Le 26 mars 1934
Keboemen
De nouveau
une semaine de passé, et il me semble que je viens seulement de terminer mon
dernier courrier. Rien de spécial cette semaine, j’ai cousu, mais ma robe ne me
réussit pas, j’ai fait du gâchis. Par contre, j’ai recouvert une de mes malles
avec une sorte de natte que les indigènes emploient beaucoup ici et qui est
très bon marché. J’en ai fait un charmant petit banc, nous en sommes très
contents. Pendant ce temps Oscar a encadré presque tous nos portraits et petits
tableaux que j’avais emmenés, de sorte que notre salon a encore augmenté son
aspect heimelig.
Madame
Röhwer est aussi tombée malade. Un soir elle est venue chez nous pour un petit
moment et elle a mangé énormément de pistaches rôties, ce que je sers toujours
avec la bière ou le sirop. Le lendemain matin nous avons vu le docteur arriver
chez eux, et j’ai eu peur que ce soit ces pistaches qui en soient la cause,
mais quand j’ai été voir ce qu’elle avait, elle me dit qu’elle avait eu des
crampes d’estomac affreuses et une fantastique diarrhée, mais que le médecin ne
s’était pas encore prononcé. Le lendemain, enfin, il a dit qu’elle avait une
attaque de dysenterie et qu’elle devait garder le lit pour 8 jours au moins.
J’ai passé beaucoup de temps près d’elle, je prenais un ouvrage et le matin je
le passais avec elle, donc une fois de plus je ne suis pas arrivée à faire le
travail que je m’étais promis. Enfin, cela lui a fait plaisir. Cette dysenterie
vient de ce qu’elle mange très assaisonné, beaucoup de poivre rouge, trop de
rysttafel et de conserves en boîtes. Toi,
Mamali chérie, à ma place, tu lui donnerais peut être force conseils et avis de
changer de système, mais pas moi,
vois-tu cela ne sert à rien de vouloir instruire les gens, c’est une peine
inutile, et ma foi, chacun ses expériences. Bah ! la vie ici nous apprend
à nous taire bien souvent et à ne pas s’en faire pour ce qui ne nous concerne
pas directement. Maintenant elle va beaucoup mieux et pourra se lever
aujourd’hui ou demain.
Depuis
samedi la fabrique est arrêtée, nous avons donc eu le samedi après-midi libre,
hier dimanche et encore aujourd’hui lundi. Nous avons passé un beau et bon
dimanche. Le matin nous avons fait les paresseux, puis nous sommes allés nous
asseoir sous l’arbre dans le jardin. C’était joli, un si beau jour de
printemps. J’ai mon sureau qui fleurit, j’en ai un plaisir fou. Nous avons joué
au tennis et les Visser sont aussi venus. Quand il a fait nuit, ils sont venus
chez nous, j’avais fait préparer un ice cream que nous avons dégusté, Mme
Visser, la petite Nicki et moi, pendant que les messieurs buvaient leur verre
de bière. Mme Visser a dû rentrer pour nourrir la petite et moi j’ai fait une
courte visite à Madame Röhwer, son mari ayant été à l’église. J’aurais bien
voulu y aller aussi, mais je ne pouvais pas chasser monsieur Visser qui était
resté chez Oscar. Ce sera pour un autre dimanche. Vous savez que nous avons une
mission protestante ici et aussi une catholique. La Röhwertje est catholique,
il lui manquait encore cela ! C’est donc fou ce que ma sympathie a
augmenté !
La soirée
nous l’avons passée tranquillement à faire de l’ordre, moi à faire ma caisse
qui ne joue de nouveau pas, il me manque environ 30 cents.
Les deux
jeunes gens si aimables avec Oscar ( !) commencent à nous faire des
avances et à vouloir être gentils avec nous.… mais cette fois nous les
laisserons danser un peu, sans quoi ils croiront trop facilement qu’ils peuvent
faire avec nous ce qu’ils veulent, non, ils en prendront pour leur rhume.
Toutefois nous sommes corrects avec eux, nous leur avons prêté notre garage
parce qu’ils ont des visites avec une auto. Moi je sais bien par où le vent
souffle, ils ont vu que Buby entraînait bien au tennis, et je crois qu’ils
meurent d’envie d’aussi profiter de ses leçons, mais oha ils peuvent attendre.
