Keboemen
11 novembre 1935
C’est le
11 novembre aujourd’hui. Je pense que vous vous en rappelez aussi bien que moi
et que vous aussi vous y pensez. C’est bien le 17ème anniversaire de
notre Chalet, n’est-ce pas ?
Notre cher Chalet, cela reste toujours notre petit coin préféré, notre patrie ici sur terre. J’y pense avec tendresse, comme à quelque chose de cher que je retrouverai un jour, mais sans éprouver l’ennui, n’aie pas peur.
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vue de l'ouest |
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vue de l'est |
Notre cher Chalet, cela reste toujours notre petit coin préféré, notre patrie ici sur terre. J’y pense avec tendresse, comme à quelque chose de cher que je retrouverai un jour, mais sans éprouver l’ennui, n’aie pas peur.
Merci
encore pour ta lettre 110 à laquelle
j’ai répondu par St Gall. Depuis je n’ai plus rien reçu, je pense que cela
viendra aujourd’hui, après, ou plutôt demain après le départ de celle-ci.
Je vous ai
donc écrit que nous avions été à Tjilatjap (lettre
introuvable) le week-end passé. Depuis nous ne sommes plus sorti beaucoup,
n’ayant plus de benzine à dépenser pour ce mois que ce qu’il nous reste dans le
réservoir. Ah oui, c’est comme cela. Le plaisir est bien beau mais il ne faut
pas se laisser aller à faire des folies.
Ecoutez,
mes chers, je ne vous écrirai pas une longue lettre. Cette semaine j’ai mangé
des fruits de notre jardin, des mangues,
un fruit bien connu ici et très apprécié, seulement il y en a beaucoup de
sortes. J’en reçois toujours de cadeau de tante Engel, des très fins et
cultivés, mais il faut croire que ceux que nous avons ici ne sont pas de bonne
qualité, car depuis 4 jours j’ai une forte diarrhée qui doit provenir de ces
fruits.
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mangues à l'arbre (wikipedia) |
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mango golek, gedong, arumanis (wikipedia) |
J’en ai mangé pendant deux
jours et je me réjouissais de bien pouvoir aller quelque part, mais hélas, cela
devenait toujours plus mince et mince, de sorte que j’ai arrêté d’en manger
mais mon estomac et mes intestins en ont été dérangés. Hier et avant hier je
n’ai absolument rien gardé en moi. Hier soir, enfin, j’ai sérieusement pris la
chose en main et j’ai bu un grand pot de camomille pour mon souper sans manger
quoi que ce soit. Ce matin, je n’ai avalé qu’une tasse de schlymsüppli (soupe
à l’avoine) pour mon déjeuner et maintenant je la c…ve. Pour dîner j’aurai
des macaronis à l’eau et de la schlymsüppli pour changer, et après j’espère
bien que ces intestins seront de nouveau en ordre.
Les Elout sont donc ici depuis lundi passé.
Directement le jour après leur arrivée il m’a amené sa femme le matin tôt déjà,
nous venions de déjeuner, alors les deux hommes sont repartis au bureau et nous
deux sommes restées à causer. L’entente a presque immédiatement été bonne et
depuis elle vient quand elle peut se sauver ! de la tigresse Visser. Oui,
c’est ainsi, madame V. fait tout ce qu’elle peut pour retenir madame Elout avec
elle, elle ne lui laisse aucune liberté, toujours elle est prête à proposer
l’une ou l’autre sortie, l’un ou l’autre jeu etc, de sorte que madame Elout
n’arrive même pas à faire sa correspondance. Alors quand elle peut, elle vient
dissiper sa colère chez moi et on rit bien les deux. Il s’est passé quelque
chose mardi passé qui fait que nous ne nous occupons plus du tout des gens
d’ici maintenant, c’est fini pour de bon.
Mardi
passé j’ai donc tante Engel pour sa leçon d’anglais. Comme je n’étais pas
encore prête de déjeuner quand elle est arrivée, elle en a profité pour faire
une commission chez la Rickshaw. Pendant son absence j’ai donc eu madame Elout.
