samedi 14 mai 2016




Keboemen

11 novembre 1935

C’est le 11 novembre aujourd’hui. Je pense que vous vous en rappelez aussi bien que moi et que vous aussi vous y pensez. C’est bien le 17ème anniversaire de notre Chalet, n’est-ce pas ?
vue de l'ouest

vue de l'est

 Notre cher Chalet, cela reste toujours notre petit coin préféré, notre patrie ici sur terre. J’y pense avec tendresse, comme à quelque chose de cher que je retrouverai un jour, mais sans éprouver l’ennui, n’aie pas peur.
Merci encore pour ta lettre 110 à laquelle j’ai répondu par St Gall. Depuis je n’ai plus rien reçu, je pense que cela viendra aujourd’hui, après, ou plutôt demain après le départ de celle-ci.
Je vous ai donc écrit que nous avions été à Tjilatjap (lettre introuvable) le week-end passé. Depuis nous ne sommes plus sorti beaucoup, n’ayant plus de benzine à dépenser pour ce mois que ce qu’il nous reste dans le réservoir. Ah oui, c’est comme cela. Le plaisir est bien beau mais il ne faut pas se laisser aller à faire des folies.
Ecoutez, mes chers, je ne vous écrirai pas une longue lettre. Cette semaine j’ai mangé des fruits de notre jardin, des mangues, un fruit bien connu ici et très apprécié, seulement il y en a beaucoup de sortes. J’en reçois toujours de cadeau de tante Engel, des très fins et cultivés, mais il faut croire que ceux que nous avons ici ne sont pas de bonne qualité, car depuis 4 jours j’ai une forte diarrhée qui doit provenir de ces fruits. 
mangues à l'arbre (wikipedia)
mango golek, gedong, arumanis
(wikipedia)

J’en ai mangé pendant deux jours et je me réjouissais de bien pouvoir aller quelque part, mais hélas, cela devenait toujours plus mince et mince, de sorte que j’ai arrêté d’en manger mais mon estomac et mes intestins en ont été dérangés. Hier et avant hier je n’ai absolument rien gardé en moi. Hier soir, enfin, j’ai sérieusement pris la chose en main et j’ai bu un grand pot de camomille pour mon souper sans manger quoi que ce soit. Ce matin, je n’ai avalé qu’une tasse de schlymsüppli  (soupe à l’avoine) pour mon déjeuner et maintenant je la c…ve. Pour dîner j’aurai des macaronis à l’eau et de la schlymsüppli pour changer, et après j’espère bien que ces intestins seront de nouveau en ordre.

