mardi 14 mars 2017




Kediri

4 avril 1939

Mes bien chers tous
Alors c’est jour de fête ? (anniversaire de ses frères.) Vous voyez que je suis aussi de la partie, même que je n’ai plus écrit depuis un certain temps. J’espère que les garçons ont reçu ma lettre à temps, elle était bien courte, et je vais me rattraper une fois ou l’autre après les jours de fête.
En attendant merci mille et mille fois pour ta lettre 205 contenant celle de Loulou du 1.2.39. Vous en avez mis du temps à me l’envoyer ! Et si c’est la faute à Câclon (Charlot), comme tu le dis, Mamms, je te conseille vivement de profiter de ce jour-ci, mon vieux, pour prendre la bonne résolution de…. etc, et en même temps bien vouloir te rappeler que les bonnes résolutions sont encore destinées à un autre sort que celui de paver le chemin de…. ! Voilà qu’elle se met à bien te chicaner ta sœur, et encore pendant ce jour de fête, pas gentil tout de même, hein ? Mais sachez, espèces de frangins- CharLou-pins (Charlot – Louis), qu’en ce jour, il y a 26 ans, vous l’avez bien chicanée aussi votre sœur, quand, vers la fin de l’après midi elle a dû courir de droite à gauche avec des petits billets, d’abord pour le Padre, ensuite pour la grandmamali, partout suscitant des  énervements et se sentant de trop, jusqu’à ce que la Fanely en eut pitié et lui donna des bouts de tissus pour qu’elle puisse aller tranquillement s’amuser dans un coin. Le soir quand la Tatali est venue m’annoncer que j’avais deux petits frères, comme cela, tout d’un coup, je ne savais pas si je devais pleurer ou en réjouir ! Est-ce que mes sentiments ont changé depuis ? A vous de le deviner, vieux filous !
Et maintenant venons en aux choses sérieuses. Vous vous rendez compte que je ne suis plus malade. Je l’ai en effet été assez sérieusement. Ayant mangé quelque chose qui ne me convenait pas, j’ai eu une diarrhée énorme, monstre, impossible. Pendant plusieurs jours je passais la plupart de mon temps quelque part. Je n’avais pas de fièvre. A la fin nous avons tout de même fait venir le médecin, et après les recherches nécessaires, il a trouvé que j’avais une sorte de kystes pas celles des Amoeben Dysenteris, mais une autre sorte, pas dangereuse. Tout de même il fallait les chasser de l’intestin, et pour cela il m’a donné des remèdes qui m’ont fait aller encore plus. Cela m’a tenu pendant près de deux semaines, mais maintenant mon intestin est de nouveau propre. Il se peut que j’aie eu ces kystes d’avoir mangé une sorte de yoghurt fait avec du lait pas cuit. Il faut faire tellement attention ici, surtout moi je ne peux pas supporter trop de choses. Naturellement mon foie s’est mis à chanter aussi, mais heureusement le médecin ne veut plus me donner de remèdes, il dit que je dois me guérir de moi-même, maintenant que je n’ai plus de microbes dans les intestins. Maintenant j’en suis de nouveau à mon régime, des petites soupes etc et tous les soirs ma cuillerée d’huile d’olive. Je l’ai dit au docteur et il m’a dit de la prendre, si cela ne me fait pas de bien, au moins cela ne fait pas de tort non plus. Je fais encore toujours de la chaise-longue et je me paye vraiment du bon temps, car cela ne sert à rien de forcer, pourtant je n’ai pas maigri. Voilà, donc vous êtes au courant et il n’y a pas lieu de s’en faire. Au mois de mai, ou juin, j’irai faire un séjour à la montagne. Les van Tinteren vont en congé en Europe, mais les beaux-parents restent ici, vu qu’ils sont juifs allemands. Van Tinteren  a hérité de son père il y a une année, alors il a mis cet argent dans une belle maison de campagne haut dans les montagnes, et les beaux parents vont s’installer là pendant les mois de leur absence. C’est donc chez cette maman de Wies van Tinteren que j’irai, elle se réjouit déjà de m’avoir. J’irai comme paying guest pour avoir ma liberté. Comme ce n’est qu’à 2 heures d’auto de Kediri, Oscar pourra y venir pour les weekend.
Il est justement revenu de tournée, le Boili, rompu de fatigue, car il a fait 850 km en deux jours ! Il est allé coucher à Semarang, et pour cela il a dû faire 100 km en plus, mais il préférait cela à être obligé de passer la nuit dans un hôtel chinois et d’attraper une maladie quelconque. Aujourd’hui (5 avril) il a envoyé Mogendorff faire une tournée, demain c’est lui qui repart pour deux jours encore. Il ne reviendra que Vendredi saint. Oui, il travaille bien ici, aussi Elout a été obligé de lui dire au téléphone qu’il était content de Kediri. Cela nous a fait un bien énorme, surtout Oscar travaille avec plus de plaisir. Oh, nous ne sommes pas encore au bout de nos peines avec Elout et Sayers, mais on est en plein dans le système D et j’espère bien que nous en arriverons à bout.
