vendredi 28 octobre 2016




Tjilatjap

9 novembre 1937

A sa maman
Merci beaucoup pour ta lettre 173 que j’ai  bien reçue et lue avec beaucoup de plaisir. Je ne vais pas y répondre longuement cette fois-ci parce que j’ai perdu mon temps au jardin ce matin et aussi parce que ma machine a le hoquet, ce que tu remarqueras bien. Tu sauras que ce n’est pas la Pfutlet qui écrit mal, mais bien la machine.
Nous avons aussi reçu une carte de Nöggi (Louis/Loulou) avec Eddy et Ans (frère de Oscar en Hollande). Je suis contente si Nöggi trouve cette Ans sympathique. Nous avons trouvé son frère tellement sympathique, ce Koo que j’avais si souvent chez moi à Batavia. Voilà aussi des gens à qui je n’ai plus écrit depuis plus de 6 mois, non, même plus, presque une année.
Nous avons reçu une longue lettre de papa Woldringh où il nous racontait la visite de Loulou (Bruxelles en route pour Londres). Je crois que Loulou s’est aussi bien plu chez eux. Alors il voyage beaucoup, notre Nögg. Je suis contente pour lui, si seulement Charlot pouvait s’en aller un peu, cela lui ferait du bien, car il en a besoin. Mais je pense que cela viendra aussi une fois plus tard.
Merci de tout cœur pour ta bonne lettre, tu as raison, il ne faut pas te préoccuper. Je me suis déjà tout dit cela avant même que tu m’écrives, tu sais je ne suis pas trop bête même si je ne suis qu’un « dräckli ». Mais tu comprends, cela fait du bien d’ouvrir son cœur et de pouvoir parler librement. Ici je n’ai personne, tu le sais bien, je ne me confie à personne. Et aussi longtemps qu’on est dans ma maison on (Mily) se considère une amie, tu penses. Je n’ai pas à me plaindre de cette visite, j’ai fait attention et expliqué les choses. Je n’ai pas toujours tout partagé ou raconté, la maison est assez grande et j’ai expliqué qu’ici aux Indes chacun est libre, surtout pour de si longs séjours, on ne doit pas toujours être ensemble. Je sortais aussi souvent avec Oscar sans qu’elle vienne avec. Ah non, tu sais mon mari d’abord et depuis le commencement j’ai mis les points sur les i et c’est vraiment bien allé. J’ai eu beaucoup de plaisir vraiment. On a bien ri et cela m’a aussi fait du bien, surtout justement dans cette période de crise. Tu sais, elle est bien bête, mais elle a bon cœur et elle n’est pas moindre de caractère, oh non, pas du tout. Nous avons beaucoup jodlé, rigolé et fait la cuisine suisse. Des chnöpfli (spätzli…), des rösti, etc. vraiment j’ai eu plus de plaisir que je ne m’y attendais. Elle était très très triste au commencement mais je lui parlais toujours et je suis bien arrivée à la remonter. Oh, tu verras, elle pourra te raconter un tas de choses de notre vie ici, dans ce but je lui ai raconté un peu plus que je ne l’aurais fait sans cela. Je me suis dit que c’en était une fois une avec  qui tu pourrais parler, pas comme avec les Engelhart qui ne pouvaient pas se faire comprendre. La Mily m’appelait aussi la Morri ! Un jour la baboe a lavé une robe pour elle, elle ne la pendait pas bien malgré qu’on le lui avait expliqué, alors la Mily tout d’un coup dit : Du donners Chuefüdle du ( toi, espèce de cul de vache) ! J’ai cru que je faisais aux culottes. Depuis nous avons toujours appelé la baboe ds chuefüdle (cul de  vache), le djongos est le Teigaff (singe empâté), le kebon dr Zibelegring (tête d’oignon) et la koki ds saumöntsch (sale humain), et le katjong ds mondchalb (veau lunaire) ***.
***ces mots en bernois ont une tout autre connotation en dialecte et ne sont pas insultants, comme ils le seraient en français, ils sont en principe intraduisibles et il s’agit plus du son émis que du sens). 
Oh, j’en ai profité pour mal parler, c’était formidable ce que nous avons juré, tu n’en as aucune idée.
La Mily m’a pourtant rendu un grand service.  Tu sais il y a ici le comptable de la fabrique, monsieur Engelenberg. Il a renvoyé sa femme après 17 ans de mariage, et maintenant il vit seul à l’hôtel. Je crois que je t’avais écrit cela. Enfin, ce type dans le temps gagnait énormément, mais il a trop fait la noce et tout perdu au jeu, il est passionné, c’est aussi pourquoi il a perdu une belle place. Maintenant il est ici à la Mexolie comme simple comptable, alors qu’il a déjà 40 ans. C’est le frère de madame Oppel, ceux chez qui nous avons eu cette rijsttafel à l’hôtel des Indes. C’est aussi par ces Oppel que cet Engelenberg est entré à la Mexolie. C’est un type calé et très bon pour son travail, mais voilà il ne se sent heureux que quand il peut jouer aux cartes etc. Enfin, pour moi ce type c’est un Ferdy (nom d’une connaissance en Suisse). Depuis le commencement je ne pouvais pas le sentir, même avant d’avoir