samedi 13 février 2016








9 décembre 1934

Käpumän (Keboemen…)


Hip, hip, Hurra ! pour mon Faaather avec ses canetons, oies etc. pour le succès qu’il a eu. J’en suis très très contente, et souhaite de tout cœur que cela rapporte. Mon Fatherli, je suis tellement contente et fière de toi aussi. Je suis bien aise que tu aies eu du plaisir au timbre et naturellement que je ferai mon possible pour t’en envoyer à toutes les occasions. Le deuxième timbre, c’est Oscar qui l’a envoyé à son père qui a suivi toute la course à son radio avec enthousiasme C’est aussi Oscar qui a tâché d’en avoir, de ces timbres, car ils étaient très recherchés.
Mon macaroni, écoute, est-ce que ces diadèmes dont tu m’en as envoyé un exemplaire, sont terriblement chers ? Vois-tu, ton idée a été excellente, le tien ne me quitte plus, c’est si pratique, j’en suis ravie. Faaather, comprends-tu? S’ils sont trop chers, c’est sûr je n’en veux plus, mais, mais… si le prix est abordable, comme je crois me rappeler d’après ce que tu m’en a dit dans un de tes lettres, je te serais très reconnaissante si tu, eh, oui, tu comprends bien, pas ? Vois-tu cette barrette n’a pas besoin d’être magnifique. Achète seulement la plus simple, la meilleure marché. Cela me rend tant de services ici où je marche toujours sans chapeau, les cheveux au vent, et aussi parce que mes cheveux voient si rarement un coiffeur. Avec cette barrette j’arrive bien à dissimuler les défauts des mauvaises coupes. Maintenant je vais les laisser pousser, mes cheveux, pendant 4 mois, pour ensuite pouvoir faire faire une permanente avec boucles. Je pense que je la ferai faire en mai ou commencement juin. Jusque là, je serai très contente des bigoudis de maman. Ach, mes chers, en partant je m’étais bien promis de ne pas tomber dans l’habitude de vous demander un tas de choses à tout bout de champ, et voilà que je le fais tout de même, mais je vous promets de faire mon possible pour ne plus trop vous importuner à l’avenir !!!
J’ai reçu cette semaine la robe de Hedy pour laquelle je n’ai pas dû payer un sou de douane. Je pense que cela provient de ce que la robe était bien chiffonnée et à ces yeux de douaniers, ne représentait pas plus qu’une serpillère de fine qualité ! Heureusement que les douaniers ne sont pas des femmes, car alors je n’aurais pas passé entre les gouttes ainsi. Cette robe aussi me va très bien, je n’ai qu’un petit changement à faire au buste, le reste est parfait et je vais la terminer aussitôt que ma correspondance est au point pour ce courrier-ci. Mais c’est fait comme exprès, maintenant que j’aurais des robes pour les temps froids, il faut beau temps, grand soleil et assez chaud, de sorte que ce sont des robes légères que je dois porter. J’ai été m’en acheter une, c’est à dire l’étoffe pour une petite robe que je vais essayer de faire sur mon buste. C’est une sorte de piqué voile avec un semis de fleurettes, l’étoffe ne me plaît qu’à moitié, mais que voulez-vous, elle revient à Fl. -.40 le coude, ou la coudée (env.50 cm), je ne sais plus comme on dit. Je veux tâcher de l’avoir pour samedi prochain, la fête de Buby. Il est retourné au travail aujourd’hui, il est tout à fait guéri.
Pendant l’absence de Buby, le jeune Blockhuis, un des jeunes gens, celui qui depuis quelques temps travaille au bureau avec Buby et dont je vous ai déjà parlé, je crois, aurait donc eu la meilleure chance du monde de montrer ce qu’il savait en remplaçant Oscar, etc. En tous cas, c’est ce que tout autre jeune homme intelligent aurait fait en pareille circonstance, occasion unique pour gagner des galons. Eh bien, non, qu’est-ce qu’il fait ce nigaud, il en prend à ses aises. C’est donc lui qui devait remplacer Visser quand ce dernier était en tournée comme Buby le fait. Voilà qu’un après-midi V. téléphone depuis Djocja à trois heures environ, et on lui répond au bureau que Mr. Blockhuis n’a pas encore paru. Un autre jour, V. rentre avant 5 heures et veut déposer l’argent apporté dans le coffre-fort, pas de Blockhuis, pas de clef. Monsieur avait filé en ville, au tennis. Il paraît que V. l’a engueulé de la bonne manière et l’a prévenu que la direction serait avisée de sa conduite. Bah, V. pense aussi que B. devra filer à la fin de l’année, ou quand Mr. Voskuil viendra. Il a eu sa chance, il n’en a pas profité, tant pis. Naturellement nous savons nous taire. Nous avions déjà appris la chose par le petit chinois Liang, le meilleur employé de bureau que nous ayons et depuis qu’Oscar lui a aidé avec quelques sous dans une circonstance difficile, il y a quelques temps, il lui est dévoué corps et âme, il  fait tout ce qu’il peut pour nous, Oscar lui aide aussi à apprendre la comptabilité, l’ayant incité à suivre un cours par correspondance. C’est un jeune qui veut avancer, il travaille comme un cheval, très intelligent. Il gagne Fl. 50.--,  par mois, avec cela il est marié, il entretient sa mère et paye des études à son jeune frère qui est à Batavia. Oscar l’aime beaucoup et vice-versa aussi.
Mes chers, je suis assise au jardin, sous mon bel arbre de gedongdong, à l’ombre de son feuillage touffu et de mon pajong (parasol) multicolore, les oiseaux chantent, les insectes ronronnent, les papillons butinent, le ciel est bleu, le soleil brille, les fleurs fleurissent, mes trois bosquets de sureau sont remplis de fleurs, c’est heimelig. 
pajong/parasol