L’après midi, à 5 heures, les Visser, mad. Elout et Oscar ont joué au tennis,
pendant que tante Engel et moi nous allions vite au cimetière dans la puce. En
rentrant nous sommes aussi allées nous asseoir sur le tennis avec tous les
autres. On a blagué, on a ri, Visser a joué de l’accordéon, on a raconté des
witz, enfin bref, on était sociable. Voilà que les Visser se lèvent pour
rentrer, tout le monde les imite et Oscar entend mad. V. demander à tante Engel
si elle vient encore un peu chez eux, ce à quoi tante E. a acquiescé. Bon, nous
aussi nous suivons toute la compagnie car enfin on riait tous ensemble, il
semblait bien qu’on irait encore continuer chez les V. mais voilà qu’ils
s’arrêtent devant leur portail. Lui, V. est rentré immédiatement en
criant : moi je vais me baigner, et elle est restée plantée avec nous tous tout autour. Alors tante
E. demande, « eh, tu viens aussi avec pour un petit moment,
Nelly ? » moi, je ne réponds pas mais je regarde mad. V qui était
plantée juste à côté, pour attendre qu’elle même me dise aussi de venir, car je
ne pouvais pourtant pas dire oui, je viens aussi, quand mad. V ne
m’encourageait pas. Ne recevant pas de réponse, c’est mr Engelhart qui me
demande encore une fois, même silence. Alors moi j’ai pris congé de tout le
monde, de mad. V. d’abord, en suite des Engelhart et de madame Elout,
consternés tous les trois de l’affront que nous avions reçu, Oscar et moi. Buby
est rentré bouillonnant de colère, moi, cela ne m’a plus rien fait. Non, je
suis pardessus ces choses là, maintenant, je ne prends plus la peine de me
fâcher. Enfin, la suite de toute l’histoire, c’est que les V. se sont fait
beaucoup de tort en nous traitant de la sorte. Le lendemain les Elout viennent
chez nous, furieux, disant aussi que mad. V fait tout pour les empêcher de
venir chez nous.
Voulez-vous
un autre exemple ? Le voici. Aujourd’hui mad. Elout a rendu visite à mad.
Röhwer et après, il était juste midi, Elout et elle sont venus vite nous dire
bonjour, disant qu’ils ne voulaient pas rester longtemps parce qu’ils partaient
à trois heures pour Premboen, les messieurs du moins. Bon, on était assis
pendant 10 min. quand le djongos de chez Visser vient dire que le toean et la
njonja tamoe (visite) devaient aller dîner !!! Je vous demande un
peu ? Les Elout et nous, ne pouvions en croire nos oreilles. Vous pouvez
penser que cela n’est pas fait pour bien disposer les Elout envers les Visser.
Enfin, mad. V. s’est fourré le doit dans l’œil d’une manière qu’elle ne
trouverait pas agréable, si elle le savait. Ils se sont franchement blâmés, et
devant les Elout et devant les Engelhart. Madame
Elout, que j’appelle Annie (on se
tutoie) m’a amicalement défendu de faire quoi que ce soit pour encore approcher
mad. Visser, elle m’a dit que je ne devais plus m’exposer à subir des affronts
pareils par cette … de femme. Enfin, elle m’en a dit tout le jour et tout le
temps qu’elle passait avec moi, car elle pouvait bien se représenter notre situation.
C’est moi qui en rit ! Surtout maintenant que j’ai surmonté le tout et que
plus rien ne me fâche ! Oh, bon sang, le beau théâtre qu’on va encore
avoir ! Je ne crois pas que nous resterons encore longtemps à Keboemen
après tout cela. Avant la visite des Elout, nous avions décidé de ne rien leur
dire sur les Visser, de ne pas parler de la tension qui existait, mais c’est
lui-même qui a commencé et qui a finit par crier sur eux, alors nous, à la fin,
on a aussi ouvert nos écluses ! Le plus beau c’est que les Engelhart en
ont marre aussi des Visser et sans que je leur aie jamais rien dit, ils
ont pu se rendre compte de leur
conduite vis-à-vis de nous. Ils en ont été choqués, je l’ai bien vu, et là
aussi la mad. V. s’est bien fourré le doigt dans l’œil. C’est cela qui me fait
rire puisque moi j’ai le beau rôle là-dedans, je n’ai rien dit et n’ai rien à
me reprocher.
La bonne
tante Engel, ah, c’est vrai, j’ai oublié de vous dire que Visser et Elout ont
donc été à Premboen et nous avions rendez-vous chez les En. Ce soir. A 5
heures, Annie, Oscar et moi avons été là avec la Puce. Nous venons seulement de
rentrer, il est près de 10 heures. Enfin, donc la bonne tante Engel, quand elle
a su que j’avais la diarrhée, elle a vite rappliqué avec des remèdes et m’a
soignée tout du long pendant que j’étais là, m’a donné des biscuits spéciaux,
bons pour ce cas-là, je vous dis, elle saute à tous les diables quand elle sait
qu’il me manque quelque chose. Elle vient demain soir voir comment cela va.
