samedi 7 mai 2016




Keboemen

3 octobre 1935

Qu’allez-vous penser, je ne vous ai pas écrit mardi passé. J’espère que tu n‘auras pas été inquiète ? Voilà la cause. Dans ma dernière lettre je vous avais annoncé que les v.Tinteren allaient probablement venir passer le week-end ici. Ils sont venus et nous avons eu un bon temps, tout a bien marché, mais voilà que dimanche soir, Wies et moi avons décidé d’accompagner Does à Semarang, puisque Buby ne pouvait pas le faire. Nous sommes donc partis le lundi matin à 5 ½ heures, avec la petite. Nous étions à Semarang à 9 heures, après une course folle dans leur nouvelle voiture qui est merveilleuse. Does faisait toujours du 80 pendant que je croyais que nous roulions à un bon 50. Il peut prendre les virages avec du 65-70 grâce à un système de ressort spécial. Sitôt arrivés, nous avons pris une dagkamer, chambre de jour, à l’hôtel Jansen, dont les v.Tinteren connaissent le manager. Cela se fait beaucoup ici, de prendre une chambre de jour, environ de 9 heures à 18 heures. Ainsi arrivées, nous avons fait un brin de toilette, changé de robe (j’ai enfilé celle de Hedy en lin blanc) et avons filé en ville où nous sommes restées jusqu’à 13 heures à regarder les magasins, et faire des achats. Nous avons mangé à l’hôtel avec Does, qui pendant tout ce temps restait au garage près de sa voiture à réviser. Après le dîner nous avons été dormir comme à la maison et c’est ce qui a fait cette sortie si plaisante, de pouvoir passer une journée normale, sans se fatiguer plus que d’habitude. A 4 heures, après notre thé servi dans la chambre, nous avons été baigner, mettre une autre toilette (après-midi) et sommes encore sorties. A 19 heures nous quittions Semarang et étions à Keboemen à 10 heures moins le quart. Nous avons soupé et déballé tous nos achats. J’ai acheté une jeannette (planche à repasser), un Petroleum-Vergaser, un nouveau système de réchaud au pétrole, très économique. Si je fais  de bonnes expériences avec, j’en achèterai encore deux pour ne plus être obligée de cuire avec du charbon. Ce système se fait en grands fourneaux, mais je ne tiens pas à acheter un monstre pareil, et préfère acheter deux trois « feux » séparément. Enfin on verra. J’ai aussi cherché à remplacer mes verres à eau dont la douzaine n’est plus complète. Je les ai trouvés, mais ils arrivent seulement le 5 courant de Hollande, donc il me faudra attendre encore un peu avant de les avoir. Je les ai commandé et suis très contente. J’ai aussi voulu acheter des hängimatte ( ???), mais une fois à l’hôtel, je me suis aperçue que ce n’était pas les bonnes et je les ai retournées. Ils faisaient une sale binette là au magasin, alors je leur ai dit qu’ils n’avaient pas besoin de me rendre l’argent mais que j’achèterais quelque chose. A la fin je suis tombée sur un organdi très bon marché, rayé bleu et blanc, avec des petits points brodés. C’est assez gentil et me fera une petite robe charmante. J’ai encore acheté une cravate pour Buby, j’en cherchais une Tootal que je n’ai toutefois pas trouvée. Sans cela je n’ai rien acheté d’autre, avant de partir j’avais vite fait mon budget, et je n’y ai pas dérogé, alors que Wies s’est au moins fait dire 50 fois par son mari : gare à toi si tu achètes de nouveau un chapeau et un tas de choses inutiles. Aussi je la surveillais et quand elle s’arrêtait aux étalages de chapeaux et de colifichets, je la tirais vers autre chose. On a bien ri. Elle s’est acheté des souliers chez Bata qui est très estimé ici aux Indes parce qu’il a un magasin spécial de souliers et par conséquent un assez grand choix, tandis que les autres marques telles que Bally, Manfield etc, sont vendues dans des magasins de confection. Ces maisons tiennent bien un rayon de chaussures, mais cela va sans dire que le choix est restreint. La concurrence chinoise est d’ailleurs tellement grande. Ah, il me vient à l’idée, dans une de tes dernières lettres tu m’as demandée si ce serait bien de m’envoyer des souliers. D’un côté oui, et de l’autre non. J’aime toujours bien les Bally, mais c’est si risquant de m’en envoyer, vu que je ne puis pas essayer d’avance. D’autre part je puis très bien porter les souliers chinois qu’on se fait faire sur mensure ici. Wies ne peut pas les porter parce qu’elle est trop lourde mais à moi ils vont encore bien. A Tjilatjap se trouve un très bon cordonnier pour dames européennes. Je me suis déjà fait faire plusieurs paires. Je porte surtout les sandalettes si à la mode en été chez vous. Je les trouve pratiques et confortables, de plus, elles sont bon marché, une fois fichues, on les jette, car des Giulio il n’y en a pas ici ! Un chinois te copiera n’importe quel modèle de soulier. Donc il ne faut pas m’envoyer de souliers.

Nous n’avons pas d’autres nouvelles de John et de Jans, mais j’attends John pour ce week-end, on verra.
Les v.Tinteren sont repartis d’ici mardi matin, je n’ai donc pas eu le temps de te lancer une carte, si une carte, j’aurais pu le faire, mais je trouvais dommage pour tant de port, et j’espère que ton attente ne sera pas trop embêtante, puisque tu recevras cette lettre 3-4 jours après.
Par même courrier j’écris aussi au Jardin des Modes pour commander une douzaine de patrons de robes, manteau, costumes, jupes et blouses. Tous des modèles que j’ai choisis dans leurs collections. Je pourrai ainsi faire des robes vite et bien, car leur coupe doit être très bonne, et surtout très élégante. Cela ne me revient pas plus cher que si j’achetais des patrons anglais ici, ou des hollandais, ou encore des Ullstein. On peut changer plus souvent, parce que cela revient moins cher.
Le temps a changé ces derniers jours, Il y a toujours des vents formidablement salauds, et moi je le sens. Je n’ai pas été sans rhumatismes, ni sans maux de tête ces jours derniers. Tout le monde en souffre par ici. Oscar a de nouveau été enrhumé, il a travaillé ici à la maison parce que le bureau est aussi un nid à courant d’air. Visser est venu voir comment cela allait, et à cette occasion, je lui ai demandé si je pouvais faire faire une porte au passage du salon à la chambre à coucher, aussi pour arrêter les courants d’air. Je vous dis, notre maison est comme le Chalet en automne, le vent s’y engouffre et fait claquer toutes les portes Enfin, la mousson ouest réussira bientôt à s’imposer, alors on aura la saison des pluies, celle que j’aime le mieux. M. Engelhart craint que nous aurons de grosses inondations après cette longue sécheresse. On n’a plus vu de pluie depuis le mois de mai. Les E. sont partis ce matin en tournée avec Visser, d’abord à Djocja, ils coucheront à Kopeng et demain ils iront à Semarang.
Nous avons entendu hier soir le résultat des premières escarmouches en Abyssinie. C’est terrible de notre temps de recommencer un guerroyage pareil, pourvu que cela ne s’étende pas en Europe, c’est ma plus ardente prière.
Mes chers, je dois vous quitter, contentez-vous d’une lettre aussi courte, mais mon djongos s’est fait malade hier et aujourd’hui et je dois bien bouger pour le remplacer.



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