dimanche 10 janvier 2016






9 septembre 1934

Keboemen

Mon cher, cher Papali, mon Padre mon vieux Macaroni
Il y a une année ou presque, nous cherchions un office de poste à Port Saïd pour t’envoyer nos bons vœux pour ta fête. Nous étions alors très énervés et encore déchirés par le grand chagrin de la récente séparation. Aujourd’hui c’est avec un cœur heureux et calme que je forme pour toi les vœux les meilleurs qui se puissent faire pour ta bonne santé avant tout et ensuite pour le succès prompt et complet de ton entreprise.
Les temps sont difficiles, plus que difficiles, je le sais, Paderli, pourtant mon cœur est rempli de reconnaissance de vous savoir en bonne santé (si du moins vous m’écrivez la vérité !) C’est pour moi le bonheur le plus précieux en pensant à vous tous, surtout à toi et maman, et je voudrais que ce fait soit aussi pour toi une occasion de reconnaissance et de contentement, qui triomphe sur tous les petits ennuis de la vie quotidienne et les soucis de la lutte pour l’existence, lutte qui devient toujours plus âpre.
D’après vos lettres à tous, j’ai compris que les plans Brero ne se sont pas réalisés sans grande difficultés, et même maintenant sa venue en Suisse enfin, n’a pas été sans t’apporter des déceptions. Cela, papa, je le prévoyais, c’est aussi la principale cause de mon opposition à ce projet, mais suffit, il ne faut pas revenir sur ce qui est fait et dit. J’aimerais seulement que tu saches que je vis toujours intensément avec vous, que je partage toujours toutes vos joies et surtout vos déboires. Je ne peux pas beaucoup vous aider, hélas, mais mes bons vœux et toutes mes pensées ne resteront peut être pas tout à fait sans influence.
Fatherli, on a jamais fini d’apprendre dans la vie, on peut profiter de chaque expérience toutefois c’est surtout des soit disant mauvaises qu’on apprend le plus. Si tu t’aperçois maintenant que B. t’a trompé sur différents points, et bien ne te fâche pas, mais tâche de t’en souvenir pour la prochaine fois qu’il aura à te faire des promesses et alors fais-toi toujours promettre  1 ½ fois plus que ce que tu veux en réalité ainsi tu peux te couvrir contre des surprises déplaisantes. Papa, il y aura encore bien des choses maintenant qui ne marcheront pas comme tu te l’imaginais, il y aura encore des déceptions, petites et grandes, il faut t’y attendre et t’armer d’une carapace d’indifférence. Si ainsi tu t’y attends, if you expect it, tu n’en seras pas désagréablement surpris, mais tu auras déjà trouvé le moyen de parer aux pertes. Surtout ne te fâche pas, et encore, surtout, surtout ne le prend pas en grippe, comme cela t’arrive avec tous ceux qui ne suivent pas exactement tes idées ou qui te désappointent un peu en ceci ou en cela. 

Papali et canards
Dis toi que si tu commences par les prendre en grippe, les Brero, tu es fichu avec tes canards pour le moment, et tu te fais un mal énorme en te gâtant le caractère, ou plutôt en t’aigrissant. Vois-tu maintenant que tu seras plus souvent avec eux, que tu auras mieux l’occasion de les connaître, de les voir vivre et voir travailler, de les entendre penser et d’observer leurs actions, tu apprendras aussi à les mieux connaître et à voir plusieurs petites fautes ou défauts, que Brero lui-même ne pouvait pas te mettre sous les yeux dans ses belles lettres. On se connaît rarement soi-même. Pense toujours à cela et sache être coulant quant à la manière de penser et d’agir des autres gens, si elle n’est pas la tienne. Cela ne veut pas dire que tu dois te laisser marcher dessus, non, pour cela il y a une bonne méthode, qui d’après moi est la meilleure aussi dans ton cas. Que tout ce que tu dis, ce que tu fais, ce que tu promets, ce que tu entreprends, enfin que chacune de tes actions, de tes paroles soient correctes. Ainsi tu es sans reproche, tu n’as rien à cacher, et tu te rends maître de la partie adverse si tu as quelque chose à lui revendiquer.
Je suis contente d’apprendre que tu as de nouveau un peu d’espoir dans l’horlogerie, quoique je ne m’y fie pas beaucoup. Enfin, il vaut mieux espérer que de désespérer J’espère que tu ne m’en voudras pas que je t’écrives si ouvertement ma pensée et peut être avec un peu de toupet, mais vois-tu, je n’ai qu’un désir en faisant cela, c’est de t’aider dans la mesure qui m‘est possible et de te voir réussir et pouvoir vivre enfin avec un peu moins de soucis. Tu en as tant vu ces dernières années, mon Fatherli,et je désirerais tant vous voir couler une vie plus douce et paisible, maman et toi. Je sais bien toutefois que tu as en toi encore tout ce qu’il faut pour réussir, pour travailler avec contentement au succès d’une jeune entreprise offrant de bonnes chances. Enfin tu sais ce que je pense de toi, te l’ayant déjà écrit, donc je n’y reviens pas.
Oui, mon cher Padreli, je ne peux presque pas croire qu’il y ait déjà une année depuis que nous étions tous assis vers le lac, chacun le cœur gros sans vouloir l’avouer. Je sais aussi que vous, toi et maman, n’étiez pas sans vous demander avec quelque inquiétude : est-ce qu’elle sera heureuse, faisons nous bien de la laisser partir ainsi etc. et surtout il y a deux ans, quand je suis revenue avec la nouvelle de Hollande, ton inquiétude était grande mon cher Macaroni. Cela me fâchait, mais au fond je t’en aimais que cela de plus. C’est ainsi dans la vie ! et maintenant je suis d’autant plus contente de pouvoir te dire franchement et du fond du cœur, que je suis heureuse, que je ne l’aurais jamais été autant si j’avais marié n’importe qui d’autre en Suisse. Ce n’est pas beaucoup mais peut être que cela te fera tout de même plaisir que je te le répète encore spécialement pour le jour de ta fête. Au moins du côté de ta Ge… tu n’as pas besoin de te faire du souci. Et même si elle ne peut rien te donner pour cette occasion, je suis sûre que tu seras contente tout de même.
Tu seras étonné que je ne te raconte rien du fameux pic-nic, hein ? Oui, il a été renvoyé d’une semaine, parce que m. Engelhart a reçu la visite de sa direction, deux Messieurs qui n’ont pas dit quand ils repartiraient, et comme il ne pouvait pas le leur demander, il a jugé plus prudent de renvoyer la partie. Ce sera donc pour la semaine prochaine si rien d’autre ne survient. Moi j’ai été très contente de ce renvoi, car figure-toi, j’ai dû me faire des pantalons d’équitation !!! J’ai juré, et sué à grosses gouttes pendant 2 jours, mais maintenant ils vont bien, Oscar le dit aussi et lui s’y connaît. Je n’avais pas de patron précis, j’ai tout dû faire de tête et Oscar m’a aidée de ses conseils et nous avons recherché toutes les photos de son temps de service, nous avons étudié les plis à ses pantalons d’officier, toujours d’après les photos, je les ai défaits au moins 7-8 fois, ces charrettes, mais comme c’est en forgeant qu’on devient forgeron… ! Je ne serais jamais arrivée prête pour samedi passé, maintenant j’ai encore une bonne petite semaine devant moi. Je vous enverrai des photos, de la Ge… et de ses fameux pantalons.
Nous venons d’avoir la visite des Engelhart. Ils nous ont apporté un melon, un vrai melon comme on les a en Europe. Cette sorte ne croît pas ici, c’est à dire seulement dans une certaine contrée de Java, près de Cheribon (Ceribon) et la récolte ne dure que 14 jours par an. Je pense qu’ils en ont reçu, et comme ils ont toujours bon cœur ils nous en ont fait profiter.
Ce soir, juste avant de jouer au tennis, on a tué un long serpent chez les Visser, à l’entrée de leur Voorgalery. Le chien avait aperçu le serpent qui, alors, s’est caché dans un grand pot de fleurs. C’est des pots gros comme des tonneaux, et le serpent s’est complètement enfiler dans la terre avec une vitesse incroyable, et nous ne l’aurions pas trouvé s’il n’avait été en train de changer de peau. Il en a laissé des débris derrière lui, ce qui a indiqué sa trace. Les gens des Visser ont vidé ce pot et voilà le serpent qui file en effet. Il a été assommé à coup de bambou et envoyé à l’hôpital pour savoir qu’elle sorte, une sorte très venimeuse. Oui, c’est le temps des serpents maintenant, il faut faire attention, mais on ne va pas s’effrayer, et j’espère que vous non plus, je ne vous aurai pas effrayés avec mon histoire.
Et maintenant, mon cher Padre, encore une fois de tout tout mon cœur, mes meilleurs vœux pour ton bonheur, ta santé et aussi prospérité, and last but not least, many, many very happy returns. Je serai spécialement avec toi et vous tous ce jour là et nous aurons aussi un bon dîner en ton honneur avec ta photo à la place d’honneur. Mon cher Papali, mon Faaaaather, mon vieux macaroni et Padre, je t’embrasse bien bien fort, de tout cœur, ta Ge…




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