25 novembre 1934
Keboemen
Un grand
merci tout fou pour ta bonne et chère lettre, Mamali, et aussi pour la gentille
carte depuis Londres, de mon Padre et de mon Chüggou (Louis). C’est dimanche de nouveau. J’en jouis.
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Je suis assise dans
la véranda, j’ai mis ma robe blanche (de fiançailles) avec mon fichu rouge
blanc bleu. A côté de moi sur une petite table, un grand verre de sirop que le
djongos vient d’apporter. Tipsie est étendue à mes pieds, malade. C’est pour le
coup que les deux hommes à la maison pourraient prétendre que c’est elle qui
vient directement après Buby dans mon cœur. Depuis 4 jours qu’elle est malade,
je l’ai soignée avec un dévouement sans bornes (papa dirait borgne). Elle a
commencé par avoir des crampes formidables, elle gémissait si fort qu’on
l’entendait chez les Visser. Nous avons cru qu’elle était empoisonnée, mais par
la suite cela s’est prouvé être la maladie des chiens. Nous l’avons veillée
pendant deux nuits, et je crois que je l’ai sauvée avec des œufs et du cognac
que je lui enfilais de temps en temps. Elle a eu un terrible schwips du cognac,
mais ses crampes ont cessé peu à peu. Maintenant elle a un léger pus qui sort
des yeux, du nez, enfin de chaque trou. C’est le travail à Buby de laver toutes
ces ouvertures ! et ma foi, il s’y prend avec une patience et une douceur
tout à fait digne de mon Father. En cela Buby ressemble vraiment beaucoup à
papa, quand on a un bobo ou n’importe quoi, il sait toujours un remède ou y
apporter du soulagement. De même quand j’ai mes rhumatismes de nerfs
quelquefois, il frotte doucement avec ses longues mains, et vraiment, il
réussit à influencer les douleurs.
Ouf !
quelle semaine nous avons eue de nouveau. Hier il a fait chaud, le jour le plus
chaud depuis que nous sommes ici. Je n’ai rien fait. Le matin je suis restée à
moitié étendue au jardin dans une de nos chaises si confortables, et après
dîner je suis restée étendue sur le lit jusqu’à 5 heures. C’est inutile de vouloir
travailler en des jours pareils, je me suis donc ménagée malgré toutes les
lettres et cartes qui me restent à écrire pour Nouvel an J’ai vraiment plaint
Buby qui avait beaucoup de travail au bureau. Avant, dans le bon temps, ils
avaient trois Européens pour faire le travail qu’il fait maintenant avec l’aide
de deux chinois. Enfin, heureusement que l’orage qui se préparait a éclaté vers
5 heures, et ce qui est encore plus chic, le gros n’est pas tombé sur Keboemen,
mais à une heure d’ici. Nous n’avons eu qu’une petite pluie rafraîchissante. En
ce moment aussi, il pleut assez fort, c’est bon, cela sent la terre mouillée.
C’est un de ces dimanches de pluie où il fait bon se sentir chez soi. Oscar
devrait en profiter pour écrire à son père, mais quand on lui en fait la
remarque il prend une mine si piteuse que, ma foi, je n’ai pas le courage de le
forcer. Après tout il a bien mérité d’avoir un peu de bon temps. Je suis sûre
que vous les hommes, vous vous dites mais bon sang, ce travail de bureau n’est
pourtant pas si fatigant, il faudrait voir comme nous on la tient dure et on
n’en dit pas un mot. Oui, mais ici ce n’est pas la même chose.
Mardi
passé, il a donc été à Semarang avec M. Visser. Il paraît qu’il a aussi fait
très chaud. Ils ont visité je ne sais pas combien de chinois, auxquels Buby a
dû être présenté. Entre temps, ils ont encore trouvé moyen d’aller chez les
importeurs et… de rapporter un appareil
de tsf. Oui, mes chers, nous avons bel et bien un radio chez nous. Un
modèle 1934, pas très grand, mais très fort. Un Erès, brevet de Philips. Nous avions bien décidé d’en acheter un
une fois, aussitôt possible, mais je ne m’attendais pas à ce que Buby en
rapporte un directement. Enfin, il n’est pas encore acheté, nous l’avons à
l’essai jusqu’au 15 décembre. Oscar en est tout fou, en ce moment même il
est chez les Visser à l’essayer à leur antenne parce que la nôtre n’est pas
encore terminée. (c’est sûr essayer une radio, c’est plus chic que d’écrire des
lettres ! le polisson !) Enfin bref, mardi soir, il est revenu pas
seulement avec une radio, mais aussi avec de la fièvre, à force d’être éreinté.
Il avait aussi pris froid sur le chemin du retour, car depuis Semarang situé
dans la plaine très chaude, il faut traverser un col assez haut où l’air du
soir est très frais, pour ne pas dire froid, et ces deux hommes à moitié
endormis n‘y ont pas fait attention. Oscar avait pris froid. Il avait 38° et
des points dans le dos. Je l’ai frictionné avec une petite pommade chinoise,
quelque chose comme du « pain-expeller » et l’ai bien tenu au chaud.
