samedi 16 janvier 2016







30 septembre 1934

Keboemen

Dans vos lettres, pour lesquelles je vous remercie de tout cœur, vous me donnez, chacun  sa façon, des descriptions détaillées de l’automne au Chalet.
le Chalet, Sutz

 Oui, l’automne dispose à la philosophie, je subissais le même charme et la même influence. Je peux très bien m’imaginer à Sutz et revivre en pensée tant de beaux jours d’automne, mélancoliques, surtout quand on est jeune ! Pour nous ici, c’est le contraire qui se prépare. Nous sommes au printemps… et à l’automne aussi puisque presque tous les fruits murissent. La nature est un peu folle ici, c’est une mondaine qui met trop de bijoux à la fois.
Dans ma lettre précédente j’ai commencé par vous raconter notre course.  Je vais continuer tantôt, mais le grand nombre de photos que nous avons faites vous en dira plus long et surtout, vous le dira mieux. Laissez-moi un peu vous causer de moi, de nous, de notre vie ici. Il fait si beau causer de soi ! Je doute que cela vous intéresse autant que notre course, mais flûte ! Donc, pour commencer je vais vous dire que mardi passé j’ai eu affreusement les bleus parce que ma baboe m’a quittée. Il me semblait que j’étais perdue dans ma maison, malgré la petite no 2 à laquelle il fallait tout mâcher et remâcher. Enfin, j’ai maintenant l’immense plaisir de vous annoncer que si la vieille revenait, je ne la reprendrais pas. Je suis contente de la petite 2, elle est un peu lente, mais elle a beaucoup de bonne volonté et diable, je la fais marcher cette fois. Les Engelhart m’ont donné beaucoup de bons conseils qui ont déjà porté leurs fruits. Mardi donc, le kebon vient me dire qu’il est malade, je l’envoie à l’hôpital, le dr. le fait rester. Il y est encore, et j’ai un remplaçant. Mercredi le djongos me dit qu’il a la fièvre, seulement celui-là n’ose pas rester à la maison, car il a peur que je le remplace pour de bon.  Mais flûte, j’ai eu une semaine bien remplie, je vous en garantis. Pour comble, la petite Nicki est malade, quelque chose comme une otite. Ils ont une garde malade et le poupon, Hanny, n’est pas bien non plus, de sorte que chez eux aussi le ménage va un peu à la va te faire. Monsieur Meyeringh est à Tjilatjap (Cilacap) avec sa femme, nous l’attendons ici d’un moment à l’autre. Ils ne pourront probablement pas loger chez les Visser de sorte que je devrais m’attendre à les avoir ici. Maintenant que les Röhwer viennent de rentrer de leur mois de vacances, je pense que c’est eux qui auront les Meyeringh, vu qu’ils viennent avant nous dans  l’échelle de la Mexolie.
Ecoutez, il faut vite que je vous avoue quelque chose, de honteux, de scandaleux. La Ge… fille de papa avec des centaines de canetons, a raté son caneton aujourd’hui à midi. Il était sec comme du chäferfüdle (pet de coucou) et le jus était plus noir que du jus de chaussettes. Qu’est-ce que vous en dites ? Pourtant Oscarli l’a bouffé comme si de rien n’était ! La Ricshaw vient de m’envoyer de très belles oranges et une demi livre de bon jambon cru qu’elle a rapporté. C’est gentil, pas ? Moi, ce matin, je lui ai envoyé mes plus belles tomates. C’est ainsi, ici, on est plein de ces petites attentions, par devant ! Mais c’est un fait, ici aux Indes on est beaucoup plus large dans ces petites choses, cela vient de ce que l’on ne peut pas simplement aller dans un magasin acheter ce dont on a envie, alors chacun sait qu’il fait plaisir à l’autre avec n’importe quoi, un fruit, un légume, un bout de soie, des fleurs, enfin, n’importe quoi. Les Engelhart sont aussi très forts en cela, depuis notre retour de la course, j’ai déjà reçu je ne sais combien de fruits, de salades, etc. Nous sommes contents que nous puissions prendre notre revanche un peu, en leur faisant cadeau des photos de la course. Ces 2 jours nous reviennent seulement à  Fl. 25.--, tout compris, des souliers de montagnes d’Oscar, faits sur mesure, quelques livres de café que j’ai acheté là-haut, 2 langues fumées, l’hôtel, les chevaux, le guide, le pic-nic, enfin tout, pour les deux, c’est pas cher je trouve, avec cela il a fait rudement beau.
A Bandjanegara (Plateau de Wonosobo) donc, depuis le Prince Regent, nous nous sommes rendus au nord dans des montagnes par un chemin, un chemin terrible, large pour une seule auto, des pentes de 35% par place, des petits ponts par dessus des précipices qui ne laissaient que 5 cm de chaque côté de l’auto. Mr. Hartong a râpé la barrière à une place, et M. E a souvent dû prendre ses contours 2 fois avec sa Studebaecker. Bref, c’est un chemin âgé de 2 ans seulement. Après 2 heures de contours en épingle à cheveux, et de montées inattendues, nous arrivons dans un tout petit trou de montagne, mais où l’air était
marbre crème de Java
délicieusement pur et frais, et dont les jardins sont remplis de fleurs et de légumes européens. 


M. E. connaissait le maître de police, enfin le maire du village. Nous lui avons rendu visite. C’est un homme jeune, nous lui avons donné 28 ans environ, 26 aussi, mais alors il paraissait que sa femme était un peu plus âgée que lui. Une toute petite femme encore plus petite et menue que Mme Margot, eh, bien, ces deux ont passé 40 ans. Je n’en croyais pas mes oreilles et Oscar non plus. Ce sont des Javanais tout à fait gentils, lui parlait le hollandais bien sûr. Par eux nous avons commandé une Rijstafel dans le Passangrahn. C’est une sorte d’hospice qui se trouve dans tous les villages ici, aux Indes, sous la surveillance d’une famille javanaise. Un passangrahn comprend toujours 2-3 chambres à coucher, une salle à manger, enfin, tout ce qu’il faut pour héberger les voyageurs, mais sans luxe. Nous y avons mangé une rijstafel excellente, avec de la langue fumée et séchée à l’air. J’en ai acheté deux. Nous avons aussi acheté du café, du vrai café de Java, donc de l’arbuste original d’ici. Dans le cours des années, les planteurs ont remplacé cet arbuste par une autre sorte, plus forte et moins exposée aux maladies, tel que l’ont fait les vignerons de chez nous avec la vigne américaine. Bref, ce café est délicieux, j’en ai acheté quelques livres et je vous en enverrai aussi un peu, mais d’abord, je veux savoir combien de douane il faut payer. Si les droits en Suisse sont trop élevés, cela ne vaut pas la peine d’en envoyer une si petite quantité. Enfin, nous avons bien ri et fait les fous après dîner, jusqu’à ce que le Wedono (maître de police) soit venu nous chercher pour faire une promenade, dont vous aurez une photo. Vers 4 heures nous sommes descendus à Bandjanegara, et avons pris possession de l’hôtel. Nous étions les seuls  hôtes et quel hôtel. Mes vieux ! Mamali et papali, vous vous rappelez l’hôtel Poste à Zermatt ? Eh bien, c’était environ la même chose ici, mais comme c’était le seul hôtel de la place, il n’y avait rien à faire, toutefois le souper, le soir, était excellent, vraiment tout à fait soigné. Nous avons encore passé une gentille soirée gaie à raconter des blagues, dire et faire des bêtises. Nous sommes allé nous coucher tôt parce que le lendemain à 5 heures il fallait filer. Figurez-vous qu’ici très souvent les cabinets sont doubles, donc deux sièges dans la même pièce, alors le soir, Buby et moi sommes allés chanter un duo ce qui a entraîné Mme Engelhart dans un fou rire  formidable. Enfin, on a ri. Le lendemain, pourtant, la Näggeli ne riait plus, car elle avait la chiasse de monter à cheval. Toute la localité s’était rassemblée pour voir cette caravane de touristes hôtes du Prince Regent. J’ai été la première à monter avec l’aide de Buby et naturellement il a fallu que j’attrape le petit cheval le plus fougueux de la bande. Mes chers, les premiers 500 m non, quelle horreur. Tout le monde riait et Buby n’a rien trouvé de mieux à me lancer que « je ressemblais à Don Quichotte » ! Je me trouvais dans une belle poisse et j’aurais donné n’importe quoi pour déjà être sur le chemin du retour A la fin, Mme. E. se plaignant que son cheval ne voulait plus avancer, que c’était une vieille rosse qui prenait ses aises, nous avons changé, et tout de suite cela a mieux été. Premièrement son cheval avait une selle beaucoup plus tendre et plus confortable. De ce moment-là, j’ai commencé à jouir de mon excursion.
Maintenant je vous quitte, je dois faire un soufflé à la volaille, recette du Jardin des Modes, avec les restes de mon caneton de hier. A tout à l’heure.
Là, mon soufflé est au four, mais je viens de m’apercevoir que le four a deux trous, cela sera bon, gare !
Pour en revenir à l’excursion nous avancions donc parmi les collines bien cultivées d’abord, pour ensuite entrer dans la forêt vierge, toujours en longeant une crête de montagne. Nous avions donc la vue des deux côtés quand l’épaisseur des arbres le permettait. La forêt vierge m’a enchantée et en même temps un peu désappointée. 

chemin ardu
marbre brun de Java
C’est sûr que celle-là n’était plus tout à fait vierge puisqu’un chemin la traversait. J’y ai retrouvé le grand calme mystérieux et profond d’une épaisse forêt telles que nous les avons chez nous aussi, avec tous les parfums de terre humide, de bois pourri, de feuille mouillées, etc. Ce qu’il y avait de chic, c’était tous les arbres et les 1000 et une plantes curieuses intéressantes et nouvelles pour nous. Nous avons rapporté des fleurs de rotin, dont sont faites les chaises de la véranda. Imaginez-vous de longues, longues pives de 66 cm de long, flexibles, 6 à une branche. On dirait de longs serpents bruns à paillettes jaunes et vertes, beaucoup de grâce. Nous en avons une pendue à la lampe dans la salle à manger.  

Vous décrire tout ce que j’ai vu, c’est impossible, du moins pas dans une lettre comme celle-ci. Nous avons trouvé des pierres tendres ! C’est à dire des pierres en train de se décomposer, car la contrée traversée, son sol plutôt, est une des plus anciennes ou même la plus vieille formation de la terre.
A la main par dessus le texte à la machine
Je viens de recevoir les bouts de laine et te remercie de ton bout de lettre papali. Bon sang, je voulais t’écrire encore tout spécialement pour ta photo, ta sale binette. Je n’y ai au moins pas eu de plaisir !!! C’est trop chou de l’avoir ! Elle a aussi sa place d’honneur sur ma table à écrire. Mais ce que tu as de nouveau engraissé, Macaroni, va !!!
Bon sang, les Meyeringh vont arriver (il paraît qu’elle, c’est comme une poupée de luxe !) et comme les V. ne peuvent pas les loger à cause des enfants malades, c’est sur nous que cela tombera !!! Quelle honte et moi qui n’ai pas de koki (baboe cuisinière). Ils arrivent peut être déjà demain. Tenez-vous les pouces pour votre Ge…





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