samedi 4 mars 2017


Deuxième partie

Kediri, 13 mars 1939


Tu vois que la lettre de Mies correspond avec la mienne, elle m’agaçait tant que je n’ai plus ouvert le bec à la fin. D’ailleurs lui, le vieux, peut aussi m’agacer de temps en temps. Je n’ai encore jamais entendu la Mies parler français et je n’en ai aucune envie. Quand elle vient chez moi, j’ai toujours un ouvrage prêt sous la main, alors je la plante dans un coin commode, sur une chaise et moi je profite de travailler à mon ouvrage, car diable, je n’ai aucune envie de perdre toute une matinée pour entretenir cette demoiselle. Pendant un moment je fouille tous les recoins de ma cervelle pour trouver quelque chose à dire, et quand le stock est épuisé, je mène gentiment la conversation sur l’un ou l’autre sujet de mode ou n’importe quoi en lui disant : Oh, cela tu devrais le lire, alors je me lève, je vais lui chercher l’article de journal en question, en lui disant de bien le lire, lentement pour que cela lui profite, et en dedans de moi j’ajoute : et que tu me foutes la paix pour un moment. Si ce truc ne joue pas, alors j’ai toujours dans la cuisine une koki qui ne sait pas cuire le dîner sans moi, et je file par là. Je sais qu’elle ne s’y plait pas à la maison, et cela ne va pas entre ces deux femmes.
Dimanche passé, il y a 8 jours, nous avons été à Djatie le soir, Buby et moi. Nous voulions faire tourner le film de la noce d’Eddy que Koo nous avait envoyé, mais malheureusement cela n’allait pas, car ce film est un 16 m/m alors que l’appareil des Engelhart est un 8 m/m. Enfin, on a quand même tourné quelques films des E. Alors nous étions tous assis, et la Mies se trouvait le plus près du bouton électrique. Alors Boy lui dit : Mies, éteins la lumière ; mais elle n’a pas bougé, alors c’est tante Engel qui est allée. Et plus tard dans la soirée c’est Mr. Engelhart qui s’est toujours dérangé pour allumer et éteindre, mais elle, ce Totch, ce Pflock, n’a pas bougé. Je lui ai fait de grands yeux, elle s’en est bien aperçue, et si jamais elle vient se plaindre chez moi qu’elle ne se plaît pas à la maison, je ne me gênerai pas de lui dire mon opinion sur ce fait. Je ne veux pas me mêler de leurs affaires, bon sang non, mais je n’ai pas peur de parler de mes expériences personnelles. C’est un Motsch, un motsch. Et puis elle est bête, bête, non, c’est fantastique. Tante Engel n’est pas une lumière non plus, je ne me suis jamais fait d’illusions à ce sujet, mais elle au moins a bon cœur et le tact qui en dérive. La Mies, par beaucoup de côtés me fait penser à la Giggerli, elle attend tout de la vie et de son prochain, sans se douter qu’elle aussi devrait y donner du sien. En rentrant ce soir-là, Oscar m’a dit : Bon  sang, I dare not look at her for every time I do, so I want to say Bääääääää in her face !
L’autre soir, ils ont soupé ici toute la famille, car nous allions à une représentation du Kunstring, voir une danseuse juive, qui était vraiment merveilleuse. Pendant tout le temps du souper la Mies n’a pas ouvert son bec que pour manger. Le Boy non plus ne dit pas grand chose, mais au moins il n’a pas l’air si bête et lui a aussi bon cœur. Il ne peut pas sentir sa sœur, cela je l’ai bien deviné.
Quand je lui ai demandé, alors qu’est-ce que tu fais tout le temps ? Elle répond : qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? rien ! Et tante E. aussi me dit : Oui, elle ne fait rien, rien du tout toute la journée. Alors je me suis écriée, comment peut on perdre ainsi son temps quand on a 20 ans, et pourquoi ne fais-tu pas de robes puisque tu as appris à Paris. Maintenant elle s’est mise à faire des pyjamas dont c’est tante E., qui lui coupe le patron. Cela valait la peine d’aller à Paris pour arriver à un résultat pareil ! Pour aller à cette soirée de danse, elle avait aussi mis une robe en velours, une horreur de laquelle elle était très fière parce qu’elle l’avait achetée à  P a r i s.  Hoho, quel Totch et Motch, c’est fantastique ! Tu n’as pas besoin d’avoir peur que j’aille raconter quoi que ce soit que tu m’écris, bon sang, maintenant que je la connais, j’en sais assez sur elle. La demoiselle se paye le luxe d’être mécontente de ses parents et de tout alors que la faute est plutôt à elle. Bien sûr que tu n’as pas besoin de lui écrire. Si elle t’a écrit, c’est parce qu’elle le devait, une simple politesse puisqu’elle a logé chez vous. Tu n’as même pas besoin de te presser pour lui répondre si tu le fais dans quelques mois ou pas du tout c’est encore toujours assez bien.

Pendant que j’y pense, Loulou dans sa lettre, pour laquelle je le remercie encore bien sincèrement, a écrit qu’il n’avait plus de nouvelles des Koningsberger (noce de leur fille Ans avec le frère de Oscar, Eddy), vu qu’il ne leur avait plus écrit non plus. C’est une grosse impolitesse si après sa visite chez eux, il n’a pas écrit à Madame pour la remercier de son hospitalité. Cela n’a rien à faire avec les histoires et les sympathies de papa W. mais Loulou doit écrire une lettre courte et simple. S’il ne l’a pas encore fait, alors qu’il le fasse, elle n’a pas besoin d’être longue, mais il doit remercier pour l’hospitalité. C’est une des premières règles de la politesse d’un homme bien éduqué et cela m’étonne que les garçons tâchent de s’y soustraire. Ce n’est pas que je tienne à cette madame Koningsberger, ou que j’aie quoi que ce soit comme intérêt à la chose, mais je ne peux pas admettre qu’on puisse reprocher un manquement de politesse aussi élémentaire à mes frères. Et toi, Mamms, ne va pas dire que c’est « des mœurs hollandaises » non, c’est une règle de politesse belle et bien internationale et cosmopolite.
Ce pauvre Hermann de Vienne, il en a déjà vu du pays. J’ai vraiment pitié de lui, mais je ne crois pas qu’il me serait sympathique tout de même. En tous cas, il faudrait faire attention que Papa ne se laisse pas de nouveau entire-bouchonner pour l’une ou l’autre combine….


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