Bah !
vois-tu il y a beaucoup de fausseté par le monde, d’un côté je suis très
contente de pouvoir passer nos jeunes années ici, loin de tout, seulement pour
nous deux. Il y a bien aussi de la fausseté autour de nous, mais sur une échelle
plus petite que si nous vivions parmi beaucoup de monde, et quand nous la
rencontrons ici, nous pouvons bien la combattre, car à nous deux nous nous
sentons forts l’un par l’autre.
Demain on
enterre la Reine Emma de Hollande, ici tout est arrêté, même la poste, c’est
grand jour de deuil, uniforme de gala blanc avec brassard noir jusqu’au mois de
juin. Il se pourra que ce courrier ait du retard, je n’en sais rien, mais ne
vous étonnez donc pas.
Nous nous
sommes maintenant décidés pour le genre de rideaux que nous voulons pour le
salon : des rideaux clairs et légers, donc je vais m’occuper de recevoir
des échantillons, ensuite j’aurai beaucoup à coudre.
Vous
devriez voir mes tomates comme elles croissent, dans environ deux semaines j’en
aurai beaucoup. Les plates bandes pour tes graines, Papali, sont préparées
maintenant avec du bon fumier de vache, ainsi que des pots, j’en ai acheté 6
pièces encore exprès dans lesquels nous sèmerons et seulement les plantons
seront mis en pleine terre. Les pluies se font de plus en plus rares, la saison
sèche commence, alors c’est mieux d’avoir les jeunes plantes dans les pots, on
peut mieux les contrôler et les déplacer à l’ombre.
Il me
semble que Hedy se fait, hein ? Je suis contente pour elle. Elle doit
avoir reçu ma lettre maintenant, dans laquelle je lui demande une moulure.
Oh ! oui, si seulement elle m’envoyait des Jardins des Modes, même des vieux des étés passés, mais j’en aurais
un rude plaisir vu que je tiens à conserver mon coup d’œil pour les jolies choses
de la mode.
![]() |
Mamali,
j’aimerais bien que tu t’informes chez Hedy du prix d’un « buste » en
44, moderne, selon ma taille, et alors Papali ou monsieur Mottet s’informeront
des frais de port et d’expédition. J’aimerais savoir cela avant d’aller en acheter un ici, car il m’en faut un, je ne peux
pas travailler avec succès sans cela. Il faut penser, je n’ai personne pour
m’essayer et c’est ce qui me fait rater mes robes. Aussi je n’arrive pas à bien
couper, ce à quoi j’ai pourtant le plus de plaisir. Svp informez-vous et donnez
moi tous les détails nécessaires, après quoi je verrai ce qui est le plus
avantageux. De mon côté je vais aussi demander ce que pourront être les frais
de douane pour l’entrée ici, et si c’est meilleur marché, vous m’en enverrez
un.
Mais n’achetez rien ou ne faites
aucune demande sans mon consentement, je veux bien calculer les choses.
Quant à
mon Charlot, merci beaucoup pour ta lettre. Tu sais, tu n’as pas besoin de
répondre à la mienne. Je comprends très bien que tu n’as pas toujours le temps
et personne ne sait mieux que moi le temps que cela prend d’écrire des lettres.
Mon vieux ! J’en sais quelque chose !
Voilà mes
chers, je vais vous quitter pour ce soir, car demain matin, mardi, nous allons
jouer au tennis, pas le temps d’écrire, ma foi, flûte pour ceux qui attendent
des lettres. Ils attendront encore un peu, mais moi je ne vais pas me rendre la
vie désagréable pour cela. Mes chers chéris, Bonsoir. Beaucoup de muntschis à
chacun, aussi d’Oscar qui est déjà au pieu, le veinard. C’est un vieux
paresseux, il s’amuse à me faire enrager en composant des discordances
affreuses dues à certains gaz que l’être humain a dans les intestins par suite
d’un emploi immodéré d’oignons. Ou bien il rotte, ou il p…te, ils sont bien
tous les même, les hommes ! Ah ! si j’avais su !
And all
the best, mes chers,
Votre Ge….
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