su tous ces détails. Naturellement qu’il aimerait toujours que Buby aille s’amuser avec lui, il trouve les femmes de trop et embarrassantes, tu comprends. Lui, il est libre maintenant et il croit que les autres hommes devraient aussi l’être. Enfin, au commencement il venait chercher Buby et tâchait de l’avoir aussi souvent que possible et alors ils rentraient à des heures impossibles et souvent ils avaient trop bu. Enfin, j’ai eu du chagrin. Maintenant cela va mieux, je crois que Buby voit lui-même qu’il ne peut tout de même pas vivre ainsi. Qu’il fasse la noce de temps en temps il faut aussi lui accorder cela, mais quand même il y a des bornes. Enfin, Mily a été ici pendant ce temps et elle a pu s’en rendre compte, alors un soir elle m’a dit que je devais faire attention, que je montrais trop combien je détestais cet Engelenberg. Tu sais, elle m’a parlé comme toi tu l’aurais fait, comme tu l’as d’ailleurs fait souvent quand je faisais une figure méchante envers Ferdy. Alors cela m’a fait du bien, je me suis reprise et maintenant je fais mon possible pour cacher mon antipathie. Engelenberg l’a d’ailleurs aussi remarqué. Tu comprends je ne dis presque rien à Buby là-dessus, le silence est d’or, et je ne veux pas qu’il sache combien je le déteste. Pas besoin de tout dire. D’ailleurs cela va mieux maintenant, c’était juste le commencement, la nouveauté du Soos (le club) etc. Maintenant depuis que Mily m’a dit cela je me suis reprise, je me montre gaie etc. je crois que je regagne du terrain, tu comprends. Hier soir aussi on voulait justement sortir un peu quand ce « saucheib »(sale type) est venu chercher Buby pour une partie de billard. Je m’attendais à ce qu’il rentre de nouveau très tard mais il est revenu à 9 ½ heures. J’ai pensé que je voulais laisser aller les choses sans rien empêcher. Généralement les enfants mangent du chocolat jusqu’à ce qu’ils ne peuvent plus le voir et ensuite on a la paix. J’ai pensé que ce serait le même cas et je ne crois pas que je me trompe. Plus on a de liberté, moins elle a de charme. Ach, tu sais c’est chaque femme qui a des crises pareilles dans son mariage, il s’agit seulement d’y passer et je suis assez intelligente pour le faire. Seulement tu comprends, c’était mon premier putsch et c’est toujours un peu difficile, avec le temps on s’y fait.
Mamms, je n’ai plus de temps de t’en écrire plus long, mais enfin tu es tout à fait au courant de ce qui se passe maintenant.
Ah, je voulais encore te raconter cela. Je t’avais écrit que j’avais fait des économies, je voulais lui en faire la surprise pour sa fête, mais voilà qu’il y a quelques jours non déjà deux semaines, il a dit : si seulement j’avais de l’argent, l’occasion serait bonne pour acheter des papiers etc. Chaque fois qu’il entendait de nouveau les cours de la bourse il disait cela et Oliemans de la Banque aussi disait que le moment serait bon pour acheter. D’abord j’avais l’intention d’acheter moi-même un papier et de lui en faire cadeau pour sa fête, mas alors quand il disait toujours cela, je me suis dit non : moi je ne suis qu’une femme, pour lui cela lui fait du bien s’il peut s’en occuper lui-même, cela le fait causer avec Oliemans etc, et comme c’était justement ces moments difficiles, j’ai pensé que j’avais là une bonne arme contre Engelenberg et un beau jour je lui ai fait la surprise de lui mettre le carnet sous le nez. Mamms, tu aurais dû voir ce plaisir. Il avait encore plus de plaisir à moi, que j’avais si bien économisé qu’à l’argent même. Tu aurais dû voir comme il était fier de moi ! A cela j’ai bien vu que mon Buby était toujours le même au fonds, la girly a encore toujours la première place. Enfin, il a eu un plaisir fou, et maintenant il a pu acheter une action d’un bon fonds d’ici. C’est vraiment depuis ce moment là que son home a regagné du terrain, cela lui a donné le goût d’économiser, c’est à dire qu’il laisse ce soin à moi, mais tout de même, il fait attention. Enfin, je crois que j’ai choisi le moment psychologique pour que ma surprise fasse de l’effet.
Maintenant, Mamms, il faut que je file à la poste. Tout va bien ici, la santé comme le reste. La prochaine fois je vous en raconterai plus sur la vie de tous les jours.
N’est-ce pas, il ne faut pas te faire du souci pour moi, mais je te raconte tout parce que je te l’ai promis. D’ailleurs j’ai aussi dit à Mily qu’elle pouvait absolument tout te dire de ce qu’elle avait vu et vécu ici. Je ne sais pas encore ce qu’elle va faire, si elle rentrera bientôt. Je le pense.
U jetzt adie u furt (et maintenant adieu et loin)
Toujours votre …….Ge……



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