mercredi 9 septembre 2015







4 février 1934

Keboemen

deuxième partie, lettre à Loulou

Bon, il est une heure, et nous venons de recevoir le courrier par avion. Une lettre de toute la famille de Bienne et de St Gall, écrite sur du papier canard, les fous, ils ne savent plus que faire pour m’embêter, avec cela je meurs d’impatience jusqu’à ce que j’aie déchiffré tout ce charabia, qui nous fait toujours tant de plaisir
J’ai aussi appris que tu avais demandé ton smoking pour aller à la Scala de Milan, eh ! mon vieux, tu ne sembles pas avoir la vie trop dure, avec cela tu peux travailler dans la belle nature….   C’est ce qui nous rapproche le plus de notre Créateur… Loulou, ce n’est pas que je veuille prêcher, non…
Lundi matin.
Encore une chose qu’il faut que je t’apprenne, savais-tu que ta sœur était crâne ? Je n’ai plus peur des grenouilles, non mieux encore, des crapauds ! qu’en dis-tu ? Tu sais pourquoi ? parce que nous en avons des légions ici… dans la maison. Tous les soirs quand on allume la lampe, ils viennent à la véranda, se tiennent sous la lampe et guettent les moustiques et autres insectes qu’ils bouffent par quantités formidables. Quelques fois, par les portes ouvertes, ils entrent dans la maison et ce n’est pas rare qu’il s’en trouve jusque dans la chambre à coucher, et Nelly va au lit sans s’émouvoir ni même les chasser. Il en est de même avec les serpents, qu’on rencontre fréquemment ici. L’autre jour, d’humeur joyeuse je prends un grand saut par-dessus les quelques marches conduisant à notre véranda quelle n’est pas ma surprise quand arrivant sur le gravier du jardin avec un grand ploff, je vois que mes pieds se sont posés à un cheveu d’un des serpents les plus dangereux que nous ayons ici, et qui lui, s’en allait en ondulant s’étonnant de ce grand bloc mouvant venu d’en haut le déranger de sa sieste parmi les pierres chaudes de l’allée du jardin. Je n’ai pas eu peur, non, seulement un petit étonnement après coup. Les indigènes ne veulent pas les tuer, pour eux, ce sont des bêtes saintes. Ils ne sont pas très grands, environ 60 cm de long jusqu’à 90 cm.


Alentours de Keboemen

Je pense beaucoup pendant mes promenades, seule à travers les beaux champs de riz, et sous les palmiers des kampongs. Tu sais ce n’est pas si facile d’aller promener seule, ici, les indigènes ne sont pas habitués à voir une femme seule, marcher en dehors de la ville, sans qu’on y voie un but précis. Il y en a qui détestent les blancs, (et c’est bien notre faute), alors ils prennent cette occasion de rencontrer une femme blanche, seule et sans défense apparente pour exprimer leur mépris. Souvent ils crachent devant moi, ou bien ils se disent un tas de choses entre eux, qu’heureusement je ne comprends pas. Moi je passe fière et droite, ne faisant pas plus attention à eux que s’ils étaient des mouches, et cela leur en impose, ils s’écartent du chemin et me regardent m’éloigner. Avant j’allais toujours me promener avec Madame Röhwer, mais à la fin, j’en avais marre de son bavardage vide et incessant, de sorte que tu n’avais même pas le temps d’admirer un peu la belle nature autour de toi. Et puis ces promenades développent en moi une certaine maîtrise de mes émotions, et de mes mouvements. Je peux déjà rester indifférente à un tas de choses, comme par exemple rencontrer des buffles, qui n’aiment pas les blancs (à cause de leur odeur, de leur transpiration) et qui les attaquent quelques fois. Et bien, moi j’ai appris à les dépasser avec une superbe assurance et une indifférence complète sous les regards attentifs des gosses. Ils se demandent tous, est-ce qu’elle aura peur ? et ils sont prêts à rire.

Et maintenant Loulou, je suis au bout du papier, quoique j’aimerais encore longtemps causer avec toi…..



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