Les Elout sont donc ici depuis lundi passé. Directement le jour après leur arrivée il m’a amené sa femme le matin tôt déjà, nous venions de déjeuner, alors les deux hommes sont repartis au bureau et nous deux sommes restées à causer. L’entente a presque immédiatement été bonne et depuis elle vient quand elle peut se sauver ! de la tigresse Visser. Oui, c’est ainsi, madame V. fait tout ce qu’elle peut pour retenir madame Elout avec elle, elle ne lui laisse aucune liberté, toujours elle est prête à proposer l’une ou l’autre sortie, l’un ou l’autre jeu etc, de sorte que madame Elout n’arrive même pas à faire sa correspondance. Alors quand elle peut, elle vient dissiper sa colère chez moi et on rit bien les deux. Il s’est passé quelque chose mardi passé qui fait que nous ne nous occupons plus du tout des gens d’ici maintenant, c’est fini pour de bon.
Mardi passé j’ai donc tante Engel pour sa leçon d’anglais. Comme je n’étais pas encore prête de déjeuner quand elle est arrivée, elle en a profité pour faire une commission chez la Rickshaw. Pendant son absence j’ai donc eu madame Elout. L’après midi, à 5 heures, les Visser, mad. Elout et Oscar ont joué au tennis, pendant que tante Engel et moi nous allions vite au cimetière dans la puce. En rentrant nous sommes aussi allées nous asseoir sur le tennis avec tous les autres. On a blagué, on a ri, Visser a joué de l’accordéon, on a raconté des witz, enfin bref, on était sociable. Voilà que les Visser se lèvent pour rentrer, tout le monde les imite et Oscar entend mad. V. demander à tante Engel si elle vient encore un peu chez eux, ce à quoi tante E. a acquiescé. Bon, nous aussi nous suivons toute la compagnie car enfin on riait tous ensemble, il semblait bien qu’on irait encore continuer chez les V. mais voilà qu’ils s’arrêtent devant leur portail. Lui, V. est rentré immédiatement en criant : moi je vais me baigner, et elle est restée plantée  avec nous tous tout autour. Alors tante E. demande, « eh, tu viens aussi avec pour un petit moment, Nelly ? » moi, je ne réponds pas mais je regarde mad. V qui était plantée juste à côté, pour attendre qu’elle même me dise aussi de venir, car je ne pouvais pourtant pas dire oui, je viens aussi, quand mad. V ne m’encourageait pas. Ne recevant pas de réponse, c’est mr Engelhart qui me demande encore une fois, même silence. Alors moi j’ai pris congé de tout le monde, de mad. V. d’abord, en suite des Engelhart et de madame Elout, consternés tous les trois de l’affront que nous avions reçu, Oscar et moi. Buby est rentré bouillonnant de colère, moi, cela ne m’a plus rien fait. Non, je suis pardessus ces choses là, maintenant, je ne prends plus la peine de me fâcher. Enfin, la suite de toute l’histoire, c’est que les V. se sont fait beaucoup de tort en nous traitant de la sorte. Le lendemain les Elout viennent chez nous, furieux, disant aussi que mad. V fait tout pour les empêcher de venir chez nous. 
Voulez-vous un autre exemple ? Le voici. Aujourd’hui mad. Elout a rendu visite à mad. Röhwer et après, il était juste midi, Elout et elle sont venus vite nous dire bonjour, disant qu’ils ne voulaient pas rester longtemps parce qu’ils partaient à trois heures pour Premboen, les messieurs du moins. Bon, on était assis pendant 10 min. quand le djongos de chez Visser vient dire que le toean et la njonja tamoe (visite) devaient aller dîner !!! Je vous demande un peu ? Les Elout et nous, ne pouvions en croire nos oreilles. Vous pouvez penser que cela n’est pas fait pour bien disposer les Elout envers les Visser. Enfin, mad. V. s’est fourré le doit dans l’œil d’une manière qu’elle ne trouverait pas agréable, si elle le savait. Ils se sont franchement blâmés, et devant les Elout et devant les Engelhart. Madame Elout, que j’appelle Annie (on se tutoie) m’a amicalement défendu de faire quoi que ce soit pour encore approcher mad. Visser, elle m’a dit que je ne devais plus m’exposer à subir des affronts pareils par cette … de femme. Enfin, elle m’en a dit tout le jour et tout le temps qu’elle passait avec moi, car elle pouvait bien se représenter notre situation. C’est moi qui en rit ! Surtout maintenant que j’ai surmonté le tout et que plus rien ne me fâche ! Oh, bon sang, le beau théâtre qu’on va encore avoir ! Je ne crois pas que nous resterons encore longtemps à Keboemen après tout cela. Avant la visite des Elout, nous avions décidé de ne rien leur dire sur les Visser, de ne pas parler de la tension qui existait, mais c’est lui-même qui a commencé et qui a finit par crier sur eux, alors nous, à la fin, on a aussi ouvert nos écluses ! Le plus beau c’est que les Engelhart en ont marre aussi des Visser et sans que je leur aie jamais rien dit, ils ont  pu se rendre compte de leur conduite vis-à-vis de nous. Ils en ont été choqués, je l’ai bien vu, et là aussi la mad. V. s’est bien fourré le doigt dans l’œil. C’est cela qui me fait rire puisque moi j’ai le beau rôle là-dedans, je n’ai rien dit et n’ai rien à me reprocher.
La bonne tante Engel, ah, c’est vrai, j’ai oublié de vous dire que Visser et Elout ont donc été à Premboen et nous avions rendez-vous chez les En. Ce soir. A 5 heures, Annie, Oscar et moi avons été là avec la Puce. Nous venons seulement de rentrer, il est près de 10 heures. Enfin, donc la bonne tante Engel, quand elle a su que j’avais la diarrhée, elle a vite rappliqué avec des remèdes et m’a soignée tout du long pendant que j’étais là, m’a donné des biscuits spéciaux, bons pour ce cas-là, je vous dis, elle saute à tous les diables quand elle sait qu’il me manque quelque chose. Elle vient demain soir voir comment cela va. C’est une bonne âme, et je la regretterai bien une fois que nous quitterons ici.
Oui, mes chers, je ne pense pas que nous y passerons encore une année à Keboemen. Cela va se décider à Batavia, le 29 de ce mois. C’est Elout qui est venu nous en apporter la nouvelle.
Il y a des chances que nous allions à Batavia même et qu’Oscar doive travailler sous Elout, ou alors que nous partions à Kediri, à la fabrique de là-bas, cela environ dans 6-8 mois. Seulement mes chers, je n’y crois pas encore et vous conseille d’en faire autant. On verra et on s’en réjouira quand on saura quelque chose de plus précis. Pour le moment nous ne savons que ceci. Mr. Bigot, le vrai directeur de la Mexolie et de beaucoup d’autres établissements de la banque, donc le patron d’Elout pour le moment, va en congé en Europe l’année prochaine. Alors Elout prendra sa place et quelqu’un devra prendre la place d’Elout, ou plutôt Elout devra avoir quelque aide, une sorte de secrétaire surtout pour les affaires des Mexolies. Alors ils ont décidé de prendre un des comptables de la Mexolie. Il y en a trois en jeu. M. Saaier qui est à Kediri, mais qu’Elout ne peut pas sentir et avec qui il ne s’entend pas du tout dans son travail, M. Kletton actuellement à Banjoewangi qu’Elout trouve trop bête  et pas du tout approprié, et last but not least, Buby. Le draw back de Buby c’est qu’il n’est ici que depuis 2 ans, alors que les autres le sont beaucoup plus. S’il est placé à Batavia, il faudra qu’il travaille dur, encore plus dur qu’ici pour se mettre au courant et pour garder la situation. Ce changement ne nous apporterait pas d’avancement financier, nous aurions là à Batavia Fl. 400.— mais sans maison, eau, électricité et docteur, ce qui équivaudrait à notre paye d’ici, seulement la situation ouvrirait des perspectives, car c’est toujours un avantage d’être dans le sillage de la direction Enfin, qui vivra verra. Une chose, ne te fais pas encore des illusions et des châteaux en Espagne pour nous, moi je reste pessimiste jusqu’à ce que j’aie des précisions de la chose, ensuite je me réjouirai.

