Keboemen
16 décembre 1935
Mes bien
chers
Me voilà
avec un Buby de 31 ans. Une fois de
plus nous l’avons bien fêté ce premier pas dans la trentaine. John et Jans sont
venus, samedi après midi déjà, et comme de juste nous nous sommes tous couchés
avec une chique. Nous avons ri quelques bons coups, puis vers la fin les deux
hommes ont eu, non une chique pleureuse, mais une chique philosophique, alors
Jans et moi nous avons filé doucement car nous avions sommeil.
John avait
amené deux de ses mécaniciens pour réviser notre Puce qui mijote depuis quelques temps. Les 4 hommes ont
travaillé à la magnéto tout l’après midi et le soir vers 7 heures, ces deux
mécaniciens ont décidé de retourner à Solo, car John veut avoir la Puce sous la
main là bas où il a tout ce qu’il faut pour une bonne et complète révision. Si cette magnéto nous joue encore des
tours, il y mettra un Delco ( ???). J’écris cela pour les
garçons, car moi-même je ne comprends pas trop bien ce que l’on entend par là.
J’ai de
nouveau beaucoup joui d’avoir Jans qui est toujours la même, gentille et si
cordiale. Ils ont été les deux terriblement malade, John a eu la malaria tropica (la plus mauvaise) et
Jans la malaria terziana la plus
bénigne, qu’ils ont rapporté de Pengandaran,
le lieu de chasse où nous devions les accompagner.
![]() |
auj. réserve naturelle Pengandaran, nov. 2013 |
![]() |
Pengandaran beach |
Nous sommes bien contents
d’avoir été prudents, Buby et moi, Oscar a bien grondé John d’être si bête et
d’y amener Jans encore, et il a promis de ne plus y aller, malgré les bonnes
chasses.
Hier
matin, à son réveil, Buby a ouvert un gentil petit paquet et avec un cri de
joie en a sorti le merveilleux couteau
de poche. Ce cadeau désiré depuis que nous sommes ici, lui fait un plaisir
fou. C’était d’ailleurs le seul signe de vie et de bonne fête qu’il ait reçu
jusqu’à présent. Je ne sais pas ce qu’il y a eu avec l’avion, mais toute la
semaine nous avons été sans aucune lettre, ni de Suisse, ni de Hollande. Pas un
mot, je vous dis. Quand Karim, le clerc de bureau javanais, revenait sans
lettre, un jour après l’autre, nous avons presque fini par l’insulter. Cette
fois-ci Buby aussi était bien impatient et aux heures de courrier nous nous
tenions les deux au portail pour tacher d’attraper les lettres plus vite, les
lettres qui ne venaient pas. Il a été annoncé par radio que l’avion arrivait ce
matin à Batavia-Tjililitan, de sorte que nous les aurons demain à midi.
Il est
retourné au travail ce matin, Buby, mais il n’est pas encore comme il devrait.
Pendant son absence, Visser n’a fait que le strict nécessaire, et a mis de côté
le plus possible sur le pupitre d’Oscar. Il a beaucoup à liquider, et j’ai déjà
été avertie qu’à Noël il travaillera probablement tout le jour. Belle
perspective ! Enfin, faut pas s’en faire, il y en a beaucoup qui
aimeraient pouvoir travailler. Je m’efforce maintenant de ne pas penser à Noël
comme à une fête, mais simplement comme à une soirée où la chambre sera
éclairée par un arbre avec des bougies, au lieu de la lampe habituelle. Je
penserai à vous mais pas trop, vous comprenez ! Malgré tout je ne suis pas
malheureuse, bah, on apprend tant à se faire à tout, ici, dans ces choses-là
surtout. Heureusement qu’on a la nature qui nous aide, car en ce moment nous
sommes en plein printemps, de sorte que l’ambiance de Noël ne se trouve que dans les souvenirs. Bah,
cela reviendra aussi. Grâce à toi, je suis élastique, et cela m’étonne moi-même
très souvent, comme je puis me faire à tout, facilement.
Voilà, je
viens de vous quitter pour me couper une robe, ce qui m’a pris deux heures. C’est une petite robe
écossaise rouge noir et blanc, dont je dois vous avoir envoyé un échantillon.
