vendredi 15 janvier 2016






24 septembre 1934

Keboemen

Mes chers, mon cher Macaroni
J’espère que tu as eu un beau jour de fête (23.9.), aussi beau que moi ! J’ai beaucoup pensé à toi, parce que pour deux jours, j’étais très près de la Suisse, dans un pays merveilleux, de sorte qu’il fallait me rappeler que j’étais aux Indes (Néerlandaises) et non en Europe. Nous avons donc fait cette course si longtemps projetée, avec les Engelhart et monsieur Hartong. Nous n’étions que 5 personnes. C’était très très beau, magnifique, merveilleux. Mais malheureusement je ne peux pas vous écrire long aujourd’hui, car ma baboe m’a plaquée après une bonne eng…. de ma part. Je viens pourtant d’en engager une toute jeune à laquelle je dois apprendre à cuire. Il me reste donc beaucoup à faire ces prochains temps, et surtout aujourd’hui, il faut que je me débrouille. Ne vous en faites pas, cela ira très bien, et celle qui se trouvera volée de la nouvelle situation, cela ne sera pas moi, car heureusement je sais encore travailler et pour quelques jours je puis très bien faire mon petit ménage.
Mes chers, je voudrais tant vous raconter notre excursion en détail, mais comme le temps me manque, je vais adopter le style télégramme, ainsi j’espère vous donner, dans le minimum de temps, une impression juste de ces deux jours grandioses.
Toute la semaine je me suis tenue coite dans ma maison, faisant bien attention de me remettre complètement pour au moins pouvoir y prendre part. Le jeudi soir enfin, j’ai été demander la permission au dr. qui m’a dit d’y aller, mais d’être prudente. Vendredi, grand jour de travail et de préparation. Le matin de 7 – 9 j’ai fait deux tourtes glychschwär (4 quarts) une avec du rhum dedans et l’autre avec des raisins secs et des épices. A 10 heures j’ai été chez mme Visser et ensemble nous avons fait un speckkouk, (gâteau hollandais avec du lard) que j’avais raté. Cela m’a pris jusqu’à midi. Après dîné, j’ai lavé mes cheveux, raccommodé mon manteau et trié tout ce que nous devions prendre avec. A 5 heures Oscar rentre avec un fort rhume de nouveau et ne se sentant pas du tout bien de sorte que la question se posait sérieusement si nous pouvions y aller. Je lui ai fait avaler force grog, je l’ai frictionné et fourré au lit, bien emmitoufflé dans le foulard de soie, système turban, pendant que je finissais d’emballer nos habits, nos provisions. Il était convenu que je fournirais les cakes et les œufs. Tout le reste c’est les E. qui l’apportaient. Enfin je me suis couchée pour être réveillée à 4 heures, sans avoir dormi beaucoup et Oscar non plus. Mais heureusement qu’il s’est senti beaucoup mieux au réveil de sorte que nous avons décidé de risquer l’aventure. A 5 heures M. Hartong est venu nous chercher pour aller à Premboen. J’ai donc fermé la maison, donnant congé aux gens, sauf au kebon qui devait venir pour le chien et les canards.
 Nous voilà donc filant à toute allure dans le matin bleu et rose. A Premboen j’ai pris place dans la voiture des E. plus grande et plus confortable, pendant que Buby restait avec M. H. La route d’abord nous a conduit dans une immense plaine de plantations de tabac. Après une demi-heure nous avons commencé de grimper le long d’une route bien entretenue, mais sinueuse au possible. Le chemin de Langen dans le Vorarlberg avec tous ces contours est encore une autostrade en comparaison. Pas 50 m de route droite et des virages !
Mme Engelhart

 Cela a duré pendant 2 heures de temps, montées, descentes, montées, montées, des vues splendides sur la plaine, sur d’autres montagnes, dans des vallées, le tout sous une végétation fantastique. 
Mme E. et à droite Oscar

Nous avons fait une courte halte en pleine forêt vierge, des arbres immenses, des lianes, des fougères arborescentes, hautes comme des palmiers, un silence impressionnant dans lequel les perroquets jetaient leurs petits cris et leur  bavardage. Nous n’avons pas vu de singes, dommage. Enfin, nous arrivons sur un haut plateau, une très large vallée, une plaine plutôt, très fertile et ressemblant beaucoup à la vallée du Rhône. 

