30 décembre 1934
Keboemen
Je vous
écris encore une fois à la main
cette fois-ci quoique notre machine soit prête, seulement nous attendons
qu’elle nous parvienne d’une façon ou d’une autre, vu que M. Visser n’ira pas à
Semarang ces prochains temps. J’espère bien que vous aurez reçu le dernier
courrier, comme d’habitude, malgré qu’il ait manqué d’un cheveu l’avion à
Batavia. Vu que c’était jour de Noël, les trains n’avaient pas de poste, nous
n’y avions pas pensé, j’étais toujours de l’idée que Noël serait le mercredi.
Enfin, grâce à Liang notre jeune
chinois du bureau si dévoué à Oscar, qui a filé à la poste et s’est entendu là
pour faire aller nos lettres à Djocja d’abord,
ensuite avec le grand express à Bandoeng
pour attraper l’avion. J’espère que la combine aura réussi. A Liang, je lui ai fait cadeau de 10
paquets de cigarettes, ce qui m’a coûté 80 cents. Le 24 décembre nous avons écrit jusqu’à passé minuit pour liquider
toute notre correspondance de fin d’année. Les Visser fêtaient leur Noël, ou ce
qu’ils appellent Noël, n’étant pas du tout croyants, alors ils sont venus nous
dire bonsoir dans le cours de la soirée et à minuit, j’ai laissé Buby finir
d’écrire et j’ai vite sauté chez eux où la radio jouait et chantait justement
Stille Nacht (Douce nuit) depuis la
Hollande, pendant que Mme V. finissait de décorer la chambre du pavillon où ils
ont passé la fête à cause de Hanny. Alors là, en voyant leur arbre et en
entendant ce chant de Noël merveilleusement chanté, j’ai pleuré un petit
moment, pas même 5 minutes, cela m’a seulement émue un moment. Enfin, je suis
restée un bon moment à écouter une messe de minuit, Buby est venu me chercher
et nous sommes rentrés les deux dans notre petit nid, où notre bel arbre nous
attendait et un chni énorme de feuillets de lettres qui traînaient partout,
heimelig. Cet épisode a été la seule humidité de Noël de votre Ge… qui a
passé la fête très bien et très heureuse. Le matin de Noël, nous avons donc eu
la chasse à la poste et ensuite nous avons fini de décorer l’arbre et toute la
chambre avec vos photos et celles de Linette placée au milieu de beaux lys
blancs. Dans l’après midi nous avons reçu un nouveau modèle de radio, le
Philips super cathodique qui est très bon. A midi j’avais joliment décoré la
table avec de belles fleurs rouges, et le soir, c’était superbe, sur ma nappe
jaune j’avais 6 candélabres d’argent, dont deux faits avec les vases en argent
donnés par l’oncle Charlie, placés sur mes miroirs de Paris, avec des
guirlandes de fleurs rouges et blanches, au bout de la table des chrysanthèmes
blancs dans un vase bien décoré de rouge par la Rickshaw et également un
arrangement de fleurs rouge et blanc de Mme Visser. L’effet était épatant. Nous
avons eu un saumon à la mayonnaise, un plat froid joliment garni, ensuite un
poulet avec petits pois extra fins et une compote de fruits. Nous voulions bien
nous habiller pour notre dîner de Noël, mais à 7 heures Mr. Visser vient nous
demander d’aller boire un verre de bowle. Nous y avons été en robe simple et
Oscar aussi en chemise et pantalons, en désappointement ou satisfaction de la
Rick. qui était en grand soir. Nous ne pouvions pas partir si vite, de sorte
que nous n’avons soupé qu’à 9 ½ h.
