risquant de m’en envoyer, vu que je ne
puis pas essayer d’avance. D’autre part je puis très bien porter les souliers chinois qu’on se fait faire
sur mensure ici. Wies ne peut pas les porter parce qu’elle est trop lourde mais
à moi ils vont encore bien. A Tjilatjap se trouve un très bon cordonnier pour
dames européennes. Je me suis déjà fait faire plusieurs paires. Je porte
surtout les sandalettes si à la mode
en été chez vous. Je les trouve pratiques et confortables, de plus, elles sont
bon marché, une fois fichues, on les jette, car des Giulio il n’y en a pas
ici ! Un chinois te copiera n’importe quel modèle de soulier. Donc il ne
faut pas m’envoyer de souliers.
Nous
n’avons pas d’autres nouvelles de John et de Jans, mais j’attends John pour ce
week-end, on verra.
Les
v.Tinteren sont repartis d’ici mardi matin, je n’ai donc pas eu le temps de te
lancer une carte, si une carte, j’aurais pu le faire, mais je trouvais dommage
pour tant de port, et j’espère que ton attente ne sera pas trop embêtante,
puisque tu recevras cette lettre 3-4 jours après.
Par même
courrier j’écris aussi au Jardin des
Modes pour commander une douzaine de patrons de robes, manteau, costumes,
jupes et blouses. Tous des modèles que j’ai choisis dans leurs collections. Je
pourrai ainsi faire des robes vite et bien, car leur coupe doit être très
bonne, et surtout très élégante. Cela ne me revient pas plus cher que si
j’achetais des patrons anglais ici, ou des hollandais, ou encore des Ullstein.
On peut changer plus souvent, parce que cela revient moins cher.
Le temps a
changé ces derniers jours, Il y a toujours des vents formidablement salauds, et
moi je le sens. Je n’ai pas été sans rhumatismes, ni sans maux de tête ces
jours derniers. Tout le monde en souffre par ici. Oscar a de nouveau été
enrhumé, il a travaillé ici à la maison parce que le bureau est aussi un nid à
courant d’air. Visser est venu voir comment cela allait, et à cette occasion,
je lui ai demandé si je pouvais faire faire une porte au passage du salon à la
chambre à coucher, aussi pour arrêter les courants d’air. Je vous dis, notre
maison est comme le Chalet en automne, le vent s’y engouffre et fait claquer
toutes les portes Enfin, la mousson
ouest réussira bientôt à s’imposer, alors on aura la saison des pluies,
celle que j’aime le mieux. M. Engelhart craint que nous aurons de grosses
inondations après cette longue sécheresse. On n’a plus vu de pluie depuis le
mois de mai. Les E. sont partis ce matin en tournée avec Visser, d’abord à Djocja,
ils coucheront à Kopeng et demain ils iront à Semarang.
Nous avons
entendu hier soir le résultat des premières escarmouches en Abyssinie. C’est
terrible de notre temps de recommencer un guerroyage pareil, pourvu que cela ne
s’étende pas en Europe, c’est ma plus ardente prière.
Mes chers,
je dois vous quitter, contentez-vous d’une lettre aussi courte, mais mon djongos
s’est fait malade hier et aujourd’hui et je dois bien bouger pour le remplacer.
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