vendredi 17 mars 2017




Kediri

21 avril 1939

Mes bien chers,
Voilà 3 jours que je veux vous écrire sans y arriver. Maintenant il est 6 heures, je sors de mon lit et je profite de la Morgenstund hat Gold im Mund…. und Blei im Füddle, comme disait Banely dans le temps. J’ai une dizaine de très grands arbres dans le jardin, ils sont pleins d’oiseaux qui y font leurs nids, et le matin à 5 heures je suis souvent réveillée par un concert plus que fortissimo !
J’ai reçu ta 206 hier Mamms, et la lettre du Padre qui a été la bienvenue. Oui, mes chers, moi aussi je suis sur des charbons en pensant à vous avec tous ces évènements qui se suivent avec la rapidité de l’éclair. Il ne me reste qu’à prier pour vous et ma Suisse. Nous avons le journal 2 fois par jour maintenant, de sorte que nous sommes toujours au courant des dernières dépêches. Je ne veux pas en parler, mais seulement espérer, espérer pour vous tous, mes chers, et avoir confiance en Dieu, car on ne peut plus l’avoir en les hommes.

Fatherli, mon cher, cher vieux Macaroni, alors tu as encore été t’annoncer pour le service civil ? Bon cher Macaroni, va, mais tu as raison, il faut que chacun s’y mette, pourtant je pense quelque fois à quoi bon ? C’est une résistance presque inutile en vue de la grande majorité. Ici on craint fortement un envahissement japonais cela fourmille d’espions. Lundi de Pâques nous avons été au bord de la mer, à un des seuls endroits où un bateau puisse aborder sur la côte sud de l’île. Eh bien, qui est-ce qui est établi là comme pêcheur, dans une pauvre, pauvre baraque qui ne paie pas de mine ? Un japonais, avec une belle auto derrière sa baraque ! Il y a aussi toujours des incidents avec des bateaux de pêche japonais qui rôdent soi disant sans le savoir dans les eaux hollandaises. En tous cas si jamais Buby devait mobiliser, j’enrôlerais aussi immédiatement. J’avais pris ce cours de la Croix Rouge à Tjilatjap, mais je ne peux pas me faire garde-malade, car je deviens mal quand je vois toutes ces vilaines plaies, je saurai me rendre utile dans l’un ou l’autre bureau ou la gérance d’un hôpital ou quoi que ce soit. Mais j’espère de tout cœur que ce ne sera pas nécessaire.