et bu à votre santé avec notre Graves. Nous avons allumé notre arbre
vers les 10 heures, mais ces verres de bowle à la liqueur et au champagne nous
avaient assommés. Je ne pourrais pas vous dire exactement si ou non nous étions
stouquettes ! Enfin, nous avons paisiblement regardé notre arbre, bien
serrés l’un contre l‘autre, écoutant la radio et nous sentant heureux,
reconnaissants et….. fatigués. Le lendemain matin, Buby est allé travailler et
moi j’ai eu la visite des Röhwer qui venaient admirer mon arbre qui était le
plus beau cette fois-ci. Je lui ai dit que le soir j’allais le rallumer pour
Nicky, alors elle me dit, et bien, c’est bon, nous viendrons aussi et
après nous irons chez nous allumer
le nôtre. Je me suis dit, mince, voilà que j’aurai toute la clique, j’ai donc
fait préparer des sandwichs au foie gras, aux œufs, aux tomates, et pour les
messieurs un peu de charcuterie avec cornichons, à prendre sur le pouce. La
chambre était bien décorée par Buby, toutes les lumières entourées de papier
rouge et sur la table j’avais placé les petites assiettes à bonbons sur des étoiles
découpées dans le même papier crêpe rouge. La Rickshaw est venue la première
dans une robe du soir rose, copiée sur la mienne, avec toutes ces fronces, tu
sais Mamali. Je l’ai complimentée et lui ai dit avec un gentil sourire que la
copie avait bien réussi. ! Vous auriez dû voir sa binette pendant quelques
secondes ! Oh oui, la petite Woldringh n’avale plus tout ce qu’on lui
sert ! Mon apprentissage est passé maintenant, je sais où j’en suis, mais
t’en fais pas mamali, je continue à être gentille ! Enfin le vieux Röhwer
est venu, puis les Visser, avec forces grimaces et une mine qui n’annonçait
rien de bon. Il nous a appris qu’il était arrivé une lettre avec les premières
mesures de réorganisation et d’assainissement !!! dont les principales
sont des réductions de salaires telles que nous étions loin de nous y attendre.
Röhwer Fl.
450.--, descend à Fl. 275.--,
Visser de
600.--, à Fl. 400.--,
et
Woldringh de Fl. 275.--, à Fl. 200.--,
salaire
officiel, mais…. Avec un bénéfice sur le pikol
(60 kg) de coprah que la fabrique moudra par mois. Visser reçoit 1 cent par pikol, Röhwer ¾ cent et Woldringh ½ cent. Si la fabrique moud normalement, elle avale 20'000 pikol par mois, ce qui nous
ferait une remise de Fl. 100.--, en
ce cas nous gagnerions au changement, mais il est à douter que cela n’arrivera
pas souvent dans le courant de l’année, de sorte qu’il vaut mieux ne pas y
compter. Le clou, c’est que si une des fabriques travaille avec perte, comme
c’était le cas pour la nôtre pendant cette dernière année, elle sera fermée
jusqu’à ce que les prix du coprah et de l’huile lui permette de nouveau de
tourner. Pendant ce temps de fermeture, ce seront donc les 200.--, seulement.
J’ai immédiatement décidé que notre vie se règlerait sur le salaire de Fl. 200.--, uniquement, sans
tenir en compte du surplus possible, chaque fin de mois. Je ne veux pas encore
réduire le salaire des domestiques, c’est la mesure la plus facile à prendre,
mais à mon avis ce n’est pas là qu’il faut commencer, toutefois mon kebon ne
viendra plus que le matin Nous avons dédit
le journal ayant chaque soir les dernières nouvelles par radio de sorte que
nous partageons l’abonnement avec
les Röhwer, ce qui fait une économie de
Fl. 200.--, par an, le journal
étant très cher ici. Les R. le liront le soir même et nous le lendemain matin.
Il ne faut pas croire que toutes ces restrictions nous touchent beaucoup. Bah,
aussi longtemps que nous sommes en santé, nous resterons heureux. Il faut
encore être content d’avoir du travail et quel travail à l’avenir ! Sur
les 5 fabriques, 18 Européens ont
été congédiés, il ne doit rester que 4 Européens par fabrique, un
administrateur, un comptable, 1 premier et un deuxième machiniste, tout le
reste est remplacé par des ouvriers
chinois et javanais, bien meilleur marché ! Papa W. nous avait bien
annoncé des changements mais nous ne nous doutions pas dans cette mesure.
Enfin, nous sommes contents d’avoir notre radio
en cadeau, aussi il a bien su ce qu’il faisait quand il nous a fait ce
cadeau ! Blockhuis, l’ami
spécial de Buby, file aussi, c’était
à prévoir ! Ces nouvelles dispositions ont empêché la Rickshaw de dormir à
ce qu’elle m’a dit. Il faut qu’elle congédie 2 de son personnel, elle en avait
5 pour eux deux. Ha ! je suis si contente d’être simple et de savoir vivre
selon mon porte monnaie, Buby aussi est d’accord avec toutes les mesures que je
prends, ainsi notre petite vie continue. Non, il y aura le moins possible
d’extras, à part cela, aucun changement à la nourriture, simple mais bon.
