Tjilatjap (Cilacap)
10 février 1935
Je vous
écris depuis Tjilatjap, où nous sommes depuis hier au soir. Nous logeons chez
les van Tinteren. Vous n’aurez pas
une bien longue lettre cette fois-ci mais vous comprendrez, car enfin, je
profite d’être ici, d’avoir bon temps et de blaguer tant et plus. A présent
nous sommes assises au jardin, et nous écrivons les deux à la maison, pendant
que la petite fille (Beinchen) nous
regarde. Elle est grandement intéressée à mon jeu de « piano ». Nous
avons fait des commissions ce matin, acheté de l‘étoffe pour une robe de
chambre pour Buby, un assez beau tissu couleur bordeaux avec des raies bleues
foncées. …dag’ ddada gu.. voilà c’est la petite
Beinchen qui aide à écrire. Ce n’est pas une des choses les plus faciles, mais
elle s’en fatiguera vite. Bon, la voilà qui a renversé l’encrier de sa maman
sur un beau tapis brodé. Oui, les gosses !!!
Nous
sommes arrivés hier après midi vers les 5 heures, et avons rencontré les Röhwer
qui étaient en visite ici depuis samedi. Nous avons tous été souper au
restaurant chinois, un tas de plats fameux, nous avons bien ri. Après souper,
les Röhwer sont repartis à Keboemen, tandis que nous sommes encore restés assis
à causer. Ce soir, madame v-T. a été si gentille d’inviter Beerenschot pour
souper, ainsi nous serons de nouveau une gaie compagnie, et vous comprenez
qu’il n’y aura rien de fait pour écrire. Enfin, vous avez un échantillon de ce
que seront mes lettres plus tard je pense. Réjouissez-vous.
Je vais
encore écrire à Max pour sa fête, puis à Coen, et aussi à papa Woldringh, car Oscar n’a pas le temps de le faire.
Nous n’avons pas encore reçu votre courrier cette semaine. Il paraît que
l’avion a du retard, et nous ne recevrons les lettres que mercredi ou demain,
mardi soir. Il sera trop tard pour y répondre, cela sera donc pour la prochaine
fois.
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rivière à Cilacap |
Pour cette
semaine je n’ai pas beaucoup de nouveau à vous raconter J’ai passé mon temps à
la maison, j’ai travaillé à une robe de tennis qui me donne bien du fil à
retordre. Elle est en piqué blanc, que j’avais acheté en son temps à Solo avec
Jans. Je veux y faire des plis, mais diable, ils ne veulent pas réussir. O
flûte, je l’ai fichée dans un coin jusqu’à nouvel avis, quand j’aurai de
nouveau du courage pour m’y mettre. Mon rhume et ma toux vont beaucoup mieux,
mais je fais encore bien attention. Toutefois, cela me fait du bien d’être ici,
cela change les idées.
Oh, il
fait si beau ici, j’aimerais que vous puissiez nous voir. Nous deux jeunes
femmes assise dans un immense jardin, sous un grand arbre, au milieu d’une
immense pelouse, sous un pajong. Il fait une petite brise agréable avec un beau
soleil. A tout bout de champ nous avons quelque chose à dire, et je crois que
parler va plus facilement qu’écrire, pour une fois. Nous n’avons toujours rien
entendu de M. Voskuil. Nous ne savons pas encore quand il viendra à Keboemen.
La semaine
prochaine il y a ici réception chez le
Regent, peut être que Buby pourra s’arranger à revenir ici, pour que nous
puissions y assister. Ce serait une très belle occasion, mais je ne veux pas me
réjouir d’avance, il faut toujours et seulement prendre les choses comme et
quand elles viennent. Vendredi
soir nous avons eu la visite des Engelhart.
J’avais l’intention de vous écrire vite, pour que cela soit fait, mais ainsi
nous avons passé une belle soirée à bavarder. Ils m’ont grondée, parce que je
‘avais rien dit quand j’étais seule à la maison. Une autre fois, si je suis
encore seule, pendant qu’Oscar doit s’absenter, il faudra que j’aille chez eux,
ou elle viendra vers moi. Ils sont toujours très très gentils. Ils nous ont
apporté des beaux fruits de leur jardin.