Le soir c’était passé et la fièvre aussi. Le mercredi dans l’après midi c’est
Tipsie qui commençait. M. Visser est aussi venu nous annoncer la venue des Meyeringh. En même temps, j’avais
la maison pleine de coolies et de toekangs
(artisans) pour la pose de
l’antenne, qu’Oscar dirigeait tant bien que mal depuis son lit, mais zut, ils
ont tout fait à rebours, ce qui nous a procuré des moments désespérés. Surtout
Oscar s’énervait au plus haut point. A sa place, j’ai aussi reçu les messieurs
de l’électricité qui doivent poser un stop contact, car notre électricité de la
fabrique étant du courant continu, nous ne pouvons pas en faire usage pour la
radio. Ces types sont venus avec des mines importantes m’annoncer que cela
donnerait un plaisir cher. Je leur ai fait sentir que cela c’était notre
affaire et qu’ils n’avaient qu’à pas nous faire des prix de voleurs. Il nous
faut faire faire une conduite depuis la gare, ce qui nécessite trois poteaux,
et ils nous comptent le poteau à Fl. 15.--, sans les fils, sans la prise. Ils sont
fous et je leur ai clairement fait voir ou plutôt sentir ce que je pensais
d’eux. Enfin bref, ils sont repartis sans que rien n’ait été décidé. Oscar
était furieux, nom d’une pipe, toutefois cela reviendrait tout de même trop
cher, de sorte que nous devrions renoncer à la radio s’il n’y avait pas moyen
de s’arranger. Nous avons été relancer le vieux Röhwer qui est ami avec ce type
de l’électricité. Ils ont convenu que nous pourrions livrer les poteaux s’ils
répondaient à leurs exigences, alors R. s’est souvenu qu’il avait encore de ces
poteaux au vieux fer, il les a fait remettre en état et demain le type revient
pour les examiner. Notre antenne est un bambou
de 17.70 m de long, verticale, elle a 15 m de haut, environ. Je n’ose
presque pas penser à combien nous reviendra toute cette histoire, j’en tremble
déjà pour mes comptes de fin de mois ! Nous avons le choix de payer par acomptes ;
au comptant nous bénéficions d’une réduction de Fl. 35.--, alors je pense que
nous choisirons ce dernier mode. Moi, je serai très très contente d’avoir une tsf, combien j’en profiterai, même si
pendant le jour nous ne pouvons pas avoir l’Europe, sauf le matin tôt, et
encore pas toutes les stations. La Suisse, par exemple, nous ne l’aurons pas,
les émetteurs ne sont pas assez forts, dommage, mais d’un côté, pour le moment,
mon plaisir est encore tempéré par la perspective du « cumin » à
verser. Vous savez que je ne puis pas dépenser beaucoup à la fois sans avoir
les bleus. Ce n’est pas que je les aie beaucoup cette fois, tout de même !
mais ne trouvez-vous pas que nous ayons le droit de nous payer quelque chose de
bien, vu que nous ne sortons presque pas et que j’économise où je peux. Il va
falloir recommencer de plus belle maintenant, car par cet achat presque toutes
nos économies y passent.
Jeudi
matin les Rickshaw sont venus voir comment allaient Oscar et Tipsie. Elle est déjà venue vers les 8 heures,
et ensuite lui s’est amené aussi.
Comme nous étions installés au jardin, ils y sont restés jusqu’à 1 heure. Monsieur
Engelhart, que nous avions informé de l’état de Tipsie, a aussi passé et est
resté un moment, bref c’était une matinée à visite. Avec cela je voulais
toujours aller chez les Visser, pour aider à madame à entretenir madame Meyeringh. Le soir assez tard, les Meyeringh sont encore venus nous voir
et sont restés une heure au moins. Quand ils sont arrivés, les deux dames V. et
R. étaient justement ici aussi, alors elles ont filé comme l’éclair devant
cette haute visite !
C’est ici
que je sens nettement mon avantage sur ces deux, et cela va me donner tout
l’aplomb nécessaire à l’avenir.
Ma robe
canari est prête, il n’y a plus qu’à poser les manches qui sont ravissantes. Oh !
j’en suis si contente, tu es un chou. Quand je l’ai essayée devant Buby, la
première chose qu’il a dite : ah, cela c’est de la coupe, nom d’une pipe
(traduction du hollandais) ! Inutile de vous dire combien cela m’a fait
plaisir. Dommage John ne m’a pas encore expédié mon buste de sorte que je dois
attendre pour bien pouvoir poser mes manches. J’ai essayé de le faire ainsi sur
moi, et même Buby m’a aidé de ses conseils naïfs (c’était tordant !) mais
comme il ne fait pas froid ces jours encore, je préfère attendre. J’ai bien
reçu l’avis d’un paquet aujourd’hui, je pense que c’est la ceinture et le nœud,
je me réjouis tant d’être bien. Est-ce que je vous avais écrit que mon petit
chapeau noir va merveilleusement bien avec ? Oh, je vous dis, j’ai une
chance énorme. C’est vous qui me gâtez toujours trop, vraiment j’en suis
toute confuse des fois, car moi je ne peux pas vous faire plaisir ainsi, du
moins pour le moment. Aussitôt que je pourrai disposer de quelque argent, je
saurai bien ce que je vous enverrai, à vous les dames. C’est des bijoux faits par les javanais en or pur, des choses que
j’aime beaucoup, mais il faut aussi attendre une bonne occasion de trouver un
de ces artiste, car cela ne s’achète pas comme des mouchoirs.
