1935
7 janvier 1935
Keboemen
Une fois
de plus vous m’excuserez si ma lettre n’est pas assez longue. Ce ne sera pas
parce que je n‘ai pas beaucoup à vous raconter, diable non, mais c’est tout
simplement la faute à vous deux, Max et Tata. En rentrant de Tjilatjap (Cilacap, côte sud de Java), où j’ai passé 2 jours magnifiques, je
trouve quelque chose de plus magnifique encore quelque chose de soyeux, de doux
de gai, et surtout de tellement bienvenu, et ce quelque chose m’a occupée
samedi et hier toute la journée. Oh, ce qu’elle est jolie cette robe j’en suis
enchantée. Oscar aussi la trouve très très bien. Je l’ai immédiatement essayée
et comme il n’avait aucun changement à y faire je me suis mise à la coudre
d’abord par pur plaisir, malgré notre courrier à liquider, et ensuite parce que
nous avons appris que les Meyeringh
arriveraient dimanche, donc hier. J’étais ravie d’avoir une si jolie robe à
mettre, maintenant elle est prête et pend dans l’armoire jusqu’à cet après
midi, pour le thé. Je l’ai terminée pour la porter sans manches, sans quoi elle
n’aurait pas été prête. Demain, quand cette lettre sera partie, je vais prendre
le patron de la manche, et ensuite je les terminerai et les poserai. Il faudra
que Buby en fasse une photo, elle me va si bien. La ceinture, je l’ai finie
avec les bouts de soie orange, qui étaient à ma robe de crêpe beige, vous vous
en rappelez sûrement, elle avait des bouts orange à la ceinture et au
décolleté. Comme la robe est en 1000 morceaux, elle se déchire rien qu’à la
regarder, je n‘ai pas eu de regrets à défaire ce qu’il me fallait, et ma
nouvelle robe est épatante avec. Je la porte avec le décolleté dans le dos, le
pli retombant comme un capuchon, et devant j’ai mon grand médaillon en or. Ca
fait très bien ! Tatali et Max, je vais vous écrire la semaine prochaine,
il ne me reste plus assez de temps cette fois-ci. C’est aujourd’hui le nouvel an javanais et seul jour où les
domestiques demandent congé. Je le
leur ai aussi accordé l’après midi et la soirée. Ce matin, la baboe a fait un bon pudding au pain pour notre
souper. Elle est gentille, demeure tout près d’ici, elle est vite venue faire
le thé. On devient gâté ici, il semble que plus on est sévère avec eux, plus
ils ont du plaisir à travailler pour nous. Vous comprenez que cette vie ici
tourne la tête à bien des petites femmes qui, en Hollande n’avaient pas la vie
si rose.
Oh, notre
radio joue toujours des opérettes ! et des valses, c’est si gai, et ma
nouvelle robe me va si bien.
Maintenant,
notre visite à Tjilatjap.
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Tjilatjap et l'île de Nusa Kambangan |
Un succès
sur toute la ligne surtout pour moi qui ai eu un immense plaisir. Le 2
janvier après dîner nous sommes partis en auto avec Mme Visser et Nicky, qui
profitaient de l’occasion pour faire une visite à Mme Kleyn, femme de
l’administrateur. Partis à 1 heure nous sommes arrivés là à 3 ½ heures après
avoir passé une très large rivière sur un ponton en bambou, autos, gens, le
diable à quatre et son bain. C’était bien, dommage que j’avais oublié notre
appareil, vous n’aurez donc pas de photos. Arrivés là, Oscar a été directement
au bureau de la fabrique, où j’ai fait connaissance avec le comptable, M. Erkelens, un jeune homme de l’âge de
Buby. Nous avons laissé Buby là pour se mettre au courant et Mme V. a été chez
Mme Kleyn, pendant que moi j’allais à l’hôtel. Une fois mes bagages déposés,
j’ai rejoins Mme V. chez Mme Kleyn. Cette dernière était au lit avec de la
malaria soit disant, mais je n’en suis pas très sûre de cela. Mme K. a mon âge,
je crois, grande, un peu grosse, avec des cheveux merveilleux mais… ils sont
rouges !!! Elle ne m’est pas spécialement sympathique, un peu bête et
l’aspect pas trop propre, elle doit lire
des livres sales. Grâce à mon
expérience, acquise avec mes deux chèvres d’ici, je me suis rendu compte
qu’elle aussi se gênait devant moi. Je me suis pourtant donné bien de la peine
à paraître bé-bête, et à être gentille. Je ne suis restée qu’un quart d’heure,
ensuite Mme V. est repartie à Keboemen et moi j’ai marché au bureau, chercher
Buby. Erkelens nous a amené chez lui pour une tasse de thé. Sa femme est
petite, bien bâtie. Nous avons ensuite fait un petit tour en auto par
Tjilatjap, et mes chers, je me suis crue à Sutz pour un moment.
