Keboemen
1er décembre 1935
A sa maman
Nous voilà
déjà au dernier mois de l’année. Comme le temps passe vite ! Ce sera déjà
notre troisième Noël ici. Encore
deux et vraisemblablement le prochain troisième sera à la maison avec vous
tous. Mais chut, n’y pensons pas encore et ne nous réjouissons pas trop, dans
ces choses il faut toujours être très prudent.
Merci de
tout cœur de ta lettre 114 qui a été
attendue avec impatience et lue avec plaisir. J’aime aussi bien votre dimanche
de pluie, passé comme tant de dimanches précédents quand j’étais encore à la
maison et qu’on buvait le thé avec les garçons. J’y pense encore souvent et
quand il pleut ici je fais la même chose pour Buby. Seulement ces derniers
temps je n’ai plus aucun plaisir à faire
des cakes etc. parce que ma baboe les gâte toujours quand elle les cuits.
Avec ces tonnerre de charbons c’est difficile d’avoir la bonne chaleur, juste
celle qu’il faut et elle ne fait pas assez attention de sorte qu’une fois ils
sont brûlés et une autre fois ils ne montent pas. Cela m’a découragée pour un
moment, mais je vais recommencer, car il faut bien que je fasse quelque chose
pour le fürzelistag (anniversaire) de Buby.
Pour le
moment il a la grippe, ce gnocchi. Mr. Visser l’a eue dans le courant de cette
semaine, un peu d’influenza, et hier soir cela a pris Buby. Au lieu de
travailler jusqu’à minuit, comme d’habitude, il est déjà revenu à 8 heures.
J’en étais étonnée et quand j’ai regardé il avait de la température. Ce matin
toutefois il était sans fièvre et je l’ai laissé aller au bureau de nouveau,
car c’est la fin du mois. Il en est toutefois revenu à 11 heures avec 38.0 et
ce soir à 5 heures il a eu 38.4 malgré que je l’ai fait transpirer. Je vais lui
donner une bonne purge maintenant et le garder au chaud, ainsi cela passera
bien, sinon je ferai venir le dr. Maintenant que nous sommes habitués l’un à
l’autre et aux symptômes de refroidissement d’ici, je ne m’en fais plus, tout
en restant naturellement vigilante.
Lundi
matin.
Buby est
encore au lit. Il a eu de la fièvre toute la nuit, c’est seulement vers le
matin que la température a un peu baissé. Maintenant il a 37.5. La purge a bien
agi, et je pense que la température baissera complètement dans le courant de la
journée. Il n’est pas malade autrement, sauf qu’il a mal à la tête. Mr. Visser
est venu lui rendre une courte visite ce matin et lui a prêté un livre à lire.
Ce sera donc de nouveau à moi
d’écrire à papa Woldringh et à Eddy pour sa fête.
A propos
d’Eddy, nous avons entendu par papa W. qu’il vivait une idylle qui finira bien
par des fiançailles. Une petite garde-malade, 23 ans, dont le père était
ministre des colonies, ici aux Indes, il y a quelques années. Nous n’avons
encore rien entendu d’Eddy lui-même, de sorte que nous n’en faisons pas encore
allusion.
Voilà 15
jours que nous n’avons plus roulé. Nous disons que c’est à cause de la benzine,
mais la vérité c’est que quelque chose ne va pas, empêche la machine de se
mettre en marche. Buby a déjà démonté tout le diable, et cela ne va pas
mieux ! Ma foi, il doit faire ses expériences avec cette chiotte, et il
aime bien y fignoler lui-même. Moi, cela m’est égal, pourvu qu’il y trouve son
plaisir après tout. Mais j’espère que John et Jans viendront sous peu et nous
aideront à la remettre en bon état. Nous ne le disons à personne, car les gens
auraient seulement du plaisir, et nous ne le leur accordons pas. Tu trouves que
tante Engel a confiance en moi parce qu’elle vient déjà avec moi en auto ?
Eh bien, et toi, aurais-tu peur avec ta girly ? Je crois que non. De plus
tante Engel conduit elle-même depuis 15 ans.
Ainsi, tu
veux vendre ton rouet. Comment es-tu venue sur cette idée ? Est-ce que
c’est parce que tu as bien besoin de sous ? Dis-moi un peu comment cela va
à la maison avec l’argent. Je suis sûre que cette affaire de Berne vous donne
du souci, parce qu’enfin, à toi, il ne doit plus rien rester. Si jamais tu
étais à court, prends de moi sans crainte, pourvu qu’il reste environ Frs.
2000.- pour un voyage, en cas, comme nous l’avions décidé. As-tu maintenant
réussi à le vendre pour Frs. 35.-, ce rouet ? Il me semble que ce ne
serait pas trop cher, vu que c’est un article de connaisseur on peut demander
un prix de fantaisie, et il faut en profiter. Si elle est déjà venue trois
fois, c’est preuve qu’elle y tient et qu’elle reviendra.
