Keboemen
12 janvier 1935
C’est fou,
j’ai toujours plus à vous dire et toujours moins de temps pour le faire.
D’abord un
triple Hurra pour Max et Tatali qui
font de moi une vraie reine de beauté !! J’ai reçu ma robe bleue, un petit
rêve. Elle me va ! c’est fou ! La couleur, le patron des fleurs, tout
est si fin, et encore sans parler de la façon qui est très réussie aussi. Je
regrette seulement de ne pas pouvoir vous remercier directement par ce
courrier-ci, mais vous en saurez la cause. Vous auriez dû voir les yeux de Buby
briller de plaisir quand il a vu sa girly dans cette toilette, c’est vraimement
High life ; et encore ce tootisha que j’aime tant et qui se porte si bien
ici. C’est jusqu’à présent la meilleure étoffe que je connaisse pour les Indes.
J’en suis enchantée, et Buby aussi, c’est formidalbe. Si vous ne recevez pas
encore de lettre, c’est que j’ai reçu ma cheibli
(sa machine à écrire, diablesse en suisse
allemand) seulement hier après-midi, et demain après dîner nous repartons
pour Tjilatjap, pour 2 jours de
nouveau et vraisemblablement nous y retournerons dans 2 semaines environ !
Par suite de toutes ces dédites, l’administrateur de Rangkas qui n’a pas voulu
les annoncer à son personnel, a quitté sa fabrique, de sorte que Mr. Kleyn de Tjilatjap
le remplace. Mme Kleyn, dont je vous ai parlé dans ma lettre précédente, est en
train d’emballer pour le rejoindre. La fabrique de T. est donc sans
administrateur jusqu’à l’arrivée de M. Voskuil, à qui il incombera de régler la
chose. Jusqu’alors, c’est Mr. Erkelen, le comptable, qui fera les tournées d’huile et de coprah, et Buby pendant
ces deux jours, le remplacera à la fabrique. Ainsi nous avons encore deux
voyages en perspective, ce qui m’enchante ! Vous pouvez penser que je ne
vais pas perdre mon temps et profiter d’aller baigner le plus possible. Je ne
sais pas où nous logerons, probablement chez les v.Tinteren ou alors chez
Beerenschot, car les Erkelens ont encore toujours sa mère à lui en visite.
Mes chers,
j’ai tant à vous dire, que vous m’excuserez si je saute du coq à l’âne et fais
un méli mélo.
Chuggou, mon unique frangin, ton cadeau est simplement épatant (un calendrier), nous en avons un
plaisir immense, malgré qu’il ait été plié d’un côté, mais nous l’avons bien
arrangé et remis en état avec soin. Maintenant, il orne notre voorgalery (véranda), la place où nous nous tenons
le plus souvent. Je suis enchantée de ton fin nez pour choisir des cadeaux. Le
nôtre, tu n’aurais pas mieux pu tomber, et il est si joli. Vous êtes au service
(militaire), maintenant, mes deux
frangins, ce que je me réjouis d’avoir vos binettes de nouveau. J’espère que
vous avez un bon temps et que vous n’ayez rien qui vous empêche d’en jouir en
plein. Je vous le souhaite de tout cœur.
Que font
Tipsie et Topsy ? je dois rire quand j’y pense, mais tu verras, comme ces
bêtes te feront plaisir et comme tu t’y attacheras, mais il faudra les soigner,
les baigner à l’eau tiède au moins une fois par semaine, et leur donner de
l’huile de foie de morue dans leur manger, ce qui les empêche de tomber malade.
Papa rira quand il lira ceci, il croit que ce n’est pas nécessaire et dira que
je deviens catholique, mais je t’assure j’y connais plus que toi, maintenant,
sur ce sujet-là. Je suis si contente que tu aies ces petits compagnons, tu
verras comme tu en auras du plaisir. Tu trouveras sûrement une place où les
mettre en pension quand tu pars en vacances.
Les Meyeringh sont venus cette semaine et
ont logé chez les Visser, alors le matin, je trouvais une petite excuse pour
aller chez madame Visser et voir Mme M. La deuxième fois que j’étais là, mad.
