Kediri
7 mai 1939
1ère partie
A sa maman
C’est
aujourd’hui le jour de la Fête des mères, et tu n’auras rien reçu de ta
Möntschli. J’y ai pensé trop tard pour t’écrire une lettre qui arrive à temps.
Cela m’ennuyait beaucoup, alors Buby voulait t’envoyer un télégramme ce qui m‘a
fait bien plaisir mais après avoir réfléchi un peu, je me suis dit que tu
pourrais mieux employer l’argent pour autre chose.
Tu as été
dans mes pensées toute la journée aujourd’hui. Depuis le moment que je me suis
réveillée, j’ai pensé à ma Rötteli et ensuite toute la journée j’ai constamment
pensé à toi et à vous tous à la maison. Par un bel hasard ce matin, est venu le chinois, vendeur d’objets d’art,
alors Buby est venu me demander son argent de poche, car il voulait acheter
quelque chose pour le Mother’s day. Ainsi, nous avons eu du plaisir à choisir
quelque chose pour notre Rötteli, et en faisant cela j’ai été heureuse de
penser qu’au moins ainsi, je contribuais aussi au Mother’s day.
Nous avons
choisi des boutons d’ivoire travaillé que je vais mettre à la poste demain
matin, tu les recevras donc vers le milieu de juin. Tu en recevras 4 que tu pourras
sûrement employer sur l’une ou l’autre de tes robes noires. Nous en avons acheté
6 pièces, mais j’en garde deux pour les porter moi-même, et si Hedy veut en
employer 6 alors tu m’écriras et je te les enverrai. Tu disais toujours que
j’étais une sale fille qui volait tout à sa mamms, alors je continue !!!
Donc tu le sauras, si tu veux en mettre 6 pièces sur une robe ou quoi que ce
soit, tu n’as qu’à me les demander. Moi, je veux les employer ainsi : (dessin) pour fermer l‘encolure
sur une robe foncée, car ils sont sculptés à la main, et peuvent très bien se
porter comme bijoux. Buby a encore acheté un pendentif de jade sculpté aussi
très joli, de couleur gris-vert. Je vais chercher un bijoutier chinois pour le
faire monter. Dis-moi ce que tu préfères : un pendentif, un clips ou une
broche ? C’est environ grand comme cela : (dessin) C’est donc pas très brillant et tu peux
très bien le porter, c’est discret, Rötteli. Moi, j’en ai aussi un que j’avais
reçu pour ma fête à Batavia, de Buby, mais la couleur de mon jade est plus prononcée
vert clair. Buby m’a aussi acheté une pierre que je vais faire monter en bague.
Il aime bien m’acheter des bijoux et moi je les porte avec plaisir, car j’aime me faire belle pour lui.
Donne moi
une réponse au sujet de ce grand tapis de table en fil écru, dont je t’ai parlé
dans ma dernière lettre.
Tu me
demandes des nouvelles de Mily, je t’en ai données dans ma dernière lettre.
Est-ce que tu aurais du plaisir que la Mily vienne vous rendre visite ?
Mais tu sais, les nouvelles qu’elle pourra vous donner ne seront pas très fraîches
puisqu’elle ne vient pas me dire adieu et qu’il y aura plusieurs mois que je ne
l’ai plus vue. Et je te préviens, elle est bête, c’est tout à fait une höhere
Tochter (fille de bonne famille) aux
idées étroites et malgré ses 2 ans ici aux Indes, elle n’a pas appris beaucoup.
Je crois même que si elle est divorcée, ce n’est pas uniquement de la faute à
son mari. Maintenant elle est devenue tellement hystérique, c’est fou, elle fume
toute la journée et quand un Hosebei (un
homme) la regarde seulement deux secondes, elle croit que c’est arrivé.
Enfin je t’ai prévenue, et si tu tiens quand même à la voir, je lui écrirai
qu’elle vienne te voir.