Demain matin je la couds, après demain je la finis et la porterai le soir pour
aller à ma leçon. Il faut toujours que j’aie une occasion spéciale pour
inaugurer une robe. Jans s’en est fait de très jolies, vraiment elle était bien
habillée, ces deux dernières fois. Elle est aussi moins grosse, elle a maigri
de 10 kg, on voit tout de même la différence quoiqu’elle soit encore grosse.
Elle pèse maintenant 95 kg. Le 28 ou le 30 décembre John viendra nous ramener
la Fiat, avec trois amis de Delft. Probablement toute la bande couchera ici,
une nuit. Le 31 j’attends donc Ann et
Frans pour passer Nouvel-An avec
nous. Ils déménagent à Semarang déjà le 20 courant. Gare, en janvier nous y
irons avec la Puce.
Hurra ! Hurra ! Hurra ! Le mail
vient d’arriver, plus vite que nous ne l’attendions. Nous avons donc reçu ta
lettre Tatali, avec vos bons voeux pour la fête d’Oscar. Il a lu la lettre avec
plaisir et me charge de vous remercier de tout cœur, vu qu’il ‘arrive pas
encore à le faire lui-même. Cela viendra et ne lui en voulez pas de ce qu’il
n’écrive jamais. Il n’écrit à personne, même à ses meilleurs amis, c’est moi
qui écrit pour lui.
Merci
aussi pour ta lettre 116. Dans deux
jours nous recevrons déjà la 117,
l’avion était hier à Singapore. Tous les jours à midi, la radio annonce les
étapes des avions en chemin pour les Indes et pour la Hollande. A cette saison
ils ont fréquemment à lutter contre de mauvaises conditions atmosphériques et
depuis tous les accidents, il a été strictement défendu aux pilotes de prendre
le moindre petit risque, c’est pourquoi ils aiment mieux subir des retards
maintenant. Hé, il a fait beau les lires, toutes ces lettres, il y en avait
aussi une de Dan, le meilleur ami à Buby, la première que nous recevions depuis
que nous sommes ici ! Cis nous a aussi écrit une gentille lettre avec des
photos de ses garçons. Coen et Eddy (frères
de Oscar) n’ont encore donné aucun signe de vie, depuis des mois et des
mois.
Oui, j’ai
toujours oublié de te remercier pour l’agenda que j’ai bien reçu et qui m’a de
nouveau fait plaisir. Est-ce que cela te ferait plaisir si je t’envoyais celui
de ma première année ? Il te faudrait naturellement bien le garder et me e
renvoyer à l’occasion, ou le garder jusqu’à mon retour.
Je viens
d’apprendre un bout de ma leçon de
javanais. C’est cela qui est intéressant, Faaather ! une fois que je
saurai bien cette première langue orientale, je pourrai facilement apprendre
les autres. Il se pourrait bien que je me mette une fois au japonais. C’est des char… mais ils ont du bon quand
même.
Est-ce que
Mottet va m’écrire ? S’il le fait, qu’il n’oublie pas de me renseigner sur
ce que je lui ai demandé.
Donc mon
Faaather a été à Milan. Mon vieux,
fais bien attention avec tes combines.
Rappelle-toi ! Je serais bien contente si je recevais un gribouillage de
toi de nouveau, car tu sais, il faut le reconnaître, tes lettres sont et
restent toujours épatantes de présence et de réalité. Je ne veux pas te faire
des compliments, mais il ne faut pas cacher la vérité non plus, hein ?
Comment vont tes rhumatismes ? J’espère que la collection de petits pots
vous parviendra bien. Dis, raconte-nous donc comment tu as trouvé l’Italie, et
les conditions là-bas. On dit que Musso/lini
n’en a plus pour longtemps à jouer le Duce. Je n’écoute plus jamais les
nouvelles au radio et quand je demande des renseignements à Buby il me raconte
ce qu’il veut, le polisson. Il est déjà allé se coucher, cette première journée
au bureau l’a éreinté, mais aussi depuis 2-3 jours il fait chaud, bon sang, je
n’ai encore jamais ressenti une pareille chaleur ici. Vers midi on a le
sentiment d’être un sac de plomb, il faut une immense volonté pour se lever de
sa chasé et si on y arrive c’est pour immédiatement se laisser tomber dans une
autre. Qu’est- ce que je ferais si je ne pouvais pas aller dormir ! Oscar,
lui, souffre moins de la chaleur, c’est à dire, moi, je n’en souffre pas, je la
ressens seulement plus que lui. Il l’a supporte assez bien tout de même.