Sayers est maintenant en Europe à faire le beau près de la direction à Amsterdam, mais il ne compte pas avec la Näggeli. Je vais écrire une lettre à Madame Bigot, très amicale, où je lui raconterai sous le sceau de l‘amitié, tous les plaisirs et déboires de notre vie privée, comme je le faisais quad nous étions ensemble à Batavia, et ma foi, lui, Bigot pourra en prendre un nez plein au sujet de Sayers. Peste ! Avec de la diplomatie ! Et ces Sayers, je n’ai aucune raison de les ménager. Je ne leur souhaite pas de mal, mais je tiens aussi à ce qu’on sache la vérité sur la manière avec laquelle ils nous ont traités.
Les Mogendorff sont encore toujours ici, mais je crois qu’ils déménagent demain, en tous cas madame ( !) a donné les ordres pour que les meubles et que la maison soit prête et nettoyée, quant à elle, elle a trouvé nécessaire d’aller pendant ce temps rendre visite à une amie à Solo ! C’est bien moi qui laisserais mon mari se débrouiller avec tout le déménagement ! Il y a des femmes qui n’aiment qu’elles-mêmes et longtemps après seulement leur mari.  Je me suis tenue aussi faible que possible, car elle aurait encore accepté que je lui aide à installer sa maison, aber dort düre isch ds Näggeli einisch nid vo merklige gsi (mais faut pas me prendre pour une idiote). Oh, c’est le grand moment qu’ils s’en aillent, car lui commence à s’apercevoir que sa femme est égoïste, et il le lui dit. Enfin, ce sera bientôt un chapitre terminé, et je n’en pleure pas. Merci pour tous tes bons conseils, oui, tu sais toujours comment il faut prendre ta Möntsch pour la calmer et lui faire entendre raison. En tous cas si ce n’avait pas été pour Oscarli, je n’aurais pas fait le poing dans ma poche ainsi. Espérons que cela servira à quelque chose.
Pour les jours de Pâques, j’aurai probablement la visite de Wim van der Lee, qui est en train de bâtir une nouvelle fabrique à papier, à 200 km d’ici. Ce sera une succursale de celle de Pandalarang, et il en deviendra l’administrateur. Sa femme est encore à Bandoeng avec les enfants. Vous voyez que j’ai aussi un hôtel ici, mais Oscar se réjouit d’avoir Wim ici, alors je ne dis rien, car je lui accorde bien ce plaisir.
Pendant que j’étais malade, il m’a acheté à Soerabaya un auto-bridge. Est-ce que vous les connaissez aussi chez vous ? J’ai donc appris à jouer au bridge toute seule, et je trouve épatant. Buby m’a bien gâtée pendant que j’étais malade, il m’apportait aussi toujours des petits « double crème » et je m’en suis payé une bosse.
La lettre de Loulou nous affait bien plaisir, Oscar l’a lue hier soir au lit et nous avons encore longuement discuté de vous, frangins. J’ai aussi pris mon album de photos pour vous regarder à l’aise, depuis les premières photos jusqu’aux dernières et j’ai ri quelques fois en évoquant de vieux souvenirs.
Mes chers, je vais vous quitter pour aller colorer des œufs de Pâques. Ici rien ne rappelle que ce sont les fêtes de Pâques, mais je tiens tout de même à faire quelques petites choses pour respecter les traditions, ainsi nous aurons des nids faits tant bien que mal avec des œufs de couleurs sur quelques tables. 
Tagètes

J’ai au jardin des Stinkende Hoffahrt (tagète) jaunes qui représenteront les primevères. Dans ma lettre précédente je ne vous ai pas souhaité de bonnes Pâques, mais j’espère qu’il en sera ainsi tout de même.
Je pense que mon Padre est de nouveau Sutz-sturm (impatient d’aller à Sutz pour l’été). Ah, Maca-Macaca-Macaroni, gare quand je pourrai de nouveau te tirer par la moustache ! Et te tirer des carottes ! Je me demande si tu aurais reçu ces chapeaux de coolies, à l’heure qu’il est, et si oui, comment ils te vont ! Il y en a encore de bien plus grands ici, mais je ne peux pas les envoyer par la poste, mais je les apporterai une fois que je viendrai. En attendant tu auras toujours ceux-ci pour cet été. J’aimerais bien voir ta binette là-dessous !!! Ils sont peints ainsi pour protéger contre la pluie aussi.
……votre Ge……


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