Tu me
demandes aussi des nouvelles de John et Jans (voir who is who). Eh bien, John est entré à l’armée, il est
ingénieur d’auto et officier des autos. Il a une très, très bonne place,
intéressante et bien payée, il a Fl. 550.- par mois, et il doit souvent
voyager. Sa mère est morte et lui a laissé environ Fl. 100'000.- avec une belle
maison etc. C’est donc un homme riche. Sa mère possédait trois autos, et
maintenant il en a encore acheté 3 autres. Il possède donc 6 autos. Quand nous
étions à Soerabaya, Boili et moi, nous l’avons rencontré un matin, car il était
dans le même hôtel que nous. Boili devait partir en tournée, et moi je prenais
le train pour rentrer à Kediri le même soir. Alors John m’a invitée pour le
lunch, mais lui devait repartir pour Bandoeng à 13.40 heures. A midi et demie,
encore pas de John, je me disais déjà qu’il avait oublié, mais le voilà qui
s’amène. Alors nous avons vite été manger dans un restaurant chinois où il m’a
fait goûter à des mets inconnus, car ce patapouf, connaît tout et parle toutes
les langues. Moi je devais partir à 4 heures et lui à 13.40, dans la même
direction, alors il a demandé pourquoi je ne voyageais pas avec lui ? Moi
je croyais que son train n’avait pas de correspondance à Kediri, alors il a téléphoné à la gare pour
s’informer ; cela c’est tout à fait John ! Il aurait pu regarder dans
un horaire, mais non, courir au téléphone cela allait plus vite ! Enfin,
la fin de l’histoire, c’est que je suis partie avec lui. Ayant fini de dîner,
il nous restait plus que 10 min pour prendre le train, et moi je devais encore
aller à l’hôtel prendre mes valises et emballer ! Alors il a commandé une
auto militaire pour venir nous chercher, car ces autos-là passent partout plus
vite, elles ont la priorité. Tu
aurais dû voir cela, il est venu m’aider à ficher mes choses dans la valise,
naturellement nous avons oublié la moitié, et son ordonnance m’a encore couru
après avec une robe sous le bras !!! que j’avais oubliée dans l’armoire.
Enfin c’était une sau-hetze (une course,
stress), c’était fou, quoi, comme tout ce qu’on entreprend avec John. Une
fois dans le train nous avons bien ri et je me sentais plutôt une sau meitli (sale gamine) que madame
Woldringh !!! Avec Jans, cela va comme ceci cela. Boili l’a rencontrée
dernièrement à Solo pendant une de ses tournées. Il paraît que John continue à
faire terriblement la vie, et que s’il n’arrête pas bientôt, il sera de nouveau
sans le sou. Quant à elle, Boili a trouvé qu’elle était mieux habillée. Je ne
pense pas qu’ils vont divorcer. John la considère un peu comme sa femme en titre qui tient sa maison
et qu’il peut présenter quand il a des gens comme il faut en visite, mais à
part cela il en a d’autres de tous les côtés et de toutes les couleurs. Tu
comprends, nous nous tenons un peu sur la réserve. Je suis très contente que
cela leur aille bien, j’espère qu’ils profitent de leur argent, et si Jans
n’est pas bête, elle saura en mettre de côté pour elle, car elle reçoit de
l’argent pour payer les factures mais pour le reste ils ne sont plus notre genre. Ils viendront une fois nous voir ici,
cela nous fera plaisir, mais je ne tiens pas à aller en visite chez eux à
Bandoeng.
Tu m’as
donc fait envoyer un égouttoir, merci d’avance, je serai très contente de
l’avoir, car je n’ai pas encore été à Soerabaya pour voir s’il y en avait des
modernes. Mais, tu me diras ce qu’il coûte et les frais de port que vous avez
dû payer, car je tiens absolument à les rembourser. Sans cela je j’ose plus
rien vous demander ce qui serait
embêtant. Tu m’écriras donc le prix et tout ce que vous avez payé.