Mamali, j’ai bien reçu le tapis de Tatali et j’en ai un plaisir immense. Je ne me rappelais plus bien comme il était, mais maintenant je sais très bien encore quand grand’mamali le brodait pour Tata. Merci mille fois de me l’avoir envoyé. Merci aussi du sécateur à poulet. Nous l’avons inauguré le jour même avec un caneton délicieux et chacun voulait le découper. Cela a été fait selon les règles et nous en avons fait un vrai gueuleton, Oscar et moi, à manger avec nos doigts ! Nous sommes si contents d’être seuls les deux de nouveau. Merci beaucoup pour ce sécateur, mais tu ne me dis pas ce qu’il coûte ? Stpl dans ta prochaine lettre, car je veux te le payer.
J’ai acheté pour toi, Mamms, une belle nappe en fil, qui est aussi grande que la table de la chambre à manger, mais maintenant avec les évènements, je ne sais pas si je vais te l’envoyer ou la rendre. Car je peux la rendre à la fin du mois, au chinois chez qui je l’ai achetée. Si tout va bien, je la garde, si non, j’aime mieux te faire cadeau de l’argent, cela te sera plus utile pour acheter l’une ou l’autre chose dont tu as vraiment besoin.
J’ai reçu une longue lettre de la Giggerli (3ème sœur de Rose, habite Zurich) qui m’a fait bien plaisir. Il y a au moins deux ans que je ne lui ai plus écrit, mais j’espère bien que vous lui donnez de temps en temps de mes nouvelles. Toutefois je vais lui écrire sous peu, du moins j’en ai la bonne résolution.
En même temps que ta lettre, Mamms, nous en avons reçu une de papa Woldringh qui nous fait des remontrances sérieuses parce que nous n’écrivons pas beaucoup. Oscar ne lui a plus écrit de lettre depuis plus de 2 ½ ans, sauf à sa fête, il écrit quelques mots au bas de ma lettre, mais c’est tout, et je trouve vraiment honteux, aussi papa W. n’a pas tort.  C’est moi qui écrit toujours de temps en temps mais je comprends qu’il voudrait aussi avoir des nouvelles d’Oscar directement.
Cette semaine j’ai écrit une lettre à madame Bigot  qui m’a pris deux semaines de réflexions !!! Mais je tenais à lui dire quelques petites choses sur le compte des Sayers, seulement il fallait être très diplomatique et ne pas faire de gaffes. Ha oui, ces Sayers ne l’ont pas volé, et moi je ne me tais plus et j’avale tout, oh non, ce temps est passé, et je n’ai aucun remord si les Sayers reçoivent une réprimande, car de son côté il profitera assez de son séjour à Amsterdam pour se vanter et crier sur les autres. A moi on ne me la fait plus.
Alors le Chalet est joli de nouveau ? Je n’ai aucune peine à le croire, et je me le représente souvent dans toute sa splendeur printanière.  Est-ce que je t’ai une fois remerciée pour les perce-neige, Mamms, et Padre ? Ah, ce qu’il a dû être bon ce gâteau aux pignons, le lundi de Pâques ! Rien que pour cela je veux tâcher de guérir, pour pouvoir goûter à ces bonnes choses une fois de nouveau en Suisse. Pour le moment les oignons me sont tout à fait défendus.
Je regrette que ces chapeaux (de coolie) ne soient d’aucun usage, je pensais qu’ils seraient bons pour mettre sur le lac quand tu vas pêcher, Padre, enfin, je n’en enverrai plus. Quant aux autres, aux démontables, je demande chaque fois que je suis à Soerabaya, mais ils ne les ont plus jamais reçus. J’ai déjà été dans tous les magasins possibles et impossibles pour en chercher, mais pas moyen. T’en fais pas, si jamais j’en trouve, j’en achèterai immédiatement une dizaine, pour te contenter.
Dans ma dernière lettre je vous avais demandé en hâte un égouttoir. Je ne sais pas si vous avez compris ce que j’entendais. C’est comme un panier rectangulaire qu’on peut poser sur une table ou un lavoir, et on met les assiettes verticalement entre les interstices des fils de fer, elles restent plantées ainsi pour sécher, ce qui est très pratique. J’en voudrais un modèle pour le faire voir ici, et le faire copier, car quand je l’explique au coolie, il ne comprend pas très bien. J’en ai vu l’illustration dans le Journal du Jura, à une liquidation de Bouldoires, mais je ne retrouve plus le journal. C’est donc un (ou une) égouttoir en fil de fer nickelé ou autre, galvanisé plutôt, c’est pas grand et je crois que vous pourrez facilement l’envoyer par la poste. Cela ne doit pas revenir à plus de Frs. 3.90 je crois, si je me souviens bien du prix. En tous cas, il ne faut pas que cela vous cause des difficultés, sans quoi ne vous en occupez pas, je peux m’en passer aussi. Zut, je viens d’entendre qu’il y en a aussi dans un magasin de Soerabaya, un magasin européen où je n’ai pas encore été voir. Donc attendez encore un moment, avant de vous en occuper et je vous écrirai encore là-dessus.
J’ai été dérangée toute la matinée et maintenant il est midi, et ma lettre n’est pas très longue. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, une autre fois ce sera mieux.
Buby est de nouveau en tournée, nous aurons des visites pour le weekend, un type qu’il a invité, et moi je commence à mieux aller aussi. Je n’ai pas de nouvelles bien intéressantes à vous donner car nous ne sortons pas, nous allons nous coucher tôt tous les soirs.
Je coiffe mes cheveux sur le haut de la tête maintenant et cela me va très très bien, dommage que la mode en est déjà presque passée. Je tacherai de vous envoyer une photo, une fois, mais Buby trouve aussi que cela me va très bien. Je suis très occupée avec ma maison et la couture, toujours à faire des patrons et de nouvelles robes pour plaire à Buby !!!
….pour cette fois-ci, un bon muntschi à chacun de vous, and all, all the best sous tous les rapports.



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