vendredi 26 février 2016









Keboemen

4 février 1935

Votre lettre du 19 janvier, soit no 71, nous est bien parvenue et a été lue avec un immense plaisir, qui toutefois a encore été dépassé par le plaisir visuel d’un examen long et précis de certaines binettes.

les Tiptopsy + Macaroni

Alors oui, j’en ai un plaisir fou, je ne sais pas laquelle j’aime le mieux, je les regarde toutes l’une après l’autre, elles ne me quittent pas, je les prends avec au lit, au cabinet, enfin partout. Je les montre à qui je peux pour un peu plus je commanderais encore au djongos de les admirer, mais sssst ! trop de compliments gâtent le caractère, donc je n’en parlerai plus, seulement laissez-moi encore vous dire que ce sont les binettes de Tiptopsy (les frères de Nelly) qui m’ont le plus enchantée !
A propos, j’en suis jalouse de tes petits chiens, ils sont trop beaux, et je comprends que tu en sois aussi folle que moi des deux miens au commencement. Tu me dis qu’ils commencent la maladie. Laisse-moi te donner quelques indications utiles, car je finis par m’y connaître. La maladie des chiens est une sorte de refroidissement, ils ont le rhume, et cela se jette souvent sur les poumons, comme pour Topsy 1(le chien de Nelly). Avec Tipsie, cela a commencé par le ventre et fini par le rhume. Il n’y a pas beaucoup à faire contre cette maladie que de les tenir bien au chaud. Le principal c’est que les jeunes chiens aient la force de passer la crise. Pour cela il faut leur donner de l’huile de foie de morue. Si papa rouspète, ne l’écoute pas mais achètes-en un litre, de la meilleure marché, et essaye de leur en donner un cuillère à soupe le matin ou avant dîner. En général, les chiens l’aiment beaucoup, mais s’ils faisaient des difficultés, alors tu la mêles à leur nourriture, une cuillère à soupe par jour. Dans le repas du soir tu mets une pincée de fleur de souffre réduite en poudre. Il faut aussi leur donner un oignon haché finement de temps en temps, des légumes et au moins une fois par jour du lait quand ils seront plus grands, maintenant je pense que tu leur en donne encore 2-3 fois avec du pain, car ils sont encore très jeunes. Depuis que je suis ici, j’ai appris qu’il fallait aussi soigner un jeune chien, sans en devenir toquée pour cela. Je ne peux plus penser sans remord à notre Falot et aux chiens précédents, et notre affreuse négligence à leur égard. Pauvres bêtes. Si tu vois qu’un des chiens montre des signes d’indisposition, il te faut lui donner de la bouillie à manger, rien de lourd, mais des choses nourrissantes et fortifiantes. Moi, je n’ai pas hésité à donner des jaunes d’œufs à Tipsie quand elle était si malade, mais ici les œufs me coûtent 2 cents la pièce, ce qui rend la chose excusable. Les tiens sont trop jolis, maman, et je suis sûre que tu t’y attache plus que tu t’en rends compte toi-même, c’est pourquoi ce serait dommage si tu les perdais, alors que tu peux les élever en bonne santé en leur donnant un peu de soins.
J’aime bien ton manteau et les gants de Londres vont bien avec. Oui, tu es bien, tu as l’air tellement malicieuse sous ton Hueteli (petit chapeaux, bibi) ! Je vais maintenant remuer ciel et terre pour aussi faire faire des photos de nous, car je me rends bien compte quel plaisir elles font. Je me réjouis déjà des 4 prochaines.