Voyons,
comment as-tu pu te fatiguer comme cela et te rendre malade ainsi ! Cela
m’a fait beaucoup de peine de lire cela et je suis un peu fâchée aussi. Est-ce
que ce Herzbad St Moritz que le docteur te conseille, c’est St Moritz des
Grisons ? Je ne sais pas bien ce que je dois te conseiller, d’y aller ou
pas. Je sais bien, Nauheim ne t’a pas fait de bien, ou du moins pas tenu ce que
tu en attendais, et si tu vas à une place pareille de nouveau, tu seras la même
dumms Rötteli, tu t’en feras à cause des sous et cela gâtera tout,
naturellement. Si tu réussis à te tenir tranquille au Chalet, je crois que cela
pourrait te faire tout autant de bien,
mais il ne faudrait pas que tu aies des visites.
Est-ce que
le docteur t’a au moins prévenue de ne plus boire l’eau du Chalet, de la source ?
Cette eau est trop calcaire pour toi, tout ce calcaire se dépose dans tes
artères et cela t’augmente la pression du sang (d’où tient-elle cela ?!!!) Stpl, fais donc attention, soigne-toi. Vois-tu, ce n’est donc
pas si terrible de se soigner et de faire attention, moi qui suis tellement
plus jeune, je le fais aussi. Apprends donc une fois à penser à toi, toi d’abord, toi ensuite et puis plus
rien, et encore toi. Je vais encore écrire au Padre qu’il soit une fois
raisonnable et qu’il ne te fasse pas toujours avoir des visites, des gens comme
les Racine qui t’énervent et qui demandent trop de tes forces. Enfin, j’espère
que cela aura de nouveau été une leçon pour toi et que maintenant tu sauras
faire bien attention !
Tu as eu
raison de ne pas accepter l’invitation de Ebe (Ebetina Sossich, Rome), car tu aurais absolument dû l’avoir en
visite chez toi de nouveau pour tenir revanche, et puis, tu as été à Rome, tu
connais un peu et tu en as joui. Y retourner maintenant ne serait plus la même
chose et dans les conditions actuelles, je ne sais pas si ce serait une bonne
idée d’aller en visite là-bas.
Mais
n’est-ce pas, tu ne crois quand même pas que nous viendrons cet été ?
Vois-tu je n’aimerais pas te faire de peine, mais il n’y a rien de fait pour
cet été, car comme je l’ai déjà écrit nous devons rester ici jusqu’au retour
des Sayers, ils le placeront ailleurs, ce que je lui accorderais de bon cœur.
Car avant de partir il nous a encore dit : naturellement je reviens ici,
aucune autre fabrique entre en ligne de compte pour moi que la meilleure !
C’est sûr, quand on a eu l’habitude d’avoir Fl. 200.- de plus par mois que les
administrateurs des autres fabriques, on ne tient pas à retourner à ces autres
fabriques ! Mais Oscar ne travaille pas pour rien comme un forcené !!!
Tout de même nous ne savons encore rien de ce qui sera décidé à notre égard. En
attendant je profite de la bonne paye que nous avons ici, environ Fl.
150.- par mois de plus qu’à Tjilatjap,
car ici on fait beaucoup plus d’huile. Naturellement que j’ai mis de côté
aussi, car il nous faudra des sous pour aller en Europe. Il faudra bien que
j’apporte un cadeau à la Rötteli, sans quoi elle ne nous acceptera pas en
visite !!! Elle n’aime pas les visites, la Röteli, alors je ne sais pas
bien si une fois j’oserai venir la voir !!!
J’ai
encore une nouvelle pas trop bonne à t’annoncer. Elle est bonne pour nous mais
pas trop pour toi, car je prévois que cela retardera encore notre visite. Mr. Dunlop, le directeur de la Banque (à Amsterdam) et Mr. Vermey, l’homme
principal de la Mexolie en Hollande, le chef de Bigot, vont venir aux Indes à
la fin de l’année, pour une tournée d’inspection. Si on nous laisse ici à
Kediri, cela donnera beaucoup à faire, à les recevoir etc. J’aimerais beaucoup
que nous puissions les recevoir ici à Kediri, où la fabrique marche bien et où
Oscar se sera donné tant de peine pour maintenir les affaires avantageuses.
