Kediri
21 avril 1939
Mes bien
chers,
Voilà 3
jours que je veux vous écrire sans y arriver. Maintenant il est 6 heures, je
sors de mon lit et je profite de la Morgenstund hat Gold im Mund…. und Blei im
Füddle, comme disait Banely dans le
temps. J’ai une dizaine de très grands arbres dans le jardin, ils sont pleins
d’oiseaux qui y font leurs nids, et le matin à 5 heures je suis souvent
réveillée par un concert plus que fortissimo !
J’ai reçu ta 206 hier Mamms, et la lettre du
Padre qui a été la bienvenue. Oui, mes chers, moi aussi je suis sur des
charbons en pensant à vous avec tous ces
évènements qui se suivent avec la rapidité de l’éclair. Il ne me reste qu’à
prier pour vous et ma Suisse. Nous avons le journal 2 fois par jour maintenant,
de sorte que nous sommes toujours au courant des dernières dépêches. Je ne veux pas en parler, mais
seulement espérer, espérer pour vous tous, mes chers, et avoir confiance en
Dieu, car on ne peut plus l’avoir en les hommes.
Fatherli, mon cher, cher vieux Macaroni, alors tu as
encore été t’annoncer pour le service civil ? Bon cher Macaroni, va, mais
tu as raison, il faut que chacun s’y mette, pourtant je pense quelque fois à
quoi bon ? C’est une résistance presque inutile en vue de la grande
majorité. Ici on craint fortement un envahissement japonais cela fourmille
d’espions. Lundi de Pâques nous avons été au bord de la mer, à un des seuls
endroits où un bateau puisse aborder sur la côte sud de l’île. Eh bien, qui
est-ce qui est établi là comme pêcheur, dans une pauvre, pauvre baraque qui ne
paie pas de mine ? Un japonais, avec une belle auto derrière sa
baraque ! Il y a aussi toujours des incidents avec des bateaux de pêche
japonais qui rôdent soi disant sans le savoir dans les eaux hollandaises. En
tous cas si jamais Buby devait mobiliser, j’enrôlerais aussi immédiatement.
J’avais pris ce cours de la Croix Rouge à Tjilatjap, mais je ne peux pas me
faire garde-malade, car je deviens mal quand je vois toutes ces vilaines
plaies, je saurai me rendre utile dans l’un ou l’autre bureau ou la gérance d’un
hôpital ou quoi que ce soit. Mais j’espère de tout cœur que ce ne sera pas
nécessaire.
Mamali,
j’ai bien reçu le tapis de Tatali et j’en ai un plaisir immense. Je ne me
rappelais plus bien comme il était, mais maintenant je sais très bien encore
quand grand’mamali le brodait pour Tata. Merci mille fois de me l’avoir envoyé.
Merci aussi du sécateur à poulet.
Nous l’avons inauguré le jour même avec un caneton
délicieux et chacun voulait le découper. Cela a été fait selon les règles
et nous en avons fait un vrai gueuleton, Oscar et moi, à manger avec nos doigts !
Nous sommes si contents d’être seuls les deux de nouveau. Merci beaucoup pour
ce sécateur, mais tu ne me dis pas ce qu’il coûte ? Stpl dans ta prochaine
lettre, car je veux te le payer.
J’ai
acheté pour toi, Mamms, une belle nappe en fil, qui est aussi grande que la
table de la chambre à manger, mais maintenant avec les évènements, je ne sais
pas si je vais te l’envoyer ou la rendre. Car je peux la rendre à la fin du
mois, au chinois chez qui je l’ai achetée. Si tout va bien, je la garde, si
non, j’aime mieux te faire cadeau de l’argent, cela te sera plus utile pour
acheter l’une ou l’autre chose dont tu as vraiment besoin.
J’ai reçu
une longue lettre de la Giggerli (3ème
sœur de Rose, habite Zurich) qui m’a fait bien plaisir. Il y a au moins
deux ans que je ne lui ai plus écrit, mais j’espère bien que vous lui donnez de
temps en temps de mes nouvelles. Toutefois je vais lui écrire sous peu, du
moins j’en ai la bonne résolution.
