samedi 21 mai 2016




Keboemen

1er décembre 1935

A sa maman
Nous voilà déjà au dernier mois de l’année. Comme le temps passe vite ! Ce sera déjà notre troisième Noël ici. Encore deux et vraisemblablement le prochain troisième sera à la maison avec vous tous. Mais chut, n’y pensons pas encore et ne nous réjouissons pas trop, dans ces choses il faut toujours être très prudent.
Merci de tout cœur de ta lettre 114 qui a été attendue avec impatience et lue avec plaisir. J’aime aussi bien votre dimanche de pluie, passé comme tant de dimanches précédents quand j’étais encore à la maison et qu’on buvait le thé avec les garçons. J’y pense encore souvent et quand il pleut ici je fais la même chose pour Buby. Seulement ces derniers temps je n’ai plus aucun plaisir à faire des cakes etc. parce que ma baboe les gâte toujours quand elle les cuits. Avec ces tonnerre de charbons c’est difficile d’avoir la bonne chaleur, juste celle qu’il faut et elle ne fait pas assez attention de sorte qu’une fois ils sont brûlés et une autre fois ils ne montent pas. Cela m’a découragée pour un moment, mais je vais recommencer, car il faut bien que je fasse quelque chose pour le fürzelistag (anniversaire) de Buby.
Pour le moment il a la grippe, ce gnocchi. Mr. Visser l’a eue dans le courant de cette semaine, un peu d’influenza, et hier soir cela a pris Buby. Au lieu de travailler jusqu’à minuit, comme d’habitude, il est déjà revenu à 8 heures. J’en étais étonnée et quand j’ai regardé il avait de la température. Ce matin toutefois il était sans fièvre et je l’ai laissé aller au bureau de nouveau, car c’est la fin du mois. Il en est toutefois revenu à 11 heures avec 38.0 et ce soir à 5 heures il a eu 38.4 malgré que je l’ai fait transpirer. Je vais lui donner une bonne purge maintenant et le garder au chaud, ainsi cela passera bien, sinon je ferai venir le dr. Maintenant que nous sommes habitués l’un à l’autre et aux symptômes de refroidissement d’ici, je ne m’en fais plus, tout en restant naturellement vigilante.
Lundi matin.
Buby est encore au lit. Il a eu de la fièvre toute la nuit, c’est seulement vers le matin que la température a un peu baissé. Maintenant il a 37.5. La purge a bien agi, et je pense que la température baissera complètement dans le courant de la journée. Il n’est pas malade autrement, sauf qu’il a mal à la tête. Mr. Visser est venu lui rendre une courte visite ce matin et lui a prêté un livre à lire. Ce sera donc de nouveau à moi d’écrire à papa Woldringh et à Eddy pour sa fête.
A propos d’Eddy, nous avons entendu par papa W. qu’il vivait une idylle qui finira bien par des fiançailles. Une petite garde-malade, 23 ans, dont le père était ministre des colonies, ici aux Indes, il y a quelques années. Nous n’avons encore rien entendu d’Eddy lui-même, de sorte que nous n’en faisons pas encore allusion.
Voilà 15 jours que nous n’avons plus roulé. Nous disons que c’est à cause de la benzine, mais la vérité c’est que quelque chose ne va pas, empêche la machine de se mettre en marche. Buby a déjà démonté tout le diable, et cela ne va pas mieux ! Ma foi, il doit faire ses expériences avec cette chiotte, et il aime bien y fignoler lui-même. Moi, cela m’est égal, pourvu qu’il y trouve son plaisir après tout. Mais j’espère que John et Jans viendront sous peu et nous aideront à la remettre en bon état. Nous ne le disons à personne, car les gens auraient seulement du plaisir, et nous ne le leur accordons pas. Tu trouves que tante Engel a confiance en moi parce qu’elle vient déjà avec moi en auto ? Eh bien, et toi, aurais-tu peur avec ta girly ? Je crois que non. De plus tante Engel conduit elle-même depuis 15 ans.
Ainsi, tu veux vendre ton rouet. Comment es-tu venue sur cette idée ? Est-ce que c’est parce que tu as bien besoin de sous ? Dis-moi un peu comment cela va à la maison avec l’argent. Je suis sûre que cette affaire de Berne vous donne du souci, parce qu’enfin, à toi, il ne doit plus rien rester. Si jamais tu étais à court, prends de moi sans crainte, pourvu qu’il reste environ Frs. 2000.- pour un voyage, en cas, comme nous l’avions décidé. As-tu maintenant réussi à le vendre pour Frs. 35.-, ce rouet ? Il me semble que ce ne serait pas trop cher, vu que c’est un article de connaisseur on peut demander un prix de fantaisie, et il faut en profiter. Si elle est déjà venue trois fois, c’est preuve qu’elle y tient et qu’elle reviendra.
Et maintenant un chapitre Visser-Rickshaw. Mardi passé, le soir, Buby vient me dire que l’auto de la fabrique était à la disposition des dames de la Mexolie pour une sortie à Djocdja le lendemain. Bon, moi je ne voulais pas laisser passer cette occasion de sortir gratis, malgré la gentille compagnie. Il faut te dire que le mardi soir, après sa leçon de javanais, tante Engel est venue dormir ici parce que le lendemain tôt elle devait être à l’hôpital pour son pied. Le mercredi matin, donc, à 6 heures exactes (pour une fois elles ont pu l’être !) l’auto avec ces dames était devant ma maison. Heureusement j’étais prête. Ces dames m’avaient généreusement laissé la place à côté du chauffeur, justement celle que je désirais. Elles étaient assises là comme deux königliche späckfüdle (lit. gros culs), les deux en blanc (parce que dernièrement je porte beaucoup de blanc !) et ont eu de la peine de me saluer, car j’avais mis une petite robe à fleurs que je venais de terminer d’après le patron du Jardin des Modes. Moi j’ai gentiment dit bonjour, encore envoyé un bec à Buby qui me regardait partir, je me suis installée à ma place, bien décidée à ne pas me laisser faire cette fois-ci. Après quelques 100 m madame Visser demande : Où nous retrouverons-nous à Djocdja, pour rentrer ? Bon, je me suis dit, cela au commencement du trajet signifie que l’on ne veut rien de plus de moi. Avec la plus gentille mine du monde je lui ai dit qu’où elle voudrait, je serais à l’heure qu’elle m’indiquerait. Elle s’est encore pris la peine de jouer la comédie et d’aussi demander la Ric où elle la retrouverait. J’ai souri à ces paroles. On est tombées d’accord de se retrouver à 3 heures au club. Je lui ai encore dit que je trouvais chic d’aller à Djocdja, ce à quoi elle n’a pas jugé bon de répondre, tandis que la Ric jubilait intérieurement d’être si bien avec la Visser, mais d’un autre côté elle était tourmentée par sa jalousie à cause de ma robe. Enfin la Näggeli leur a encore lancé un gentil regard accompagné d’un sourire gentil également (mais pas modeste !), elle s’est retournée et n’a plus regardé en arrière jusqu’à Djocdja, soit pendant 2 ½  heures. J’apprenais mon javanais pendant qu’elles blaguaient leurs éternelles histoires. A la fin elles étaient pourtant perplexes et cherchaient bien à me faire entrer dans la conversation, mais la Näggeli sait qu’on lui avait signifié son congé une fois et qu’on ne le ferait pas deux fois. A Djocdja la Visser ne savait pas comment elle voulait faire ni ce qu’elle voulait dire de peur que je reste collée avec elle, mais moi une fois hors de l’auto je leur ai tiré ma révérence, en leur disant gaiement : Alors à 3 heures mesdames !
Je n’ai pour ainsi dire rien acheté pour moi-même, sauf des bougies pour notre arbre, et un peu de neige. J’ai fait quelques commissions pour tante Engel et en plus j’ai regardé les magasins qui étaient très jolis, mais je n’ai absolument rien acheté qu’une petite passoire et un entonnoir pour la cuisine et des cigares pour mon Buby à la maison. Ce mois la fabrique n‘a pas tourné, de sorte que nous n’avons reçu que Fl. 200.- moins fl. 8.- d’impôt sur le salaire. C’est dire que je n’arrive pas loin ! Pour rentrer, les dames sont venues ensemble me chercher au club, je suis montée dans l’auto, leur ai demandé si elles avaient bien réussi dans leurs emplettes, ce à quoi seulement la Ric a répondu. Elle cherchait visiblement à se rapprocher de moi, ne se sentant pas à son aise dans la manière dont madame Visser me traitait, car il ne faut pas oublier, je m’appelle Woldringh ! Elle m’a même offert des tablettes ! J’en ai pris une pour ne pas lui donner une occasion de dire que je la boudais, mais ensuite je me suis retournée dans l’auto et ai fait comme si elles n’existaient pas. Ce qui les a rendues perplexes. Demain c’est la fête à la petite Visser. J’irai féliciter et apporter une poupée et c’est tout. Je ne resterai que 5 minutes. Oh, vois-tu, elles verront bien encore du pays avec moi. Papa W. est tout à fait d’accord avec notre manière d’agir, les genres Visser il les connaît aussi très bien.