Mon Faaather, mon gros Macaroni, j’aimerais te dire, tiens-toi droit au milieu de tes fils, mais je crois que le soleil te gênait, pas ? Ce sont vos doubles mentons, à toi et maman qui me font plaisir ! Je ne trouve pas que tu aies engraissé, mais pas maigri non plus… Padreli, merci mille fois pour tes deux barrettes, la noire et la blanche que j’ai reçues hier. Elles ont immédiatement pris place tour à tour sur mon chou-rave, elles me vont bien et j’en suis très très contente. Merci de tout cœur.
Il y a aussi les journaux, Tatali, qui sont bien arrivés et qui nous ont procuré un beau dimanche. Je lis maintenant les romans, car j’attends que j’aie tous les No. n’ayant pas la patience d’attendre la suite. Hier c’était un grand jour, j’ai mis ma robe en foulard Tootal bleue. Une toilette ravissante, je vous dis, et qui me va mieux que très bien. Toute la journée hier je vivais avec le sentiment d’être une jolie girlie. Je porte la petite robe avec une ceinture de cuir blanc que j’avais achetée à Semarang en son temps, et des sandalettes en cuir blanc également, de Solo. Les manches vont bien, et l’écharpe est nouée près du cou et retenue par ton épingle-broche en or. J’ai travaillé toute la semaine à ma robe, elle est bien cousue, soigneusement et cela me fait plaisir Je tenais à l’avoir spécialement pour hier parce que nous attendions les v.Tinteren pour la journée, mais ils ne sont pas venus. Quand Buby était à Tjilatjap il a logé chez eux et a été très bien soigné. Tous les matins il trouvait un paquet de cigarettes dans sa chambre, vous pouvez penser comme cela lui allait, à ce polisson. Mme v.T. est une juive, il paraît, cela explique aussi un peu sa belle maison, etc. Enfin, cela ne change rien à l’affaire de ma sympathie. A Oscar aussi ils sont sympathiques, de sorte que nous sommes tout à fait contentes de ces connaissances. Probablement qu’ils viendront dimanche prochain.
L’annonce de cette visite m’a enfin fait terminer l’arrangement de ma chambre de visites. Je vous avais écrit dans le temps que j’avais acheté de la cretonne très bon marché. J’en ai fait des rideaux, un petit rideau à la commode qui sert de lavabo, et une belle housse par-dessus deux de mes malles, ce qui fait un joli banc au milieu de mes trois fenêtres. Avec la même étoffe, je vais encore garnir un paravent bon marché que j’ai fait peindre en blanc et à l’envers duquel se trouvent quelques petits porte-manteaux ( les clous) pour les robes de chambres et les kimonos etc. L’arrangement de toute la chambre me revient environ à Fl. 5.--, avec la natte en coco par terre, mais sans les meubles ( !) et l’effet est vraiment joli, on dirait une chambre de campagne anglaise. Je suis bien contente que cela soit enfin fait et je me réjouis d’y coudre maintenant, car quand je n’écris pas, c’est là que je passe la plus grande partie de mon temps. Pour cela j’y ai aussi pendu le magnifique calendrier (de Londres) de mon Chuggou qui nous a fait si plaisir. C’est aussi grâce à ce calendrier que j’ai enfin trouvé l’idée d’arranger ma chambre d’une manière aussi définitive.
Moi, il y a longtemps que je n’ai plus été faire mes promenades. Je tousse encore toujours, ayant eu une rechute. Le dr. pourtant dit que ce n’est rien et me conseille de sortir comme d’habitude, mais moi, je ne l’entends pas de cette oreille-là. Avant que je sois tout à fait remise je vais me tenir sur mes gardes, car enfin, cela m’impatiente, je veux que cela finisse. Il m’a aussi dit de ne pas trop m’habiller, ce que j’ai fait pendant quelques jours mais après j’ai bien vite remis mon jäckli. Tu sais ton Bettjäckli, je le mets à l’envers, je le ferme donc au dos de sorte que je suis bien couverte sur la poitrine. 
sereh /lemon grass