V. en a profité pour aller féliciter la Rickshaw, c’était sa fête le 9 courant.
Pendant ce temps que j’étais seule avec madame M. elle en a profité pour me
parler à cœur ouvert sur un tas de choses. Elle m’a en outre fait part de
nouvelles très importantes. Je vous dis, je n’en revenais pas, elle me confiait
à moi comme si je la connaissais depuis 20 ans au moins. Nous avons causé
pendant 2 heures, et quand Mme V. est revenue, en partant moi-même, j’ai invité
Mme M. pour une tasse de thé pour
l’après midi. Elle a accepté avec chaleur, et chez moi nous avons de nouveau
parlé pendant plus de deux heures. Ce sont des confidences très importantes sur
lesquelles je dois encore garder le secret, excepté pour Buby. Enfin, je vous
dis, nous nous sommes tout à fait trouvées. Elle n’est pas du tout aussi poupée
qu’elle en a l’air, ou plutôt dont elle veut se donner l’air. Enfin, mon
instinct à première vue ne m’a pas trompée et la sympathie entre nous est
devenue très très chaude. Elle avait besoin de s’ouvrir à quelqu’un, et je vous dis, l’importance de ses
confidences m’a grandement surprise, j’ai dû être très très diplomatique. Oh,
là, là ! Mais j’ai eu du plaisir tout de même c’est une fois quelqu’un qui
m’a vite et justement jugée. Vous devriez voir comme l’eau a monté chez la
Rickshaw à mon égard maintenant. Elle me regarde comme quelqu’un de supérieur
maintenant et je vous garantis que je vais maintenir cette position maintenant.
Non mais c’est fou tout ce que j’ai appris pendant cette année, l’école n’a pas
été facile, mais elle a été bonne et je dis comme toi, je ne donnerais pas mon
expérience acquise pour tout l’or du monde.
Mes chers,
il faut que je vous en raconte une bonne. Le 9 janvier, c’était donc
l’anniversaire de la Rickshaw. Je ne savais pas quoi lui donner, ne voulant pas
trop dépenser et tout de même faire un cadeau appréciable. A la fin, j’ai
décidé de lui faire une petite blouse selon le modèle que j’avais trouvé dans Sie&Er,
une blouse kimono tout à fait sans coutures. A cet effet, j’ai une fois demandé
à la Ric. si elle venait en ville avec moi, que j’avais quelques emplettes à
faire. Nous allons entre autre aussi dans le magasin de soieries, et là, selon
notre habitude, nous avons foehné (non, comment écrit-on cela ?
feuné ?) et je lui ai dit que je cherchais quelque chose de joli pour me
faire une petite blouse. J’avais trouvé une jolie petite soie lavable, dans la
teinte favorite à elle, et je lui dis : « je crois que je vais
prendre cela. ». Elle fait la moue et continue à chercher. Au bout d’un
moment elle s’amène avec une crêpe de chine grise avec des petites fleurs
rouges, quelque chose de moche dont elle commence à chanter les louanges sur
tous les tons. Entre autre elle me dit : Oh ce que c’est joli, à la fin du
mois je viens sûrement en acheter pour m’en faire une robe, c’est trop beau,
cela, et j’ai un petit col rouge à la maison qui est fait pour cela. Oh, ce que
c’est beau, Nelly, il te faut prendre cela. J’ai fait l’objection que le gris
ne m’allait pas si bien, mais elle a dit, que oui, qu’il m’allait aussi bien
qu’à elle. Bon, je pense, prenons cela, ma vieille, ce n’est pas pour moi, je
m’en fous. J’ai vite fait cette blouse, cousue entièrement à la main, j’y ai
mis tous mes soins, mais vous auriez dû voir sa binette quand elle a ouvert le
paquet ! Elle avait de la peine à cacher sa déception. Vous vous
demanderez peut être pourquoi elle a été déçue ? Mes chers, parce que
quand je sors avec elle acheter n’importe quoi, elle me conseille toujours le
plus mauvais, en bonne amie qu’elle est. Il y avait longtemps que je m’en
méfiais, mais je ne voulais pas encore l’accuser sans preuve certaine, mais
cette fois-ci, c’était la Näggeli la plus fine. Je me tords encore les côtes
quand j’y pense, c’est une si bonne petite revanche, in fine, hein ? En
lui donnant la blouse, je lui ai dit, maintenant tu pourras employer ton petit
col rouge !!! quel petit col rouge ? je n’en ai pas, puis se
rappelant tout à coup, elle a bredouillé ah ! oui, c’est juste, je t’en ai
parlé. J’ai mis toute mon innocence sur ma binette pour la regarder, mais en
dedans, je pouffais de rire, oh, ce que c’était bon ! Maintenant je suis
son maître, mais si vous saviez combien de fois elle m’a attrapée, surtout pour
des choses concernant la vie et le climat d’ici, dont je n’avais aucune idée au
commencement.
![]() |
goerami, type de perche |
Je vais
installer dans ma cour un baquet pour du poisson vivant. Je ne peux pas y
aménager de l’eau courante, mais le kebon la changera 3-4 fois par jour. Il y a
ici un poisson, le goerami (famille des perches, eau douce) qui se
conserve très bien dans un espace relativement petit. C’est le genre des carpes
de chez nous. Cela rend service quand on a du monde inattendu ou quand le
boucher nous joue des tours, ce qui arrive quelque fois.
Mes chers,
je suis au bout de la page, contentez-vous de si peu pour cette fois
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