jeudi 24 septembre 2015




Le 26 mars 1934

Keboemen

De nouveau une semaine de passé, et il me semble que je viens seulement de terminer mon dernier courrier. Rien de spécial cette semaine, j’ai cousu, mais ma robe ne me réussit pas, j’ai fait du gâchis. Par contre, j’ai recouvert une de mes malles avec une sorte de natte que les indigènes emploient beaucoup ici et qui est très bon marché. J’en ai fait un charmant petit banc, nous en sommes très contents. Pendant ce temps Oscar a encadré presque tous nos portraits et petits tableaux que j’avais emmenés, de sorte que notre salon a encore augmenté son aspect heimelig.
Madame Röhwer est aussi tombée malade. Un soir elle est venue chez nous pour un petit moment et elle a mangé énormément de pistaches rôties, ce que je sers toujours avec la bière ou le sirop. Le lendemain matin nous avons vu le docteur arriver chez eux, et j’ai eu peur que ce soit ces pistaches qui en soient la cause, mais quand j’ai été voir ce qu’elle avait, elle me dit qu’elle avait eu des crampes d’estomac affreuses et une fantastique diarrhée, mais que le médecin ne s’était pas encore prononcé. Le lendemain, enfin, il a dit qu’elle avait une attaque de dysenterie et qu’elle devait garder le lit pour 8 jours au moins. J’ai passé beaucoup de temps près d’elle, je prenais un ouvrage et le matin je le passais avec elle, donc une fois de plus je ne suis pas arrivée à faire le travail que je m’étais promis. Enfin, cela lui a fait plaisir. Cette dysenterie vient de ce qu’elle mange très assaisonné, beaucoup de poivre rouge, trop de rysttafel et de conserves en boîtes. Toi, Mamali chérie, à ma place, tu lui donnerais peut être force conseils et avis de changer de système, mais pas moi, vois-tu cela ne sert à rien de vouloir instruire les gens, c’est une peine inutile, et ma foi, chacun ses expériences. Bah ! la vie ici nous apprend à nous taire bien souvent et à ne pas s’en faire pour ce qui ne nous concerne pas directement. Maintenant elle va beaucoup mieux et pourra se lever aujourd’hui ou demain.
Depuis samedi la fabrique est arrêtée, nous avons donc eu le samedi après-midi libre, hier dimanche et encore aujourd’hui lundi. Nous avons passé un beau et bon dimanche. Le matin nous avons fait les paresseux, puis nous sommes allés nous asseoir sous l’arbre dans le jardin. C’était joli, un si beau jour de printemps. J’ai mon sureau qui fleurit, j’en ai un plaisir fou. Nous avons joué au tennis et les Visser sont aussi venus. Quand il a fait nuit, ils sont venus chez nous, j’avais fait préparer un ice cream que nous avons dégusté, Mme Visser, la petite Nicki et moi, pendant que les messieurs buvaient leur verre de bière. Mme Visser a dû rentrer pour nourrir la petite et moi j’ai fait une courte visite à Madame Röhwer, son mari ayant été à l’église. J’aurais bien voulu y aller aussi, mais je ne pouvais pas chasser monsieur Visser qui était resté chez Oscar. Ce sera pour un autre dimanche. Vous savez que nous avons une mission protestante ici et aussi une catholique. La Röhwertje est catholique, il lui manquait encore cela ! C’est donc fou ce que ma sympathie a augmenté !
La soirée nous l’avons passée tranquillement à faire de l’ordre, moi à faire ma caisse qui ne joue de nouveau pas, il me manque environ 30 cents.
Les deux jeunes gens si aimables avec Oscar ( !) commencent à nous faire des avances et à vouloir être gentils avec nous.… mais cette fois nous les laisserons danser un peu, sans quoi ils croiront trop facilement qu’ils peuvent faire avec nous ce qu’ils veulent, non, ils en prendront pour leur rhume. Toutefois nous sommes corrects avec eux, nous leur avons prêté notre garage parce qu’ils ont des visites avec une auto. Moi je sais bien par où le vent souffle, ils ont vu que Buby entraînait bien au tennis, et je crois qu’ils meurent d’envie d’aussi profiter de ses leçons, mais oha ils peuvent attendre.
Bah ! vois-tu il y a beaucoup de fausseté par le monde, d’un côté je suis très contente de pouvoir passer nos jeunes années ici, loin de tout, seulement pour nous deux. Il y a bien aussi de la fausseté autour de nous, mais sur une échelle plus petite que si nous vivions parmi beaucoup de monde, et quand nous la rencontrons ici, nous pouvons bien la combattre, car à nous deux nous nous sentons forts l’un par l’autre.



