samedi 30 janvier 2016






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12 novembre 1934

Keboemen

Cette lettre partira par le Uiver, l’avion hollandais ayant fait la Race Londres Melbourne en trois jours. Les pilotes sont maintenant sur le chemin du retour et partiront demain de Batavia. Notez le timbre spécial de l’enveloppe, qui plus tard aura sûrement de la valeur. Ces timbres se sont vendus comme du sucre de sorte qu’il nous a été assez difficile de nous en procurer ici, loin d’un grand centre. Cette enveloppe est la seule que j’envoie, nous n’avons acheté que deux de ces timbres qui sont assez chers. Voilà, et maintenant…
Mes chers nous sommes rentrés de Djocja, Solo et Semarang cette après midi, et tombons de fatigue, c’est pourquoi vous vous contenterez d’une lettre très courte, n’est-ce pas ? Ne me demandez pas on plus de vous raconter tout ce que j’ai fait et ce qui s’est passé dans ces 5 jours que j’étais loin, vous recevrez tout bien en détail dans ma prochaine lettre, maintenant cela m’embête de me souvenir de tout et de vous en faire une description en ordre. Nous sommes rentrés sains et saufs, et la santé est bonne. Je n’ai pas eu ni attrapé froid, ni rhumatisme, sauf que je me suis terriblement fatiguée à courir des magasins, à aller au cinéma, enfin, quoi, à profiter de la vie civilisée… soit disant !

Merci mille fois pour ta bonne lettre et je vais répondre à toutes tes questions. C’est justement quelque chose qui me va, je n’ai pas besoin de penser pour cela. Tu n’as pas besoin d’avoir peur pour mes refroidissements. Je prends toutes les précautions, quoique cela soit terriblement embêtant. Nous sommes maintenant environ au dernier stage de l’acclimatation, ces ennuis passeront aussi. Naturellement que je ne sors plus sans avoir un fichu ou n’importe quoi avec moi, pour me couvrir en cas de coup de vent etc. Hé, ma mamali, qui veut par force maigrir, il y a anguille sous roche, heureusement que le Bänggu est là pour ta vertu ! Après tout tu as bien raison de vouloir maigrir, mais stpl. n’exagère pas. Ne fais pas de bêtises, n’est-ce pas, et prends soin de toi, surtout n’en fais pas trop.
Merci pour les renseignements du thé de céleri, je vais les écrire à madame E. demain, elle a été ici pendant notre absence, et nous a apporté des petites plantes et de merveilleux citrons pour faire du sirop.
Oui, ne t’en fais pas pour les bouillons gras, je n’en mange pas trop. C’est pas comme les femmes ici qui ne cuisent que cela. Ma lettre de la semaine passée d’ailleurs, te renseignera une fois de plus sur notre manière de nous nourrir.
Non, je n’emploie pas du tout du lait condensé, est-ce que je ne vous ai jamais écrit là-dessus ? Mon fournisseur de lait est un paysan javanais qui fait de l’industrie laitière principalement. Il fournit aussi le lait à l’hôpital ici et comme organisation sa laiterie vaut autant que certaines d’entre elles en Suisse. Nous recevons le lait à l’américaine, ou plutôt à la hollandaise, dans des bouteilles d’un litre, fermées. Le lait n’est toutefois pas stérilisé, de sorte que nous ne pouvons pas le boire cru. On pourrait bien, mais il vaut mieux pas. Depuis un mois, j’ai aussi du lait de Poervoredjo qui est situé plus près des montagnes, de sorte que le lait est plus gras. Il ne vaut pas le lait de Sutz, mais il est excellent tout de même. Malgré cela, j’ai toujours une à deux boîtes de lait condensé à la maison en cas de visite. Ce n’est pas du lait condensé, mais du lait stérilisé en boîte, de sorte qu’on peut le boire cru tel qu’il est. C’est la marque Bear Brand, de l’Emmenthal (n’existe plus). C’est aussi ce lait qu’on donne aux petits poupons ici pendant un certain temps, comme transition du lait maternel au lait d’ici.
Des ails, je ne vais pas en bouffer exprès, j’en emploie assez dans la rijsttafel, et sans cela j’en fais souvent de la soupe.
Du pain, nous avons le même pain qu’en Hollande, blanc, tendre, sans grosse croûte. Il est assez bon, mais on en fatigue. Nous le mangeons souvent en toast, surtout à déjeuner. D’ailleurs c’est du vrai pain pour cela. Il est fait par un chinois très riche, j’ai vu la boulangerie, le four et tout. C’est excessivement propre et hygiénique. Tous les samedi soirs, il me livre un pain Graham (farine complète), que nous mangeons avec du beurre et la viande de midi ou des sardines, ou n’importe quoi, comme chez vous le samedi soir. Il n’y a que pour la viande que nous ne sommes pas servis comme en Europe. Ce ne sont pas des vaches de l’Emmenthal qu’on bouchoie ici. La race d’ici a la viande plus coriace. Elle serait peut être bonne si elle pouvait être rassie. Cela se fait dans les grandes villes naturellement, mais ici, les bouchers sont des chinois qui ne sont pas si bien installés, de sorte qu’on reçoit toujours de la viande fraiche Je prends presque toujours le meilleur morceau de la bête, le plus cher aussi, et avec cela je fais des biftek, des escalopes, du rôti haché etc. C’est toujours de la viande de veau qu’on mange ici, mais pas du veau comme chez nous, tu sais, cette belle viande blanche. Quand on demande du veau, du bœuf ou de la vache, c’est toujours la même chose, ici. Dans les villes il y a des bouchers européens qui s’y connaissent, ici les chinois n’ont du talent que pour leur viande de porc. La viande toutefois est soumise à un contrôle sévère, tu n’as pas besoin d’avoir peur qu’elle soit malsaine, seulement il n’y en a qu’une sorte. Nous ne mangeons pas souvent du porc, peut être une fois dans les trois mois, pas même.