Dimanche
après midi, 4 ½ h. je viens de me lever de ma sieste. Buby, après dîner, est
retourné au bureau, c’est la fin du mois. Nous voulions jouer au tennis mais
voilà qu’il pleut. J’ai saisi l’occasion pour me faire belle dans ma robe de
laine citron avec la belle ceinture. Quand Buby rentrera, nous prendrons le
thé, ensuite nous nous remettrons chacun à nos lettres. Devant ma fenêtre, mes
trois bosquets de sureau fleurissent tant et plus, n’est-ce pas drôle pour vous
d’entendre cela à Noël ? Je vous ai donc dit que le soir de Noël j’ai reçu
un arrangement de fleurs de Mme Visser. Le lendemain quand j’ai voulu écarter
le papier pour donner à voire aux fleurs je m’aperçois qu’elles ne sont pas
dans de l’eau, mais dans des mouchoirs. J’ouvre le bouquet complètement et je
vois un beau vase moderne en étain, rempli par une boîte de cigarettes, trois
mouchoirs pour Buby et trois en dentelle pour moi. J’ai eu un grand plaisir,
surtout au vase, une chose que je désire depuis longtemps. Il est maintenant
rempli de zinias merveilleux, gros comme des dahlias. Je trouve gentil des
Visser. A Nicky, j’ai donné un livre d’enfant, une histoire pour petite fille.
Oh !
mes chers, vous allez rire. Cette semaine avant hier, mon kebon vient me
raconter une histoire de deux enfants, vers ou dans mon puits, à laquelle je ne
comprenais rien. A midi, quand Buby est rentré, nous lui avons fait répéter
l’histoire, et il se trouve que jeudi soir, vers les 5 heures, notre kebon a vu
deux enfants (2 esprits, fantômes) vers notre puits, une hallucination des esprits comme il dit. Il a presque pleuré en me
disant qu’il ne pourrait plus travailler ici, sans quoi il allait mourir, parce
que ceux qui voient des esprits meurent
s’ils ne donnent pas de slamatan
(banquet) et que lui ne pouvait pas en donner un, n’en ayant pas
les moyens. La fin de l’histoire, c’est que j’ai donné 2 Fl. à la baboe pour qu’elle prépare un slamatan ; c’était
donc de la boustifaille pour 10 personnes environ. Vous devriez voir les
montagnes de riz et toutes ces bonnes choses de rijsttafel, servies dans de jolies écuelles en feuille de bananier.
Il y a aussi 2 paquets de fleurs odorantes, l’un c’est le kebon qui doit le
donner en offrande aux esprits, et
l‘autre ce sera le prêtre qui viendra tout à l’heure avec les hommes invités.
Ils vont prier près du puits pour éloigner les esprits et demander la clémence
d’Allah, ensuite le manger leur sera distribué et ils repartiront, et ce qu’il
y a de plus beau, ma maison sera
purifiée pour une année au moins . Mais je les ai averti que si l’un d’eux
se mêlait encore une fois de voir des esprits, qu’il pouvait quitter sa place
sur le champ. Le kebon vient de perdre son enfant, ensuite une sœur, le tout en
l’espace d’une semaine, et maintenant c’est leur grand temps de jeûne (Ramadan), ils n’osent manger qu’une
fois la nuit venue, c’est pour le coup qu’ils sont faibles et ont des
hallucinations. Nous n’aurions pas été obligés de donner un slamatan, mais
alors je risquais que les domestiques filent l’un après l’autre et que plus
personne ne veuille venir travailler dans la maison hantée par les esprits de
je ne sais quelle catégorie. Oh oui,
nous sommes aux Indes, le pays des mystères. Une fois de plus, nous en
éprouvons profondément le charme.
Mes bien
chers, c’est Sylvestre aujourd’hui,
je pense que vous êtes maintenant une fois de plus réunis et heureux d’être
ensemble, et moi je le suis aussi en vous écrivant et en vous envoyant tant et
tant de bonnes pensées et de vœux pour la nouvelle année. Que va-t-elle bien
nous apporter ? C’est une question qui se pose anxieusement et j’avoue que
je préfère la politique de l’autruche. Je ne peux rien changer aux événements,
tout de même je ne peux qu’avoir confiance en Dieu et prier pour vous tous. Non
ce n’est pas exactement l’exemple de l’autruche que je suis, mais celui de
quelqu’un qui se trouve bien dans son petit coin et qui ne veut pas en sortir.
