samedi 19 septembre 2015



11 mars 1934

Dimanche, Keboemen

Lettre pour circulation en famille

Salut Glaciers sublimes, vous qui touchez aux cieux….tätitata titatatitata ta..
Oscar, le pauvre diable, doit travailler aujourd’hui comme un jour ordinaire. Ma semaine a à nouveau passé comme un bolide. Le ciel est bleu c’est vraiment dommage qu’ici on ne puisse pas vite grimper quelque part pour voir en bas, on se sent tellement plus léger. Tiens, c’est un jour de printemps quand les gens commencent à prendre les rucksacks et à se faufiler aux Prés d’Orvin , le soir ils en reviennent avec des jonquilles. C’est vrai, en des moments pareils je ne sais pas que faire de ma vie… j’ai fait jouer le disque de Tata avec les cloches (quelle idée de m’envoyer ce disque pour le faire jouer le dimanche !). La première fois que je l’ai fait jouer, j’ai « pissé de l’œil » comme dit papa ! c’est papa qui le dit, je ne fais que répéter, je ne suis pas mal élevée.
Maintenant que je suis redevenue sérieuse :
Je n’ai presque rien fait cette semaine. J’ai commencé par coudre une robe, mais elle sera finie à la Saint Jamais. Ensuite j’ai souvent été en ville avec ces dames. Un jour leurs maris sont allés à Djocjakarta, pour la journée, et l’après-midi elles ont décidé d’aussi faire une petite sortie et m’ont invitée à les accompagner, ce que j’ai fait avec grand plaisir. Ces sorties n’ont rien de bien spécial, mais c’est toujours une sortie. Nous sommes allées à Poerworedjo, une petite ville de garnison à une heure d’auto d’ici, environ. La place la plus proche de quelque importance. La promenade en auto est toujours charmante, une belle route bordée de grands arbres donnant de l’ombre. (Toutes les routes sont ainsi aux Indes, et très bien entretenues). Elles longent d’immenses champs de riz. Des étendues immenses, toutes dorées, du riz mûr maintenant, dont à certaines places on faisait déjà la récolte Les brins sont coupés un à un avec une sorte de couteau, très spécial. 
moisson du riz

Les moissonneurs sont en rang, un à côté de l’autre et travaillent dur au grand soleil et les pieds dans l’eau quelque fois jusqu’aux genoux, dans la boue, quoi. Ils ont tous mis des chapeaux immenses, ronds et peints en toutes couleurs, vous pouvez imaginer le spectacle ? c’est simplement ravissant, et les groupes de palmiers se balançant à la brise avec au fonds les montagnes bleues comme notre Jura. Les montagnes sont couvertes de verdure ici, quelquefois de plantations jusqu’au haut, excepté les volcans qui, dans le lointain ressemblent à des parfaits pains de sucre dans du papier bleu violet.

Arrivées à Poerworedjo il se passe toujours la même chose : d’abord nous prenons d’assault le magasin chinois de denrées coloniales et avec un plaisir évident nous allons d’une découverte à l’autre dans le but d’approvisionner notre armoire de boustifaille et de satisfaire à la gourmandise plus ou moins prononcée de nos maris. Ces magasins sont de vrais sacs à surprises, vraiment c’est ici que l’on commence à apprécier les conséquences de l’importation et de l‘exportation. Grâce à ces deux facteurs on peut avoir de tout ici, ne demandez pas à quel prix, mais enfin c’est toujours la possibilité de satisfaire à tous ses goûts. 
chinois ou japonais = idem

C’est alors aussi qu’on commence à apprécier les grandes marques. Par exemple, je n’achète que des Lenzburg, du lait Nestlé, des fromages Gerber, etc. des spaghettis italiens, de la moutarde de Dijon, etc etc. Des conserves, nous en mangeons tous les 4 jeudis une fois, les légumes frais sont meilleur marché. Une fois les emplettes faites,  et l’auto regorgeant de boîtes, de bouteilles, de paquets, nous nous rendons au magasin japonais. Cela, c’est le comble, et j’ai beau les détester de tout mon cœur, les japonais, qu’est-ce que je ferais sans eux. Eux aussi ont de tout dans leurs tokos depuis les lacets de souliers aux gramophones, depuis les articles de cuisine aux plus belles soieries et à quel prix ! Ils imitent tout, tout ce qui se fait en Europe. Les conserves, des fruits, des poissons, imitant des Amieux, qui se vendent là à un tiers du prix des Européens. 
Dans un de ces magasins j’ai vu un indigène fouillant avec des brucelles dans une boîte. Toujours curieuse, je m’approche et qu’est-ce que je vois, il fouillait dans des fournitures d’horlogerie, des pièces de rechange de tous les calibres et de toutes les marques. Des ressorts, des spiraux, des masses, des tirettes, des aiguilles, des roues, il y avait de tout, dans une vieille boîte de carton. Après qu’il ait choisi, la boîte fut soigneusement rangée dans le comptoir, parmi des paperasses et de vieilles bouteilles à encre, jusqu’au prochain client, qui lui aussi ira fouiller avec ces vieilles brucelles.  Les montres ici sont généralement exposées dans la même vitrine que les porte-plume réservoir, les boutons de manchettes, des punaises et mille et une fantaisies utiles. Comme genre ce sont les Roskopf de la plus vieille sorte avec des images  de Harold Lloyd sur le cadran et des montres bracelets chromées parmi lesquelles j’ai cru reconnaître une à deux boîtes Helbein. Toutes des marques inconnues sur les cadrans, peut être aussi des articles japonais, je n’en suis pas sûre, mais la quantité n’est jamais intéressante, seulement 5-6 pièces qui semblent dormir là du sommeil du juste pour une éternité car la poussière ne manque pas. Les prix, je n’ai pas encore pu les demander à loisir, car je ne sais pas encore assez de malais, et puis, chacun le parle différemment selon qu’il soit japonais, chinois ou javanais. Ce sont des accents que je dois m’efforcer de comprendre encore. Mais comme affaires, à mon avis, c’est nul. Les indigènes n’ont plus le sou, pour la simple raison que les fabriques de sucre étant toutes fermées leur principal gagne-pain leur a été retiré. Ils sont toujours dans la dèche, une dèche continuelle bien qu’ils travaillent où ils peuvent. 
Le dimanche par exemple, c’est le jour spécial des mendiants, j’en ai toujours une vingtaine dans le courant de la journée venant psalmodier devant la maison. Au commencement nous leur donnions un cent, mais maintenant je ne suis plus si bête, je fais acheter du riz bon marché au Pasar et le dimanche matin le djongos en fait des petits paquets dans du papier de journal, ainsi cela me revient à 10 cents par dimanche environ. Le riz est leur pain ici, mais aussi ils savent le cuire et en faire des mets délicieux. 
nasi-campur

Nous mangeons à l’indienne tous les dimanches, un plat de riz avec une multitude de légumes, de noix, de racines, de feuilles d’arbres, de fruits accommodés au poivre rouge et à la noix de coco, qu’on range sur le bord de son assiette autour du riz. On mange le tout avec une cuillère. C’est extra une fois qu’on a surmonté la première répulsion de l’inconnu. Maintenant je vais vous quitter car je vais justement à la cuisine pour apprendre à faire un ou deux de ces petits plats. La baboe est très fière et flattée qu’elle puisse m’apprendre quelque chose.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire