lundi 15 février 2016







30 décembre 1934

Keboemen

Je vous écris encore une fois à la main cette fois-ci quoique notre machine soit prête, seulement nous attendons qu’elle nous parvienne d’une façon ou d’une autre, vu que M. Visser n’ira pas à Semarang ces prochains temps. J’espère bien que vous aurez reçu le dernier courrier, comme d’habitude, malgré qu’il ait manqué d’un cheveu l’avion à Batavia. Vu que c’était jour de Noël, les trains n’avaient pas de poste, nous n’y avions pas pensé, j’étais toujours de l’idée que Noël serait le mercredi. Enfin, grâce à Liang notre jeune chinois du bureau si dévoué à Oscar, qui a filé à la poste et s’est entendu là pour faire aller nos lettres à Djocja d’abord, ensuite avec le grand express à Bandoeng pour attraper l’avion. J’espère que la combine aura réussi. A Liang, je lui ai fait cadeau de 10 paquets de cigarettes, ce qui m’a coûté 80 cents. Le 24 décembre nous avons écrit jusqu’à passé minuit pour liquider toute notre correspondance de fin d’année. Les Visser fêtaient leur Noël, ou ce qu’ils appellent Noël, n’étant pas du tout croyants, alors ils sont venus nous dire bonsoir dans le cours de la soirée et à minuit, j’ai laissé Buby finir d’écrire et j’ai vite sauté chez eux où la radio jouait et chantait justement Stille Nacht (Douce nuit) depuis la Hollande, pendant que Mme V. finissait de décorer la chambre du pavillon où ils ont passé la fête à cause de Hanny. Alors là, en voyant leur arbre et en entendant ce chant de Noël merveilleusement chanté, j’ai pleuré un petit moment, pas même 5 minutes, cela m’a seulement émue un moment. Enfin, je suis restée un bon moment à écouter une messe de minuit, Buby est venu me chercher et nous sommes rentrés les deux dans notre petit nid, où notre bel arbre nous attendait et un chni énorme de feuillets de lettres qui traînaient partout, heimelig. Cet épisode a été la seule humidité de Noël de votre Ge… qui a passé la fête très bien et très heureuse. Le matin de Noël, nous avons donc eu la chasse à la poste et ensuite nous avons fini de décorer l’arbre et toute la chambre avec vos photos et celles de Linette placée au milieu de beaux lys blancs. Dans l’après midi nous avons reçu un nouveau modèle de radio, le Philips super cathodique qui est très bon. A midi j’avais joliment décoré la table avec de belles fleurs rouges, et le soir, c’était superbe, sur ma nappe jaune j’avais 6 candélabres d’argent, dont deux faits avec les vases en argent donnés par l’oncle Charlie, placés sur mes miroirs de Paris, avec des guirlandes de fleurs rouges et blanches, au bout de la table des chrysanthèmes blancs dans un vase bien décoré de rouge par la Rickshaw et également un arrangement de fleurs rouge et blanc de Mme Visser. L’effet était épatant. Nous avons eu un saumon à la mayonnaise, un plat froid joliment garni, ensuite un poulet avec petits pois extra fins et une compote de fruits. Nous voulions bien nous habiller pour notre dîner de Noël, mais à 7 heures Mr. Visser vient nous demander d’aller boire un verre de bowle. Nous y avons été en robe simple et Oscar aussi en chemise et pantalons, en désappointement ou satisfaction de la Rick. qui était en grand soir. Nous ne pouvions pas partir si vite, de sorte que nous n’avons soupé qu’à 9 ½ h.  et bu à votre santé avec notre Graves. Nous avons allumé notre arbre vers les 10 heures, mais ces verres de bowle à la liqueur et au champagne nous avaient assommés. Je ne pourrais pas vous dire exactement si ou non nous étions stouquettes ! Enfin, nous avons paisiblement regardé notre arbre, bien serrés l’un contre l‘autre, écoutant la radio et nous sentant heureux, reconnaissants et….. fatigués. Le lendemain matin, Buby est allé travailler et moi j’ai eu la visite des Röhwer qui venaient admirer mon arbre qui était le plus beau cette fois-ci. Je lui ai dit que le soir j’allais le rallumer pour Nicky, alors elle me dit, et bien, c’est bon, nous viendrons aussi et après  nous irons