En même
temps que ta lettre, Mamms, nous en avons reçu une de papa Woldringh qui nous
fait des remontrances sérieuses parce que nous n’écrivons pas beaucoup. Oscar
ne lui a plus écrit de lettre depuis plus de 2 ½ ans, sauf à sa fête, il écrit
quelques mots au bas de ma lettre, mais c’est tout, et je trouve vraiment
honteux, aussi papa W. n’a pas tort.
C’est moi qui écrit toujours de temps en temps mais je comprends qu’il
voudrait aussi avoir des nouvelles d’Oscar directement.
Cette
semaine j’ai écrit une lettre à madame
Bigot qui m’a pris deux
semaines de réflexions !!! Mais je tenais à lui dire quelques petites
choses sur le compte des Sayers,
seulement il fallait être très diplomatique et ne pas faire de gaffes. Ha oui,
ces Sayers ne l’ont pas volé, et moi je ne me tais plus et j’avale tout, oh
non, ce temps est passé, et je n’ai aucun remord si les Sayers reçoivent une
réprimande, car de son côté il profitera assez de son séjour à Amsterdam pour
se vanter et crier sur les autres. A moi on ne me la fait plus.
Alors le
Chalet est joli de nouveau ? Je n’ai aucune peine à le croire, et je me le
représente souvent dans toute sa splendeur printanière. Est-ce que je t’ai une fois remerciée
pour les perce-neige, Mamms, et Padre ? Ah, ce qu’il a dû être bon ce
gâteau aux pignons, le lundi de Pâques ! Rien que pour cela je veux tâcher
de guérir, pour pouvoir goûter à ces bonnes choses une fois de nouveau en
Suisse. Pour le moment les oignons me sont tout à fait défendus.
Je
regrette que ces chapeaux (de coolie)
ne soient d’aucun usage, je pensais qu’ils seraient bons pour mettre sur le lac
quand tu vas pêcher, Padre, enfin, je n’en enverrai plus. Quant aux autres, aux
démontables, je demande chaque fois que je suis à Soerabaya, mais ils ne les
ont plus jamais reçus. J’ai déjà été dans tous les magasins possibles et
impossibles pour en chercher, mais pas moyen. T’en fais pas, si jamais j’en
trouve, j’en achèterai immédiatement une dizaine, pour te contenter.
Dans ma
dernière lettre je vous avais demandé en hâte un égouttoir. Je ne sais pas si vous avez compris ce que
j’entendais. C’est comme un panier rectangulaire qu’on peut poser sur une table
ou un lavoir, et on met les assiettes verticalement entre les interstices des
fils de fer, elles restent plantées ainsi pour sécher, ce qui est très
pratique. J’en voudrais un modèle pour le faire voir ici, et le faire copier,
car quand je l’explique au coolie, il ne comprend pas très bien. J’en ai vu
l’illustration dans le Journal du Jura, à une liquidation de Bouldoires, mais
je ne retrouve plus le journal. C’est donc un (ou une) égouttoir en fil de fer
nickelé ou autre, galvanisé plutôt, c’est pas grand et je crois que vous
pourrez facilement l’envoyer par la poste. Cela ne doit pas revenir à plus de
Frs. 3.90 je crois, si je me souviens bien du prix. En tous cas, il ne faut pas
que cela vous cause des difficultés, sans quoi ne vous en occupez pas, je peux
m’en passer aussi. Zut, je viens d’entendre qu’il y en a aussi dans un magasin
de Soerabaya, un magasin européen où je n’ai pas encore été voir. Donc attendez
encore un moment, avant de vous en occuper et je vous écrirai encore là-dessus.
J’ai été
dérangée toute la matinée et maintenant il est midi, et ma lettre n’est pas
très longue. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, une autre fois ce sera mieux.
Buby est
de nouveau en tournée, nous aurons des visites pour le weekend, un type qu’il a
invité, et moi je commence à mieux aller aussi. Je n’ai pas de nouvelles bien
intéressantes à vous donner car nous ne sortons pas, nous allons nous coucher
tôt tous les soirs.
Je coiffe
mes cheveux sur le haut de la tête maintenant et cela me va très très bien,
dommage que la mode en est déjà presque passée. Je tacherai de vous envoyer une
photo, une fois, mais Buby trouve aussi que cela me va très bien. Je suis très
occupée avec ma maison et la couture, toujours à faire des patrons et de
nouvelles robes pour plaire à Buby !!!
….pour
cette fois-ci, un bon muntschi à chacun de vous, and all, all the best sous
tous les rapports.
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