Oh, merci
mille fois pour les bigoudis. Ce que
j’en serai contente ! Tu n’as aucune idée quel service ils me rendront,
surtout quand mes cheveux seront trop longs et que je ne pourrai pas courir
chez le coiffeur pour les faire arranger un peu. Ils me permettront d’être
toujours un peu arrangée, j’y tiens beaucoup et Buby aussi, diable. Je crois
qu’il a autant de plaisir que moi quand je suis bien. Bon sang, je ne fais que
recevoir de belles choses et vraiment je ne le mérite pas.
Je suis
contente que vous ayez vu le film de
Bali. N’est-ce pas que les gens d’ici sont beaux ? et tellement
cultivés . C’est pas rien, je vous en garantis. Je n’ai pas vu le film, mais il
paraît qu’il est très bien et véridique, il a aussi passé ici à Java. N’est-ce
pas c’est beau comme ils plantent le riz, ils sont en train de le faire ici
maintenant, et en février ce sera la moisson. Je vais faire des pieds et des
mains maintenant pour apprendre le
javanais, car je veux le savoir pour mieux pouvoir prendre contact avec la
population, c’est si intéressant, pourquoi donc n’en pas profiter. Maintenant
que je sais le hollandais, je vais
chercher un instituteur javanais pour me donner des leçons. Si Buby a le temps,
il fera aussi avec, bien que pour lui c’est surtout le malais qui compte, ayant à faire aux chinois principalement.
Merci des
salutations que tu me transmets. J’ai ri en lisant que tu inscrivais chaque
lettre que tu écris dans ton agenda, car je fais exactement la même chose.
Demain je vais écrire une série de cartes postales pour des vœux de Nouvel An aux diverses
connaissances. Ma foi, je ne peux pas écrire des lettres à chacun, et ceux qui
ne sont pas contents, qu’ils aillent aux pives ! Je vous écris depuis ce
matin à 10 heures, excepté le temps de dîner, et de dormir cette après midi, et
maintenant il est environ 7 heures. Buby a de nouveau filé chez Visser, notre
radio étant là.
Je ne pense
pas que nous pourrons aller passer Noël
à Semarang. La fabrique ne s’arrête pas ici, le bureau ne peut pas fermer
de sorte que Buby ne pourrait prendre que
deux jours au plus vu que c’est aussi la fin du mois. Pour deux jours cela
ne vaut pas la peine, c’est une chasse, surtout que le voyage dure 5 heures, ou
même plus, je ne sais pas exactement. On arrive là, fatigué et on ne peut pas
jouir pleinement, et last but not least, c’est les ronds (argent) qui manquent un peu. J’ai commandé des pantalons et 3
vestons blancs pour Buby, juste le nécessaire. Il faudra que je les paie en
janvier, Fl. 45.--, donc environ Frs. 100.--, pour 3 complets blancs faits sur
mesure. C’est pas trop cher, ou bien ? Enfin, tous nos crans sont serrés
jusqu’en février, et encore toutes ces fêtes en perspective, brrr !
Aujourd’hui
les Engelhart sont venus « rijsttafelen »
chez les Visser, en passant madame E. m’a vite donné une branche d’orchidées,
un gros bouquet de violettes, et trois immenses citrons. Il y a bien longtemps
que nous ne nous sommes vues, alors elle me dit : Quand est-ce que je vous
vois de nouveau ? en disant cela elle m’a regardée avec tant d’affection
que je lui ai sauté au cou. Je vais lui faire un petit napperon en toile de fil
rose que je broderai avec du coton marron. Un patron du Jardin des Modes. Il faut que je lui donne quelque chose à cette
femme, elle représente tant pour moi ici.
Tu
m’annonces une lettre de Charlot, je lui écrirai la prochaine fois….
votre Ge….
Par mon courrier de ce jour il part 8 lettres et 6
cartes postales, dites que je ne travaille pas
P.S. mes chers, j’ai les bleus et une
sale colère.
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La Migros les vend!!! |
J’avais préparé un tas de kroepoek
de différentes sortes, des pistaches spéciales, avec du café spécial ; je
voulais vous en faire un paquet de Noël, quand j’ai voulu sortir tout cela des boîtes
où il faut les conserver : tout est
moisi, la baboe ne l’ayant pas immédiatement mis au soleil après les jours
de pluie. Cela me fiche malheur, car ce sont des choses spéciales que je ne
peux pas acheter ici, ce sont des chinois et des javanais qui en font des
spécialités, il me faut attendre la prochaine occasion. Maintenant je n’ai rien
avec quoi je puisse vous souhaiter un bon Noël.
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