chez nous allumer le nôtre. Je me suis dit, mince, voilà que j’aurai toute la clique, j’ai donc fait préparer des sandwichs au foie gras, aux œufs, aux tomates, et pour les messieurs un peu de charcuterie avec cornichons, à prendre sur le pouce. La chambre était bien décorée par Buby, toutes les lumières entourées de papier rouge et sur la table j’avais placé les petites assiettes à bonbons sur des étoiles découpées dans le même papier crêpe rouge. La Rickshaw est venue la première dans une robe du soir rose, copiée sur la mienne, avec toutes ces fronces, tu sais Mamali. Je l’ai complimentée et lui ai dit avec un gentil sourire que la copie avait bien réussi. ! Vous auriez dû voir sa binette pendant quelques secondes ! Oh oui, la petite Woldringh n’avale plus tout ce qu’on lui sert ! Mon apprentissage est passé maintenant, je sais où j’en suis, mais t’en fais pas mamali, je continue à être gentille ! Enfin le vieux Röhwer est venu, puis les Visser, avec forces grimaces et une mine qui n’annonçait rien de bon. Il nous a appris qu’il était arrivé une lettre avec les premières mesures de réorganisation et d’assainissement !!! dont les principales sont des réductions de salaires telles que nous étions loin de nous y attendre.
Röhwer Fl. 450.--, descend à Fl. 275.--,
Visser de 600.--, à Fl. 400.--,
et Woldringh de Fl. 275.--, à Fl. 200.--,
salaire officiel, mais…. Avec un bénéfice sur le pikol (60 kg) de coprah que la fabrique moudra par mois. Visser reçoit 1 cent par pikol, Röhwer ¾ cent et Woldringh ½ cent. Si la fabrique moud normalement, elle avale 20'000 pikol par mois, ce qui nous ferait une remise de Fl. 100.--, en ce cas nous gagnerions au changement, mais il est à douter que cela n’arrivera pas souvent dans le courant de l’année, de sorte qu’il vaut mieux ne pas y compter. Le clou, c’est que si une des fabriques travaille avec perte, comme c’était le cas pour la nôtre pendant cette dernière année, elle sera fermée jusqu’à ce que les prix du coprah et de l’huile lui permette de nouveau de tourner. Pendant ce temps de fermeture, ce seront donc les 200.--, seulement. J’ai immédiatement décidé que notre vie se règlerait sur le salaire de Fl. 200.--, uniquement, sans tenir en compte du surplus possible, chaque fin de mois. Je ne veux pas encore réduire le salaire des domestiques, c’est la mesure la plus facile à prendre, mais à mon avis ce n’est pas là qu’il faut commencer, toutefois mon kebon ne viendra plus que le matin Nous avons dédit le journal ayant chaque soir les dernières nouvelles par radio de sorte que nous partageons l’abonnement avec les Röhwer, ce qui fait une économie de Fl. 200.--, par an, le journal étant très cher ici. Les R. le liront le soir même et nous le lendemain matin. Il ne faut pas croire que toutes ces restrictions nous touchent beaucoup. Bah, aussi longtemps que nous sommes en santé, nous resterons heureux. Il faut encore être content d’avoir du travail et quel travail à l’avenir ! Sur les 5 fabriques, 18 Européens ont été congédiés, il ne doit rester que 4 Européens par fabrique, un administrateur, un comptable, 1 premier et un deuxième machiniste, tout le reste est remplacé par des ouvriers chinois et javanais, bien meilleur marché ! Papa W. nous avait bien annoncé des changements mais nous ne nous doutions pas dans cette mesure. Enfin, nous sommes contents d’avoir notre radio en cadeau, aussi il a bien su ce qu’il faisait quand il nous a fait ce cadeau ! Blockhuis, l’ami spécial de Buby, file aussi, c’était à prévoir ! Ces nouvelles dispositions ont empêché la Rickshaw de dormir à ce qu’elle m’a dit. Il faut qu’elle congédie 2 de son personnel, elle en avait 5 pour eux deux. Ha ! je suis si contente d’être simple et de savoir vivre selon mon porte monnaie, Buby aussi est d’accord avec toutes les mesures que je prends, ainsi notre petite vie continue. Non, il y aura le moins possible d’extras, à part cela, aucun changement à la nourriture, simple mais bon.
