dimanche 28 février 2016







Tjilatjap (Cilacap)

10 février 1935

Je vous écris depuis Tjilatjap, où nous sommes depuis hier au soir. Nous logeons chez les van Tinteren. Vous n’aurez pas une bien longue lettre cette fois-ci mais vous comprendrez, car enfin, je profite d’être ici, d’avoir bon temps et de blaguer tant et plus. A présent nous sommes assises au jardin, et nous écrivons les deux à la maison, pendant que la petite fille  (Beinchen) nous regarde. Elle est grandement intéressée à mon jeu de « piano ». Nous avons fait des commissions ce matin, acheté de l‘étoffe pour une robe de chambre pour Buby, un assez beau tissu couleur bordeaux avec des raies bleues foncées. …dag’ ddada   gu.. voilà c’est la petite Beinchen qui aide à écrire. Ce n’est pas une des choses les plus faciles, mais elle s’en fatiguera vite. Bon, la voilà qui a renversé l’encrier de sa maman sur un beau tapis brodé. Oui, les gosses !!!
Nous sommes arrivés hier après midi vers les 5 heures, et avons rencontré les Röhwer qui étaient en visite ici depuis samedi. Nous avons tous été souper au restaurant chinois, un tas de plats fameux, nous avons bien ri. Après souper, les Röhwer sont repartis à Keboemen, tandis que nous sommes encore restés assis à causer. Ce soir, madame v-T. a été si gentille d’inviter Beerenschot pour souper, ainsi nous serons de nouveau une gaie compagnie, et vous comprenez qu’il n’y aura rien de fait pour écrire. Enfin, vous avez un échantillon de ce que seront mes lettres plus tard je pense. Réjouissez-vous.
Je vais encore écrire à Max pour sa fête, puis à Coen, et aussi à papa Woldringh, car Oscar n’a pas le temps de le faire. Nous n’avons pas encore reçu votre courrier cette semaine. Il paraît que l’avion a du retard, et nous ne recevrons les lettres que mercredi ou demain, mardi soir. Il sera trop tard pour y répondre, cela sera donc pour la prochaine fois.
rivière à Cilacap