J’ai aussi un beau massif de zinnia de toutes les couleurs qui fleurissent, c’est beau, c’est bon, c’est gai. Tipsie qui veille sous ma chaise. Mais tout cela est bien loin de me rappeler que Noël est à la porte. Nous sommes tout à fait dans une ambiance de Pâques. Mon sapin Wellington que je destine à mon arbre de Noël a cru de 2m pendant cette année. N’est-ce pas fabuleux ? Il y a 4 mois, j’ai dû lui faire couper le bout parce qu’il touchait les fils de téléphone, non de lumière, et maintenant il les dépasse de nouveau au moins de 50cm minimum. Les branches de mon gedongdong aussi touchent par terre tout autour, c’est comme un immense parasol, c’est chic.
Vous savez donc que nous recevons un radio de papa W. nous en sommes très contents. Vu qu’il nous fait ce cadeau nous lui avons demandé si nous pouvions avoir celui de Fl. 275.-au lieu de celui de Fl. 250.--, que nous aurions acheté ! Nous n’attendons plus que sa réponse pour faire de l’avant. Cela sera chic, gare ! Est-ce qu’il va encore le vôtre à la maison ?
Le docteur part donc de Keboemen le 17courant. Le 23 janvier il sera à Bâle, à l’Hôtel Hofer. Hier soir nous lui avons encore une fois demandé sérieusement ce qu’il pensait de nous ici, à cause de mes rhumatismes, etc. Il a dit que cela irait très bien une fois que je serai mieux habituée et que j’aurai fait mes expériences. Il m’a encore recommandé de ne pas prendre de remèdes, seulement d’être prudente en m’habillant, et de vivre sainement, le moins de conserves possible. Enfin, il nous a tout à fait tranquilisés et nous a dit que quand il reviendrait, il voulait avoir du travail de ma part !!! Avec cela il a été 5 ans ici avant d’avoir son premier gosse ! Enfin, vous voyez que tout est pour le mieux. Il n’y a qu’une chose dont je suis moins contente de lui, c’est qu’il a donné à Oscar la pleine permission de fumer ! En entendant cela j’ai fait de gros yeux, alors il a vite ajouté : oui, mais pas exagérer !!!
Et maintenant venons-en à tes lettres. Mon costume de ski, surtout les pantalons de Amrein, fait du Kapoot militaire de mon Faaather, si ce n’est pas trop tard, je ne veux pas que tu les vende. Oh non, je me réjouis tellement de pouvoir les remettre quand nous viendrons en congé, stpl. si ce n’est pas trop tard, ne le fais pas. Ou bien est-ce qu’il te faut absolument cet argent ? Alors, fais-le, je ne veux pas m’y opposer. J’aimerais toutefois avant que tu prennes de décision quant à mes choses, que tu m’écrives d’abord. Mes livres aussi j’aimerais tellement les conserver, tous ceux que j’ai laissés en Suisse, je regrette de ne pas les avoir pris avec. Ayez-en soin au moins, j’y tiens tant.
Tu sais, j’aimerais que tu gardes mes lettres un peu plus longtemps avec toi, au moins jusqu’à ce que tu sois arrivée à me répondre, elles arrivent encore bien assez tôt pour être lues à St Gall. Moi, cela m’embête, car souvent je te demande quelque chose et je ne reçois jamais de réponse. Enfin, c’est pas du tout pour te faire des reproches, oh non, seulement tu es toujours trop vite prête à te sacrifier pour les autres, et ce que tu en as de plus, je puis bien me le penser !
Demain, dimanche, je vais essayer de faire un caneton au four, avec le four à charbon qu’on a ici. Dommage qu’il ne soit pas pratique pour ouvrir et fermer souvent. Tu sais, mon four ici, c’est simplement une grande marmite ronde en fer blanc, posée sur 4 pieds. Alors on met des charbons brûlants dessous et dessus le couvercle
aujourd'hui, au gaz....