Bandjanegara, les "bidets"
Le plateau de Wonosobo. A 10 h.  nous arrivons à Bandjanegara, point de départ pour l’excursion du jour suivant. Nous allons directement faire visite au prince régent, une bonne connaissance de m. E. (ils sont les deux de la loge !) Nous avons très bien été reçus par lui d’abord. Un homme à l’air jeune encore, ayant fait ses études en Europe, très câlé, surtout en histoire naturelle, etc. C’est lui qui a découvert ces gisements de marbre très importants. 

marbre
Du marbre très beau et d’une riche variété. Pour exploiter ces gisements, il faudrait quelques centaines de mille florins pour bâtir une route de transport jusqu’à la mer. Jusqu’à présent, personne ni aux Indes ni en Hollande ne s’est trouvé, qui veuille prendre l’affaire en mains, sauf… Henry Ford qui a déjà demandé et obtenu la concession d’exploitation du gouvernement. Je ne peux pas vous donner tous les détails sauf qu’il soit très regrettable que toutes ces richesses passent en mains étrangères. Je n’ai pas pu suivre toute la conversation sur ce sujet, parce que la femme du régent étant venue, nous nous sommes entretenues avec elle pendant que les hommes discutaient entre eux. Nous avons pourtant vu et admiré la collection d’échantillons de marbres et… de la poterie de Thoune ! Non pas exactement, mais le régent en homme d’initiative a créé une école professionnelle où ses jeunes sujets peuvent apprendre à décorer leur poterie, car il s’en fait beaucoup ici. Il nous en a montré quelques échantillons, c’était tout à fait les couleurs et les décors de Steffisburg, ces jaspés comme nos fameuses pendulettes. Je n’ai pas eu l’occasion de demander d’où il avait le procédé.
Mardi matin. Voilà mes chers, je n’ai plus le temps de vous en dire beaucoup. Ma petite baboe toute jeune travaille bien mais elle n’est pas exacte, il faut toujours que je sois derrière elle, cela n’ira donc pas et je vais en chercher une autre. Il m’en faut tout de même une qui sache cuire un peu, car à la longue c’est trop pénible quand il faut courir à la cuisine pour chaque petite chose. J’ai été bien gâtée par la première et je confesse qu’il m’est assez dur maintenant de recommencer tout par le commencement, mais enfin, on s’y fera. Personne n’est irremplaçable. En tout cas ce n’est pas moi qui ai eu tort et si c’était à recommencer, je serais obligée d’agir la même chose. Enfin, zut !
Hier soir,  au lieu de pouvoir aller nous coucher tôt, m. Visser est venu nous demander d’aller jouer au bridge, car m. Fraay est ici, le conseiller technique, celui qui connaît bien la Suisse. Moi je n’ai pas joué et Oscar a tâché de terminer le rubber aussi vite que possible, pourtant il était passé minuit quand nous nous sommes couchés et nous avons encore tellement sommeil du jour avant. Nous sentons nos jambes et notre tralala, c’est affreux ! Pensez donc 5 heures à cheval, et moi pour la première fois de ma vie ! Les premiers 500 m j’ai eu une frousse affreuse, mais après j’en ai tout de même joui, sauf à la fin !!! Buby m’a dit que mon pantalon n’était pas du tout mal, j’en suis toute fière. Des photos vous en recevrez vraisemblablement par prochain courrier. Hier au soir j’ai reçu 2 chemises polo, je t’en remercie beaucoup. J’ai reçu votre carte du Chalet, écrite avec oncle Hepner. Nous avons aussi reçu une lettre de lui, disant comme il avait joui d’être au Chalet. Et ton soldat des Rangiers, Faaather, il est si joli, nous allons l’encadrer.
J’ai donc bien reçu ta lettre no 52, du 9 septembre. Merci beaucoup, mais j’y répondrai par prochain courrier, pas le temps maintenant.
Il faut aussi que je vous demande des excuses pour mes dernières lettres. J’avais écrit si longtemps que j’étais terriblement en retard. Le djongos a juste eu le temps de lancer les lettres dans le wagon et un postier les a attrapées au vol presque. C’en était un cirque.  Je n’ai donc pas eu le temps de les fermer chacune séparément et cela m’embête un peu, mais j’espère que vous ne m’en voudrez pas.
Cela y est, nous avons la saison des pluies qui commence, d’un côté c’est très chouette, et d’un autre, il faudra de nouveau faire bien attention au moisi et toujours tout mettre au soleil.
les pantalons d'équitation!!!
 Charlot, moi aussi je sens de nouveau mon cœur après cette randonnée, mais aussi ce n’est pas étonnant, nous avons d’abord dû descendre puis grimper environ 600 m., de Bienne à Macolin, une pente pareille sinon encore plus raide, et cela en plein soleil. 
Nelly

Nous avons tous attrapé de fameux coups de soleil, mais ne t’en fais pas, mamali, j’ai été plus prudente que toi et j’ai bien mis de la crème. Et maintenant, mes chers, il faut que je vous quitte. Flûte ! A Claude non plus, je n’ai pas encore écrit, et à tant de gens encore ! Mais tant pis, cette fois c’est la correspondance qui s’en ressentira. Mes chers, portez-vous tous bien, all the best pour chacun de vous, et merci de vos lettres. Ne vous en faites pas pour moi, je vais bien et mon Buby est si gentil. C’est un chou, mais vous ne le direz à personne ! Si tu écris à Fanely dis-lui que je ne l’oublie pas et que je répondrai à sa lettre et à sa carte depuis Engelberg. Je voulais dire quelque chose à Tata mais maintenant je l’ai oublié, à la prochaine, un bon muntschi à chacun de votre Ge… 




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