Cela m’a fait beaucoup de bien, avec cela je bois un thé composé selon une recette d’ici, de sucre spécial, d’un bâton de bois de réglisse, d’une pincée d’anis, de trois clous de girofle, de feuilles de sereh (une sorte de citronnier) (lemon grass en malais). Il faut cuire tout cela avec une tasse d’eau, jusqu’à ce qu’il en reste la moitié et le boire par petites gorgées de temps en temps. Cela m’a déjà bien dégagé ma toux, elle a aussi presque cessé aujourd’hui, j’en suis contente. Il ne faut pas avoir peur, j’ai fait ausculter mes poumons, tout est absolument en ordre, ce n’est qu’un rude refroidissement, comme je vous l’ai d’ailleurs écrit, et ce dr. ci ne le prend pas bien au sérieux, mais moi, je ne plaisante pas pour ces choses là. Je ne veux pas prendre de risques et je me soigne jusqu’à ce que ce soit passé.
Mes journées seules se sont bien passées à part un violent orage la première nuit. Le mardi j’ai mangé chez les Röhwer, et la Rickshaw est venue me chercher tous les soirs pour aller promener un peu (c’est peut être là que j’ai attrapé ma rechute, je ne sais pas) j’ai trouvé cela assez gentil de sa part.
Et maintenant, mes chers, nous allons encore faire une constatation ensemble. Vous avez devant vous, par l’entremise de cette lettre, un triple Totsch (dialecte pour idiote). Un Totsch fille, un Totsch-sœur et un Totsch-nièce qui a été bien bête de s’en faire pendant cette année écoulé pour une Rickshaw, une merde pareille. Eh, si vous saviez comme je me moque de moi-même maintenant, car je suis arrivée là, par où j’aurais dû commencer. Cette fois je vous garantis que mon complexe d’infériorité m’a rendu la vie dure pour la dernière fois. Bon sang, j’ai toujours été trop modeste vis-à-vis des gens, qui, avant de les connaître me paraissaient 150% tandis que moi, comparée à eux, je me prenais pour 0 %. Ha, et la vie est si belle maintenant, la Rickshaw me compte parmi ses meilleures amies maintenant. Tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle fait me laisse froide comme un glaçon. Je puis sourire, parler, même lui donner l’illusion de lui faire des confidences le plus simplement du monde. Mon cœur n’est plus jamais de la partie, et ne le sera plus jamais, pour n’importe qui je rencontrerai encore. La vie est si facile ainsi. Je vous dis, j’ai beaucoup appris et j’en suis heureuse. Mais n’allez pas penser que je vais sécher, bon sang non, je serai toujours la même, ni plus ni moins. (Je sais bien que mes frères diront que c’est dommage, j’aurais encore tant à gagner, hein ?).
Aujourd’hui c’est le Nouvel An chinois (1935 année du sanglier ou cochon) le bureau est fermé, oui, fermé. C’est à peine croyable, mais comme presque tous les commis sont chinois, ils ont demandé congé, alors il ne restait plus qu’à fermer. Buby a donc eu un semblant de vacances, je dis un semblant, parce qu’il a tout de même été au bureau ce matin pour le courrier, puis cet après midi pour faire du travail qu’il n’a pas le temps de faire autrement, mais il est revenu à 4 heures, c’est déjà beau. Maintenant, il ira jouer au tennis avec les Visser.
J’ai montré vos photos aux Visser, ils les ont longuement regardées, lui ne pouvait pas assez regarder, qui pensez-vous ? vos Tiptopsy !!! Il les trouvait de race… dans leur uniforme ! Il a aussi une forte sympathie pour toi Faaather, il veut absolument aller pêcher avec toi, il le dit chaque fois qu’il en a une occasion. Mais entre-nous soit dit : en bon chien de chasse, Visser s’est tout de suite rendu compte qu’il chasserait de race avec toi, et le poisson que vous pêcheriez ne nagerait pas dans l’eau douce ! Ouah ! Moi je ne fais pas les semblants, mais je connais mes Pappenheimer. Il te ressemble tant, en beaucoup de choses, des fois c’est heimelig. Demain, Mr. Meyeringh vient pour un jour, il est en route pour Batavia, recevoir Mr. Voskuil qui arrive le 7 courant. Oui, je me demande tout ce qu’il va apporter et annoncer comme nouveau. Ici, on ne l’attend qu’avec un plaisir mélangé. Par contre, nous, nous avons eu du plaisir aux dernières lettres de Papa Woldringh, qui a vu les rapports de la Mexolie, qui, malgré toutes les difficultés, lui font grand plaisir.  Il nous écrit entre autre : « Je me sens heureux de savoir que tu ne te laisses pas abattre par toutes ces difficultés, mais que tu continues à exécuter chaque tâche qui t’es donnée, avec bon courage et énergie. Je peux aussi t’informer que tout cela n’a pas passé inaperçu dans les rapports que j’ai reçus et qui mentionnent avec grand contentement l’une et l’autre chose sur ton compte. Je te laisse savoir cela parce que je sais que ces louanges seront un stimulant pour toi, pour continuer dans cette voie. Mr. Voskuil a très haute opinion de toi. Cela m’est très agréable, et c’est aussi bon pour toi de le savoir, tu auras ainsi plus de facilité à t’entretenir avec lui. »
Oscar, lui, prend ces choses avec son calme extérieur habituel, mais moi, je m’en réjouis franchement, seulement avec vous, bien entendu. Ici, nous ne laissons rien paraître de ces choses-là. Toutefois, nous regrettons infiniment que Mr. M. nous quitte, c’est une perte irréparable pour la Mexolie. Il aurait mieux valu que Voskuil quitte, ceci entre nous naturellement.
Je suis si contente d’avoir mes deux belles petites robes, donc deux pour le beau temps et deux pour le mauvais temps, ce qui me donne la certitude d’être toujours bien habillée. Comme je ne peux pas aller à Semarang pour le moment, car je ne veux pas me faire faire la permanente avant que mon rhume soit bel et bien passé, je suis si contente d’avoir ces bigoudis. Oh, je vous dis, je serai High life quand V. viendra, quoique très très simple. Mes chers, je n’ai pas beaucoup de nouveau cette fois-ci, et je termine en vous embrassant de tout mon cœur.  Votre Ge…
p.s. Buby a renversé de l’huile sur mon original, je vous envoie donc la copie…



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire