9
septembre 1934
Keboemen
Mon cher,
cher Papali, mon Padre mon vieux Macaroni
Il y a une
année ou presque, nous cherchions un office de poste à Port Saïd pour t’envoyer
nos bons vœux pour ta fête. Nous étions alors très énervés et encore déchirés
par le grand chagrin de la récente séparation. Aujourd’hui c’est avec un cœur
heureux et calme que je forme pour toi les vœux les meilleurs qui se puissent
faire pour ta bonne santé avant tout et ensuite pour le succès prompt et
complet de ton entreprise.
Les temps
sont difficiles, plus que difficiles, je le sais, Paderli, pourtant mon cœur
est rempli de reconnaissance de vous savoir en bonne santé (si du moins vous
m’écrivez la vérité !) C’est pour moi le bonheur le plus précieux en
pensant à vous tous, surtout à toi et maman, et je voudrais que ce fait soit
aussi pour toi une occasion de reconnaissance et de contentement, qui triomphe
sur tous les petits ennuis de la vie quotidienne et les soucis de la lutte pour
l’existence, lutte qui devient toujours plus âpre.
D’après
vos lettres à tous, j’ai compris que les plans Brero ne se sont pas réalisés
sans grande difficultés, et même maintenant sa venue en Suisse enfin, n’a pas
été sans t’apporter des déceptions. Cela, papa, je le prévoyais, c’est aussi la
principale cause de mon opposition à ce projet, mais suffit, il ne faut pas
revenir sur ce qui est fait et dit. J’aimerais seulement que tu saches que je
vis toujours intensément avec vous, que je partage toujours toutes vos joies et
surtout vos déboires. Je ne peux pas beaucoup vous aider, hélas, mais mes bons
vœux et toutes mes pensées ne resteront peut être pas tout à fait sans influence.
Fatherli,
on a jamais fini d’apprendre dans la vie, on peut profiter de chaque expérience
toutefois c’est surtout des soit disant mauvaises qu’on apprend le plus. Si tu
t’aperçois maintenant que B. t’a trompé sur différents points, et bien ne te fâche
pas, mais tâche de t’en souvenir pour la prochaine fois qu’il aura à te faire
des promesses et alors fais-toi toujours promettre 1 ½ fois plus que ce que tu veux en réalité ainsi tu peux te
couvrir contre des surprises déplaisantes. Papa, il y aura encore bien des
choses maintenant qui ne marcheront pas comme tu te l’imaginais, il y aura
encore des déceptions, petites et grandes, il faut t’y attendre et t’armer
d’une carapace d’indifférence. Si ainsi tu t’y attends, if you expect it, tu
n’en seras pas désagréablement surpris, mais tu auras déjà trouvé le moyen de
parer aux pertes. Surtout ne te fâche pas, et encore, surtout, surtout ne le
prend pas en grippe, comme cela t’arrive avec tous ceux qui ne suivent pas
exactement tes idées ou qui te désappointent un peu en ceci ou en cela.
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Papali et canards |
Dis toi
que si tu commences par les prendre en grippe, les Brero, tu es fichu avec tes
canards pour le moment, et tu te fais un mal énorme en te gâtant le caractère,
ou plutôt en t’aigrissant. Vois-tu maintenant que tu seras plus souvent avec
eux, que tu auras mieux l’occasion de les connaître, de les voir vivre et voir
travailler, de les entendre penser et d’observer leurs actions, tu apprendras
aussi à les mieux connaître et à voir plusieurs petites fautes ou défauts, que Brero
lui-même ne pouvait pas te mettre sous les yeux dans ses belles lettres. On se
connaît rarement soi-même. Pense toujours à cela et sache être coulant quant à
la manière de penser et d’agir des autres gens, si elle n’est pas la tienne.
Cela ne veut pas dire que tu dois te laisser marcher dessus, non, pour cela il
y a une bonne méthode, qui d’après moi est la meilleure aussi dans ton cas. Que
tout ce que tu dis, ce que tu fais, ce que tu promets, ce que tu entreprends,
enfin que chacune de tes actions, de tes paroles soient correctes. Ainsi
tu es sans reproche, tu n’as rien à cacher, et tu te rends maître de la partie
adverse si tu as quelque chose à lui revendiquer.
Je suis
contente d’apprendre que tu as de nouveau un peu d’espoir dans l’horlogerie,
quoique je ne m’y fie pas beaucoup. Enfin, il vaut mieux espérer que de
désespérer J’espère que tu ne m’en voudras pas que je t’écrives si ouvertement
ma pensée et peut être avec un peu de toupet, mais vois-tu, je n’ai qu’un désir
en faisant cela, c’est de t’aider dans la mesure qui m‘est possible et de te
voir réussir et pouvoir vivre enfin avec un peu moins de soucis. Tu en as tant
vu ces dernières années, mon Fatherli,et je désirerais tant vous voir couler
une vie plus douce et paisible, maman et toi. Je sais bien toutefois que tu as
en toi encore tout ce qu’il faut pour réussir, pour travailler avec
contentement au succès d’une jeune entreprise offrant de bonnes chances. Enfin
tu sais ce que je pense de toi, te l’ayant déjà écrit, donc je n’y reviens pas.
Oui, mon
cher Padreli, je ne peux presque pas croire qu’il y ait déjà une année depuis
que nous étions tous assis vers le lac, chacun le cœur gros sans vouloir
l’avouer. Je sais aussi que vous, toi et maman, n’étiez pas sans vous demander
avec quelque inquiétude : est-ce qu’elle sera heureuse, faisons nous bien
de la laisser partir ainsi etc. et surtout il y a deux ans, quand je suis
revenue avec la nouvelle de Hollande, ton inquiétude était grande mon cher
Macaroni. Cela me fâchait, mais au fond je t’en aimais que cela de plus. C’est
ainsi dans la vie ! et maintenant je suis d’autant plus contente de
pouvoir te dire franchement et du fond du cœur, que je suis heureuse, que je ne
l’aurais jamais été autant si j’avais marié n’importe qui d’autre en Suisse. Ce
n’est pas beaucoup mais peut être que cela te fera tout de même plaisir que je
te le répète encore spécialement pour le jour de ta fête. Au moins du côté de
ta Ge… tu n’as pas besoin de te faire du souci. Et même si elle ne peut rien te
donner pour cette occasion, je suis sûre que tu seras contente tout de même.
Tu seras
étonné que je ne te raconte rien du fameux pic-nic, hein ? Oui, il a été
renvoyé d’une semaine, parce que m. Engelhart a reçu la visite de sa direction,
deux Messieurs qui n’ont pas dit quand ils repartiraient, et comme il ne
pouvait pas le leur demander, il a jugé plus prudent de renvoyer la partie. Ce
sera donc pour la semaine prochaine si rien d’autre ne survient. Moi j’ai été
très contente de ce renvoi, car figure-toi, j’ai dû me faire des pantalons d’équitation !!! J’ai
juré, et sué à grosses gouttes pendant 2 jours, mais maintenant ils vont bien,
Oscar le dit aussi et lui s’y connaît. Je n’avais pas de patron précis, j’ai
tout dû faire de tête et Oscar m’a aidée de ses conseils et nous avons
recherché toutes les photos de son temps de service, nous avons étudié les plis
à ses pantalons d’officier, toujours d’après les photos, je les ai défaits au
moins 7-8 fois, ces charrettes, mais comme c’est en forgeant qu’on devient forgeron… !
Je ne serais jamais arrivée prête pour samedi passé, maintenant j’ai encore une
bonne petite semaine devant moi. Je vous enverrai des photos, de la Ge… et de
ses fameux pantalons.
Nous
venons d’avoir la visite des Engelhart. Ils nous ont apporté un melon, un vrai melon comme on les a
en Europe. Cette sorte ne croît pas ici, c’est à dire seulement dans une
certaine contrée de Java, près de Cheribon (Ceribon) et la récolte ne dure que
14 jours par an. Je pense qu’ils en ont reçu, et comme ils ont toujours bon
cœur ils nous en ont fait profiter.
Ce soir,
juste avant de jouer au tennis, on a tué un long serpent chez les Visser, à l’entrée de leur Voorgalery. Le
chien avait aperçu le serpent qui, alors, s’est caché dans un grand pot de
fleurs. C’est des pots gros comme des tonneaux, et le serpent s’est
complètement enfiler dans la terre avec une vitesse incroyable, et nous ne
l’aurions pas trouvé s’il n’avait été en train de changer de peau. Il en a
laissé des débris derrière lui, ce qui a indiqué sa trace. Les gens des Visser
ont vidé ce pot et voilà le serpent qui file en effet. Il a été assommé à coup
de bambou et envoyé à l’hôpital pour savoir qu’elle sorte, une sorte très
venimeuse. Oui, c’est le temps des serpents maintenant, il faut faire
attention, mais on ne va pas s’effrayer, et j’espère que vous non plus, je ne
vous aurai pas effrayés avec mon histoire.
Et
maintenant, mon cher Padre, encore une fois de tout tout mon cœur, mes
meilleurs vœux pour ton bonheur, ta santé et aussi prospérité, and last but not
least, many, many very happy returns. Je serai spécialement avec toi et vous tous
ce jour là et nous aurons aussi un bon dîner en ton honneur avec ta photo à la
place d’honneur. Mon cher Papali, mon Faaaaather, mon vieux macaroni et Padre,
je t’embrasse bien bien fort, de tout cœur, ta Ge…
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