29 janvier 1934
Keboemen
(A son frère Charlot)
Mon cher
vieux
Hier nous
avons reçu la lettre de toi et de maman sur le papier canard. J’ai ri en voyant
cela, n’empêche que vous êtes des sales espèces de sales gosses, va. Ce ne sont
plus des lettres qu’on peut lire, mais des lettres qu’il faut déchiffrer, et le
temps que cela nous prend, avec cela on grille de savoir les nouvelles. Ah oui
vous mettez notre patience à une belle épreuve, mais attendez rira bien qui
rira le dernier. Ma prochaine lettre sera sur une feuille de banane et on verra
ce que vous en direz.
J’ai fait
mon tour de cuisine, dit à la
baboe ce qu’elle devait cuire, inspecté mon armoire aux provisions, regardé un
peu par tout les goudangs ( débarras,
cagibi) pour voir si tout était en ordre, j’ai fait un tour du jardin parce
qu’il fait si bon ce matin, un temps de printemps. J’ai regardé le kebon
travailler, planter des lys, j’ai inspecté mes orchidées et mes autres fleurs,
et last but not least j’ai examiné d’un œil attendri les deux petits sapins qui
ont chacun 2 jolies pousses vert
clair.
kebon, baboe, djongos, photo de Nelly |
Quand mon
porte-monnaie le permettra, je t’enverrai aussi un sarong, l’étoffe que les
indigènes portent enroulé autour des hanches. D’ailleurs tu le vois sur la
photo de mon trio !
Ces toiles
sont des batiks faits à la main, un travail inouï, et cela fait très bien aux
parois, derrière une chaise longue, ou ton lit, ou encore ta table de travail.
Je suis si contente que tes cours t’intéressent et que tu sois satisfait de tes
études.

Hier soir
par mégarde j’ai remonté le réveil au lieu du mouvement et ce matin à 5 heures
cette charrette qui se met à faire un tintamarre du diable. Ce qu’on était
contents, les deux ! Demain la fabrique doit de nouveau s’arrêter parce
qu’il n’y a pas de coprah (noix de coco). Oui ici aussi on souffre de la crise,
ce sont surtout les chinois qui nous chipent tout devant notre nez et ils
montent eux-mêmes des fabriques d’huile, tu devrais voir cela. Ah ! ce
sont des charrettes, ils sont plus forts que nous, tu as beau dire, ils sont
plus forts parce qu’ils aiment le travail, c’est tout pour eux, ils ne sont pas
distraits comme nous par des amusements de toutes sortes. C’est une race qui
monte, mesurée au degré européen. En général ils me sont très sympathiques,
mais quelques uns je ne peux pas les souffrir. Une chose que je n’ai pas assez
observée au commencement, c’est d’être extrêmement polie avec eux, si on veut
en tirer quelque chose.
![]() |
Toko = échoppe |
Moi j’allais dans les magasins un peu hautaine, c’est à
dire en bonne cliente consciente de sa valeur comme cliente. Tu sais, je
n’étais pas orgueilleuse non, mais un peu trop européenne, pas assez souplement
polie, ah ! ils me l’ont bien fait sentir. Depuis, je suis très
bienveillante, je les traite de Monsieur ici et de Monsieur là et je remarque
que je suis aussi mieux servie, avec plus d’empressement. Ah ! oui, mon
vieux, on fait tout doucement ses petites expériences. Moi, cela me va
d’apprendre à connaître le monde.
Par exemple avec mon djongos aussi je me suis
trompée : au commencement je le traitais avec gentillesse, je ne
commandais pas trop, mais j’ai remarqué depuis qu’il voulait être commandé,
je donne maintenant des ordres comme un capitaine et tu devrais voir comme il
est souple et comme il est devenu soumis et travaille bien. Je tâche toujours
d’être très juste, impartiale mais je ne leur passe plus la moindre petite
chose. Ils sont tenus en respect et cela leur en impose. C’est drôle,
pas ?
J’ai
toujours dans l’idée que je dois encore te dire quelque chose, mais cela m’est
sorti de la tête. Je vais m’arrêter, à tout à l’heure, mon cher
"Moi, cela me va d’apprendre à connaître le monde. ": A young Swiss woman learns how to treat the other people in that colony.
RépondreSupprimerWe now know how wrongly the dutch treated them!
Merci Catherine pour ce partage. Je vais continuer à te suivre (ou rattraper mon retard de lecture) mais Marlène oblige.
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