Dimanche après midi, 4 ½ h. je viens de me lever de ma sieste. Buby, après dîner, est retourné au bureau, c’est la fin du mois. Nous voulions jouer au tennis mais voilà qu’il pleut. J’ai saisi l’occasion pour me faire belle dans ma robe de laine citron avec la belle ceinture. Quand Buby rentrera, nous prendrons le thé, ensuite nous nous remettrons chacun à nos lettres. Devant ma fenêtre, mes trois bosquets de sureau fleurissent tant et plus, n’est-ce pas drôle pour vous d’entendre cela à Noël ? Je vous ai donc dit que le soir de Noël j’ai reçu un arrangement de fleurs de Mme Visser. Le lendemain quand j’ai voulu écarter le papier pour donner à voire aux fleurs je m’aperçois qu’elles ne sont pas dans de l’eau, mais dans des mouchoirs. J’ouvre le bouquet complètement et je vois un beau vase moderne en étain, rempli par une boîte de cigarettes, trois mouchoirs pour Buby et trois en dentelle pour moi. J’ai eu un grand plaisir, surtout au vase, une chose que je désire depuis longtemps. Il est maintenant rempli de zinias merveilleux, gros comme des dahlias. Je trouve gentil des Visser. A Nicky, j’ai donné un livre d’enfant, une histoire pour petite fille.
Oh ! mes chers, vous allez rire. Cette semaine avant hier, mon kebon vient me raconter une histoire de deux enfants, vers ou dans mon puits, à laquelle je ne comprenais rien. A midi, quand Buby est rentré, nous lui avons fait répéter l’histoire, et il se trouve que jeudi soir, vers les 5 heures, notre kebon a vu deux enfants (2 esprits, fantômes) vers notre puits, une hallucination des esprits comme il dit. Il a presque pleuré en me disant qu’il ne pourrait plus travailler ici, sans quoi il allait mourir, parce que ceux qui voient des esprits meurent  s’ils ne donnent pas de slamatan  (banquet) et que lui ne pouvait pas en donner un, n’en ayant pas les moyens. La fin de l’histoire, c’est que j’ai donné 2 Fl. à la baboe pour qu’elle prépare un slamatan ; c’était donc de la boustifaille pour 10 personnes environ. Vous devriez voir les montagnes de riz et toutes ces bonnes choses de rijsttafel, servies dans de jolies écuelles en feuille de bananier. Il y a aussi 2 paquets de fleurs odorantes, l’un c’est le kebon qui doit le donner en offrande aux esprits, et l‘autre ce sera le prêtre qui viendra tout à l’heure avec les hommes invités. Ils vont prier près du puits pour éloigner les esprits et demander la clémence d’Allah, ensuite le manger leur sera distribué et ils repartiront, et ce qu’il y a de plus beau, ma maison sera purifiée pour une année au moins . Mais je les ai averti que si l’un d’eux se mêlait encore une fois de voir des esprits, qu’il pouvait quitter sa place sur le champ. Le kebon vient de perdre son enfant, ensuite une sœur, le tout en l’espace d’une semaine, et maintenant c’est leur grand temps de jeûne (Ramadan), ils n’osent manger qu’une fois la nuit venue, c’est pour le coup qu’ils sont faibles et ont des hallucinations. Nous n’aurions pas été obligés de donner un slamatan, mais alors je risquais que les domestiques filent l’un après l’autre et que plus personne ne veuille venir travailler dans la maison hantée par les esprits de je ne sais quelle catégorie. Oh oui, nous sommes aux Indes, le pays des mystères. Une fois de plus, nous en éprouvons profondément le charme.