Les Engelhart
sont donc partis en vacances hier. Lui pour Soerabaia et elle chez une amie,
ensuite ils se retrouvent pour aller à Sarangan, là où nous avons été et ils
finiront par Bandoeng. Ils resteront loin trois semaines. La semaine passée,
mercredi dernier donc, tante Engel est venue jouer au mah-jong avec Oscar qui
était encore couché. Le soir le docteur est encore venu et nous avons tous pris
le thé ensemble. Tante Engel voulait aller au cimetière ce jour-là, mais elle
n’en a plus eu le temps, alors le lendemain j’ai été pour elle, et j’ai bien
arrangé la tombe de sa mère avec les fleurs qu’elle m’avait laissées. Elle en a
été si contente, qu’elle m’a envoyé son livre de cuisine, celui qu’elle s’est
fait elle-même en copiant toutes les recettes qu’elle a trouvées bonnes. Tu
sais Mamms, tu as aussi un livre pareil. Eh bien, tante Engel le garde comme la
prunelle de ses yeux , ce livre, car elle y tient beaucoup, et maintenant elle
me l’a envoyé sans que je le lui demande, pour le garder et en copier ce que je
veux. Je trouve cela gentil d’elle.
La semaine
passée j’avais été avec elle au village et j’ai acheté un sarong pour ma bi-ba-boe, car c’est bientôt leur nouvel an, alors
ils doivent tous s’habiller de neuf. C’est la coutume qu’on leur fasse cadeau
de ce qu’ils ont besoin. J’ai donc choisi un sarong et un slendang qui nous plaisait bien, à tante Engel et à
moi. En rentrant, j’ai laissé le paquet ouvert dans ma chambre à coucher pour
que la baboe le voie, car je voulais voir qu’elle g… elle pousserait. Elle a
fait semblant de ne pas le voir. Un peu plus tard, pour attirer son attention,
je lui demande s’il fallait que les slendang aient le même batik que les
sarong. Elle me répond que oui, que c’était mieux, plus fin, mais pas un de ses
muscles n’a bougé, rien, un visage entièrement sans expression. Je me
dis : mince alors, elle ne semble pas en avoir beaucoup de plaisir à ce
futur cadeau.
![]() |
kain sarong |
![]() |
ex. batik sarong (privé) |
Des sarong (tissus), des kain (tissu porté en
jupe) et des slendang (châle) sont des choses que je ne sais
pas encore acheter je ne vois pas encore la différence entre la beauté et
la qualité des dessins Mais tout
de même je commençais à la trouver difficile, blasée et gâtée, ma baboe, de ne
montrer aucun plaisir, ne donner aucun signe de contentement, enfin zut, la
vache, que je me suis dit, et je n’y ai plus pensé.
Mais voilà ces derniers
jours elle a toujours mis le même sarong,
et je commençais à m’en étonner, vu que les domestiques aussi changent chaque
jour de vêtements. Je regardais ce sarong sans penser à rien, mais un moment
après en voyant le mien, le neuf dans mon armoire, je m’aperçois que c’est le même que la baboe porte depuis
deux-trois jours ! Voilà donc le secret de sa mine impénétrable. Si je
n’avais rien vu, elle aurait accepté ce sarong sans un mot. Elle l’aurait mis
pour venir me remercier et après il aurait filé au mont de piété, jusqu’à plus
voir.
