Tjilatjap (Cilacap)
14 janvier 1935
A la main
Mon bien
cher vieux, gros Macaroni
C’est
inutile de te raconter combien ta lettre m’a fait plaisir malgré la nouvelle des canards qui m’a alors vraiment
attristée. J’ai bien toujours eu un pressentiment dans cette direction-là, mais
j’espérais si fort que je me tromperais (je devrais écrire
« trompasse », mais c’est trop moche ce subjonctif !). Aussi je
comprends trop bien que tu ne peux pas être à Sutz et à Bienne, et si tu as de
l’espoir que les affaires reprennent un petit peu, c’est bien de rester à
Bienne. Tout de même, tant de peine, tant d’efforts, ça me fiche malheur, mais
comme tu dis, on fait ce qu’on peut si ça va tant mieux, sinon tant pis. Cette
philosophie est appropriée aux temps présents et ça aide à les supporter. Je
suis contente d’apprendre que tu peux travailler sans la banque Je sais bien
que ça ne va pas sans grosses difficultés, mais c’est encore toujours mieux que
ces satanées échéances.
Oui, je ne
crois pas que tu puisses déjà compter sur Loulou, si après le service il veut
repartir et qu’il a la chance, il faut le laisser aller, car cela ne peut
jamais lui faire trop de bien et il en profitera toute sa vie. Je peux me
rendre compte presque tous les jours que si quelqu’un de Milex Elem avait un
peu plus été par le monde, on aurait fait bien des choses autrement et mieux,
surtout avec les clients et les conditions de travail ici en Orient, car il y
aurait eu à gagner beaucoup. Maintenant c’est trop tard, tout est gâté par le
Japon et aussi la crise qui sévit aussi
terriblement. Des fois, je
me dis que je voudrais bien retourner 3-4 ans en arrière avec l’expérience que
j’ai acquise pendant cette dernière année, mais c’est des affaires de mon mari
qu’il faut que je m’occupe et bien qu’elle soient d’un tout autre genre, il
faut y en mettre aussi. Ma tâche maintenant consiste à devenir une femme
accomplie, bien diriger sa barque parmi tous les écueils qui se présentent.
C’était un terrain rude que j’ai eu à travailler mais j’ai beaucoup appris et
grâce à l’aide de Buby pour une grande partie, je sors victorieuse. Pourvu que
la crise ne nous joue pas de plus mauvais tour encore, alors nous pouvons être
plus que contents. Nous sommes de nouveau ici pour 2 ½ jours, et le 20 courant,
dimanche prochain, nous y reviendrons. C’est donc une vie un peu en l’air ces
derniers temps, ça me va, et tant
que je peux tenir mon budget en équilibre, malgré ces frais, j’en jouis sans contrainte.
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plage près de Cilacap |
Ce matin,
j’ai fait une longue promenade au bord de la mer, c’était magnifique. Les
pêcheurs étaient en train de retirer les filets, pendant que sur la grève, il y
avait un vendeur ambulant qui avait tout l’attirail nécessaire pour apprêter le
poisson sur place. Un peu plus loin, quelques hommes, femmes et enfants
portaient des offrandes (des fleurs) et disaient leurs prières à Kidoch (Nyai Roro Kidul, Queen of
the south sea of Java) le dieu de la mer.
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Ratu Kidul |
Je n’ai pas baigné, étant seule,
demain il y aura peut être des dames et enfants européens, alors je me joindrai
à eux. Les v.Tinteren ont leur
petite fille malade, de sorte que nous n’avons pas pu loger chez eux, et sommes
à l’hôtel aux fines herbes.
Tu es un
chou d’avoir fait cadeau d’une lampe à maman. Ca fait si plaisir un
cadeau ; n’oublie jamais que les cadeaux entretiennent l’amitié. Merci
aussi de tout cœur pour les barrettes qui seront grandement appréciées. La
première ne quitte pas ma tête, excepté pour dormir. C’est fantastique ce que
je l’aime, elle me permet aussi de bien arranger mes cheveux, malgré qu’il leur
faudrait le ciseau du coiffeur. Il faudra aussi que j’en fasse une photo. Oui,
je vous en promets toujours et ne tiens jamais parole. C’est que je ne trouve
ou plutôt ne peux jamais prendre le temps nécessaire pour démêler tout mon
chni, mais il faudra bientôt que je te fasse un envoi de timbres, ils
s’amoncellent, je ne peux plus fermer ma boîte. Oui je reçois toujours
régulièrement le Journal du Jura, et
j’ai déjà écrit une lettre (aux Gassmann,
propriétaires) ou deux de Keboemen en y mettant un mot aimable à cause du
Journal. Il me semble que c’est assez pourtant, pas ? Oui, je suis
toujours contente d’avoir le Journal,
pas seulement pour les feuilletons que je peux lire en paix puisque je les ai
seule pour moi, mais j’aime bien savoir tout ce qui se passe au patelin. Je
t’assure que j’apprécie le Journal ici plus qu’à Bienne ! Par économie,
nous avons maintenant notre quotidien ensemble avec les Röhwer. Tu sais ici on
ne se gêne pas de s’arranger pour faire des économies, il n’y a pas de
« ça ne se fait pas », etc, entre Européens. Plus je suis ici, plus
j’aime la vie des Indes, tout est si simple et si naturel..
Oui, il y
a bien des choses que je voudrais encore savoir, mais au moment même cela ne me
vient pas à l’idée. Ah ! oui, est ce que tu peux donner un peu de paye à
maman ou est-ce qu’elle donne encore toujours de son argent, elle ne doit
pourtant presque plus en avoir ? Ecris-moi là-dessus, mais ne me fiche pas
de blagues, hein ? Elle n’a pas besoin de savoir que je l’ai demandé, car
alors elle te fera sûrement venter !!!
Ach, je
pense si souvent à vous, mais le mieux que je puisse faire pour le moment,
c’est de bien me tenir en équilibre moi-même de sorte que vous n’ayez aucun
souci de mon côté. Alors ça, vous pouvez être plus que tranquilles tant du côté
santé, bien être matériel et moral. Tout va bien, seulement comme Oscar aime
toujours lire mes lettres à vous je ne veux pas trop chanter ses louanges, il
ne faut pas trop leur monter le cou, à ces hommes. Maintenant il vient de
partir au travail, et moi après avoir expédié mon courrier j’irai au bord de la
mer.
Macaroni,
je t’embrasse, je te chnutsche (serre) bien fort et de tout cœur,
toujours
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