15 janvier 1934
Keboemen
Cette
fois-ci ne vous attendez pas à recevoir une longue sauce, il est déjà lundi et
je n’ai pas encore une ligne d’écrit pour le courrier de cette semaine. De plus
Buby est en train de vous écrire une longue lettre, mais qu’il ne pourra
probablement pas finir, parce que Mr. Röhwer est tombé malade et Buby doit le
remplacer. Mercredi c’est la nouvelle année des indigènes, alors la fabrique
s’arrête pour deux jours, maintenant c’est Oscar qui doit voir à ce que tout se
finisse à temps etc.
Je vais
vous envoyer sa lettre ainsi, sans quoi elle ne vous parviendra jamais, parce
que c’est embêtant d’envoyer des lettres si vieilles.
John et
Jans sont venus samedi à midi déjà, moi je ne les attendais pas avant 5 heures.
Nous avons donc vite improvisé un diner avec du rôti haché que j’avais fait
faire le matin pour manger froid le soir. Nous nous réjouissions tous d’aller
faire un beau tour mais comme Oscar devait être de piquet jour et nuit, nous
sommes restés à la maison et ma foi, nous avons fait la noce… j’en ris encore
quand j’y pense. Justement samedi après midi, nous avons reçu le cadeau de noce
de Daan, 30 plaques de gramo, Wienerwalzer, et les meilleurs mélodies tziganes
jouées par les meilleurs Zigeuner Orchester, c’est simplement à devenir fou, et
plus beau que radio Budapest, cela avec les marches militaires de Fatherli, le
Gold und Silber et Lucienne Boyer, nous a complètement mis dans une ambiance fantastique.
A 6 heures tous en pyjamas après le bain, nous avons sauté dans l’auto et
sommes allés admirer le coucher du soleil dans les champs de riz à 10 minutes
de la maison. Nous ne pouvions pas y rester longtemps, mais assez tout de même
pour jouir d’un crépuscule féérique. Ensuite nous sommes rentrés et les hommes
ont bu quelques genièvres et nous deux verres de porto. Il n’en fallait pas
plus pour nous faire rire comme des fous. A huit heures, j’ai renvoyé tous les
domestiques, et enfin à 11 heures du soir nous nous sommes mis à table pour
manger du saumon avec de la mayonnaise, du rôti haché avec des knöpfli pas
réussis, du Bami et encore un tas d’autres choses pêle-mêle, toujours avec le
gramophone et tout en faisant des trucs de gymnastique. C’était à se tordre les
côtes de voir John et Jans, les deux pesant leur 100 kg,
se tenir sur une jambe en tâchant de se baisser pour ramasser avec la bouche un journal par terre. Oh ! la la, et Oscar aussi démonté, un polichinel sans pareil, et moi !!! Je ne faisais que rire et tous riaient avec moi, comme à Noël il y a une année. Enfin à minuit nous étions tous assis sur des caisses autour du sapin Wellington dans la cour, à chanter des sérénades et à philosopher sur la vie. Nous avons fini par le Kaiserwalzer et sommes allés nous coucher, parce que le lendemain, dimanche, diane à 5 ½ heures pour Buby. Vous auriez dû voir quelle tête il avait ! Toute la matinée de dimanche nous étions assis gemütlich dans la voorgalery (dont John a fait craquer une chaise !) et avons parlé et ri en pensant à la soirée. A une heure, grande rijsttafel, j’avais fait tuer deux de mes poules et nous avons eu un festin, bouffé tant et plus, le tout pour 70 cents, soit environ SFr. 1.40. A 3 ½ heures ils sont repartis pour Solo. La distance de Solo à Keboemen est la même que celle entre Bruxelles et La Haye, cela vous donnera un peu une idée de l’étendue du pays, hein ? Sauf imprévu, nous allons passer nos deux jours de congé avec John et Jans. Nous prenons le train jusqu’à Djocja où ils nous attendront avec la voiture, mercredi soir, et jeudi dans la matinée nous partons pour une excursion sur un volcan, et coucherons à environ 2000 m. Ce que je me réjouis d’aller à la montagne, John dit que c’est merveilleux. Je prends mes couvre-pieds avec et des habits chauds, naturellement. J’espère bien qu’il ne surviendra rien d’imprévu et que cela puisse se faire, sans quoi cela sera pour une autre fois. Ici, il ne faut jamais s’en faire et trop se réjouir d’avance il faut savoir rester indifférent aux contre-temps et ne pas se gâter la vie par des déceptions ! Mes chers, ce que cela m’a fait du bien de les avoir ici ces deux, c’est inouï, et à Oscar aussi. A tous moments je dois rire en pensant à samedi soir, quelle ambiance ! Non, charrette va, et tout cela à peu de frais, presque rien qu’avec la musique, toutefois il faut vous avouer que j’ai eu une petite chique, car c’est vrai, et John buvait toujours à ma santé parce qu’il trouvait admirable que je sache m‘amuser au lieu de faire une longue figure en comptant les whisky-soda. Oscar et moi nous sommes d’accord qu’une fois de temps en temps cela ne gênait pas de faire un peu la bombe, mais cela ne se répètera pas souvent, ne vous mettez pas en soucis.