Quant à ma garde-robe, ne te fais pas de soucis. J’aurai maintenant un buste fait à ma mesure par un vieux petit chinois à Solo qui me reviendra à Fl. 6.50,  j’ai été le voir hier soir encore avec John. Il y avait seulement quelques petites retouches à faire, juste aux seins. Vous rirez quand je vous raconterai cela ! Oh, merci, merci mille fois pour le nouveau capeli, la laine en est ravissante, et je me réjouis. Tu m’enverras un échantillon de ton manteau. 
le Hüteli

Je me suis acheté un Hüteli, (bibi, petit chapeau) un hüteli, ! fou, vous en recevrez une photo.
Quant à une nouvelle robe de Hedy, je veux d’abord attendre de recevoir la première, en suite je te dirai si oui ou non, et quel genre elle doit me couper. Il se peut que je t’en demande encore une avant Noël, car nous le passerons probablement à Semarang chez les Warren en compagnie très chic. L’oncle Maurice est consul pour l’Angleterre là, et il doit beaucoup « entertain » (recevoir) ! Nous avons eu un week-end High life, qui nous a fait du bien… la suite en détail au prochain numéro.

Mardi matin.
Voilà mes chers, je suis bien reposée et je pourrais vous en écrire long sur notre week-end, mais maintenant le temps me manque. J’ai acheté un beau tulle marquisette pour des rideaux au salon, et j’ai trouvé dans un magasin de meuble un vieux monsieur dont apparemment j’ai fait la conquête, parce qu’il m’a donné des idées lumineuses pour ma couch. Il est architecte de meubles et assez moderne. Je vous décrirai ma couch quand elle sera prête. Maintenant que nous avons de nouveau été dans le monde en société nous sommes revenus tout ravigotés et bien décidés une fois de plus, de ne pas adopter les mauvaises habitudes d’ici.  Dorénavant nous allons faire encore une fois de plus attention de ne pas devenir provinciaux. Nous continuerons à vivre en gens bien élevés, bien pour nous et avec ce que nous économisons en n’ayant pas de ces bêtes de visites qui ne viennent que pour boire et parler des autres gens ou dire des bêtises. Jeudi matin, donc, j’ai quitté ici à 6 heures avec M. Visser, madame et la Ricshaw. Vu que St Nicolas est devant la porte, il nous a permis de faire le voyage avec lui jusqu’à Djocja pour faire nos emplettes. Je suis donc restée à Djocja avec ces dames, et chacune nous avons fait les magasins. Il avait été convenu que chacune irait pour elle pour ne pas perdre de temps, mais cette règle ne valait que pour madame Woldringh, que les deux autres femmes ne voulaient pas avoir avec elles. Quand je les rencontrais, elles étaient toujours ensemble, et même que des fois cela les embêtaient de me rencontrer dans le même magasin et elles faisaient semblant de ne pas me voir, mais la Näggeli ne l’entendait pas de cette oreille-là, elle est modeste mais ne se laisse pas marcher sur les pieds. J’ai déjà eu la plus mauvaise place dans l’auto vu que je suis la moindre ici, et vous auriez dû voir la Ricshaw se faire large dans son coin, pendant que moi j’étais engoncée dans ces deux avalanches de lard. Visser le voyait bien et se retournait toujours pour me dire des bêtises ou parler en Bärntütsch, ce qui ne leur allait pas du tout, aux deux dames. Enfin flûte, moi j’ai bien profité de ma journée, j’ai fais mes commissions bien pour moi, contente de pouvoir acheter ce que je voulais, sans leurs avis et conseils qui ne valent rien. A trois heures Visser est revenu de sa tournée et a repris les deux femmes à Keboemen, tandis que moi je restais encore un bon moment à Djocja en attendant que John vienne de Solo. Il est venu me chercher à 5 heures, nous avons encore été chez des gens à Djocja, il a toujours un bataillon d’amis à visiter. A 9 heures nous arrivions à Solo, où Jans nous attendait. Nous avons parlé jusque très tard, et le lendemain matin, Jans et moi devions prendre le bus ou le train pour Semarang, à 7 ½ heures. Moi j’étais prête, mais pas Jans, alors nous avons manqué le bus, malgré que John nous ait conduit en auto à la suite du bus pour tâcher de le rattraper en route. Nous