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Prison haute sécurité |
Tjilatjap est situé au bord de la mer,
mais à environ 300 m de la côte, se trouve une
île (Nusa Kambangan, avec une
prison haute sécurité) comme le Jolimont (à Erlach/Cerlier), qui a 60 km de long.
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Plage de Tjilatjap 23.11.2013 |
Vous voyez que cela fait
donc tout à fait l’impression d’un lac paisible. C’est un merveilleux port
naturel dans lequel abordent les grands bateaux. Il y en avait justement un de
Chine et on fouillait les matelots et les coolies jusqu’à la peau à cause de l’opium ! J’ai vu le coucher du
soleil, sur l’eau tranquille il y avait des bambous qu’on pouvait prendre pour
des roseaux. Enfin, j’ai eu un immense plaisir. Le lendemain matin, vers les 8
heures, j’ai refait le même tour à pied, tout en allant au bureau apporter le
déjeuner à Buby. Il devait donc remplacer le comptable Erkelens qui faisait une
tournée de 2 jours à la place de M. Kleyn. Ce dernier ayant été appelé
d’urgence pour un remplacement dans la fabrique de Rangkas. Là au bureau, j’ai
fait la connaissance de van Tinteren,
le machiniste. Un jeune homme de l’âge de Buby également, très sympathique. Il
nous a invités pour le thé dans la soirée. A midi, nous avons donc dîné à
l’hôtel, puis Buby est retourné au travail et moi je suis allé dormir. A 6
heures j’avais ma belle robe blanche, en broderie, avec mon cape jaune sur le
bras. En arrivant chez les v. Tinteren, j’ai eu une nouvelle surprise en
faisant la connaissance de Mme. Elle ressemble très fortement à Kitty. Une
vraie hollandaise, grosse, jeune, sportive, naturelle, enfin Kitty, quoi. La
sympathie a été réciproque et j’ai beaucoup joui de ma visite. Il y avait
encore un couple en visite, plus 1 monsieur, avec sa mère et ses deux enfants
qui logeaient chez les v. Tinteren pour quelques jours. C’était du monde
sympathique, des gens qui savent vivre, savent parler, causer, enfin avec
lesquels je me suis tout de suite trouvée à l’aise et dont, je crois, j’ai
aussi fait la conquête. Vers les 8 heures, Mme v.Tinteren devait mettre au lit
sa petite fille et les deux enfants en visite, alors j’ai aidé comme si j’étais
à la maison. C’était un petit Max que j’ai déshabillé, lavé et fourré au lit,
comme les gosses à Sutz. Le lendemain matin, à 8 heures déjà, j’étais de
nouveau chez eux, je leur ai aidé à déjeuner, puis nous sommes tous partis pour la plage. Mme v.Tinteren
m’a prêté un costume et j’ai aussi baigné avec les gosses, leur papa divorcé,
et leur grand-maman. C’était épatant, l’eau était chaude, il y avait des vagues
comme à St Malo, un air exquis qui ne lassait pas sentir la chaleur du soleil.
J’ai fait des châteaux de sable avec les enfants, j’ai couru, je me suis amusée
comme une folle. Oh ! il a fait
beau ! J’en suis revenue bronzée comme un nègre, j’ai eu un petit coup
de soleil, mais je ne pèle pas, j’ai tout de suite mis de la pommade, j’ai
pensé à toi, je ne voulais pas
être aussi … nigaude. Oh, mais ce que ce bain a été bon, j’en joui encore à
l’heure qu’il est. L’après midi
j’ai été dormir comme un loir. A 5 heures, un ami d’Oscar est venu prendre le
thé à l’hôtel avec nous. C’est un jeune homme qui a été en pension avec Buby à
Nijmegen pendant que leurs parents étaient aux Indes. Il s’appelle Beerenschot, il a été 8 ans aux Indes
déjà, il est de quelques années l’aîné d’Oscar et pendant ces 8 ans il a trimé
et ne s’est jamais accordé de plaisir hors de ce faire un beau home dans lequel
il pensait conduire la jeune fille avec qui il s’était fiancé avant de partir.
Quand, après 8 ans, il est revenu en Hollande, la jeune fille, qui n’avait
jamais cessé de correspondre avec lui, lui a dit qu’elle ne le suivrait pas.
Vous pouvez penser dans quel état il est revenu. Maintenant il une belle auto
et fait un peu la vie, mais il est malheureux tout de même. Nous avons aussi
été un moment chez lui, puis sommes allés ensemble chez les Erkelens souper.
Nous avons bu une bouteille de champagne qu’ils avaient reçu de cadeau d’un
chinois. Enfin, il a bien fait beau et la conséquence, c’est que j’aurai toute
la bande à Keboemen une fois. Cela ne me fait rien, c’est des jeunes, ça amène
de la vie, et ils ont la même paye que nous. Il y a donc pas à se gêner ni à
faire du chiqué. Le samedi matin nous avons encore vite été dire adieu à tout
le monde et sommes repartis pour Keboemen-les-bains avec l’auto de la fabrique
de Tjilatjap. Nous sommes partout invités à venir passer des week-end, aussi Mme Kleyn nous a
invités, mais cela ne me plaît qu’à demi. Enfin, on verra, nous pouvons aussi
aller loger chez Beerenschot. Vous voyez que nous avons eu un bel anniversaire
de fiançailles. Vous avez sûrement autant pensé à nous comme nous à vous et au
beau jour et à la belle soirée du 5.
Merci de
tout cœur de votre lettre 67 !
Je suis si contente que vous ayez passé un si bon Noël, vous ne pouvez pas vous
figurer ce que votre lettre à tous m‘a fait plaisir. Oh oui, je peux bien me
représenter cette atmosphère de Noël, et j’espère bien la revivre encore
souvent plus tard.
Chuggou,
Chuggou, je suis si contente des bonnes nouvelles que je reçois sur ton compte,
et mes deux Fratellini. En revenant de Tjilatjap samedi matin, le 5 janvier,
j’ai pensé à mes deux piou-pious, nous en avons parlé dans l’auto. Bientôt
j’aurai une photo, pas ? Faaather, mon cher vieux macaroni pissoeil, tu es un chou de m’envoyer de
nouvelles barrettes, toutes les femmes me les envient ici, et cette première
que tu m’as envoyée ne me quitte pas ; c’est la première chose que je mets
le matin et la dernière que j’enlève le soir. Enfin, mes chers, vous me comblez
et me gâtez comme toujours. Je dois rire que vous ayez aussi une paire de Tip-Top.
C’est tordant. Mais maman, il te faut les soigner, les laver, surveiller leur
nourriture, en deux mots ne pas les traiter comme feu Falot, Finaud etc. Oui, oui,
Rosalinde-Insulinde! Enfin, je suis heureuse que ces jours de fête aient bien
passé chez vous comme chez nous. Maintenant c’est le travail et la vie
régulière qui ont repris. Oscar est de nouveau excessivement occupé avec la
nouvelle réorganisation à introduire. Il tient à le faire lui-même et à en
avoir fini le plus tôt possible. Mes chers, j’ai maintenant mon vélo en bon état. Vous savez que
les Engelhart me l’ont donné, je l’ai fait repeindre, 1 pneu, 2 chambres à air,
1 filet, démontage et révision complets, le tout pour Fl. 3.35, soit environ Frs.
7.--. N’est-ce pas chic ? Je vais donc recommencer à aller en vélo, mais
il faut que je rapprenne.
Lundi matin :
A Tjilatjap nous avons eu l’occasion de changer notre chic bleu (SFr. 100 voir lettre 16.12.34), cela
nous a donné Fl. 48.50, qu’Oscar
surveille bien soigneusement dans son compte privé. Le sale type ! Mais
sans cela on s’entend bien.
Mes chers,
je dois vous quitter en vitesse Buby est justement appelé à faire quelque chose
à la fabrique et je dois finir sa lettre à papa Woldringh. Il ne reste presque
plus de temps à bientôt, une plus longue épître quand j’aurai de nouveau une
machine.
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