Demain les Elout partent, alors j’aurai de nouveau du temps à moi pour liquider ma correspondance.
Mardi matin. J’ai dû quitter hier soir parce que j’avais trop sommeil, et Buby aussi voulait aller se coucher, Constatons vite un fait réjouissant : ma diarrhée va beaucoup mieux, ce sont ces remèdes qui m’ont aidé. J’étais bête, je les aussi à la maison mais je n’ai pas pensé à les prendre. C’est du Norit, une sorte de charbon qui absorbe toutes les mauvaises substances dans l’intestin. Ce n’est pas un vrai remède, on peut le prendre à tort et à travers, cela ne gêne jamais. En Hollande et ici, en Angleterre aussi on l’emploie beaucoup, mais je ne me rappelle pas l’avoir vu en Suisse. C’est dommage, c’est aussi très bon quand on a bu beaucoup pour ne pas avoir de gueule de bois le lendemain, etc.
Depuis deux jours l’air est chargé d’électricité, c’est fou. L’atmosphère est très lourde, on se sent fatigué, et de temps en temps il y a un formidable coup de tonnerre, le ciel est gris sombre et il pleut assez souvent.
Ce matin, en ouvrant la maison j’ai été admirer mon jardin et je me suis dit que ce sera quand même dommage quand je le quitterai ! ah le cœur humain !
J’oubliais encore de vous raconter qu’Oscar et Elout, un jour sur les terrains de la fabrique ont abattu 17 pigeons, alors je les ai fait rôtir et avec un petit bouillon, des asperges comme entrée, ces pigeons avec de la compote, un pudding avec de la crème, cela m’a fait un petit souper pas cher que j’ai offert aux Elout, samedi soir. On a passé une gentille soirée. Et voilà mes chers, toutes les nouvelles de la semaine.


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