C’est une bonne âme, et je la regretterai bien une fois que nous quitterons
ici.
Oui, mes
chers, je ne pense pas que nous y passerons encore une année à Keboemen. Cela
va se décider à Batavia, le 29 de ce mois. C’est Elout qui est venu nous en
apporter la nouvelle.
Il y a des
chances que nous allions à Batavia
même et qu’Oscar doive travailler sous Elout,
ou alors que nous partions à Kediri, à la fabrique de là-bas, cela environ dans
6-8 mois. Seulement mes chers, je n’y crois pas encore et vous conseille d’en
faire autant. On verra et on s’en réjouira quand on saura quelque chose de plus
précis. Pour le moment nous ne savons que ceci. Mr. Bigot, le vrai directeur de
la Mexolie et de beaucoup d’autres
établissements de la banque, donc le patron d’Elout pour le moment, va en congé
en Europe l’année prochaine. Alors Elout prendra sa place et quelqu’un devra
prendre la place d’Elout, ou plutôt Elout devra avoir quelque aide, une sorte
de secrétaire surtout pour les affaires des Mexolies. Alors ils ont décidé de
prendre un des comptables de la Mexolie. Il y en a trois en jeu. M. Saaier qui est à Kediri, mais
qu’Elout ne peut pas sentir et avec qui il ne s’entend pas du tout dans son
travail, M. Kletton actuellement à
Banjoewangi qu’Elout trouve trop bête
et pas du tout approprié, et last
but not least, Buby. Le draw back de Buby c’est qu’il n’est ici que depuis
2 ans, alors que les autres le sont beaucoup plus. S’il est placé à Batavia, il
faudra qu’il travaille dur, encore plus dur qu’ici pour se mettre au courant et
pour garder la situation. Ce changement ne nous apporterait pas d’avancement
financier, nous aurions là à Batavia Fl.
400.— mais sans maison, eau, électricité et docteur, ce qui équivaudrait à
notre paye d’ici, seulement la situation ouvrirait des perspectives, car c’est
toujours un avantage d’être dans le sillage de la direction Enfin, qui vivra
verra. Une chose, ne te fais pas encore des illusions et des châteaux en
Espagne pour nous, moi je reste pessimiste jusqu’à ce que j’aie des précisions
de la chose, ensuite je me réjouirai.
Demain les
Elout partent, alors j’aurai de nouveau du temps à moi pour liquider ma
correspondance.
Mardi
matin. J’ai dû quitter hier soir parce que j’avais trop sommeil, et Buby aussi
voulait aller se coucher, Constatons vite un fait réjouissant : ma
diarrhée va beaucoup mieux, ce sont ces remèdes qui m’ont aidé. J’étais bête,
je les aussi à la maison mais je n’ai pas pensé à les prendre. C’est du Norit,
une sorte de charbon qui absorbe toutes les mauvaises substances dans
l’intestin. Ce n’est pas un vrai remède, on peut le prendre à tort et à
travers, cela ne gêne jamais. En Hollande et ici, en Angleterre aussi on
l’emploie beaucoup, mais je ne me rappelle pas l’avoir vu en Suisse. C’est
dommage, c’est aussi très bon quand on a bu beaucoup pour ne pas avoir de
gueule de bois le lendemain, etc.
Depuis
deux jours l’air est chargé d’électricité, c’est fou. L’atmosphère est très lourde,
on se sent fatigué, et de temps en temps il y a un formidable coup de tonnerre,
le ciel est gris sombre et il pleut assez souvent.
Ce matin,
en ouvrant la maison j’ai été admirer mon jardin et je me suis dit que ce
sera quand même dommage quand je le quitterai ! ah le cœur
humain !
J’oubliais
encore de vous raconter qu’Oscar et Elout, un jour sur les terrains de la
fabrique ont abattu 17 pigeons,
alors je les ai fait rôtir et avec un petit bouillon, des asperges comme
entrée, ces pigeons avec de la compote, un pudding avec de la crème, cela m’a
fait un petit souper pas cher que j’ai offert aux Elout, samedi soir. On a
passé une gentille soirée. Et voilà mes chers, toutes les nouvelles de la
semaine.
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