Naturellement que cela lui donnerait un bon point qui ne serait pas à
dédaigner. Vois-tu, Mamms et mon Padreli, je regrette beaucoup de toujours
devoir vous causer des déceptions nouvelles, mais pensez que nous devons tâcher
de faire notre chemin ici. Sachez avoir patience et le temps viendra bien que
nous nous retrouverons tous au cher Chalet, seulement je ne peux encore rien dire
quand cela sera.
Mamali, ne
te laisse pas ficher les bleus par les gens qui s’étonnent que je ne revienne
pas encore. Vois-tu, laisse les penser ce qu’ils veulent, surtout des gens
comme les Rackers, car ils ne savent rien de la vie en dehors de leur village,
ils n’ont aucune idée des conditions et de leurs rapports entre elles, à
l’étranger, dans le vaste monde. Une fois que tu auras été ici, tu comprendras
bien des choses beaucoup mieux. Surtout ne va pas d’imaginer que c’est mauvais
signe qu’on ne revient pas, ou quoi que ce soit de ce genre, même si les gens à
Bienne pouvaient se faire des idées pareilles, laisse-les faire et penser sans
te faire du souci. Aie confiance en moi. Je t’ai promis de toujours tout te
dire et jusqu’ici j’ai consciencieusement tenu parole et je continuerai. Je ne
t’écris rien, absolument rien que la vérité, et tu vois toi-même que je ne te
cache pas non plus les choses moins agréables. Au contraire si tu pouvais venir
voir, tu serais surprise bien des fois de voir que ma vie ici dépasse encore
ton attente. Tu n’as vraiment pas besoin de blaguer comme dans le temps les
grands-parents au sujet de la tante Nelly (Bulgarie). Les choses sont encore mieux que vous ne puissiez
les imaginer.
Il y a
seulement une chose que je regrette, c’est que vous ne puissiez pas mieux
partager avec moi mon bonheur, que vous ne puissiez pas mieux jouir de
l’harmonie de mon mariage. Je ne peux pas assez le dire de te sentir heureuse
en pensant à moi et à Buby. Sois contente, contente, Mamali, et naturellement
mon vieux Macaroni aussi, soyez contents tout plein, et que cela vous aide avoir confiance et patience.
Je me suis
aussi remise de mes intestins. Je bois fidèlement mon huile d’olive tous les
soirs, je tiens mon régime et voilà 3 semaines que je n’ai plus pris quoi que
ce soit de remèdes pour aider le foie, et je ne m’en sens pas plus mal. Mon
poids reste toujours à peu près le même, mais je n‘ai pas mauvaise mine,
surtout mon teint est bon. C’est toujours là que je m’aperçois en premier quand
quelque chose ne marche pas. Si seulement dans le temps on avait cherché un peu
plus sérieusement la cause de ma mauvaise mine. Tu te rappelles comme j’étais
pâle des fois et que j’avais comme cela les traits tirés, fatigués ? A mon
avis, c’était déjà le foie qui commençait à se déranger. Enfin, n’en parlons
plus, tant que je vais mieux tout va bien.
Boili est
reparti en tournée ce matin pour deux jours. J’en profite pour faire nettoyer
la chambre où les Sayers ont rangé tous leurs meubles. Non, tu devrais voir
cela, comment est-ce qu’elle a osé laisser les choses ainsi, elle avait
pourtant le temps d’emballer car elle savait longtemps à l’avance quand elle
partirait et elle a laissé à son mari le soin de ranger. Tu devrais voir ces
buffets, ils sont pleins de fourbis, mais ce n’est pas moi qui vais faire de
l’ordre, oh non, je les laisse comme ils sont.
Le mois passé
Boili a roulé 6550 km, même à Batavia ils ont été étonnés de ce record. Mais il
ne faut pas demander s’il est fatigué !!! C’est fou, aussi je le soigne
bien, mon Boili. Samedi soir il y avait un grand bal du Rotary ici, j’aurais
bien voulu y aller, et si j’avais un peu forcé il y serait venu, mais je n’en
ai pas eu le cœur, ainsi nous sommes allés au ciné et à 10 heures nous étions
au lit.
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