l’avons bien rattrapé, grâce à une course folle, mais il était complet, la charogne. Nous nous en sommes retournés, et avons manqué le train aussi. Donc nous sommes restées à Solo, et j’ai profité d’aller avec Jans à la recherche du vieux chinois sculpteur. Après une longue  marche parmi tous ces tokos chinois, nous l’avons trouvé dans une affreuse maison. Lui, c’est un petit vieux bien sympathique, bien propre, il m’a pris les mesures et après avoir marchandé nous sommes tombés d’accord pour le prix de Fl. 6.50. Je n’avais pourtant guère confiance dans toute l‘affaire et ne me suis pas réjouie. Je me suis simplement dit autant essayer. Le reste de la journée nous l’avons passée à la maison, car j’étais terriblement fatiguée de Djocja encore. Cela vous semblera drôle peut être, mais vous ne pouvez pas vous représenter les distances ici, elles sont énormes Enfin, le samedi matin Jans et moi avons été à Semarang, non sans encore avoir eu une chasse folle à la gare où nous sommes arrivées juste à temps, grâce à John qui a roulé comme un diable. A Semarang j’ai fait des emplettes, m’achetant un chapeau d’abord, ensuite en faisant les magasins pour voir ce qu’il y avait. Je suis enchantée de Semarang, de ses magasins tout à fait européens et très chic. C’est une ville où l’on fait beaucoup de toilette, où la vie de société est très développée. J’ai aussi été chez le meilleur coiffeur de la place, un Italien, Margharita, qui a travaillé à Paris pendant 5 ans et a le même diplôme que Marcel. Un salon excessivement chic, mais cher aussi ! Tant pis, je m’en fiche, moi je dois être bien. A une heure nous avons été luncher chez un oncle de Jans, ou plutôt un cousin éloigné, un vieux monsieur qui vit dans une immense maison de 200 ans, style pur local, avec ses 3 sœurs, des vieilles dames de 65, et 70 ans. Lui il est le plus jeune et approche des 60. Vous devriez voir comme elles sont bien conservées, ces petites vieilles qui s’habillent en blanc et ont la permanente dans leur cheveux coupés Nous avons eu une rijsttafel énorme, puis nous avons été dormir. A 4 heures, chacun était de nouveau réveillé, et après avoir bu du thé, pris notre bain, mis une robe fraiche nous avons été faire une promenade en auto avec l’oncle, passablement fier de se laisser voir avec deux jeunes femmes. J’avis mis mon petit chapeau, et ma robe crème, tu sais celle de fiançailles, celle qui me fait si mince. Voilà, la suite au prochain no.
votre Ge…..

Flûte, il me reste encore quelques moments avant la dernière limite pour aller au train, je vais continuer mon récit. Nous attendions donc Oscar à 5 heures environ avec John, mais voilà que Buby n’a pas pu quitter Keboemen le matin, de sorte qu’il est arrivé à Djocja seulement à 6 heures du soir. John l’y attendait, et l’a de suite emmené à Semarang, malgré un violent orage et des pluies torrentielles. Ils sont arrivés à Semarang après 8 heures. Entre temps moi j’avais dû téléphoner à Margot qui nous attendait depuis 6 heures. Nous y sommes arrivés à 9 heures, ayant d’abord soupé chez les Mac Invry, donc l’oncle et les tantes, soi-disant, de Jans. Margot nous a reçus en robe du soir, elle voulait nous emmener à un cabaret et une soirée dansante, parce que oncle Maurice était occupé dans un comité anglais concernant l’armistice etc. Enfin, nous nous serions tous retrouvés au club. Malheureusement moi j’étais à bout, j’avais tant marché et couru les magasins, ensuite cette attente sur Buby m’avait bien énervée, et finalement nous arrivions là, fatigués, et assez sales. Nous ne nous étions pas du tout représenté Maurice et Margot ainsi. Ils vivent très richement, une vie mondaine, toujours beaucoup de société, surtout le centre de la société anglaise vu que Maurice est consul pour l’Angleterre. La maison est magnifique, et dirigée par un génie de djongos qu’on ne voit ni n’entend jamais, mais qui est partout, à tout surveiller et à vous servir.
Voilà mes chers, au revoir, c’est le moment.


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