Pour la
fête à Oscar j’ai fait du cognac aux œufs, et pour servir le blanc des œufs,
j’ai encore fait des langues de chats. Ces deux choses ont bien réussi, mais
j’ai encore fait une tourte à laquelle j’ai travaillé pendant deux matinées, et
nom d’une pipe, elle était pire que du vieux pain. Pourtant j’ai tourné pendant
40 minutes j’ai bien tout mesuré et fait exactement d’après le livre de
cuisine. Je crois que cela tient au four ou du moins ce que j’ai comme four, je
ne peux pas bien régler la chaleur. Enfin, le lendemain je l’ai sortie pour la
fourrer de crème, la tourte était pleine de trous comme un bon Emmenthaler et
dure et sèche comme du chäfersfüddle (sec
comme un pet de coucou). Je me suis dit qu’il fallait sauver l’apparence en
faisant une bonne crème au rhum. Cette charrette de crème, il fallait la cuire,
je l’ai ratée deux fois de suite En la faisant la troisième fois, j’ai attrapé
le « tout de suite » de
peur de la rater encore une fois. Comme je devais courir au cabinet et que
je ne voulais pas la quitter des yeux, je l’ai prise avec. Enfin j’ai rempli la
tourte, replacé le couvercle (de la tourte !) et j’ai fait le glaçage
auquel il a aussi fallu travailler pendant une demi-heure. A la fin je l’ai
étendu sur la tourte et j’ai fini de la garnir avec des petites cerises rouges,
et des feuilles vertes que j’ai découpées dans de la succade (c’est le mot
hollandais) (glaçage). Elle aurait
été vraiment jolie cette tourte, mais pour comble de malheur, j’ai placé les
cerises et les feuilles trop vite, et elles se sont noyées dans le glaçage qui
n’était pas encore sec. Oh, je vous dis, pour une ratée, c’en était une, et ne
me demandez pas ce qu’elle a coûté !!! J’aurais presque pu m’en faire
envoyer une de chez Pierre pour ce prix ! Enfin, on apprend par
expérience.
Ce mois-ci
on arrivera à notre ancien salaire, moins trois florins. Ce sera la première
fois cette année ! Heureusement , car j’ai de la peine à tourner ce
mois-ci. Oscar m’a donné les Fl. 50.- qu’il a reçu de son père pour son
anniversaire, cela remet à flot aussi, un peu, du moins. Mais flûte, au moins
je n’ai pas un centime de dettes. Oscar a retiré Fl. 237.- de ses actions de la
N.I.H.B. (Banque néerlandaises des Indes),
non, c’est des obligations qu’il a, son père nous a fait envoyer la somme ici,
mais nous ne voulons pas l’employer ou une très petite partie seulement et le
reste s’en ira sur le carnet d’économies.
Maintenant,
mes bien chers, je tombe de sommeil. Il est 11 heures, la radio dit justement
bonsoir et je vous en souhaite de même.
Mardi
matin.
Merci
encore une fois pour la recette des sandwiches. La première fois tu ne me
l’avais pas donnée aussi complète. Maintenant je vais essayer à nouveau.
Mes chers,
cette lettre vous arrivera juste pour
Noël. Vous serez tous ensemble et vous penserez à nous. Est-il nécessaire de dire que nous en ferons
autant ? Au moins le soir de Noël ? Je pourrai faire un bel arbre
cette année, tante Engel m’ayant prêté toutes ses choses de Noël, vu qu’elle ne
les emploie pas. Nous vous souhaitons donc de bons jours de fête, paisibles et
heureux.
Il reste
mes chers garçons auxquels je ne suis pas arrivée à écrire séparément non plus.
Garçons, profitez de votre Noël à la maison, vous amassez pour plus tard des
souvenirs d’une valeur inestimable, croyez-en mon expérience.
Et
maintenant, bien chers tous, encore une fois nos vœux les meilleurs……(j’ai déjà
une bouteille de Graves dans la glacière pour cette occasion) A chacun de vous
bons muntschis….
De vos
Buby et Bubinette
P.S. Quand
j’ai fait les langues de chat, Oscar m’a aidée à tourner la pâte, car c’était
justement son premier jour hors du lit de nouveau. Puis c’est lui qui les a
dressées sur la plaque. On s’est bien amusé, et au beau milieu c’est Visser qui
arrive lui faire une visite !!! Il a dû rire… Ge…
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