Pour cette semaine je n’ai pas beaucoup de nouveau à vous raconter J’ai passé mon temps à la maison, j’ai travaillé à une robe de tennis qui me donne bien du fil à retordre. Elle est en piqué blanc, que j’avais acheté en son temps à Solo avec Jans. Je veux y faire des plis, mais diable, ils ne veulent pas réussir. O flûte, je l’ai fichée dans un coin jusqu’à nouvel avis, quand j’aurai de nouveau du courage pour m’y mettre. Mon rhume et ma toux vont beaucoup mieux, mais je fais encore bien attention. Toutefois, cela me fait du bien d’être ici, cela change les idées.
Oh, il fait si beau ici, j’aimerais que vous puissiez nous voir. Nous deux jeunes femmes assise dans un immense jardin, sous un grand arbre, au milieu d’une immense pelouse, sous un pajong. Il fait une petite brise agréable avec un beau soleil. A tout bout de champ nous avons quelque chose à dire, et je crois que parler va plus facilement qu’écrire, pour une fois. Nous n’avons toujours rien entendu de M. Voskuil. Nous ne savons pas encore quand il viendra à Keboemen.
La semaine prochaine il y a ici réception chez le Regent, peut être que Buby pourra s’arranger à revenir ici, pour que nous puissions y assister. Ce serait une très belle occasion, mais je ne veux pas me réjouir d’avance, il faut toujours et seulement prendre les choses comme et quand elles viennent.  Vendredi soir nous avons eu la visite des Engelhart. J’avais l’intention de vous écrire vite, pour que cela soit fait, mais ainsi nous avons passé une belle soirée à bavarder. Ils m’ont grondée, parce que je ‘avais rien dit quand j’étais seule à la maison. Une autre fois, si je suis encore seule, pendant qu’Oscar doit s’absenter, il faudra que j’aille chez eux, ou elle viendra vers moi. Ils sont toujours très très gentils. Ils nous ont apporté des beaux fruits de leur jardin.
Depuis quelques temps la Rickshaw a l’idée que je ne suis pas aussi heureuse que le montrent les apparences. Cela vient de ce qu’une fois, elle a eu rogne avec son vieux, alors comme moi je l’ai justement rencontrée, elle m’en a causé, j’ai fait de mon mieux pour la remonter. Entre autre je lui ai dit qu’il ne fallait pas qu’elle se laisse aller à des colères terribles vis-à-vis de son mari. Que quand elle avait quelque chose contre lui, qu’il fallait qu’elle se change les idées, qu’elle se calme etc. Pour cela, qu’elle devait aller promener un peu, que c’était aussi ce que je faisais toujours. Alors comme je vais beaucoup promener, vous le savez bien, la bonne Rickshaw a pris cela pour de l’argent comptant, et maintenant elle croit dur comme fer que j’ai chaque fois chicane avec mon Buby quand je vais promener. Cela lui fait un bien formidable, elle est gentille même cordiale avec moi. Elle m’a aussi dit entre autre, oh oui, maintenant que je sais que ce n’est pas tout rose chez les autres gens, même qu’ils ne font que se parler gentiment, je ne m’en fais plus tant et je ne les envie plus tellement. Oscar et moi, nous en rions, et des fois nous nous amusons même à être un peu froid l’un avec l’autre quand ils sont chez nous. Alors cela lui fait du bien, elle en jouit visiblement. Oh, les gens sont bêtes, mais il faut savoir profiter de leur bêtise. Mon Buby et moi, moi et Buby. Pour vivre heureux, vivons cachés, nous en profitons bien.
Ici, chez Mme v.Tinteren, elle a aussi dit, la Ric, oh, quand on pense que les autres gens s’entendent bien, qu’ils s’aiment comme des fous, parce qu’on n’entend jamais de chicanes chez eux, eh, bien il ne faut pas le croire, ils en ont autant que nous, seulement ils ne sont pas assez francs pour le laisser voir. (cette phrase se passe de commentaire !!!) vous voyez ce que c’est moindre.
Vous pensez que sa langue ne s’est pas tue ici, et je me demande bien ce qu’elle a dit sur moi, peut être que je le saurai encore. Pour le moment je me tiens sur mes gardes, comme toujours d’ailleurs. Hier soir, au restaurant, elle n’a pas su se conduire. Elle ne sait pas vivre cette bourrique. C’est seulement maintenant que j’ai pu la comparer à d’autres gens, que je vois comme j’ai été bête de me laisser fâcher ainsi par une bourrique pareille. Oh, mes chers, la vie est si belle quand on a fait ses expériences.
Les Engelhart, que nous n’avons plus vu pour quelques temps, ont trouvé Buby encore un peu plus gros et surtout avec une très bonne mine. Cela me fait plaisir, et à vous aussi, je suis sûre. C’est signe que je le soigne bien. Madame van Tinteren me trouve aussi de si bonnes couleurs, elle en est toute surprise, car elle prétend qu’elle ne pourrait pas être sans se mettre du rouge, vu qu’elle a perdu toutes ses belles couleurs. Mais aussi moi je suis beaucoup plus à l’air que la plupart des gens ici. Ils ont peur du soleil ou qu’il fasse trop chaud. Madame v.T. a été toute surprise ce matin de voir comme il faisait beau d’être assise au jardin.
Et maintenant c’est l’après midi, j’attends que madame v.T. revienne de la salle de bain pour y aller moi-même. Ensuite j’irai encore vite un peu en ville, acheter différentes petites choses et voir pour des souliers Bata pour Buby. Histoire de marcher un peu, car cela me manque.
Demain, j’irai rendre visite à madame Erkelens, histoire de politesse, parce que c’est la femme d’un collègue. Diplomatie, quoi. Eh bien mince, il m’arrive quelque chose que je n’aurais jamais cru possible, mais vraiment, au moment même je ne sais plus quoi vous écrire. Pourtant je suis sûre qu’il y a encore un tas de choses que j’ai à vous dire, mais en ce moment, attendant pour aller à la salle de bain, je ne peux pas me concentrer. Vous ne m’en voudrez pas, et penserez seulement que je suis happy, happy d’être ici, à voir beaucoup de monde, à avoir de belles robes à porter, happy d’être avec mon Buby, qui, lui est aussi happy de m’avoir ici, enfin quoi, happy de tout.
Cette fois-ci donc, je vous envoie (puisqu’il y a de la place) mille bons muntschis à chacun. N’oubliez pas mes soldats. J’ai les photos avec. Tout le monde les admire, j’en ai beaucoup de plaisir. Mes chers, à la prochaine fois. Ciao !



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