Depuis
quelques temps la Rickshaw a l’idée que je ne suis pas aussi heureuse
que le montrent les apparences. Cela vient de ce qu’une fois, elle a eu rogne
avec son vieux, alors comme moi je l’ai justement rencontrée, elle m’en a
causé, j’ai fait de mon mieux pour la remonter. Entre autre je lui ai dit qu’il
ne fallait pas qu’elle se laisse aller à des colères terribles vis-à-vis de son
mari. Que quand elle avait quelque chose contre lui, qu’il fallait qu’elle se
change les idées, qu’elle se calme etc. Pour cela, qu’elle devait aller
promener un peu, que c’était aussi ce que je faisais toujours. Alors
comme je vais beaucoup promener, vous le savez bien, la bonne Rickshaw a pris
cela pour de l’argent comptant, et maintenant elle croit dur comme fer que j’ai
chaque fois chicane avec mon Buby quand je vais promener. Cela lui fait un bien
formidable, elle est gentille même cordiale avec moi. Elle m’a aussi dit entre
autre, oh oui, maintenant que je sais que ce n’est pas tout rose chez les
autres gens, même qu’ils ne font que se parler gentiment, je ne m’en fais plus
tant et je ne les envie plus tellement. Oscar et moi, nous en rions, et des
fois nous nous amusons même à être un peu froid l’un avec l’autre quand ils
sont chez nous. Alors cela lui fait du bien, elle en jouit visiblement. Oh, les
gens sont bêtes, mais il faut savoir profiter de leur bêtise. Mon Buby et moi,
moi et Buby. Pour vivre heureux, vivons cachés, nous en profitons bien.
Ici, chez
Mme v.Tinteren, elle a aussi dit, la Ric, oh, quand on pense que les autres
gens s’entendent bien, qu’ils s’aiment comme des fous, parce qu’on n’entend
jamais de chicanes chez eux, eh, bien il ne faut pas le croire, ils en ont
autant que nous, seulement ils ne sont pas assez francs pour le laisser voir. (cette
phrase se passe de commentaire !!!) vous voyez ce que c’est moindre.
Vous
pensez que sa langue ne s’est pas tue ici, et je me demande bien ce qu’elle a
dit sur moi, peut être que je le saurai encore. Pour le moment je me tiens sur
mes gardes, comme toujours d’ailleurs. Hier soir, au restaurant, elle n’a pas
su se conduire. Elle ne sait pas vivre cette bourrique. C’est seulement
maintenant que j’ai pu la comparer à d’autres gens, que je vois comme j’ai été
bête de me laisser fâcher ainsi par une bourrique pareille. Oh, mes chers, la
vie est si belle quand on a fait ses expériences.
Les
Engelhart, que nous n’avons plus vu pour quelques temps, ont trouvé Buby encore
un peu plus gros et surtout avec une très bonne mine. Cela me fait plaisir, et
à vous aussi, je suis sûre. C’est signe que je le soigne bien. Madame van
Tinteren me trouve aussi de si bonnes couleurs, elle en est toute surprise, car
elle prétend qu’elle ne pourrait pas être sans se mettre du rouge, vu qu’elle a
perdu toutes ses belles couleurs. Mais aussi moi je suis beaucoup plus à l’air
que la plupart des gens ici. Ils ont peur du soleil ou qu’il fasse trop chaud.
Madame v.T. a été toute surprise ce matin de voir comme il faisait beau d’être
assise au jardin.
Et
maintenant c’est l’après midi, j’attends que madame v.T. revienne de la salle
de bain pour y aller moi-même. Ensuite j’irai encore vite un peu en ville,
acheter différentes petites choses et voir pour des souliers Bata pour Buby. Histoire de marcher un peu, car cela me
manque.
Demain,
j’irai rendre visite à madame Erkelens, histoire de politesse, parce que c’est
la femme d’un collègue. Diplomatie, quoi. Eh bien mince, il m’arrive quelque
chose que je n’aurais jamais cru possible, mais vraiment, au moment même je ne
sais plus quoi vous écrire. Pourtant je suis sûre qu’il y a encore un tas de
choses que j’ai à vous dire, mais en ce moment, attendant pour aller à la salle
de bain, je ne peux pas me concentrer. Vous ne m’en voudrez pas, et penserez
seulement que je suis happy, happy d’être ici, à voir beaucoup de monde, à
avoir de belles robes à porter, happy d’être avec mon Buby, qui, lui est aussi
happy de m’avoir ici, enfin quoi, happy de tout.
Cette
fois-ci donc, je vous envoie (puisqu’il y a de la place) mille bons muntschis à
chacun. N’oubliez pas mes soldats. J’ai les photos avec. Tout le monde les
admire, j’en ai beaucoup de plaisir. Mes chers, à la prochaine fois.
Ciao !