16 décembre 1934
Käpumän (Keboemen)
Mes bien
chers,
Voilà, il
est passé ce grand jour ! (15.12
anniversaire de Oscar). Il s’est très bien passé aussi. Tantôt je vais vous
en donner une description détaillée, mais avant tout je voudrais vous
remercier, vous embrasser mille et mille fois pour le merveilleux cadeau que
vous avez joint à la lettre, comme cela sans rien dire,… ni mentionner pour
lequel des deux !!! Comme vous pouvez penser, cela a donné du rouspétage,
je crois même que c’est pour cela que vous n’avez rien dit dans votre lettre. A
la fin, d’un grand geste généreux j’ai décidé qu’il appartiendrait tout à fait
à Buby puisque c’était pour sa fête
que le charmant billet bleu (SFr 100.-)
était venu, mais…. Car il y a toujours des mais dans les belles histoires,
qu’il ferait bien de l’employer pour un cadeau pour moi. Ainsi l’église reste
au milieu du village et vous pourrez voir que je suis encore bien la même… pour
tirer des carottes ! Nous en avons eu un plaisir fou, surtout Buby qui n’a
absolument plus de sous dans son privé, les ayant dépensé pour ma fête, tandis
que moi, il me reste encore les Fl. 50 de papa W. ainsi nous sommes quitte, et
je trouve votre idée excellente, mes chers chéris de mon cœur, vous êtes
toujours de la même bonté insurpassable. Inutile de vous dire le plaisir de
Buby, il vous le dira lui-même à la prochaine occasion, je pense. Eh, bien, sa fête
s’est bien passée. Le matin j’ai été le réveiller avec un beau vieux fer à
cheval que j’avais vite garni de quelques fleurettes. Je le lui ai balancé sous
le nez pour le réveiller, et avec mes bons vœux je lui ai aussi donné un
télégramme venu le jour avant de Laren (Hollande).
Je l’avais ouvert soigneusement pour m’assurer que c’était bien un télégramme
de fête, puis recollé et Oscar a eu le plaisir entier. Il a aussi eu un énorme
plaisir à la lettre de Loulou qui était arrivée le soir avant et que je lui ai
donnée le matin au réveil, comme premiers cadeaux. Ensuite il a été au travail
et à 9 heures quand il est revenu, son bureau était couvert d’une belle chemise
de soie (qu’il a voulu mettre tout de suite pour toute la journée) un beau
pyjama dans les teintes brun-orange. J’avais acheté l’étoffe à Semarang avec
Jans, et l’ai fait faire ici par mon homme en journée, le tout m’est revenu à
Fl. 8.50. Plus ce pyjama, il y avait une boîte de cigarettes, une petite boîte
de cigares, de belles sandales en cuir vernis pour la maison et le pyjama, un
immense bouquet de zinnia merveilleux, du jardin, et d’autres fleurs, et…. une grosse caisse de radio. Nous en
avions donc un à choix, mais le son ne nous plaisait pas, alors nous l’avons
retourné et demandé un autre appareil à choix également. Nous ne pensions pas
recevoir un second choix, mais voilà qu’un second appareil arrive justement le
jour de sa fête. J’en jubilais. Nous avons vite vite fait le nécessaire pour
qu’ils viennent poser le courant, pour avoir de la musique le soir. Il y avait
encore une tourte au rhum, farcie de confiture aux abricots, glacée au sucre,
garnie d’amandes et portant l’inscription en chocolat : Happy returns,
Dear ! Nous avons déjeuné sur
une nappe bleue, le cadeau d’Ir, parsemée de fleurs oranges. A la place de
Buby, une deuxième tourte, un cake, avec Bonne
Fête 1904 – 1934.
Hurrah,
attendez un peu, je viens de recevoir un paquet avec le Bettjackli ! (petite
jacquette, liseuse)
Mamali, tu
es une fée, je ne sais pas comment tu fais. Je m’attendais bien à quelque chose
de joli, mais si beau, si fin, si ravissant que cela, jamais. J’en suis folle
de plaisir, c’est sûr que cela ne restera pas un Bettjäckli uniquement. Cela
ira aussi merveilleusement sur des robes assorties. Et mes bigoudis, ce que je suis contente de les avoir ! J’ai mon
Jäckli devant moi, je ne me lasse pas de le regarder, la couleur en est si
jolie aussi, et le modèle, c’est fou. Je te dis, tu es une fée… Oh, j’en ai
tant de plaisir, et de penser que c’est toi, qui l’a fait, tes mains de maman,
tendrement dévouées!
Mais je
dois revenir à ma description, sans quoi il sera soir sans que j’aie terminé ma
lettre et vous aimez pourtant aussi avoir des nouvelles, surtout que j’en ai
assez cette fois. Donc, j’ai fait deux
tourtes pour Buby, parce que la
première, la baboe me l’a gâtée en la cuisant, et moi aussi en la faisant
déjà. J’ai voulu essayer quelque chose, je ne peux jamais me tenir à une
recette, il faut toujours que j’essaye de changer, et alors adieu la
réussite ! Enfin, elle est mangeable, mais pas comme elle aurait pu être.
Zut ! La seconde a très bien
réussi, mais c’est la baboe qui n’a pas encore le coup pour chauffer le four
avec la bonne quantité de charbon. Il faut en prendre l’habitude. Pourtant
cette 2ème a été mangeable et appréciée aussi, elle avait seulement
un côté moins bien monté que l’autre, ce qui provenait de trop de feu (un trop
gros morceau de charbon) d’un côté et pas assez de l’autre. Enfin, pour midi,
j’ai fait faire une rijsttafel, car
j’attendais John et Jans, une surprise
pour Buby. Ils sont arrivés à 4 heures de l’après midi, John est tout de suite
allé dormir jusqu’à 5 heures pendant que Jans et moi avons bavardé. Alors Buby
est venu et a eu du plaisir à les voir. Entre temps le courant a été installé
et nous avons eu de la musique. Nous avons pris le thé, nous avons bavardé,
nous avons joui d’être ensemble. Oscar est venu me dire que la petite Hanny
était bien malade. J’ai vite couru chez les Visser pour voir un papa et une
maman terriblement tristes et anxieux, la petite pleurait, elle avait la
dysenterie, par infection d’une mouche paraît-il, mais moi j’ai plutôt pensé
que c’était des dents. Enfin, monsieur tremblait, il avait des larmes dans la
voix, c’était pénible. Dr. Vonk venait de quitter le matin pour Batavia, où il
s’embarque sur le Poelau Bras (nom du
bateau). Il ne reste plus ici que le Dr. Peddemors, c’est lui qui a soigné
le petit garçon des Visser, et auquel madame reproche la mort de son fils. Vous
pouvez vous penser l’anxiété des Visser, ils ont immédiatement fait venir un
médecin de Djockja, avec Dr. Peddemors et un jeune Dr. tout frais de Hollande.
J’y suis encore retournée le soir tard, l’enfant allait un peu mieux. Moi je ne
me suis pas gênée de dire à madame V. que cette enfant était terriblement
nerveuse, parce qu’enfin, elle a passé la maladie de Hans, le deuil, et toutes
les tristesses de madame qui ne peut pas se remettre de la perte de son fils.
Je n’ai pas encore d’enfants, mais il me semble presque que j’en sais plus à ce
sujet qu’elle. Vous voyez cela nous tracasse aussi, nous avons eu de la peine à
nous mettre dans l’ambiance samedi soir, surtout moi qui avait vu Mr. V et
madame pleurer et sangloter. Enfin, avec un petit verre de porto et les
messieurs des Bols, nous avons passé un bon moment. Chacun à son tour a été
baigner, les messieurs se sont mis en pyjama, Buby était vraiment laid
dans le sien, cadeau du matin, Jans et moi avons mis des petites robes un peu habillées.
Nous avons encore bu, et sur ces entrefaites, le dîner était prêt. J’avais mis
ma nappe jaune, mes miroirs de Paris, sur lesquels j’avais arrangé une haie de
petites fleurs roses, on les appelle des larmes de mariée. Je ne peux pas les
comparer à quoi que ce soit chez nous. C’est une plante grimpante comme la
vigne vierge, et près de chaque feuille se trouve une petite branche de fleurs
roses ou blanches. Cela ressemble
assez à ces décorations que l’on voit souvent dans les salles de bal, des grandes
branches auxquelles les gens piquent de petites fleurs en papier rose. Enfin,
bref, l’effet était très joli. D’abord nous avons eu mon cocktail de fruits qui
était fait d’un fruit auquel John ne touche jamais, mais il l’a trouvé
tellement bon, qu’il a presque bouffé le verre avec. No 2, une omelette aux
rognons dans laquelle j’avais oublié de faire mettre les champignons achetés
exprès pour cela. Elle était bonne tout de même et John l’a aussi finie, à mon
grand plaisir. Ensuite nous avons eu des asperges à la Hollandaise. No 4, un
caneton avec de la compote. No 5, un Jelly pudding anglais, dont j’avais reçu
deux paquets de Margot. Je l’ai servi avec de la crème Nestlé. Nous avons pris
le café avec cake au salon. Tout le dîner s’est bien passé, le djongos n’a pas
trop fait la bête, grâce à toute une semaine de conseils, d’ordres et de
remontrances. La baboe a bien réussi aussi ce qu’elle avait à faire. Je l’ai
laissée faire toute seule, ne mettant jamais les pieds à la cuisine pour ne pas
l’énerver. Au fond, j’avais bien composé mon dîner de manière à lui donner
aussi peu à faire que possible, ce dont vous pouvez vous rendre compte
d’ailleurs. Enfin, John et Jans en ont été enchanté, Buby aussi, ce qui m‘a
fait le plus plaisir. John à la fin ne se contenait plus d’admiration, et m’a
fait un discours vraiment bien. Il a voulu boire à ma santé, nous l’avons fait
avec du sherry. Au salon, nous avons fini par nous asseoir à la lueur d’une
bougie, comme au bon temps d’étudiant. Chacun étendu, assis à son aise, à
écouter de la musique tzigane, du jazz, et à la fin, le Kaiserwaltzer. Nous
avons dit des witz, souvent Jans et moi ne comprenions pas alors les hommes de
rire comme des fous, cela leur allait ! Dans la soirée j’ai encore pu
présenter un plat de charcuterie, avec des cornichons, du formage, etc. Oh,
c’était bien. Nous sommes allés nous coucher à 1 heures heureux et contents.
J’ai eu du plaisir à Buby pendant toute la soirée. Il était là, assis dans son
fauteuil, tournant à son radio, ses lunettes brillant à la lueur de la
chandelle, et montrant tous les diables de ses yeux, sa bouche d’une oreille à
l’autre de contentement. Il disait rarement un mot, mais son cadran luisait de
plaisir. John, lui, s’est mis à chanter, et à pousser des hurlements de plaisir.
La lune regardait par la fenêtre, les arbres bruissaient, le ciel était bleu,
et la bougie projetait à la paroi des ombres immenses des bouteilles de Bols et
de Porto, placées sur la table devant elle. De la Stimmung ! Bien sûr,
nous avons pensé au bon vieux temps, à l’Europe, à la maison, mais de notre
côté, sans tristesse, sans l’ennui, seulement avec une tendre affection. Le
lendemain dimanche, nouvelle séance à la voorgalery (véranda), en pyjama et kimono, à boire du café et à philosopher. A
9 heures nous avons été baigner, puis nous avons déjeuné, et à 10 heures ils
sont repartis, John ayant une conférence d’examens à 3 heures de l’après-midi,
à Solo. Ils ne sont venus que pour nous faire plaisir ; mais ils ont eu
leur plaisir aussi. Enfin, je crois bien que tout le monde a été content. Ah,
j’oubliais de vous dire qu’à 5 heures, samedi soir, le courrier nous a apporté
la fameuse lettre, avec une longue et agréable (ô combien agréable!!!) épitre
de St Gall, sur laquelle je reviendrai encore, une lettre de Coen, une de Cis.
Oh, c’était chic ! Hier dimanche, Buby a été travailler et moi j’ai fait
la paresseuse. Comme dîner nous n’avons eu qu’une soupe aux asperges,
délicieuse, et un ice cream, le soir nassi
goreng. J’ai encore pour trois jours de restes, ce qui me donne l’illusion
de vivre pour rien ! Dimanche après-midi, nous avons dormi, puis essayé
d’écrire mais nous ne sommes arrivés qu’à lire et à écouter notre radio. C’est
épatant, nous avons maintenant un appareil très bien et ensemble nous
jouissons, nous jouissons de Londres, de Paris, de Hollande etc.