Demain on enterre la Reine Emma de Hollande, ici tout est arrêté, même la poste, c’est grand jour de deuil, uniforme de gala blanc avec brassard noir jusqu’au mois de juin. Il se pourra que ce courrier ait du retard, je n’en sais rien, mais ne vous étonnez donc pas.

Nous nous sommes maintenant décidés pour le genre de rideaux que nous voulons pour le salon : des rideaux clairs et légers, donc je vais m’occuper de recevoir des échantillons, ensuite j’aurai beaucoup à coudre.
Vous devriez voir mes tomates comme elles croissent, dans environ deux semaines j’en aurai beaucoup. Les plates bandes pour tes graines, Papali, sont préparées maintenant avec du bon fumier de vache, ainsi que des pots, j’en ai acheté 6 pièces encore exprès dans lesquels nous sèmerons et seulement les plantons seront mis en pleine terre. Les pluies se font de plus en plus rares, la saison sèche commence, alors c’est mieux d’avoir les jeunes plantes dans les pots, on peut mieux les contrôler et les déplacer à l’ombre.

Il me semble que Hedy se fait, hein ? Je suis contente pour elle. Elle doit avoir reçu ma lettre maintenant, dans laquelle je lui demande une moulure. Oh ! oui, si seulement elle m’envoyait des Jardins des Modes, même des vieux des étés passés, mais j’en aurais un rude plaisir vu que je tiens à conserver mon coup d’œil pour les jolies choses de la mode.

Mamali, j’aimerais bien que tu t’informes chez Hedy du prix d’un « buste »  en 44, moderne, selon ma taille, et alors Papali ou monsieur Mottet s’informeront des frais de port et d’expédition. J’aimerais savoir cela avant d’aller en acheter un ici, car il m’en faut un, je ne peux pas travailler avec succès sans cela. Il faut penser, je n’ai personne pour m’essayer et c’est ce qui me fait rater mes robes. Aussi je n’arrive pas à bien couper, ce à quoi j’ai pourtant le plus de plaisir. Svp informez-vous et donnez moi tous les détails nécessaires, après quoi je verrai ce qui est le plus avantageux. De mon côté je vais aussi demander ce que pourront être les frais de douane pour l’entrée ici, et si c’est meilleur marché, vous m’en enverrez un. 


Mais n’achetez rien ou ne faites aucune demande sans mon consentement, je veux bien calculer les choses.


Quant à mon Charlot, merci beaucoup pour ta lettre. Tu sais, tu n’as pas besoin de répondre à la mienne. Je comprends très bien que tu n’as pas toujours le temps et personne ne sait mieux que moi le temps que cela prend d’écrire des lettres. Mon vieux ! J’en sais quelque chose !
Voilà mes chers, je vais vous quitter pour ce soir, car demain matin, mardi, nous allons jouer au tennis, pas le temps d’écrire, ma foi, flûte pour ceux qui attendent des lettres. Ils attendront encore un peu, mais moi je ne vais pas me rendre la vie désagréable pour cela. Mes chers chéris, Bonsoir. Beaucoup de muntschis à chacun, aussi d’Oscar qui est déjà au pieu, le veinard. C’est un vieux paresseux, il s’amuse à me faire enrager en composant des discordances affreuses dues à certains gaz que l’être humain a dans les intestins par suite d’un emploi immodéré d’oignons. Ou bien il rotte, ou il p…te, ils sont bien tous les même, les hommes ! Ah ! si j’avais su !
And all the best, mes chers,
Votre Ge….



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