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lors d'une autre sortie |
se tenir sur une jambe en tâchant de se baisser pour ramasser avec la bouche un journal par terre. Oh ! la la, et Oscar aussi démonté, un polichinel sans pareil, et moi !!! Je ne faisais que rire et tous riaient avec moi, comme à Noël il y a une année. Enfin à minuit nous étions tous assis sur des caisses autour du sapin Wellington dans la cour, à chanter des sérénades et à philosopher sur la vie. Nous avons fini par le Kaiserwalzer et sommes allés nous coucher, parce que le lendemain, dimanche, diane à 5 ½ heures pour Buby. Vous auriez dû voir quelle tête il avait ! Toute la matinée de dimanche nous étions assis gemütlich dans la voorgalery (dont John a fait craquer une chaise !) et avons parlé et ri en pensant à la soirée. A une heure, grande rijsttafel, j’avais fait tuer deux de mes poules et nous avons eu un festin, bouffé tant et plus, le tout pour 70 cents, soit environ SFr. 1.40. A 3 ½ heures ils sont repartis pour Solo. La distance de Solo à Keboemen est la même que celle entre Bruxelles et La Haye, cela vous donnera un peu une idée de l’étendue du pays, hein ? Sauf imprévu, nous allons passer nos deux jours de congé avec John et Jans. Nous prenons le train jusqu’à Djocja où ils nous attendront avec la voiture, mercredi soir, et jeudi dans la matinée nous partons pour une excursion sur un volcan, et coucherons à environ 2000 m. Ce que je me réjouis d’aller à la montagne, John dit que c’est merveilleux. Je prends mes couvre-pieds avec et des habits chauds, naturellement. J’espère bien qu’il ne surviendra rien d’imprévu et que cela puisse se faire, sans quoi cela sera pour une autre fois. Ici, il ne faut jamais s’en faire et trop se réjouir d’avance il faut savoir rester indifférent aux contre-temps et ne pas se gâter la vie par des déceptions ! Mes chers, ce que cela m’a fait du bien de les avoir ici ces deux, c’est inouï, et à Oscar aussi. A tous moments je dois rire en pensant à samedi soir, quelle ambiance ! Non, charrette va, et tout cela à peu de frais, presque rien qu’avec la musique, toutefois il faut vous avouer que j’ai eu une petite chique, car c’est vrai, et John buvait toujours à ma santé parce qu’il trouvait admirable que je sache m‘amuser au lieu de faire une longue figure en comptant les whisky-soda. Oscar et moi nous sommes d’accord qu’une fois de temps en temps cela ne gênait pas de faire un peu la bombe, mais cela ne se répètera pas souvent, ne vous mettez pas en soucis.
Hier soir,
nous avons aussi passé une magnifique soirée, les deux seuls. Quand Oscar est
revenu de la fabrique nous avons fait notre toilette, lui a mis ses pyjamas
bleus de la Gautschi et moi ma robe bleu ciel de Paris. Comme nous n’avions pas
faim, j’ai fait servir du thé et du toast avec des fruits ici dans le salon.
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salon |
Nous avons fait quelques pas dans le jardin en admirant le coucher du soleil et
écoutant le gramophone qu’Oscar allait toujours vite faire jouer. C’était une
soirée très tranquille, toute bleue et depuis le jardin on voyait dans la
maison par toutes les fenêtres ouvertes, le djongos qui silencieusement
arrangeait notre thé, toujours avec cette musique tzigane… Non, c’était un
enchantement, et nous les deux, tous seuls, nous comprenant bien et jouissant
du moment sans pareil. Mes chers, je ne sais pas si ma description réussira à
vous donner une faible idée de notre soirée, mais elle était magnifique et peut
être comprendrez-vous que les Indes (néerlandaises)
excercent sur moi un charme de plus en plus fort. Après avoir pris notre thé
nous avons lu, et moi… « j’ai allumé une cigaret-ette, en lui disant
d’un air dédaigneux…/ ne fais donc pas ainsi la bê-ête, à prendre la vie au
sérieux ! » (ce sont les paroles que chante Lucienne Boyer). Ce que
nous avons joui d’être ensemble les deux ! Et comme des moments pareils
donnent de la force nouvelle pour la lutte.
Je n’ai
pas écrit la semaine passée parce que j’ai liquidé mon « fonds de mer »
en raccommodant à toute vapeur. Maintenant j’ai la paix pour un moment et
demain, je vais commencer une paire de pyjamas, ensuite une robe dont vous
aurez encore d’amples nouvelles, vous pouvez penser !!! Les Bäremutz (sorte de pain d’épices) sont
excellents, il m’en reste encore un peu, de même que j’ai encore un grand
bouquet de branches de sapin sur la table à écrire. Deux des petits sapins ont
péri, mais deux vont bien jusqu’à maintenant. Mes tomates fleurissent. Jans m’a
remis des photos que je vais t’envoyer par bateau, elles sont exprès pour toi,
que Jans a dit. Elle est gentille, die dicke Jans, et on s’aime bien les deux.
J’ai commencé une lettre à Charlot, mais ne sais pas si je pourrai l’envoyer
cette fois-ci, il me faudra probablement écrire à Laren pour Buby. Maintenant
il est 11 heures, le djongos vient de fermer toutes les jalousies pour
conserver la maison fraiche, on les rouvrira à 4 heures quand la brise du soir
commence. Je vais tantôt mettre mon nez à la cuisine pour surveiller mon diner.
J’ai de la soupe à l’orge, du poisson cuit dans un bon fond, avec de la sauce
tartare, des pommes de terre à l’eau, de la salade aux tomates et aux
concombres, du pudding au chocolat avec de la crème à la vanille, des fruits et
du café avec du cake de gingembre. Hein, mes menus ! Il n’y a pas de quoi
s’en moquer !!! Oh, je vous dis, MOI !!!
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