Mes bien chers, c’est Sylvestre aujourd’hui, je pense que vous êtes maintenant une fois de plus réunis et heureux d’être ensemble, et moi je le suis aussi en vous écrivant et en vous envoyant tant et tant de bonnes pensées et de vœux pour la nouvelle année. Que va-t-elle bien nous apporter ? C’est une question qui se pose anxieusement et j’avoue que je préfère la politique de l’autruche. Je ne peux rien changer aux événements, tout de même je ne peux qu’avoir confiance en Dieu et prier pour vous tous. Non ce n’est pas exactement l’exemple de l’autruche que je suis, mais celui de quelqu’un qui se trouve bien dans son petit coin et qui ne veut pas en sortir. Ce n’est qu’à mon propre sort que je préfère penser et à celui de mes si chers à qui appartiennent toutes mes pensées. Je ne veux pas étendre les regards plus loin que par dessus les frontières de notre vie à nous tous, et c’est là aussi que se concentrent tous tous les vœux de mon cœur. A toi, Papali, qu’elle t’apporte le succès que tu mérite cette nouvelle année, mais avant tout qu’elle te conserve en bonne santé, c’est nos vœux les plus chers d’ailleurs pour vous tous. A vous, mes frères, vous que j’aime encore trop, que cette nouvelle années vous mène, ou du moins, vous approche du but au quel tendent vos efforts, et fasse de vous les hommes dont mon cœur de sœur a toujours rêvé. Toi, ma Mamali, tu viens en dernier de la famille, c’est probablement par manque d’affection de ma part. Qu’en penses-tu ?
Eh ! mes chers, Buby vient de rentrer, il est 5 heures pour une tasse de thé il est restée 10 minutes ensuite je lui ai lavé sa figure en sueur et il est reparti au travail. Il reviendra à 7 heures pour souper et baigner et repartira jusqu’à minuit, car, mes chers, le 2 janvier il part pour Tjilatjap (Cilacap) pour 2 jours et moi je l’accompagnerai probablement. Il doit remplacer le comptable là parce que celui-ci ira en tournée à la place de l’administrateur, M. Kleyn, qui, lui même a été appelé de toute urgence à la fabrique de Rangkas, vu que d’après nos déductions l’administrateur de Rangkas n’a pas accepté les réductions de salaire et a dédit, je pense. Enfin, nous saurons l’histoire plus tard. Il est maintenant vers les 9 heures, Buby est retourné au travail, moi je suis ici à vous écrire en écoutant Joséphine Baker chanter. J’ai deux amours etc, un très beau programme de fin d’année, très varié. Sur notre table à côté de l’arbre, sur la belle nappe de dentelles d’Irma, la jolie coupe en vieux saxe remplie de fruits, sur un plateau en argent, les 2 verres, à côté un chandelier avec une bougie rouge et 2 petites paniers d’argent remplis de fruits confits et de petits chocolats. Au milieu, une belle tourte reçue d’un chinois, la girlie dans un beau pyjama à attendre Buby et minuit pour boire à la santé des siens avant d’aller coucher. Il n’y a que la lampe à pied qui brûle, la Stimmung est bien. Ce soir pendant un petit moment j’ai un peu eu les bleus de devoir passer ma soirée seule, je ne peux pas aller au bureau parce que les chinois y travaillent encore, mais demain soir j’irai. Enfin, maintenant que j’ai bien arrangé tout, je jouis de la Stimmung élégante, gaie et heureuse de mon homme et n’ai aucun désir d’être ailleurs. Mes chers chéris BONNE ET HEUREUSE ! VOTRE GE…


Bonjour, nous sommes au matin de Nouvel An, il est 6 heures, et vous maintenant vous vous apprêtez à trinquer, à moins que vous ne soyez tous paisiblement au lit à ronfler. Bonne Année, Mamali, que tu restes en bonne santé, que 1935 soit pour toi riche en tout ce qui rend à la vie la peine d’être vécue. nous avons tellement bu à la santé de vous tous hier soir à minuit, annoncé par les cloches de la cathédrale de Batavia. C’était si joli, si festif, simplement Buby n’en pouvait plus de fatigue, aujourd’hui il a une même longue journée et demain ce voyage et ensuite le même montant de travail à être liquidé dans 2 jours. Il est si content de ta chemise, mais je crois bien qu’il a oublié de t’en remercier. Il ne faut plus envoyer ces chemises-là, elles sont trop chères et de plus on les reçoit ici aussi maintenant. Merci de tout cœur pour ta bonne lettre 66. Je vais tâcher d’y répondre pour le prochain courrier. Je me réservais de t’écrire un bon long bout cette fois-ci mais c’est moi qui ai dû écrire à Papa W. à la place de Buby, alors tu comprends ! Sois contente que je ne sois pas comme tant d’autres à me demander, est-ce que la nouvelle année m’apportera enfin la chance de me marier etc. Je le suis, et tellement heureuse.

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