Nous avons reçu cette semaine une longue lettre d’Anne. Le procès a eu lieu et tout le monde était pour Franz, sauf un zigue qui ne pouvait pas le souffrir, alors ce type a tellement crié sur Franz, et tellement sali son caractère, et demandé avec tellement d’énergie qu’on le punisse, qu’il a reçu trois semaines de prison, c’est à dire qu’il doit aller travailler à la prison comme un détenu, mais après les heures de travail le soir, il peut rentrer. Anne a écrit que le soir après la sentence elle avait eu de la peine à retenir Franz qui voulait toujours aller rosser ce type, mais maintenant il est plus calme.  Ils ont demandé et obtenu leur déplacement à Semarang pour le mois de janvier. Je crois qu’ils l’ont fait par rapport à nous, nous serons plus près les uns des autres, il fera chic, ainsi j’aurai une occasion d’aller à Semarang pour mes emplettes. C’est seulement dommage que maintenant nous partirons bientôt. Nous ne savons encore rien de définitif, sauf que papa W. nous a écrit qu’il savait aussi les plans de la société avec Buby. C’est donc que Elout ne nous a pas dit des blagues. Enfin, Semarang n’est pas très loin de Batavia, env. la même distance que Keboemen. Franz et Anne ne peuvent pas venir pour Noël, car Franz doit commencer sa prison le 7 décembre. Cette date est bonne pour lui car pendant les jours de Noël il n’aura pas besoin d’y aller, et ils sont quand même comptés, cela lui fera toujours cela de moins. On les verra en janvier, probablement. Et maintenant, je te quitte

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