Ce n’est qu’à mon propre sort que je préfère penser et à celui de mes si chers
à qui appartiennent toutes mes pensées. Je ne veux pas étendre les regards plus
loin que par dessus les frontières de notre vie à nous tous, et c’est là aussi
que se concentrent tous tous les vœux de mon cœur. A toi, Papali, qu’elle
t’apporte le succès que tu mérite cette nouvelle année, mais avant tout qu’elle
te conserve en bonne santé, c’est nos vœux les plus chers d’ailleurs pour vous
tous. A vous, mes frères, vous que j’aime encore trop, que cette nouvelle
années vous mène, ou du moins, vous approche du but au quel tendent vos
efforts, et fasse de vous les hommes dont mon cœur de sœur a toujours rêvé.
Toi, ma Mamali, tu viens en dernier de la famille, c’est probablement par
manque d’affection de ma part. Qu’en penses-tu ?
Eh !
mes chers, Buby vient de rentrer, il est 5 heures pour une tasse de thé il est
restée 10 minutes ensuite je lui ai lavé sa figure en sueur et il est reparti
au travail. Il reviendra à 7 heures pour souper et baigner et repartira jusqu’à
minuit, car, mes chers, le 2 janvier il part pour Tjilatjap (Cilacap) pour
2 jours et moi je l’accompagnerai probablement. Il doit remplacer le comptable
là parce que celui-ci ira en tournée à la place de l’administrateur, M. Kleyn,
qui, lui même a été appelé de toute urgence à la fabrique de Rangkas, vu que
d’après nos déductions l’administrateur de Rangkas n’a pas accepté les
réductions de salaire et a dédit, je pense. Enfin, nous saurons l’histoire plus
tard. Il est maintenant vers les 9 heures, Buby est retourné au travail, moi je
suis ici à vous écrire en écoutant Joséphine Baker chanter. J’ai deux amours etc, un très beau
programme de fin d’année, très varié. Sur notre table à côté de l’arbre, sur la
belle nappe de dentelles d’Irma, la jolie coupe en vieux saxe remplie de
fruits, sur un plateau en argent, les 2 verres, à côté un chandelier avec une
bougie rouge et 2 petites paniers d’argent remplis de fruits confits et de
petits chocolats. Au milieu, une belle tourte reçue d’un chinois, la girlie
dans un beau pyjama à attendre Buby et minuit pour boire à la santé des siens
avant d’aller coucher. Il n’y a que la lampe à pied qui brûle, la Stimmung est
bien. Ce soir pendant un petit moment j’ai un peu eu les bleus de devoir passer
ma soirée seule, je ne peux pas aller au bureau parce que les chinois y
travaillent encore, mais demain soir j’irai. Enfin, maintenant que j’ai bien
arrangé tout, je jouis de la Stimmung élégante, gaie et heureuse de mon homme
et n’ai aucun désir d’être ailleurs. Mes chers chéris BONNE ET HEUREUSE !
VOTRE GE…
Bonjour,
nous sommes au matin de Nouvel An, il est 6 heures, et vous maintenant vous
vous apprêtez à trinquer, à moins que vous ne soyez tous paisiblement au lit à
ronfler. Bonne Année, Mamali, que tu restes en bonne santé, que 1935 soit pour
toi riche en tout ce qui rend à la vie la peine d’être vécue. nous avons
tellement bu à la santé de vous tous hier soir à minuit, annoncé par les
cloches de la cathédrale de Batavia. C’était si joli, si festif, simplement
Buby n’en pouvait plus de fatigue, aujourd’hui il a une même longue journée et
demain ce voyage et ensuite le même montant de travail à être liquidé dans 2
jours. Il est si content de ta chemise, mais je crois bien qu’il a oublié de
t’en remercier. Il ne faut plus envoyer ces chemises-là, elles sont trop chères et de plus on les reçoit
ici aussi maintenant. Merci de tout cœur pour ta bonne lettre 66. Je vais tâcher d’y répondre pour le prochain courrier.
Je me réservais de t’écrire un bon long bout cette fois-ci mais c’est moi qui
ai dû écrire à Papa W. à la place de Buby, alors tu comprends ! Sois
contente que je ne sois pas comme tant d’autres à me demander, est-ce que la
nouvelle année m’apportera enfin la chance de me marier etc. Je le suis, et
tellement heureuse.
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