16 septembre 1934
Jeûne fédéral
Mes biens
chers,
Il me
semble qu’il y a terriblement longtemps que je ne vous ai plus écrit. C’est fou
ce que quelques jours au lit font passer le temps. Il me semble qu’il a des semaines
que je ne me suis plus levée.
Merci de
vos lettres 50 du 27 août et 51 du 1er septembre. Comme toujours nous en avons
eu beaucoup de plaisir, et j’y répondrai tantôt si j’ai encore de la place et
du temps.
C’est donc
dimanche, le ciel est bleu, un vrai jour de printemps, l’air est embaumé de
mille et un parfums d’arbres en fleur, les oiseaux chantent tout ce qu’ils
peuvent, les abeilles butinent, et les palmiers murmurent doucement de leurs
grandes feuilles qui s’agitent avec grâce. Je ne fatigue jamais de les admirer,
ces feuilles, qui, en beauté valent bien nos sapins, seulement il faut savoir
les comprendre et en voir la beauté. A côté de moi j’ai un grand bouquet
d’œillets roses achetés hier à une femme de la montagne pour 10 cents, et dans
un vase chinois bleu pervenche, bleu pastel, j’ai des fleurs des Indes,
ressemblants beaucoup à des marguerites élégantes, allant du roses tendre au
fraise. Dans un vase d’argent d’Oscar, se trouvent deux petites branches
d’orchidées, famille scorpion, des fleurs d’un parfum indescriptible, parfum
qui ennivre de beauté. Je les ai reçues de madame Engelhart avec un joli
bouquet de flox multicolores qui sont arrangées en gai bouquet dans mon pot
d’étain du club anglais. Sur la table des fleurs bleues ressemblant à de la
sauge des prés. Savez-vous où je me trouve ? Dans notre salle à manger,
autrement dit, la achtergalery. J’ai fait placer un des lits de visite dans un
coin, le seul dans toute la maison qui soit hors des courants d’air, la petite table ronde de la véranda sur laquelle se
trouve un des napperons de Tatali, l’italien avec les fleurettes saumon, et un
fauteuil du salon, tout cela forme un coin tout ce qu’il y a de heimelig.
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La
chaise longue est pleine de chni : mon agenda, des figarötli le couvre
pieds, des Journal du Jura, des
lettres reçues, des lettres écrites, les programmes, des prospectus, mon
ouvrage au crochet, des livres, et …. enfin moi-même !
Le bouquet
d’œillets roses est dans le vase des Racine de Longeau. Voilà, je crois qu’il ne manque plus rien au
tableau, si ce n’est les cendres et les bouts de cigarettes par terre, les
traces de Buby et de m. Visser venu me rendre visite hier soir après le tennis,
madame était venue avant. Mon kebon est aussi malade, nous l’avons renvoyé ce
matin avec des aspirines pour qu’il se soigne, le djongos ayant double travail
n’arrive pas encore à faire la chambre. Comme je vous l’ai donc écrit la
semaine passée, c’est en écrivant ma lettre à St Gall que j’ai subitement senti
un fort mal de tête. J’ai tenu bon pendant une page, mais après je me suis un
peu couchée sur la chaise longue juste pour un moment que je me disais mais
zut, quand j’ai voulu me relever je ne le pouvais plus, tout me faisait mal de
la tête aux pieds. Quand Oscar est rentré, il m’a fait aller au lit en vitesse
et n’a pas été jouer au tennis non plus. Ce lundi soir et tout le mardi j’ai eu
des douleurs atroces, sous la peau, comme je l’ai eu quelques fois en Suisse.
On n’osait pas me toucher et de temps en temps il me fallait crier quand je me
retournais. Mardi matin, Buby a fait venir le dr. car j’avais 38.9. Il a très bien
compris ce que c’était : un coup de froid. La première chose qu’il me dit,
c’était de ne pas prendre de
remèdes, mais de rester sagement au lit pendant quelques jours, et lui même m’a
donné des poudres pour me faire transpirer. J’ai donc copieusement transpiré
pendant ces quelques jours et chaque fois que Buby rentrait, il me lavait et
changeait de pyjamas. Il l’a très
bien fait, d’abord un bras, ensuite l’autre, aéré vite le corps, ensuite les
jambes. Il me saupoudrait de talc, puis m’enfilait mon pyjama propre, et la
comédie recommençait. Mercredi j’étais sans douleurs et sans fièvre, mais je
suis restée au lit jusqu’à hier, vendredi. Buby a passé tous ses moments libres
vers mon lit, prenant nos repas ensemble. J’ai fait venir une baboe tjoetji (lingère), car il fallait souvent changer de draps, et ma baboe ne
pouvait pas laver tout cela, car elle avait assez à faire à me soigner, c’est à
dire à faire ma chambre, à m’apporter ceci, cela etc. Le dr. est encore venu
mercredi et ce matin, dimanche, pour une courte visite. Mardi soir, il m’avait
aussi envoyé quelqu’un de l’hôpital pour me prendre une prise de sang au doigt.
L’analyse n’a rien donné, donc surtout pas
de malaria. Je suis tout à fait en santé sauf ces tonnerres de rhumatismes
à peine que j’ai pris un peu froid. Il s’agit donc de faire attention, c’est tout
ce qu’il y a comme remède contre cela. Le dr. m’a dit sérieusement d’au moins
pas être si bête de m’empoisonner avec toutes sortes de remèdes, que je devais
faire attention à manger sainement, surtout très simplement, pas trop de
graisses ni de beurre, beaucoup, beaucoup de légumes et de fruits, du lait, peu
de viande, surtout beaucoup de variété dans mes menus. C’est à peu près ce que
je fais jusqu’ici et je vais donc continuer ainsi, mais le 23 courant on fera
une petite fête tout de même, les légumes seront de nouveau remplacés par des
asperges, un caneton et un petit dessert, juste pour notre Padre (son anniversaire). C’est dommage je
n’ai pas de photo où tu sois seul Padre, pour te mettre à la place d’honneur à
table, ma foi, je mettrai toute la famille !
Pendant
tous ces jours madame Visser est régulièrement venue me rendre visite. Des Engelhart
j’ai donc reçu ces fleurs, des livres et encore une fois un melon. Je trouve qu’ils sont gentils. La course a été remise à
samedi prochain, j’espère que je pourrai y aller, mais le dr. m’a dit qu’il me
verrait encore avant, il n’a pas voulu me donner la permission ce matin. Cela
m’embêterait énormément si je ne pouvais pas y aller, mais naturellement que je
dois suivre ses instructions à la lettre, ce tonnerre de Buby me fait bien
obéir dans cette circonstance.
Cette
semaine madame Meyeringh arrive de Hollande et à la fin du mois elle sera ici,
je pense. C’est affreux, je n’ai plus
rien à me mettre. Ma robe beige, tu sais, cette jolie kimono, elle se
déchire comme du papier de soie, des trous se font partout parce que c’était de
la soie naturelle, et pas assez souple. On peut bien employer de la soie
naturelle ici, mais il faut qu’elle soit souple comme du shantung. Maintenant
je ne suis plus arrivée à me faire quoi que ce soit de convenable, et je
n’aurai que quelques petits oripeaux et haillons. Cela m’embête un peu, car
d’après ce que j’entends et la photo que j’ai vue, elle doit être une femme du
monde, et la Näggeli Woldringh ne voulait pas paraître paysanne et « landpommeranze »
(fille de campagne), même qu’il y a
déjà une année qu’elle est hors du monde, derrière la lune ! Ma foi tant
pis ! Il y a aussi mon salon qui n’a pas de rideaux, pas de couverture de chaise
longue, pas de coussins, rien, rien, que des classeurs avec beaucoup de
lettres. Je vais maintenant prendre cette baboe
tjoetji une ou deux fois par mois pour mes raccommodages. Je lui
apprendrai, elle sait aussi un peu coudre à la machine, c’est elle qui pourra
me faire les rideaux, des choses simples mais qui demande tant de temps avec ma
machine à la main. Moi, je vais me mettre sérieusement à mes robes. Mes Jardin des Modes sont pratiques et me
donnent une foule d’idées nouvelles que je brûle d’exécuter. Il se peut que je
te demanderai de m’envoyer une petite étoffe de laine ou de jersey ou n’importe quoi pour me faire une
petite toilette pour jours d’été quand il pleut. Si tu as l’occasion tu peux
déjà demander à Hedy ou Irma, un peu t’informer ce qui serait bien et beau, et
environ combien il faut compter pour 5 m. d’étoffe, quel prix. Je sais bien
qu’à Semarang j’en trouverais aussi des étoffes, mais le choix n’est pas très
grand et puis c’est pas parisien
pour deux sous. Enfin, je t’en reparlerai encore, mys Mamms. Oh ! j’ai
tant de plaisir à coudre, si tu savais comme je te suis toujours reconnaissante
de ce que tu aies insisté pour que j’aille chez Hedy. Je n’ai pas appris tant
qu’il m’aurait fallu, mais tout de même assez pour bien m’en tirer après encore
un peu de pratique, et cela me rend si heureuse Je crois que je deviens
coquette !
Voilà, il
est bientôt 4 heures, je viens d’avoir bien dormi pendant que Buby travaille ici
à la table. Mes chers, à la semaine prochaine, bon
baiser à chacun, votre GE……
A la main :
Aujourd’hui
vous aurez mangé du Zwätschgechueche (gâteau
aux pruneaux traditionnel) et si cela va bien, ce soir un plat de
champignons, sales gourmands que vous êtes ! Mais je vous l’accorde !
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