Ah, il
faut encore que je vous dise, j’ai fait une petite robe en piqué de voile, pour
le matin. Le fond est blanc, parsemé de petites fleurs, pas très jolies, mais
enfin. La robe est toute simple avec un volant en forme dans le bas, mais elle
me va bien, et je l’ai inaugurée samedi, naturellement. Grâce à mon buste, je
l’ai eu finie en deux jours, mais ne demandez pas comme c’est cousu !
Visser laisse
Buby de plus en plus seul au bureau, quand il ne va pas en tournée, il reste
souvent des jours entiers à la maison, sachant que Buby fera bien le travail.
Comme maintenant que Hanny est malade, il ne paraît pas au bureau et laisse
tout à Oscar, à signer, à faire les contrats, à liquider la correspondance
etc. Moi, cela me réjouit, c’est
pourtant bon signe, Oscar aussi en est content au fond. Peut être qu’il devra
aller en tournée cette semaine, si Mr. V. ne veut pas quitter la maison, alors
j’irai avec. Il me faudra attendre beaucoup et souvent, mais je prendrai un
livre ou un ouvrage, il fera beau tout de même. Nous venons de recevoir une
nouvelle lettre de Margot qui nous invite chaudement pour Noël, ayant arrangé pour prendre part à des dîners, des
dance party etc. C’est dommage, j’aimerais bien y aller, mais nous n’avons pas congé, il faut accepter l’impossible, Oscar n’ayant
pas congé officiellement, la fabrique ni le bureau ne ferment, même pas le jour
de Noël, alors il ne veut pas demander congé exprès, et puis pour deux jours ce
n’est pas la peine de faire cette distance. De plus nous y arriverions fatigués
et n’aurions pas de plaisir. Elle nous invite encore pour le 7 janvier, la fête
du petit John, je ne sais pas ce que nous ferons pour cette date-là. Si nous y
allons, Margot veut aussi tâcher d’arranger un party ou quelque chose de
sociable pour nous faire plaisir et nous changer de notre vie d’ici, calme et
tranquille, qu’elle doit trouver affreuse, elle en femme du monde. Si nous y
allons, je crois que c’est vous qui
nous aurez payé ce plaisir, mes chers, vous savez, car nous devrions alors
employer ces Fl. 50.--, (SFr. 100)
pour cette sortie. Cela revient cher, vous savez, car moi, il me faudrait aller
chez le coiffeur, si déjà, nous pouvons oublier ce que nous sommes ici, mais
sitôt que nous entrons dans le monde, nous sommes le jeune couple Woldringh
etc. etc, aussi bien que n’importe qui. Quand j’y pense, j’aimerais beaucoup y
aller, charrette, danser une fois de nouveau, rigoler à un bal du club anglais
de Semarang cela serait rigolo, mais je laisse la décision tout à fait à Buby
Sa santé avant tout, je ne tiens pas à ce qu’il retombe malade, surtout de
fatigue. Cette semaine au lit et à la maison lui ont fait du bien, le Dr. lui a
beaucoup recommandé du repos.
Hurra,
Oscar vient d’être appelé chez les Visser, il doit aller en tournée à Semarang,
mercredi. Je vais avec, et j’irai faire une petite visite à Margot. Nous
n’aurons pas beaucoup de temps, mais c’est, ce sera chic, seulement déjà la
course.
Demain,
sitôt mon courrier parti, je vais me jeter sur la robe de Hedy et vite la finir
pour aller à Semarang avec. Je n’ai encore une fois pas le temps d’écrire à
Hedy, c’est affreux, mais cette semaine, j’ai eu à faire, plein les mains, et
j’ai perdu mon temps aujourd’hui, cela c’est la faute à Tata, car à 4 heures
les Sie&Er sont arrivés. Nous nous sommes jetés dessus pendant que nos
lettres attendaient patiemment.
Tatali,
merci mille et mille fois. Tu ne sais pas le plaisir que tu nous fais chaque
fois. Oscar a eu beaucoup de plaisir à ta lettre. Il l’a relue plusieurs fois.
Mes bien
chers tous, bien que j’aurais encore énormément à vous blaguer, je vais vous
quitter pour cette fois, j’ai encore tant à écrire et ma robe qui attend.
A la main
Un bon bec
à chacun. Je viens d’écrire à Hedy, par avion. Mes chers passez de beaux et
bons jours de Noël. Joyeux Noël, GE…
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