Et
maintenant un chapitre Visser-Rickshaw. Mardi passé, le soir, Buby vient me
dire que l’auto de la fabrique était à la disposition des dames de la Mexolie
pour une sortie à Djocdja le
lendemain. Bon, moi je ne voulais pas laisser passer cette occasion de sortir
gratis, malgré la gentille compagnie. Il faut te dire que le mardi soir, après
sa leçon de javanais, tante Engel est venue dormir ici parce que le lendemain tôt
elle devait être à l’hôpital pour son pied. Le mercredi matin, donc, à 6 heures
exactes (pour une fois elles ont pu l’être !) l’auto avec ces dames était
devant ma maison. Heureusement j’étais prête. Ces dames m’avaient généreusement
laissé la place à côté du chauffeur, justement celle que je désirais. Elles
étaient assises là comme deux königliche späckfüdle (lit. gros culs), les deux en blanc (parce que dernièrement je
porte beaucoup de blanc !) et ont eu de la peine de me saluer, car j’avais
mis une petite robe à fleurs que je venais de terminer d’après le patron du
Jardin des Modes. Moi j’ai gentiment dit bonjour, encore envoyé un bec à Buby
qui me regardait partir, je me suis installée à ma place, bien décidée à ne pas
me laisser faire cette fois-ci. Après quelques 100 m madame Visser
demande : Où nous retrouverons-nous à Djocdja, pour rentrer ? Bon, je
me suis dit, cela au commencement du trajet signifie que l’on ne veut rien de
plus de moi. Avec la plus gentille mine du monde je lui ai dit qu’où elle
voudrait, je serais à l’heure qu’elle m’indiquerait. Elle s’est encore pris la
peine de jouer la comédie et d’aussi demander la Ric où elle la retrouverait.
J’ai souri à ces paroles. On est tombées d’accord de se retrouver à 3 heures au
club. Je lui ai encore dit que je trouvais chic d’aller à Djocdja, ce à quoi
elle n’a pas jugé bon de répondre, tandis que la Ric jubilait intérieurement
d’être si bien avec la Visser, mais d’un autre côté elle était tourmentée par
sa jalousie à cause de ma robe. Enfin la Näggeli leur a encore lancé un gentil
regard accompagné d’un sourire gentil également (mais pas modeste !), elle
s’est retournée et n’a plus regardé en arrière jusqu’à Djocdja, soit pendant 2
½ heures. J’apprenais mon javanais
pendant qu’elles blaguaient leurs éternelles histoires. A la fin elles étaient
pourtant perplexes et cherchaient bien à me faire entrer dans la conversation,
mais la Näggeli sait qu’on lui avait signifié son congé une fois et qu’on ne le
ferait pas deux fois. A Djocdja la Visser ne savait pas comment elle voulait
faire ni ce qu’elle voulait dire de peur que je reste collée avec elle, mais
moi une fois hors de l’auto je leur ai tiré ma révérence, en leur disant
gaiement : Alors à 3 heures mesdames !
Je n’ai
pour ainsi dire rien acheté pour moi-même, sauf des bougies pour notre arbre,
et un peu de neige. J’ai fait quelques commissions pour tante Engel et en plus
j’ai regardé les magasins qui étaient très jolis, mais je n’ai absolument rien
acheté qu’une petite passoire et un entonnoir pour la cuisine et des cigares
pour mon Buby à la maison. Ce mois la fabrique n‘a pas tourné, de sorte que nous
n’avons reçu que Fl. 200.- moins fl. 8.- d’impôt sur le salaire. C’est dire que
je n’arrive pas loin ! Pour rentrer, les dames sont venues ensemble me
chercher au club, je suis montée dans l’auto, leur ai demandé si elles avaient
bien réussi dans leurs emplettes, ce à quoi seulement la Ric a répondu. Elle
cherchait visiblement à se rapprocher de moi, ne se sentant pas à son aise dans
la manière dont madame Visser me traitait, car il ne faut pas oublier, je
m’appelle Woldringh ! Elle m’a même offert des tablettes ! J’en ai
pris une pour ne pas lui donner une occasion de dire que je la boudais, mais
ensuite je me suis retournée dans l’auto et ai fait comme si elles n’existaient
pas. Ce qui les a rendues perplexes. Demain c’est la fête à la petite Visser.
J’irai féliciter et apporter une poupée et c’est tout. Je ne resterai que 5
minutes. Oh, vois-tu, elles verront bien encore du pays avec moi. Papa W. est
tout à fait d’accord avec notre manière d’agir, les genres Visser il les
connaît aussi très bien.
Nous avons
reçu cette semaine une longue lettre d’Anne.
Le procès a eu lieu et tout le monde
était pour Franz, sauf un zigue qui
ne pouvait pas le souffrir, alors ce type a tellement crié sur Franz, et
tellement sali son caractère, et demandé avec tellement d’énergie qu’on le
punisse, qu’il a reçu trois semaines de
prison, c’est à dire qu’il doit aller travailler à la prison comme un
détenu, mais après les heures de travail le soir, il peut rentrer. Anne a écrit
que le soir après la sentence elle avait eu de la peine à retenir Franz qui
voulait toujours aller rosser ce type, mais maintenant il est plus calme. Ils ont demandé et obtenu leur
déplacement à Semarang pour le mois de janvier. Je crois qu’ils l’ont fait par
rapport à nous, nous serons plus près les uns des autres, il fera chic, ainsi
j’aurai une occasion d’aller à Semarang pour mes emplettes. C’est seulement
dommage que maintenant nous partirons bientôt. Nous ne savons encore rien de
définitif, sauf que papa W. nous a écrit qu’il savait aussi les plans de la
société avec Buby. C’est donc que Elout ne nous a pas dit des blagues. Enfin,
Semarang n’est pas très loin de Batavia, env. la même distance que Keboemen.
Franz et Anne ne peuvent pas venir pour Noël, car Franz doit commencer sa
prison le 7 décembre. Cette date est bonne pour lui car pendant les jours de
Noël il n’aura pas besoin d’y aller, et ils sont quand même comptés, cela lui
fera toujours cela de moins. On les verra en janvier, probablement. Et
maintenant, je te quitte
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