Dedans on met la tourte, ou ce qu’on veut rôtir ou cuire. Pour voir si c’est assez cuit, il faut enlever ce couvercle avec une longue tige en fer ou en bambou, pour ne pas brûler à cause des charbons posés dessus. Jans a un grand fourneau électrique, mais moi je ne le voudrais pas, cela va trop long et c’est bien cher. D’ailleurs, comme je vous l’ai déjà écrit, ces cuisines ici sont bonnes pour les baboes qui sont très adroites avec ces feux de charbons et ne sauraient pas avoir assez soin d’un beau fourneau. 
Tu m’as déjà demandé de t’envoyer des cartes postales. Oui, je le ferais avec grand plaisir, mais le photographe qui les a prises n’en a plus. Quant aux photos que Buby doit faire, elles viendront je ne les oublie pas mais il faut attendre le bon moment. Surtout ces photos d’intérieur prennent beaucoup de temps et de préparatifs, pour ajuster la lumière etc. Aussi ce mois-ci je ne peux pas trop faire la bringue à Buby, il a déjà assez sur le dos, et le soir il rentre fatigué et vite énervé. Il n’est jamais comme cela en temps normal, mais quand il a du souci pour son travail, il faut le laisser tranquille. Je cesse aussi de plaisanter en ces moments-là, car il n’a pas la patience. Au fond, cela ne le gêne pas de beaucoup travailler, chacun doit le faire de nos jours, et si longtemps que cela n’attaque pas sa santé, il n’y a pas à s’en faire. Seulement ce que je regrette c’est qu’il n’a pas ces réflexes vifs, tels que nous les connaissons. Après le travail au bureau nous sommes bien fatigués de la tête, nous sommes énervés, nous sommes abattus, alors une bonne heure ou deux de repos nous rend frais et dispos à entreprendre quoi que ce soit, une distraction, une promenade, ou n’importe  quoi appartenant à la joie de vivre. Mon Buby, lui, quand il est fatigué de la tête, il l’est aussi des jambes, après le thé, il n’y aurait pas moyen de le bouger pour une petite promenade ou quoi que ce soit. Les soirées sont si belles ici, et cela donne tant de belles impressions. Mais lui reste assis dans sa chaise avec son livre et rien ne peut l’en tirer. Au commencement, j’essayais quelques fois de le faire, mais maintenant je m’en vais seule jouir de la nature. J’aime tant les étoiles ici, elles sont si grandes et si brillantes, c’est merveilleux. Peut être qu’une fois à une autre place, avec plus de monde qu’il se laissera aussi entrainer. C’est vraiment dommage que les gens soient ainsi formidablement paresseux. Personne ne marche, John et Jans, les v. Tinteren, pas moyen de les bouger pour faire quelques pas à pied. Ils sortent bien, ils font des tours, mais toujours le derrière installé dans l’auto. Peut être qu’une des autres fabriques, dans les endroits plus grands, je trouverai aussi quelqu’un qui partagera mon goût. Oscar n’est à bouger que pour le tennis, ce gamin ! Enfin, c’est la vie, il faut bien s’y faire.
C’est samedi, ce soir, le jour du courrier par avion. Peut être que tout à l’heure je recevrai une lettre de vous, je viens de voir le type du bureau aller à la poste chercher les lettres.
Oui, le courrier est bien arrivé avec ta lettre 77, grâce au padre. Bientôt tu n’écriras plus que « gr.a.p. », pour ensuite tout à fait oublier…  enfin, méchante taquineuse, va, mais enfin, je t’ai aussi taquiné et bien piqué la mouche avec cela, hein ? Merci, merci de tout cœur pour vos bonnes lettres. J’ai aussi reçu l’avis que mon béret est arrivé, je pourrai le faire retirer lundi seulement. Je me réjouis et pourrai encore te laisser savoir comment il me va. Je ne dois payer que 12 ½ cents, afleveringsrecht (taxe de livraison).

Buby a dû retourner au bureau, car M. Visser voulait téléphoner à 8 heures, mais Buby y est resté une heure sans qu’un téléphone arrive. Maintenant il est de nouveau assis ici vers son cher radio. Justement nous avons entendu une conférence de Paris et aussi la Hollande que nous avons eue.
Je vous avais écrit qu’Oscar avait demandé à la direction s’il devait essayer de remettre son service à plus tard parce qu’il y avait si peu de personne à la Mexolie. Nous venons de recevoir la réponse  ce soir, que ce n’était pas nécessaire. Donc c’est assez sûr que nous pourrons aller à Soerabaya en juillet, pour 3 semaines. Cela sera chic, car en outre de sa paye ici, il recevra Fl. 10.---, par jour pour son entretien. Nous allons chercher un petit hôtel bon marché, je prends ma bi-ba-boe avec pour laver notre linge et ainsi nous aurons un bon temps j’espère.
Pour cette époque-là, je dois encore coudre beaucoup, et m’y mettre fermement cette fois-ci. Quand les collections d’été seront sorties, je te demanderai aussi de me faire couper une à deux petites toilettes par Hedy. Peut être un organdi et de la broderie. Tu pourrais peut être m’envoyer des échantillons. C’est sûr que je ne voudrais pas du plus vieux stocks, il faut tout de même que ce soit moderne, de l’année passée si cela se peut. Enfin, il faudrait alors que tu puisses compter sur Hedy, qu’elle dise franchement si cela donnerait une belle petite robe ou non.
Voilà bonsoir, à demain la suite.




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